Introduction
1La mémoire épisodique, responsable de l’encodage, du stockage et de la récupération d’événements liés à leur contexte spatiotemporel [1], est fréquemment altérée dans les pathologies liées au vieillissement (par exemple, dans les démences dégénératives ou suite à un accident vasculaire cérébral [AVC]). Dans la maladie d’Alzheimer, qui touche près de 15 % de la population de plus de 75 ans [2], la mémoire épisodique est altérée de manière très précoce. D’abord discrète, cette altération affecte progressivement l’autonomie du patient, ses activités et, finalement, son identité [3]. Une évaluation précoce et adéquate de la mémoire épisodique est dès lors essentielle afin d’établir un diagnostic différentiel d’un éventuel syndrome démentiel et de mettre en place une prise en charge spécifique la plus efficace possible.
2Le plus souvent, l’évaluation du fonctionnement de la mémoire épisodique se base sur des tests impliquant l’encodage et la récupération d’informations verbales (listes de mots ou textes lus ou entendus). Elle nécessite donc une bonne maîtrise de la langue du test proposé, d’autant que certaines épreuves comportent des items d’une fréquence d’usage moyenne à faible et peu prototypiques, comme par exemple le test RL-RI16 [4], une des épreuves de mémoire épisodique les plus fréquemment utilisées dans le cadre du diagnostic de la maladie d’Alzheimer, cela afin de s’assurer, dans la population typique (francophone et scolarisée), que la réponse fournie résulte bien de la récupération en mémoire du matériel appris et afin d’éviter les effets plafonds. Or, de plus en plus de patients issus de l’immigration consultent les centres spécialisés. Par exemple, Segers et al. [5] ont montré qu’au CHU Brugmann de Bruxelles, 19 % des patients de la consultation de mémoire étaient des immigrés de première génération, parmi lesquels 45 % présentaient un niveau de scolarité inférieur à l’école primaire. Quelques outils ont été créés pour évaluer la mémoire de patients peu scolarisés, voire illettrés, par exemple le TNI93 et le TMA93 [6], mais ceux-ci nécessitent une dénomination d’images, une compréhension de labels catégoriels et l’encodage des mots produits. Ces tâches restent donc peu adaptées à des patients non francophones. En outre, les tests de mémoire utilisant un matériel pictural ou visuospatial et n’exigeant pas de réponses verbales ne sont pas toujours adaptés : consignes fournies verbalement difficilement compréhensibles, contrôle insuffisant des stratégies lors de l’encodage ou de la récupération, images culturellement imprégnées, absence de normes pour des patients très âgés, absence de délai entre l’encodage et la reconnaissance ne garantissant pas une évaluation spécifique de la mémoire épisodique (par exemple, au Doors and People Test [7]), manque de sensibilité et absence de données sur des populations non francophones (par exemple, au test DMS48 [8]).
3Pour toutes ces raisons, nous avons proposé une nouvelle tâche de mémoire épisodique non verbale, le test Brumory [9]. La tâche se déroule en deux étapes.
4La première étape est une tâche d’encodage par appariement perceptif. Le matériel est composé de deux planches présentant 4 × 6 dessins en couleur (une planche comporte des dessins concrets et l’autre des dessins abstraits) et de 48 fiches présentant chacune un dessin en couleur (la moitié des fiches comporte un dessin concret et l’autre un dessin abstrait) (figure 1). Inclure à la fois des dessins concrets et des dessins abstraits permet d’avoir deux niveaux de difficulté différents dans la tâche, à l’instar du test des Portes [7] et la possibilité d’une sensibilité différenciée du test en fonction de la sévérité de l’altération de la mémoire épisodique. La planche présentant les 24 dessins concrets est placée face au participant. Une fiche comportant un dessin concret est placée au-dessus de cette planche. Le participant doit pointer sur la planche le dessin qui est identique à celui qui se trouve sur la fiche. La procédure se déroule de la même manière pour les 24 dessins concrets. Ensuite, elle est appliquée aux 24 dessins abstraits en utilisant la planche et les fiches correspondantes. La consigne pour la tâche d’appariement perceptif est : « Voici une feuille avec 24 dessins. Sur cette feuille, montrez-moi ceci. » ; l’indication de pointer le dessin étant rappelée à chaque item si nécessaire. La consigne est la même pour les dessins concrets et les dessins abstraits. Le temps de réalisation de chaque tâche d’appariement perceptif est mesuré séparément. Le chronomètre est enclenché au moment de la présentation de la première fiche et est arrêté lorsque la dernière réponse a été produite.
