Pour de bonnes raisons, semble-t-il, Dagognet suspecte à la fois la valeur épistémologique et le contenu normatif de la notion de nature. Sur le plan épistémologique, soutient-il, concevoir la nature comme un modèle qu’il conviendrait d’imiter, ou comme un réservoir de secrets bienfaisants qu’il s’agirait de dévoiler et de consacrer, s’avère souvent contre-productif, voire fallacieux, comme dans le cas de la pharmacologie ou des techniques agricoles. En outre, estime-t-il, la nature comme nature naturante, à laquelle nous devrions confier les procès de régulation techniques, productifs ou curatifs, est également une illusion trompeuse : une partie de la pratique médicale ne doit-elle pas, précisément, s’opposer à la lutte de l’organisme contre lui-même ? L’agriculture comme pratique productive ne doit-elle pas répondre aux agressions des milieux contre certaines de leurs composantes ? Sur le plan normatif, Dagognet se montre encore plus incisif. La notion de nature promeut l’invariable, la stabilité, l’harmonie, et ne peut conduire nécessairement, explique-t-il, qu’à une régression lorsqu’elle est mobilisée en politique : le mythe de l’âge d’or justifie l’utopie des « fades bergeries » et l’idée de nature humaine, nous motiverait, comme chez Hobbes, à défendre la dictature.
Comme le montre Xavier Guchet dans ce volume, la condamnation de la notion de nature chez Dagognet s’accompagne toutefois d’une réhabilitation et dans certains cas d’un éloge. En effet, tout en ne souscrivant pas aux « noires analyses » des naturalistes, Dagognet souhaite que la nature soit une source d’inspiration invitant à une « heureuse révision » de la société industrielle qui permettrait l’avènement d’une éco-industrie, luttant contre le gaspillage, recyclant les matériaux et contrôlant les débordements de l’industri…