Présenter au public les modélisations du Covid-19 comme de simples scénarios risque de masquer leur capacité prédictive.
1 Depuis maintenant deux ans, l’irruption du virus SARS-CoV-2, cause du Covid-19, a eu pour effet positif de rendre visible le travail scientifique comme jamais auparavant. Ce sont surtout les concepts et méthodes de l’épidémiologie qui ont été largement expliqués au grand public. On a entendu parler pour la première fois de concepts mathématiques comme le « R0 », ce coefficient qui détermine la vitesse initiale de propagation d’une infection virale, mais surtout de « modélisation » et de « simulation » de l’épidémie, laquelle donne lieu à des « scénarios », des « projections » et des « prévisions » qui visent à anticiper les effets attendus dans les jours et les semaines qui suivent le début de la transmission d’un virus.
2 Alors que la visée habituelle d’une science est d’établir les lois d’un phénomène et de tenter de prédire, sous certaines hypothèses, son évolution temporelle, la multiplication des termes utilisés mène parfois à sous-estimer l’aspect prédictif des simulations épidémiologiques en disant, par exemple, que ce ne sont pas des prédictions mais seulement des « scénarios » ou, pis encore, qu’on ne peut pas prédire l’avenir ! Sur le plan épistémologique, de telles déclarations sèment la confusion et il serait préférable d’expliquer mieux le rôle des modèles.
3 Un modèle vise à représenter, de manière plus ou moins simplifiée, un phénomène. S’il est adéquat, il permet de comprendre ses principales caractéristiques. Pour saisir les changements dans le temps, il faut des modèles dynamiques. Cette classe inclut les modèles météorologiques et épidémiologiques. Or, tout comme les premiers prédisent assez bien la météo à quelques jours, même s’ils sont peu fiables après environ une semaine, de même les seconds ont aussi, par construction, une bonne capacité prédictive.
4 De manière générale, un modèle comporte une fonction contenant plusieurs variables et des paramètres. Dans les modèles dynamiques, des conditions dites « initiales » fixent la valeur des paramètres. Chaque ensemble de ces paramètres ainsi fixés définit un « scénario » qui permet de prédire l’évolution à venir si les conditions initiales retenues sont réalisées et ne changent pas radicalement dans les jours qui suivent. La différence fondamentale entre les modèles météorologiques et épidémiologiques est que contrairement aux atomes de l’atmosphère, les personnes sont réflexives et peuvent modifier leurs comportements à la lumière d’informations nouvelles, ce qui modifie alors la valeur des coefficients du modèle.
5 Les paramètres du modèle météo (vitesse du vent, pression, température) ne sont pas affectés par les comportements humains pour la période couverte par la prédiction. En revanche, paramètre important d’un modèle épidémiologique, le nombre de contacts entre personnes peut changer rapidement après l’annonce de prévisions alarmistes et ainsi mener à des changements de comportements qui rendent alors caduques les hypothèses initiales. Dans un tel cas, il est évident que les prédictions seront erronées si on ne « réinitialise » pas le modèle avec la nouvelle valeur du nombre de contacts.
6 En somme, les « scénarios » sont bien des prévisions et des prédictions, qui se réaliseront si les valeurs des paramètres sont les bonnes. Il n’y a donc aucune raison de minimiser la visée prédictive des modèles épidémiologiques auprès du public. On observe d’ailleurs que même lorsque les conditions changent un peu, les prévisions donnent une très bonne idée de la tendance générale de diffusion des infections et des hospitalisations qui suivent après quelques jours. Ils restent donc très utiles à la planification du futur proche.