Figure 1
Figure 1
Les deux planches d’appariements perceptifs avec un exemple, parmi les 24 items, d’item à apparier.5La seconde tâche est une tâche de reconnaissance au choix forcé. Elle survient 20 minutes après la première. Le matériel est composé de 48 planches présentant une paire de dessins concrets (sémantiquement semblables) ou une paire de dessins abstraits. Qu’il s’agisse des planches avec dessins concrets ou des planches avec dessins abstraits, chaque paire est composée d’un des dessins présentés sur les fiches et d’un dessin nouveau, lequel est structurellement semblable au dessin présenté sur la planche dans une moitié des paires (distracteurs dits similaires) et structurellement dissemblable (distracteurs dits dissimilaires) dans l’autre (figure 2). La raison pour laquelle il y a à la fois des paires structurellement semblables et structurellement différentes est aussi d’inclure deux niveaux de difficulté. Lorsque les paires sont structurellement dissemblables, le choix de l’item cible peut se faire sur base d’une représentation de la structure globale de l’item. En revanche, lorsque les paires sont structurellement semblables, le choix de l’item cible nécessite une représentation plus précise de l’item. C’est aussi le cas dans le test des Portes [7], cité plus haut, puisque celui-ci comporte une partie où la reconnaissance de l’item cible (parmi quatre) peut se faire sur base d’un encodage structurel global et d’une partie où elle dépend de l’encodage de détails (car les quatre items sont structurellement très semblables). Les planches comportant des paires de dessins concrets ou des paires de dessins abstraits sont présentées une à une dans un ordre aléatoire prédéterminé et le participant doit pointer le dessin qui lui a été présenté lors de l’étape d’encodage. La consigne pour la tâche de reconnaissance est : « Je vais vous demander de vous rappeler les dessins que vous avez vus il y a 20 minutes. Sur une feuille, vous verrez 2 dessins. Vous devez me dire lequel des 2 vous avez vu tout à l’heure. Si vous ne connaissez vraiment pas la réponse, choisissez quand même un des 2 dessins, même si vous avez l’impression de répondre au hasard. »
Figure 2
Figure 2
Exemples de planches de reconnaissance, avec distracteurs similaires (à gauche) ou avec distracteurs dissimilaires (à droite).6Il est important de noter que, lorsqu’il effectue la tâche d’appariement perceptif, le participant ignore qu’elle sera suivie d’une tâche de reconnaissance. Une procédure d’apprentissage incident a été choisie parce qu’elle évite des variations interindividuelles dans le type de stratégie d’encodage mis en place et le recours à des stratégies verbales, surtout lorsqu’il s’agit de traiter des items abstraits. Elle est aussi plus proche de conditions naturelles d’encodage. En effet, dans de nombreuses situations de la vie de tous les jours, des informations sont récupérées alors qu’aucune nécessité de les mémoriser ne s’imposait au moment de leur exposition. Enfin, ce type d’encodage nous a paru permettre d’éviter des effets plafonds dans la tâche de reconnaissance, et ce, plus particulièrement pour les items concrets.
7Le matériel du test est accessible librement sur le site internet suivant : chu-brugmann.be/fr/paramed/psycho/brumory.asp.
