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Article de magazine

L’« Anthropocène », science ou convention ?

Page 20

Nommer l’impact des humains sur Terre est loin d’être une démarche purement scientifique.

La fonte du glacier Denman, situé dans l’Antarctique oriental, a accéléré ces dernières années. Et ce plus vite que les modèles ne le prévoyaient. La stabilité de cette région était mal connue, mais un ensemble de travaux commencent à en esquisser la fragilité.

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La fonte du glacier Denman, situé dans l’Antarctique oriental, a accéléré ces dernières années. Et ce plus vite que les modèles ne le prévoyaient. La stabilité de cette région était mal connue, mais un ensemble de travaux commencent à en esquisser la fragilité.

© Nasa

1 Les géologues débattent depuis plusieurs années, souvent avec passion, pour savoir si une nouvelle époque géologique devrait être ajoutée à la plus récente, l’Holocène, qui remonte à près de 12 000 ans. Or, en mars dernier, un sous-comité de la Commission internationale de stratigraphie a tranché. Le vote a été fortement négatif : douze voix contre et seulement quatre pour l’idée d’identifier une nouvelle couche stratigraphique, l’Anthropocène, qui aurait commencé en 1952. Le tout sur la base de la présence, dans les sédiments du lac Crawford, au Canada, de plutonium en provenance de l’explosion de bombes à hydrogène.

2 La décision a engendré bien des frustrations et le président du comité a même demandé l’annulation du vote pour des raisons de procédure. On comprend que pour les promoteurs de la notion d’« anthropocène », qui insiste sur l’impact – surtout négatif – des humains sur la planète, fixer ce terme dans une catégorie géologique officielle aurait été un gain majeur donnant un label de scientificité aux discours ambiants sur les effets négatifs de la présence humaine sur Terre. Et la référence à la bombe atomique ne pouvait qu’ajouter à sa connotation morale. Mais les géologues demeurent divisés et certains considèrent qu’il vaut mieux parler d’un « événement » plutôt que d’une « époque » alors que d’autres insistent sur le fait que c’est un processus continu et que l’impact des humains sur Terre se fait sentir depuis très longtemps et de plusieurs manières.

3 Ce débat n’est donc pas purement scientifique et le terme « anthropocène » est un enjeu de luttes de nature plus politique et idéologique que proprement scientifique. On imagine déjà les climatosceptiques sauter sur l’occasion pour dire que « les scientifiques » ont conclu à l’innocuité de l’activité humaine sur la planète ! Et si le vote avait été positif, des écologistes se seraient empressés de crier victoire en disant que « les scientifiques » confirment l’existence d’une nouvelle « époque de la nature » – pour reprendre l’expression du naturaliste Buffon qui, au milieu du XVIIIe siècle, en avait identifié sept…

4 Le débat que cette décision a engendré rappelle que, parfois, des convictions qui n’ont rien de scientifique influencent les conventions en sciences. Ici, il s’agit du choix du nom le plus approprié, mais cela peut aussi concerner des situations que l’on pensait bien établies, comme l’appartenance à une catégorie qui semblait scientifiquement fondée. Le cas du statut de Pluton en est un exemple frappant.

5 Depuis sa découverte en 1930 par l’Américain Clyde Tombaugh, personne ne s’est demandé si Pluton était une planète, tant cela allait de soi, jusqu’au jour où un nouvel objet, Eris, plus gros que Pluton et situé lui aussi dans la région de la ceinture d’astéroïdes Kuiper, n’oblige à se poser la question. Les membres de l’Union astronomique internationale tranchèrent en 2006 en décidant que Pluton n’était, finalement, pas une « vraie » planète ! En effet, la nouvelle définition officielle d’une planète ajoute un petit critère qui change tout : en plus d’être sphérique et de tourner autour du Soleil, l’objet doit être assez gros pour « nettoyer » son orbite des débris. Or, si les huit planètes habituelles remplissent ce critère, ce n’est pas le cas de Pluton et des autres objets de la ceinture de Kuiper.

6 La décision de « rabaisser » ainsi le statut de Pluton ne plut pas à tous et des astronomes ont affirmé qu’elle constituait un affront à l’astronomie américaine. Des élus du Nouveau-Mexique ont même rétorqué en décrétant une journée de la « planète Pluton » !

7 Ces exemples rappellent, si besoin était, que tout dans les sciences ne relève pas des faits scientifiques et qu’il faut parfois simplement voter pour fixer une convention… jusqu’à ce qu’un nouveau fait impose de la revoir.


Date de mise en ligne : 18/06/2024

https://doi.org/10.3917/pls.560.0020

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