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Article de magazine

Des guerres doublement froides

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Les guerres froides refroidissent aussi les échanges scientifiques.

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© Matyo

1 J’ai déjà évoqué précédemment (Pour la Science n° 535 et 540) les effets collatéraux des guerres « chaudes » sur les relations scientifiques internationales. Les tensions géopolitiques et économiques croissantes entre les États-Unis et la Chine au cours des cinq dernières années suggèrent que les guerres « froides » peuvent elles aussi avoir des effets négatifs sur les collaborations entre chercheurs.

2 Entre les années 1980 et 2020, les relations scientifiques entre la Chine et les États-Unis avaient progressé à la suite de la signature par les présidents Jimmy Carter et Deng Xiaoping d’un accord de collaboration. Au cours de cette période, plus de 3 millions d’étudiants chinois ont ainsi été formés aux États-Unis. Selon les données de la plateforme bibliographique Web of Science, la proportion de publications cosignées par des chercheurs chinois et américains a aussi augmenté régulièrement pour atteindre 48 % des articles issus de collaborations chinoises à l’internationale en 2016 (contre 4 % seulement avec la France).

3 L’arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2017 a changé la donne. Le gouvernement américain a adopté une série de lois pour bloquer les importations chinoises et l’exportation de technologies de pointe. À cela se sont ajoutées, l’année suivante, des enquêtes du FBI et du département de la justice américaine sur des allégations d’espionnage scientifique et technologique. Le gouvernement disait réagir aux politiques chinoises qui visaient à s’approprier le maximum de technologies de pointe et de chercheurs américains d’origine chinoise. Le programme « mille talents », lancé en 2008, suivi en 2011 du programme « mille talents juniors », incitait en effet des chercheurs américains d’origine chinoise à revenir en Chine, emportant avec eux de précieuses connaissances.

4 Les actions américaines contre la Chine ont vite réduit les collaborations entre chercheurs des deux pays. Selon le Web of Science, la proportion des publications communes a chuté à 32 % en 2022. Par comparaison, celles que la Chine a cosignées avec le Royaume-Uni ont augmenté de 10 à 13 % entre 2015 et 2022, pendant que celles cosignées avec l’Allemagne, le Japon et la France restaient stables. On observe aussi une baisse significative du nombre d’étudiants chinois aux États-Unis : environ 370 000 en 2020, ils n’étaient plus que 289 000 deux ans plus tard.

5 Enfin, une étude récente montre que les auteurs chinois citent moins d’articles américains, alors que l’inverse n’est pas le cas, les Américains ne diminuant pas leurs références aux travaux chinois. Ce phénomène est sans doute une conséquence de l’autonomie croissante de la recherche scientifique et technologique chinoise et des politiques du gouvernement, qui, depuis 2020, encouragent le rejet des technologies américaines.

6 En politique internationale, il est courant de penser que la « diplomatie scientifique » contribue à adoucir les mœurs entre pays idéologiquement antagonistes. Durant la première guerre froide opposant l’URSS aux États-Unis, divers programmes d’échanges ont ainsi été mis en place et les collaborations spatiales perdurent malgré les conflits géopolitiques.

7 Pour autant, si les guerres froides ont favorisé les échanges scientifiques entre les pays en conflit, cela ne semble possible que dans la mesure où ces échanges ne mettent pas en danger les intérêts économiques de l’un d’eux. Tant que la Chine était clairement inférieure aux États-Unis sur ce plan, les dirigeants américains ne voyaient aucun problème à accueillir des étudiants et chercheurs chinois. Mais depuis que l’Empire du Milieu s’est doté d’une politique pour devenir la première puissance mondiale d’ici à 2048, on comprend que la recherche scientifique, terreau du développement économique moderne, soit à présent un enjeu stratégique qui éclipse son usage diplomatique au service du soft power.


Date de mise en ligne : 12/11/2024

https://doi.org/10.3917/pls.564.0021

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