Toute enquête historique visant à rechercher « l’origine » ou la « naissance » des nombres présuppose qu’ils renvoient à un concept immuable et anhistorique, auquel les hommes auraient eu accès par étapes successives au cours du temps, grâce à la raison ou à la pratique, pour aboutir à la connaissance qu’on en a actuellement. Il s’agit là d’un choix de posture épistémologique qui suppose l’existence d’entités abstraites indépendantes auxquelles on aurait accès par l’entendement. L’« origine » des nombres marquerait alors le moment historique où ces entités auraient été révélées aux hommes non pas par la volonté divine, mais par la force même de la pensée humaine cherchant à acquérir les connaissances nécessaires lors d’activités relevant de ce qui a été défini comme la numératie. Parler de l’« invention » des nombres renvoie, au contraire, à l’idée d’une construction pure de l’esprit, destinée à répondre aux besoins issus de ces activités.
Il n’appartient pas au présent propos de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces positions ; il convient simplement de réitérer la mise en garde formulée en introduction contre les risques d’anachronisme d’une démarche rétrospective effectuée à partir d’une notion moderne du nombre. Plutôt qu’« origine » ou « invention », l’expression « premières traces » semble la mieux adaptée lorsque l’on s’intéresse aux temps ayant précédé l’invention de l’écriture. Les anciennes pratiques numériques, tout comme les anciens concepts géométriques, ne se présentent en effet au préhistorien que sous forme de traces matérielle…
Date de mise en ligne : 21/03/2024