Besoin d’aide pour publier un article scientifique ? Des entreprises vous proposent leurs services…
1 Le 25 avril dernier, j’ai reçu un courriel d’une entreprise privée qui m’offrait de relire et réviser mes épreuves d’articles, ou même de les traduire, le tout de manière « professionnelle » et en cinq jours. Je bénéficierai même d’un rabais de 5 % si je suis un nouveau client ! Cette société affirme couvrir tous les domaines : science et technologie, arts et humanités, droit, management, psychologie, sociologie « and more ». Les organisations de ce type connaissent bien la pression à publier en anglais et se disent convaincues « qu’il ne devrait y avoir aucun obstacle à la publication » de travaux de qualité. Mais, ajoutent-elles, « nous savons que les manuscrits sont souvent rejetés en raison de problèmes de présentation en anglais et de formatage », et leurs services – moyennant paiement – permettent de les résoudre.
2 Il est courant, depuis quelques années, que les chercheurs reçoivent ce genre de messages. Le plus souvent ce sont des demandes pour soumettre des articles à des revues de qualité douteuse, mais, comme je l’évoquais dans une chronique antérieure (Pour la Science n° 543), on assiste maintenant à une extension continue des produits et services (payants) des grands groupes d’édition. Ceux-ci ne se contentent plus de publier des articles, mais proposent d’intervenir, par des offres de formation, à toutes les phases de la recherche scientifique : définir un projet de recherche, assister la rédaction d’une demande de subvention, optimiser la visibilité des résultats publiés.
3 Cette multiplication des intermédiaires entre le début et la fin des recherches n’est d’ailleurs, à mon avis, pas sans lien avec la surproduction de diplômés de niveau doctoral. Ne trouvant pas de postes stables en recherche après quelques années de postdoctorat, ceux-ci créent des entreprises ou s’y joignent pour offrir leurs services aux chercheurs qui doivent naviguer dans la complexité toujours plus grande des appels à projet de sources multiples et aux exigences de plus en plus bureaucratiques. Les institutions qui veulent à tout prix accroître leur taux de réussite auprès des divers bailleurs de fonds paient ces « experts » externes pour assister les chercheurs dans leurs demandes, comme si ces derniers n’étaient pas vraiment en mesure de formuler eux-mêmes leurs projets de recherche.
4 Et comme si cela n’était pas assez, les grands groupes d’édition produisent même des « reconnaissances scientifiques » en émettant des « certificats de mérite » ! J’en avais reçu un il y a quelques années attestant que j’étais un excellent évaluateur d’articles. Deux jours avant le courriel mentionné plus haut, un autre m’est parvenu sous la forme d’un message m’annonçant cette fois qu’un de mes articles récents était parmi « les dix articles les plus cités » – entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 – de la revue qui l’a publié. Le message me suggérait de « partager cette excellente nouvelle sur X, Facebook et Instagram en utilisant #TopCitedArticle » et d’ajouter ma certification à mon profil sur LinkedIn, prenant bien sûr pour acquis que je possédais des comptes sur tous ces réseaux prétendument « sociaux ». Il affirmait que « cet accomplissement met en lumière l’impact de votre travail au sein de la communauté, félicitations ! » Et il concluait en disant combien ils étaient « impatients de travailler à nouveau avec [moi] dans le futur ». Ironie du sort, l’article top cited traitait justement de l’extension continue des produits et services des grands groupes d’édition…
5 Les entreprises privées contrôlant de plus en plus toutes les étapes de la production scientifique, il n’est malheureusement guère surprenant qu’elles appliquent le « savoir » psycho-pop des ressources humaines aux chercheurs et les infantilisent avec des titres dignes de l’« employé du mois ». Quelle sera leur prochaine « innovation » pour les aider ?