8Nous avons précédemment montré une absence de différences significatives entre les scores au Brumory d’un groupe de sujets sains autochtones et ceux d’un groupe de sujets sains immigrés ne parlant pas ou très peu le français et très peu scolarisés, sans effet plancher ni plafond dans les deux groupes. De plus, les consignes se sont révélées compréhensibles et aisées à appliquer dans les différents groupes [9].
9Le but du travail actuel consiste à valider cette tâche et à récolter des normes auprès de sujets sains. En effet, pour déterminer si la performance d’un patient doit être considérée comme étant normale ou déficitaire, il est nécessaire que les scores obtenus par le patient puissent être comparés à ceux de sujets sains présentant les mêmes caractéristiques sociodémographiques (âge, genre et niveau de scolarité) que lui.
Étude 1 : validation du test Brumory
10D’un point de vue conceptuel, le test Brumory est un test de mémoire épisodique puisqu’il exige l’encodage de nouvelles informations, leur stockage et, enfin, leur récupération consciente et volontaire [1]. Le but de cette étude était de montrer que le Brumory est un test valide d’évaluation de la mémoire épisodique dans une population de personnes consultant dans une clinique de la mémoire. À cette fin, nous avons mesuré des corrélations entre les scores au Brumory et ceux à d’autres tests validés de mémoire épisodique (RL/RI 16 [4] et test des Portes [7]), d’une part, et entre les scores au Brumory et ceux à des tests validés évaluant d’autres fonctions cognitives, d’autre part (vitesse de traitement, mémoire de travail, attention sélective et inhibition). Nous nous attendions à des corrélations positives et significatives entre les scores obtenus au Brumory et aux tests validés pour l’évaluation de la mémoire épisodique. En revanche, nous n’attendions pas de corrélations significatives avec des tests évaluant les autres fonctions cognitives.
Méthode
Participants
11Nous avons intégré le test Brumory à l’évaluation neuropsychologique de patients tout-venant de la consultation de neuropsychologie des services de neurologie et de gériatrie du CHU Brugmann (Bruxelles). Les résultats de 62 patients, évalués entre 2014 et 2016, ont été analysés. Ces patients étaient francophones, ne présentaient pas de troubles visuels insuffisamment corrigés et étaient aptes à réaliser l’ensemble des tests neuropsychologiques repris ci-dessous au cours d’une même séance. Aucun autre critère de sélection n’a été retenu. Ces patients consultaient spontanément ou étaient, pour la plupart, référés par un médecin. Les contextes de consultation et les diagnostics étaient divers : maladie d’Alzheimer, démence vasculaire, dépression ou anxiété, éthylisme, troubles du sommeil, sclérose en plaques, AVC ou épilepsie, avec un degré de dégradation cognitive globale variable. Les patients étaient âgés de 43 à 86 ans, avec une moyenne de 69,5 ans et 48,4 % étaient des hommes. Les niveaux scolaires étaient répartis comme suit : 35,5 % n’avaient pas obtenu le BAC, 29 % avaient obtenu le BAC sans diplômes supérieurs et 35,5 % avaient obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur.
Mesures
12Le score total au Brumory (nombre total de reconnaissances correctes, évalué sur 48) est pris en considération, de même que le nombre de réponses correctes compté séparément pour chaque condition de ce test (score aux items concrets évalué sur 24 versus score aux items abstraits évalué sur 24).
