Le coût des recherches scientifiques ne cesse d’augmenter, excluant les chercheurs de pays moins bien dotés. Mais la quête d’équité ne doit pas réduire les exigences.
1 Les lecteurs assidus de la revue Nature auront constaté que depuis quelques années de nombreux éditoriaux et articles de la rubrique « World View » promeuvent « l’inclusion » et « l’équité » en recherche. On imagine mal quelqu’un s’opposant à de tels vœux, mais le diable se cachant dans les détails, on peut se demander si, comme l’a récemment suggéré Maneesha Inamdar, biologiste à Bengalore, en Inde, assurer une « véritable inclusion » des chercheurs de pays moins bien dotés doit se faire en définissant des critères de preuve minimaux et non maximaux.
2 S’il est certes regrettable que les chercheurs des pays riches aient plus facilement accès aux ressources rares et de qualité qui leur permettent de faire des découvertes importantes, l’évolution des pratiques scientifiques montre que la recherche exige des instruments de plus en plus coûteux.
3 La controverse au XVIIIe siècle entre les chimistes Joseph Priestley et Antoine Lavoisier sur la nature (composée ou non) de l’eau et sur l’existence du phlogistique, un fluide que l’on supposait alors présent dans tout corps et responsable de la combustion, constitue peut-être le premier cas où la question de l’accès « démocratique » aux instruments nécessaires à la production du savoir s’est posée. En effet, Priestley déplorait que l’expérience de synthèse de l’eau conçue par Lavoisier nécessitât un appareillage onéreux, exigeant moult précautions dans son utilisation. Cela rendait difficile sa reproduction et, dans ces circonstances, il trouvait légitime de douter de la validité des conclusions de Lavoisier.
4 Dans son ouvrage paru en 1800 intitulé The Doctrine of Phlogiston Established and That of the Composition of Water Refuted, Priestley affirmait encore que « tant que les chimistes français ne pourront mener leurs expériences d’une manière moins laborieuse et coûteuse, demandant moins de précautions et de calculs, je continuerai à penser que mes résultats sont plus fiables que les leurs ». Pour lui, la simplicité était garante d’une certaine démocratie permettant à tous les chimistes de refaire les expériences et de confirmer (ou non) leurs résultats. Et celle de ses instruments garantissait leur fiabilité face à des appareils complexes difficiles à contrôler, et donc d’usage douteux. Or ce sont bien ceux de Lavoisier – aristocrate fermier général qui avait les moyens de financer leur construction – qui se sont imposés et non les siens.
5 Cette tendance s’est poursuivie et, aujourd’hui, pour être à la pointe de la recherche en chimie et dans la plupart des autres sciences, il faut de fortes dotations matérielles, lesquelles ne sont accessibles qu’aux plus riches, ce qui rend ces sciences de moins en moins « inclusives » et « équitables », selon les termes en vogue. Difficile, donc, d’imaginer que les recherches futures requerront moins de ressources.
6 Aussi, au lieu de tenter, au nom de principes généreux mais vagues, de remettre en cause les niveaux de preuve exigés – comme le suggère Maneesha Inamdar en disant que si un chercheur se voit demander, pour publier un résultat, des tests additionnels requérant des ressources qui lui sont inaccessibles, il pourrait rétorquer que cela dépasse le « standard minimal » admis –, il vaudrait mieux promouvoir des solutions qui tiennent compte de la réalité, comme faciliter les collaborations scientifiques internationales pour donner accès aux instruments et matériaux les plus élaborés, qui rendent possibles certaines recherches de pointe. Sans de telles collaborations, le risque est plutôt que les chercheurs les plus ambitieux quitteront les pays moins dotés pour des contrées mieux équipées.