Dans ce chapitre, je vais proposer plusieurs réflexions sur la condition canine dans les sociétés occidentales post-industrielles. Ces réflexions, qui s’appuient sur de nombreux travaux en sciences humaines et sociales traitant de l’évolution des rapports aux chiens, pourront paraître naïves au lecteur, tant nos pratiques et nos représentations des chiens semblent « aller de soi ». Mon but est précisément de rompre avec cette impression d’évidence en évoquant plusieurs éléments factuels témoignant de la dimension socialement construite et historiquement située de la condition canine contemporaine, qui devrait nous étonner plutôt que nous laisser indifférent.
De quelle « évidence » est-il question ? Dans les pages d’un livre destiné à des vétérinaires du XXIe siècle, je ne pense pas totalement irréaliste de postuler que les lecteurs ont en tête l’image du « chien de compagnie », celui qui fait « partie de la famille », qui a un prénom, qui vit dans des foyers urbains, qui est traité avec une forme de bienveillance, et qui compose donc une très grande partie de la patientèle vétérinaire actuelle. Cette évidence-là, celle d’un chien aimé, individualisé, personnifié, attaché à un maître, j’aimerais rappeler à quel point elle constitue une exception lorsque l’on étudie l’histoire des rapports humains-animaux en Occident, et également lorsqu’on la compare aujourd’hui avec des formes d’existence des chiens dans d’autres régions du globe.
Il s’agit ici de se positionner par rapport aux travaux sur l’histoire longue de la domestication du chien, qui insistent sur le fait que les espèces canine et humaine entretiennent un lien très particulier : dans l’histoire des relations que l’humanité entretient avec d’autres animaux, le rapport au chien n’a pas vraiment d’équivalent et ce pour différentes raisons bien analysées par la biologie de l’évolution, l’écologie comportementale ou l’éthologie…