Si l’idée de rendre gratuit l’accès aux données scientifiques est louable, reste à savoir qui réglera la facture.
1 Le mouvement pour le libre accès aux publications scientifiques a donné lieu, depuis la fin des années 1990, à la mise en place de dépôts institutionnels qui rendent gratuitement accessible la version finale d’un article qu’une revue scientifique évaluée par les pairs a accepté. On a aussi assisté à la création de revues d’accès gratuit fondées sur le principe « auteur payeur ». Généralement acceptée, même si pas toujours pratiquée, l’idée du libre accès a maintenant fait place à celle moins bien définie de « science ouverte », qui veut lui ajouter l’accès libre aux données et aux codes utilisés pour les analyses.
2 Les promoteurs de la science ouverte semblent ne voir que des vertus à ce libre accès généralisé. Selon l’Unesco, elle est supposée permettre « aux données et aux résultats scientifiques d’être plus largement accessibles (accès ouvert), d’être exploités de manière plus fiable (données ouvertes), avec la participation active de toutes les parties prenantes concernées (ouverture vers la société) ». Elle augurerait « un véritable changement de cap vers la réalisation du droit à la science et la réduction des écarts entre les pays et au sein de ceux-ci en matière de science, de technologie et d’innovation ». En France, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche affirme que ce mouvement « vise à construire un écosystème dans lequel la science sera plus cumulative, plus fortement étayée par des données, plus transparente, plus rapide et d’accès universel ».
3 Ce qui frappe dans toutes ces prédictions générales et généreuses est l’absence totale d’analyse des réalités concrètes. Qui a vraiment besoin de l’accès aux données de recherche ? Sûrement pas les « citoyens », qui n’ont pas l’expertise nécessaire pour comprendre la plupart des publications scientifiques, devenues hyperspécialisées et fondées sur l’usage d’instruments rares et coûteux. Quant aux scientifiques, il est admis depuis longtemps qu’ils peuvent contacter leurs collègues pour avoir accès à leurs données et en vérifier la reproductibilité. Certains sont réticents à accepter, mais de plus en plus de revues exigent un tel consentement à toute demande légitime. Surtout, quels sont les coûts associés à une telle mise à disposition universelle de données de recherche très diverses ? Qui les assumera ? Les laboratoires déjà sous-financés ? Aucune étude ne semble répondre à ces questions.
4 On le voit, les différents promoteurs de la « science ouverte » auraient intérêt à revenir sur terre et à réfléchir aux effets pervers de leurs injonctions. Car tout comme le modèle « auteur payeur » défavorise les chercheurs des pays les moins développés, qui n’ont pas les moyens de payer les frais élevés que les revues les mieux cotées exigent, il est difficile d’imaginer que la science « ouverte » puisse diminuer les écarts entre pays, « démocratiser » la science et avoir plein d’autres effets miraculeux. Il est en revanche très probable que les grands groupes privés d’édition scientifique offriront de prendre en charge les données des chercheurs – en imposant là aussi des frais importants tout en tirant profit de cet accès privilégié – et qu’ils les exploiteront ensuite à leur propre bénéfice grâce à des algorithmes de fouilles de données. Il existe sûrement des façons moins coûteuses et plus conformes à la dynamique contemporaine de la recherche d’assurer l’accès aux données quand cela est nécessaire.