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Article de magazine

La rhétorique de l’excellence

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Les gestionnaires de la recherche insistent lourdement sur l’« excellence » des chercheurs et des projets qu’ils veulent soutenir. Une notion problématique.

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1Il y a quelques années, je participais à un colloque international sur les politiques de recherche dans différents pays (France, Canada, Italie et quelques autres). Dans l’audience se trouvaient de nombreuses personnes travaillant pour des agences de recherche. Après les exposés, l’une de ces personnes a posé la question qui tue : « Mais comment définir et mesurer l’excellence » ? Ma réponse a été lapidaire : « L’excellence est une figure rhétorique et une tautologie : sont “excellents” ceux que votre organisation a choisi d’appuyer financièrement ! »

2Ainsi, l’ERC, ou European Research Council (car l’Europe parle anglais…), se vante de ne retenir que 10 à 13 % des projets soumis, que cet organisme déclare donc « excellents ». De son côté, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) retient plutôt environ 70 % des projets des chercheurs canadiens ; il déclare aussi ne retenir que d’excellents dossiers, grâce à une évaluation bien sûr « rigoureuse ». En sciences humaines et sociales, le taux de réussite au Canada est plutôt d’environ 50 %, faute de fonds suffisants pour que le soutien dans ce domaine atteigne le niveau de celui des sciences de la nature. Pour le prouver au gouvernement, on a même créé une classe de projets dits « approuvés mais non subventionnés ». Cela montre que les projets qui obtiennent des fonds sont excellents, mais qu’il y en a d’autres qui en mériteraient aussi.

3Mais peut-on mesurer cette « excellence » de façon plus objective ? L’exemple du programme-cadre « Horizon 2020 » de l’Union européenne est éclairant. Avec un budget de 74 milliards d’euros, il a soutenu 31 000 projets et plus de 150 000 chercheurs, rappelle la journaliste Alison Abbott dans un article paru fin 2020 dans Nature. On y apprend aussi qu’une « évaluation indépendante » a conclu que 80 % environ de ces projets avaient produit des percées (breakthroughs) ou des « avancées majeures ».

4Sachant que les véritables percées en science sont plutôt rares, de tels résultats font sourciller. Or, quand on se penche sur l’« évaluation » en question, on s’aperçoit qu’elle consiste en des jugements subjectifs de la part de chercheurs ayant été appelés à classer les projets. Dans un contexte d’évaluation de programmes aussi importants, on peut penser que les « évaluateurs », heureux d’avoir des programmes bien dotés, hésiteront avant de conclure que la majorité des projets retenus n’ont en réalité apporté que des ajouts mineurs à leur science…

5De plus, sachant que les chercheurs « excellents » sont déjà fortement soutenus financièrement, on peut douter qu’ajouter encore des millions à une même équipe puisse vraiment produire des résultats spectaculaires. Les études bibliométriques et économétriques suggèrent plutôt qu’il existe une loi des rendements décroissants : donner des millions à des chercheurs déjà dotés produit moins de diversité et de probabilité de découvertes originales que d’offrir ne serait-ce que la moitié de ces montants à des chercheurs moins bien dotés.

6Enfin, la rhétorique tautologique de « l’excellence » semble aujourd’hui confrontée à une autre rhétorique très puissante, celle de « l’inclusion ». La notion d’excellence ayant comme corollaire l’exclusion des chercheurs ou projets non excellents, les experts en communication des organismes subventionnaires croient pouvoir éviter la collision frontale entre ces concepts en proposant – ce n’est pas une blague – une nouvelle notion : « l’excellence inclusive » ! On passe alors de la tautologie à l’oxymore…


Date de mise en ligne : 01/01/2022

https://doi.org/10.3917/pls.528.0020

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