Couverture de PLS_551

Article de magazine

La course au classement

Page 20

Quel jeu jouent les universités pour atteindre le « top dix » ?

figure im32

1 Comme chaque année, peu avant la rentrée universitaire, diverses organisations publient leurs classements des prétendues « meilleures » universités à travers le monde. En juin c’était celui de Leiden, en juillet et de celui dit « de Shanghai » en août. Bien sûr, ce marronnier excite les médias, et le magazine Forbes s’est empressé de commenter le classement QS en notant que la France était la grande absente du « top dix ». En général, cependant, ceux qui se font les relais des classements ne se demandent pas de quoi sont vraiment faites les « boîtes noires » qui les produisent et ne se préoccupent donc pas de la validité des indicateurs choisis. Or les producteurs de ces classements ont tendance à modifier leurs indicateurs en fonction des critiques reçues, mais aussi des manipulations qu’opèrent les universités.

2 Ainsi, le classement QS en a introduit un nouveau, censé mesurer la « durabilité » des universités, qui compte pour 5 % du total ! Le poids de l’indicateur de « réputation académique » est passé de 40 % à 30 % et les 5 % restants ont servi à ajouter un indice de « réseau international ». Or la modification du poids relatif des indicateurs change la position des institutions et rend impossible la comparaison avec les années antérieures. Évidemment, cela importe peu aux institutions qui, par hasard, voient leur rang augmenter !

3 Un subterfuge revisité

4 Beaucoup plus problématique est le fait, souligné récemment dans la revue Nature, que les universités d’Arabie saoudite incitent les meilleurs chercheurs étrangers à introduire l’une d’elles en première position dans la liste de leurs affiliations institutionnelles. Le phénomène n’est pas nouveau, j’avais d’ailleurs pu démontrer dès 2014 que la présence d’universités de ce pays dans le classement des meilleures universités en recherche était un simple effet de l’ajout par des chercheurs étrangers d’une seconde adresse dans leurs publications. Comme les classements se fondent sur les affiliations indiquées par les chercheurs, le « truc » consistait à en convaincre certains (alors en poste dans une université le plus souvent américaine ou britannique) de se dire aussi affiliés à une université de ce pays.

5 Curieusement, le classement de Shanghai publié l’année suivante a modifié sa méthodologie pour ne plus tenir compte que de la première adresse inscrite. Cette modification a alors incité les universités d’Arabie saoudite à demander à leurs « collaborateurs » de placer leurs adresses en première position ! Le tout en échange de fonds de recherche ou même d’un fort paiement – Nature mentionne 70 000 euros. Les universités ainsi placées en deuxième position dans les adresses ont alors vu leur position chuter dans les classements, comme si leurs chercheurs publiaient moins. Nature donne l’exemple de l’université de Córdoba, en Espagne, qui a chuté de 140 positions ! Selon mes données de 2014, 82 % des chercheurs « hautement cités » des universités d’Arabie saoudite résidaient en fait dans un autre pays ; aujourd’hui, 75 % ont une seconde affiliation étrangère. Tout cela suggère que la position des universités d’Arabie saoudite dans les classements est un artefact créé par des chercheurs étrangers qui acceptent de jouer le jeu des adresses.

6 Environ 80 % des chercheurs dans le monde ne mentionnent qu’une seule adresse. En France, en revanche, les liens forts entre universités, grandes écoles et CNRS rendent plus fréquente la présence de plusieurs adresses. La décision des responsables du classement de Shanghai pourrait donc inciter les universités à exiger que leurs chercheurs mettent toujours leur institution en première ligne, même si les autres adresses sont du même pays, lançant ainsi une chicane entre institutions !

7 En somme, la course aux classements engendre une course aux armements où les classés tentent de manipuler les éléments qui les favorisent alors que les classeurs modifient à leur tour leurs méthodes pour s’adapter aux manipulations. Gageons que la prochaine étape sera d’exiger que tous les chercheurs ne mettent qu’une seule adresse : celle de l’institution qui paye vraiment leur salaire… Cela mettra alors fin à toute manipulation des adresses.


Date de mise en ligne : 19/09/2023

https://doi.org/10.3917/pls.551.0020

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions