Si publier plusieurs fois la même idée sans le spécifier est problématique, l’obsession actuelle contre l’autoplagiat dans la recherche académique relève plutôt d’une manie comptable…
1 La notion de plagiat est ancienne et consiste, selon le dictionnaire Larousse, à « donner pour sien ce que l’on a pris à l’œuvre d’un autre ». Si ce geste est évidemment répréhensible sur le plan éthique et au vu du droit de la propriété intellectuelle, on est fondé, cependant, à se demander en quoi une personne qui reprend ses propres textes serait fautive – ce que la notion relativement récente d’autoplagiat laisse entendre.
2 On constate en effet que l’usage de l’expression « autoplagiat » en français – ou self-plagiarism en anglais – s’est fortement accru depuis les années 2000 si l’on se fie au corpus de textes analysés par Ngram Viewer. Or cette idée curieuse soulève des questions sur la fonction des publications savantes. Souvent, les critiques de l’autoplagiat invoquent l’obligation d’originalité. C’est le cas, par exemple, du guide Pratiquer une recherche intègre et responsable, du CNRS (2014), qui indique que l’autoplagiat « peut constituer une atteinte à la déontologie dans le cas où le document ou les extraits réutilisés ont déjà fait l’objet d’une publication, car ils ne respectent pas l’obligation de ne soumettre que des travaux originaux ». Cependant, l’obligation d’originalité n’interdit pas nécessairement la republication si l’on tient compte du fait que la langue est souvent un obstacle à la diffusion universelle des connaissances, surtout en sciences humaines et sociales.
3 Cette croissance s’explique à mon avis non pas par des soucis éthiques, mais par l’importance que la bibliométrie a prise depuis les années 1990 dans l’évaluation des chercheurs, pratique qui a transformé les publications scientifiques en unités comptables. Au début du xxe siècle, époque « bénie » qui considérait qu’une publication vise à diffuser les connaissances et non pas à les quantifier, il n’y avait rien de répréhensible à publier un résultat original dans plusieurs revues de pays différents visant d’autres audiences, parfois en d’autres langues. En 1900, par exemple, le physicien canadien John C. McLennan a publié son article sur la conductibilité électrique des gaz à la fois dans Philosophical Magazine et en allemand dans Zeitschrift für physikalische Chemie. Trois ans plus tard il publiait un article sur la radioactivité des métaux dans la même revue britannique, mais aussi dans Physikalische Zeitschrift. Et les exemples sont nombreux, car cette pratique n’avait alors rien de scandaleux.
4 Mais aujourd’hui, la comptabilité a pris le dessus et le lien entre autoplagiat et évaluation est parfois même explicitement mentionné. Ainsi, le site www.compilatio.net, dédié à la question du plagiat, indique que « l’autoplagiat fausse l’évaluation et la récompense » ! Or associer originalité et unicité de l’article ne va pas de soi, car cela suppose que chaque article contienne une idée différente et originale – une approche contreproductive en sciences humaines et sociales, notamment, car la republication (en tout ou en partie) vise en général des publics différents.
5 Il ne s’agit évidemment pas ici de remettre en question l’idée qu’il vaut mieux indiquer la reprise d’un article quand tel est le cas. Cela se fait d’ailleurs depuis longtemps dans les ouvrages de sciences humaines et sociales, dont les chapitres incluent de plus en plus souvent des articles plus ou moins transformés. Il s’agit de prendre conscience des transformations du système de la recherche qui ont contribué à faire de l’autoplagiat un problème prétendument « éthique », alors que la large diffusion des connaissances devrait prévaloir sur la comptabilité…