82,4 millions de personnes sont déracinées, un chiffre deux fois plus élevé qu’il y a dix ans, selon le rapport annuel de l’ONU ; une progression de 4 % depuis 2019 (79,5 millions). L’exil n’est pas qu’un chiffre ; il prend aussi la forme d’un arrachement au pays, d’un déracinement. C’est « cette ligne droite qui se brise » dont parle Smaïn Laacher (2007), et l’exil « marque de manière indélébile » (Sayad, 1999). En développant son concept de « double absence », Abdelmalek Sayad (1999) souligne l’importance qu’il y a à considérer autrui dans son identité culturelle ; et cela, au moment où les autorités françaises des années 1950-1960 portent sur les populations exilées un regard ethnocentré, les qualifiant alors « d’immigré·es ». Or, Abdelmalek Sayad rappelle que « l’immigré » est aussi un « émigré », terme qui redonne à l’autre sa consistance et sa richesse culturelle : l’autre n’est pas seulement là pour répondre à un besoin de main-d’œuvre, c’est aussi une personne qui quitte un pays, une famille, des racines.
Georges Simmel, à travers le terme « étranger », désigne ces populations en migration comme des êtres mobiles qui appartiennent à un cercle disposant de caractéristiques différentes de celles du cercle représentant la société d’accueil (Rammstedt, 1994). Ce qui pour les un·es est proche, est lointain pour les autres. Le déracinement peut être lu et vu de deux façons : selon la conception transnationaliste, les exilé·es partagent le sentiment d’être « d’ici » et de « là-bas », expression revisitée et empruntée à Abdelmalek Sayad qui notait, lui, que le déracinement fait naître chez les exilé·es un sentiment de n’être plus « d’ici », ni de « là-bas » car iels entrent dans « un univers dont on n’est pas naturellement “naturel” […] » (Sayad, 2006)…
Date de mise en ligne : 21/06/2023