Aux États-Unis, les chercheurs postdoctorants s’organisent en syndicats et luttent pour de meilleures conditions de travail. Inattendu ? Pas tant que cela…
1 En novembre 2022, des milliers de postdoctorants répartis sur les différents campus de l’université de Californie ont fait grève pendant deux semaines pour obtenir un nouveau contrat améliorant leurs conditions de travail. Cet événement m’a rappelé la belle expression de Gaston Bachelard pour décrire la dynamique de la recherche scientifique à son époque : « L’union des travailleurs de la preuve. » Il avait bien compris que la science est une entreprise essentiellement collective, donc sociale, mais il en présentait dans son ouvrage Le Rationalisme appliqué (1949) une version quelque peu désincarnée, les savants ne semblant pas avoir besoin d’argent pour vivre.
2 Il est probable que s’il portait aujourd’hui son regard sur ce que sont et font les « travailleurs de la preuve », le philosophe noterait que leur « union » s’est matérialisée en un véritable syndicat de chercheurs en raison même d’un processus d’industrialisation de la recherche scientifique. Cette syndicalisation des « postdocs » est survenue près de cinquante ans après celle des professeurs, démarrée dans les années 1960, car le rôle des postdoctorants dans le système de production des connaissances n’a pris de l’importance qu’à compter des années 1980, d’abord aux États-Unis, puis ailleurs. Aux États-Unis, leur nombre a plus que triplé entre 1980 et 2018, passant de 18 000 à 65 000, alors même que celui des postes de professeurs-chercheurs stagnait et ne pouvait plus absorber les nouveaux docteurs. Selon des données américaines, alors que 55 % de diplômés en biologie obtenaient, en 1973, un poste universitaire au plus tard six ans après la fin de leur thèse, ils n’étaient plus que 15 % en 2006.
3 La prise de conscience progressive des conditions de vie et de travail précaires des postdoctorants a stimulé la fondation en 2002 d’une Association américaine de postdoctorants. Cette organisation, comme son homologue canadienne fondée en 2011, misait sur le dialogue et la discussion avec les universités. Ne parvenant pas à des résultats notables, elle fut vite doublée à sa gauche par des chercheurs qui prônaient plutôt la syndicalisation, seule façon juridiquement contraignante de négocier dans le cadre des lois du code du travail, comme le font la plupart des autres travailleurs. Un premier syndicat de postdocs, affilié au centre de santé de l’université du Connecticut, obtint ainsi une accréditation en 2003 et réussit dès l’année suivante à signer une première convention collective améliorant les salaires et les conditions de travail (congés de maladie, vacances payées, etc.). Les postdoctorants de l’université de Californie, les plus nombreux aux États-Unis, les suivirent à partir de 2008, non sans parfois devoir faire grève pour créer un véritable rapport de force.
4 Il est significatif que plusieurs syndicats de postdoctorants aient choisi de s’affilier au puissant syndicat de l’United Auto Workers (« les travailleurs unis de l’automobile »). Les conditions de la recherche contemporaine (forte division du travail, pression à publier, postes précaires…) ne leur permettaient probablement plus de se considérer comme des artisans de la science se préparant à succéder un jour à des patrons « mentors » – dans un climat où le bel idéal du progrès de la science faisait oublier la précarité –, mais comme de simples cols bleus de la recherche.
5 En somme, pour le meilleur ou pour le pire, la syndicalisation grandissante de tous les acteurs du système de la recherche (doctorant, postdoc, professeur, chercheur, ingénieur de recherche) n’est qu’une réponse rationnelle à un nouvel état de ce système, de plus en plus géré comme une entreprise qui doit être efficiente et faire toujours plus avec toujours moins de ressources.