Couverture de EHESP_ASSEN_2015_01

Chapitre d’ouvrage

Préface

Pages 5 à 7

1Depuis toujours, les États ou les sociétés humaines ont été dirigés ou influencés par un groupe, un clan, une fratrie dont les membres vivant autour d’un chef avaient leurs propres règles dans une même approche de la vie sociétale et partageaient leurs informations, leurs victoires et le but qu’ils s’étaient fixé.

2L’histoire montre que les humains ont rapidement compris l’intérêt d’être ensemble pour défendre des idées, un statut social, préserver des intérêts professionnels ou sociétaux, ou influencer un environnement dans un sens répondant à leurs attentes. Ils ont ainsi découvert que dans un monde en mutation le regroupement de gens partageant les mêmes valeurs ou la même finalité permettait d’obtenir des résultats intéressants pour les membres du groupe ou les idées qu’ils défendaient.

3L’évolution des mœurs et de la société en général a progressivement séparé les groupes rassemblés autour d’une personnalité visant à un pouvoir temporel ou spirituel et les réseaux formels ou informels construits autour de valeurs partagées ou de communauté d’intérêts par des gens d’origines diverses. Généralement structurés de manière secrète ou confidentielle à l’époque des régimes monarchiques ou dictatoriaux, ces réseaux aux objectifs variés ont émergé avec l’ouverture démocratique.

4Promouvant un idéal politique, sociétal, catégoriel ou professionnel, ils ont peu à peu tissé un maillage dans la société française qui s’est positionné en dehors de l’organisation hiérarchique ou administrative de notre République. Défendant les marchands de leur corporation ou de leurs chambres, les avocats ou les médecins de leur ordre, les magistrats de leur association, ils ont pris une place significative dans la société civile, militaire ou dans l’administration car ils s’exprimaient individuellement au nom de tous en s’appuyant sur une connaissance réelle de leurs activités. La force de conviction restant toujours du côté de la meilleure organisation, ils ont compris combien leur influence pouvait être bénéfique pour les valeurs qu’ils défendaient et le groupe qu’ils constituaient.

5Leur émergence a été d’autant plus nette que l’État perdait avec le temps sa capacité régalienne d’imposer sa vision politique par suite de l’affaiblissement des structures hiérarchiques de décision. Il était donc normal que dans ce vide croissant les réseaux se mettent en place et se développent pour la défense conjointe de leurs membres et de leurs idées. De surcroît, la tradition colbertiste française a clairement séparé les réseaux de service publics de ceux s’inscrivant dans le privé en créant un éloignement regrettable et beaucoup d’incompréhension entre les deux parties en opposant l’intérêt de l’État aux valeurs marchandes.

6Bien entendu, ceci a généré chez les uns un esprit de caste, chez d’autres un sentiment monopolistique sur leurs activités, et enfin pour certains une volonté isolationniste rejetant toute ouverture à l’autre. Mais pour la majorité d’entre eux, ceci a permis de faire apparaître d’autres visions reposant sur une capacité d’innovation, une volonté de remise en cause, et une analyse plus ou moins objective permettant de construire un avenir meilleur pour les membres du réseau ou, mieux encore, pour l’ensemble de nos concitoyens.

7À l’usage, on s’aperçoit qu’aujourd’hui le problème principal réside dans la multiplication des réseaux et des structures en découlant. Il s’y ajoute celui du déséquilibre médiatique générateur de rapport de force au profit des plus riches ou des plus révolutionnaires. Face à l’individualisation de la société et la perte des repères, avec l’aide des moyens du numérique et d’Internet, on arrive ainsi à ne plus se sentir seul.

8La simplification des procédures administratives passe par la nécessité de repenser certains avantages ou certaines spécificités obtenus par nos anciens dans des circonstances et pour des raisons aujourd’hui oubliées. C’est ainsi que la France est le seul pays où les grands corps, issus des écoles de l’État, ont un traitement à part qui les place en dehors des règles prévalant pour tous les autres fonctionnaires. L’Angleterre avec sa haute administration, quasi exclusivement issue des universités, qui se regroupe en clubs en est un autre exemple. Dans les deux cas, la raison invoquée est qu’en cas de flottement général pour des raisons diverses, ce sont eux qui assureront envers et contre tout le fonctionnement de l’État. Est-ce toujours aussi vrai dans le monde du cyberespace où les robots et les logiciels peuvent gérer la plupart des tâches même complexes tandis que les missions sont en pleine évolution ?

9L’arrivée du numérique ouvre toutes les barrières, tant au niveau professionnel qu’étatique. Permettant dans l’instant de s’informer sur tout, il donne aux réseaux l’opportunité de regarder ailleurs sans perdre leur spécificité et les pousse à remettre en cause la majeure partie de leurs modes de fonctionnement. Le développement du partenariat public-privé, faisant suite à la prise de conscience qu’aucune des deux parties n’arrive toute seule à résoudre les problèmes existants, est en train de révolutionner les relations. Nul doute que ce partage d’expertise et de vision sera bénéfique pour notre société en général et le service public en particulier. Mais chacun doit comprendre que nous sommes dans un monde nouveau obligeant à évoluer dans le sens de l’intérêt général et non pour préserver des avantages acquis ou des rentes de situation.

10Le moment est donc particulièrement bien choisi pour publier ce livre qui, constatant la présence de réseaux dans le service public, interpelle sur leur utilité. Il faut en remercier Christophe Assens et les nombreux auteurs qui ont participé à l’ouvrage en apportant leur expertise. La diversité de leurs biographies montre la largeur de l’éventail de leurs connaissances cumulées. Que ce soit dans l’analyse de cas ou dans les éclairages sur les problématiques, ils nous apportent une réflexion fort utile pour construire notre propre opinion ou nous faire partager la leur sur les menaces et opportunités de ces multiples réseaux et leurs évolutions possibles.

11La mise en perspective qui constitue la troisième partie de ce passionnant ouvrage me paraît particulièrement riche par son contenu et les pistes qu’elle ouvre. À l’heure où le pouvoir par la détention de l’information est remplacé par la capacité à bien utiliser cette même information en réseau, l’interconnexion généralisée qui s’ouvre à nous va bouleverser nos capacités de connaissance et l’étendue de nos relations. Sachant que seul on peut aller vite mais qu’en groupe on peut aller loin, la confrontation pacifique avec d’autres, en interne ou en externe au service public, ne peut que faire progresser l’ensemble car ce sont les réseaux qui apportent les idées, lancent les évolutions et les portent vers la réussite.


Date de mise en ligne : 25/06/2019

https://doi.org/10.3917/ehesp.assen.2015.01.0005

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