Comment concilier l’évaluation des articles scientifiques et leur multiplication ?
1 Depuis le tournant du millénaire, le système des publications scientifiques, c’est-à-dire l’ensemble des revues savantes diffusant les connaissances nouvelles validées, est en crise. L’usage généralisé d’internet a facilité leur multiplication, mais a aussi ouvert la voie à de nouvelles façons de diffuser les connaissances. Jusqu’aux années 1990, tout article scientifique accepté par une revue devait passer sous les fourches caudines de l’évaluation par les pairs, considérée comme une étape essentielle et incontournable à la validation des connaissances. Étant donné les nombreux refus, les critiques sur le manque de transparence et l’arbitraire de ces évaluations se sont multipliées. Or les nouvelles technologies de communication ont permis de contourner cet obstacle en créant des sites sur lesquels des prépublications seraient accessibles à tous, sans évaluation préalable. Le premier site, arXiv, est apparu en 1991, suivi de bioRxiv, en biologie, et medRxiv, en sciences biomédicales.
2 Les prépublications n’ont toutefois pas vraiment remplacé les revues évaluées par les pairs, encore considérées comme les seules à donner légitimité et crédibilité à des résultats de recherche. Seul moyen de filtrer parmi l’ensemble des articles proposés à la lecture, l’évaluation par les pairs demeure en effet, malgré les critiques, au cœur du système de publication. Même arXiv, qui à ses débuts n’avait aucun filtre, en a ajouté un pour exclure les textes pseudoscientifiques.
3 Certains chercheurs suggèrent d’abandonner l’évaluation anonyme comme condition de publication et de laisser plutôt le « libre marché » des prépublications atteindre un équilibre, l’ensemble de la communauté des spécialistes décidant alors si un article vaut la peine ou non d’être lu et cité. Mais la tendance dominante est encore d’évaluer les articles.
4 Que cette évaluation soit anonyme ou non, il reste que sa croissance exponentielle a fait émerger, au début des années 2000, la notion de peer review fatigue, les responsables de revues scientifiques se plaignant qu’il est devenu de plus en plus difficile de trouver des personnes qui acceptent d’évaluer des articles. Selon une étude parue en 2016, la principale raison des refus (69 %) est évidemment le manque de temps. À cela s’ajoute la multiplication des programmes de subvention qui exigent aussi des évaluateurs, à tel point qu’aujourd’hui un chercheur pourrait occuper un emploi à temps plein en évaluant les articles et les projets de recherche de ses collègues !
5 Plusieurs remèdes ont été proposés. Croyant que les chercheurs sont surtout sensibles aux reconnaissances symboliques, certaines revues émettent des diplômes ! J’en ai ainsi reçu un pour avoir évalué plusieurs articles de l’une d’elles… D’autres offrent à l’auteur de lever l’anonymat quand le papier est accepté et de l’inclure dans les remerciements. Enfin, on a aussi suggéré de payer les évaluateurs. Certains organismes le font déjà pour l’examen de projets de recherche. À ce propos, une étude récente a estimé que pour la seule année 2020, plus de 100 millions d’heures ont été consacrées à l’évaluation d’articles. Vu le salaire moyen des chercheurs, cela équivaut à 2,5 milliards de dollars américains pour les seuls États-Unis, Royaume-Uni et Chine. Et comme il est difficile de connaître le nombre total de publications évaluées, les coûts réels sont sûrement plus élevés.
6 Toutes ces interrogations confirment que le système de publication est encore en transition et qu’à moins de vraiment ralentir et de publier moins, les chercheurs vont continuer à être fatigués…
- B. Aczel et al., Res. Integr. Peer Rev., 2021 ; M. Willis, Learn. Publ., 2016.