Nul ne s’étonnera d’apprendre que des chercheurs informaticiens consacrent leur temps à fabriquer de l’« intelligence artificielle », de la « réalité artificielle » et, pour nous ici, de la « vie artificielle ». Par « vie artificielle », on entend l’utilisation massive de l’ordinateur pour reproduire dans un substrat autre que biochimique des mécanismes communs aux organismes vivants. Dans la vie artificielle, on s’emploie à sous-estimer le substrat au profit de la fonction. La vie apparaît à l’intersection d’un ensemble de processus qu’il est important d’isoler, de différencier et de dupliquer dans l’ordinateur. Dès l’instant où les processus se suffisent à eux-mêmes, conséquence naturelle mais osée, l’ordinateur qui les reproduit se retrouve consacré vivant parmi les vivants.
La biologie partage depuis toujours ce même souci de compréhension des organismes vivants ; de modélisation, sans doute un peu moins. Le biologiste n’a pas vocation d’apprenti-sorcier ; il reste en grande partie les yeux rivés sur la Nature, la disséquant, la détaillant, tentant d’en comprendre et d’en prédire le fonctionnement. Or dans la vie artificielle, l’ordinateur s’empare du premier rôle, c’est la biologie qui vient à lui plutôt que l’inverse. Il s’agit de faire fonctionner l’ordinateur de manière biologique, d’intégrer algorithmiquement les leçons du vivant et de les tester par le biais de ce cobaye informatique. Parmi ces leçons, trois sont à l’origine de la plupart des travaux repris dans cette nouvelle discipline : « émergence fonctionnelle », « adaptabilité » et « autonomisation environnementale »…