Lutter contre l’augmentation des fraudes en science et des rétractations de publications est possible en privilégiant la qualité sur la quantité. Qu’attendons-nous ?
1 En 2005, John Ioannidis, professeur de médecine et d’épidémiologie aux États-Unis, publia un article provocateur. À partir de raisonnements statistiques sur la taille des échantillons et des effets mesurés, et sur les différents biais inhérents à toute recherche, il affirmait que la majorité des résultats scientifiques publiés sont probablement faux. Paru dans la revue Plos Medicine, cet article a depuis accumulé près de 3 millions de « vues » et plus de 6 500 citations. Et les articles dénonçant une « crise » de la reproductibilité des résultats publiés, la croissance du nombre de fraudes, de manipulations des données et de rétractations de publications, se sont multipliés. Tous ces éléments convergent pour suggérer que la dynamique actuelle de production des connaissances pose problème.
2 De nombreux chercheurs ont d’ailleurs pris conscience de ces difficultés et ont réagi. En 2010 en Allemagne, la Slow Science Academy a vu le jour et publié un « slow science manifesto » appelant à ralentir l’activité de recherche. Après avoir rappelé que « la science lente a été, pendant des centaines d’années, la seule science concevable », le manifeste propose que « la société devrait donner aux scientifiques le temps dont ils ont besoin ». Surtout, « les scientifiques doivent prendre leur temps […] pour réfléchir, […] digérer […] être en désaccord les uns avec les autres, en particulier lorsqu’ils tentent de rétablir le dialogue entre les sciences humaines et les sciences naturelles ». En 2016, deux professeuses canadiennes, Maggie Berg et Barbara Seeber, publiaient un ouvrage à succès, The Slow Professor, pour améliorer aussi l’enseignement et la collégialité, car la compétition entre professeurs n’est pas sans conséquence sur les relations humaines.
3 Mais quels effets attendre de cette idée de ralentir l’activité scientifique ? Tout d’abord, que le nombre de corrections et rétractations apportées aux publications déjà parues diminue, car il est fréquent de voir des auteurs tenter de publier rapidement leurs résultats sans prendre vraiment le temps de les corroborer par d’autres approches, de peur de perdre la priorité de la découverte. Ensuite, ralentir la recherche diminuera le nombre de publications soumises à l’évaluation, ce qui aidera les revues à trouver des évaluateurs. En effet, les responsables de revues et d’organismes subventionnaires déplorent depuis le début des années 2000 le phénomène de « peer review fatigue » : le fait que de plus en plus de chercheurs (dont je suis !) refusent d’expertiser des publications et des projets de recherche, faute de temps. Car accepter toutes les offres se ferait alors au détriment de leurs propres activités.
4 Mais l’effet probable le plus important à mon avis serait la disparition des « revues prédatrices », qui empoissent le champ scientifique. Car ces revues ne font que répondre aux besoins des chercheurs qui doivent à tout prix publier leurs articles pour satisfaire des critères d’évaluation fondés essentiellement sur la quantité de publications. Les plus démunis ou les moins informés se laissent alors prendre aux appels de revues soi-disant « internationales » peu crédibles et souvent toutes récentes qui acceptent – en échange de quelques centaines d’euros – de publier vite, et sans trop d’exigences, leurs articles.
5 La plupart des scientifiques étant probablement d’accord pour ralentir, reste à convaincre les décideurs qui pensent encore que l’évaluation de la recherche doit se fonder sur la « productivité » des chercheurs et non sur l’originalité et la qualité de leurs quelques publications.