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Article de magazine

Comment mesurer la culture scientifique ?

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Le savoir scientifique entre parfois en conflit avec des croyances bien ancrées. Il faut en tenir compte pour formuler correctement les questions des sondages.

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1La pandémie de Covid-19 n’a pas seulement fait couler beaucoup d’encre et généré encore plus de mégaoctets de commentaires sur les plateformes numériques. Elle a aussi reposé la question lancinante et récurrente du niveau de culture scientifique des citoyens et citoyennes. Pour avoir une idée, même approximative, de l’évolution du niveau des connaissances scientifiques parmi la population, il existe des indicateurs fondés sur un certain nombre de questions classiques, auxquelles il s’agit de répondre « vrai » ou « faux ». Par exemple, on demande si « le Soleil tourne autour de la Terre », si « les électrons sont plus petits que les atomes » ou encore si « les premiers humains vivaient à la même époque que les dinosaures ».

2Un instrument de ce genre est utilisé par l’Eurobaromètre, qui pose treize questions, et, aux États-Unis, par le National Science Board, qui en pose neuf. On fait alors la moyenne des bonnes réponses et, en répétant l’enquête tous les deux ans par exemple, comme on le fait aux États-Unis, on peut suivre l’évolution de cet indicateur dans le temps ou le comparer avec d’autres pays.

3S’il peut paraître évident qu’une mauvaise réponse à ce genre de questions relativement simples constitue une bonne mesure du degré d’ignorance des sciences, le faible taux de bonnes réponses fournies aux États-Unis à la question portant sur l’évolution – qui demande si « l’être humain s’est développé à partir d’espèces animales plus anciennes » – a fait naître des doutes sur ce que mesurait vraiment cette question. En effet, bon an mal an, depuis le milieu des années 1980, le taux de bonnes réponses tourne autour de 42 %. Par comparaison, la même question posée aux Canadiens en 2013 donnait 74 % de bonnes réponses.

4La religion étant très présente aux États-Unis, les analystes se sont demandé si cette question ne confondait pas les croyances et les connaissances des personnes interrogées. En raison de la formulation de l’énoncé, on ne sait pas vraiment, en fait, si les gens savent que la science dit que les humains sont le fruit de l’évolution ou s’ils disent ne pas croire à cet énoncé. Pour trancher la question, un nouveau sondage a été réalisé en 2004 en testant deux formulations différentes. La première reprenait la formulation initiale, tandis que la seconde demandait s’il était vrai (ou faux) que « selon la théorie de l’évolution, l’être humain s’est développé à partir d’espèces animales plus anciennes ».

5Or, à cette dernière question, le taux de bonnes réponses grimpe à 74 % ! En somme, on peut bel et bien savoir que la science dit que l’on descend d’animaux plus anciens, mais ne pas adhérer à un tel énoncé pour des raisons religieuses. Dans une population d’évangélistes, on pourrait probablement constater des modifications analogues pour une question sur l’âge de la Terre ou le Big Bang. Une personne peut savoir ce que la science affirme, mais s’en détacher quand cela met en cause ses croyances religieuses.

6En revanche, quand on demande si « le centre de la Terre est chaud », les taux de bonnes réponses sont aussi élevés aux États-Unis qu’au Canada ou ailleurs dans le monde, car cela ne semble pas affecter des croyances religieuses ancrées.

7En somme, des questions qui semblent évidentes, et donc constituer un bon indicateur du concept de « connaissance scientifique », peuvent finalement se révéler problématiques quand on prend le temps de réfléchir aux sens qu’il est possible de leur attribuer.


Date de mise en ligne : 30/09/2021

https://doi.org/10.3917/pls.525.0022

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