13Les variables relatives aux autres tests réalisés par les patients sont les suivantes. D’une part, concernant les mesures relatives aux tests évaluant la mémoire épisodique, les données suivantes ont été prises en considération : deux valeurs de rappel libre au test RL-RI16 [4] (somme des scores aux deux premiers rappels libres, le troisième n’étant pas pris en considération étant donné qu’il n’a pas été proposé à tous les patients, et score au rappel libre différé), deux valeurs de rappel total au test RL-RI16 (somme des scores aux deux premiers rappels totaux et score au rappel total différé), et trois valeurs de reconnaissance (nombre de reconnaissances correctes et nombre de fausses reconnaissances au test RL-RI16 ainsi que le nombre de reconnaissances correctes au test des Portes, partie A [7]). D’autre part, concernant les variables non relatives à la mémoire épisodique, les données suivantes ont été prises en considération : l’empan de chiffres à l’endroit [10] (évaluant la mémoire à court terme et plus particulièrement la boucle phonologique), l’empan de chiffres inversé [10] (évaluant la mémoire de travail dont l’administrateur central), le nombre d’omissions dans la tâche de Barrage de Cloches [11] (évaluant l’attention sélective), la vitesse (secondes) et le nombre d’erreurs en condition d’interférence au test de Stroop Couleur [12] (évaluant les capacités d’inhibition) et un indice de vitesse de traitement calculé en additionnant le temps de lecture des mots et le temps de dénomination des couleurs au test de Stroop (en secondes).
Analyses statistiques
14Les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel SPSS 13.0. Des corrélations de Pearson ont été mesurées entre le score global au Brumory, le score sur les seuls items concrets et le score sur les seuls items abstraits, et les scores à chacune des autres tâches administrées.
Résultats
15Le tableau 1 reprend les valeurs de corrélations entre les résultats au test Brumory (score total, score pour les items concrets uniquement et score pour les items abstraits uniquement) et les résultats aux tests de mémoire épisodique (test RL-RI16 et test des Portes). Ces corrélations sont positives et toutes significatives à 0,05 (voire fortement significatives lorsqu’il s’agit de considérer le score total au Brumory ; ps ≤ 0,001) quel que soit le score considéré au test RL-RI16, à savoir les rappels libres, les rappels totaux (libres et indicés), les rappels différés et la reconnaissance (omissions ou fausses reconnaissances). Au test de reconnaissance des Portes, les scores sont également fortement corrélés avec les scores au test Brumory (ps < 0,01).
Tableau 1
Tableau 1
Corrélations, calculées sur 62 patients, entre les scores au test Brumory et au test RL-RI16, d’une part, et au test des Portes, d’autre part.16Aucune corrélation entre les scores au test Brumory (score total, score pour les items concrets uniquement et score pour les items abstraits uniquement) et les scores aux épreuves évaluant d’autres fonctions cognitives que la mémoire épisodique, à savoir la mémoire à court terme (tâche d’empan de chiffres à l’endroit), la mémoire de travail (tâche d’empan inversé), l’attention visuelle (test de Barrage des Cloches), la vitesse de traitement (vitesse de dénomination et de lecture au test de Stroop) et l’inhibition (gestion de l’interférence au test de Stroop : vitesse et erreurs) n’est significative au seuil de 0,05 ni même à celui de 0,10 (tableau 2).
Tableau 2
Tableau 2
Corrélations, calculées sur 62 patients, entre les scores au test Brumory et les scores aux tâches évaluant la mémoire à court terme, la mémoire de travail, l’attention, la vitesse, et l’inhibition.Discussion
17Les résultats de l’étude de validation montrent que les corrélations obtenues entre les scores au test Brumory et ceux obtenus avec d’autres tests validés de mémoire épisodique sont toutes positives et significatives, voire hautement significatives. En outre, toutes les corrélations entre les scores au test Brumory et ceux aux tests évaluant des fonctions cognitives autres que la mémoire épisodique (empans mnésiques, attention, vitesse de traitement et inhibition) ne sont pas significatives. Ces résultats indiquent que le test Brumory est un test valide d’évaluation de la mémoire épisodique. L’absence de corrélation entre le test de mémoire Brumory et les tests de mémoire de travail, d’attention et d’inhibition pourrait s’expliquer par des doubles dissociations entre les fonctions cognitives évaluées dans notre échantillon de patients présentant des pathologies diverses (par exemple, profils plutôt « mnésiques » chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer versus profils plutôt « dysexécutifs » chez des patients présentant une atteinte vasculaire).
Étude 2 : normalisation du test Brumory
18Le but de cette étude était de récolter des données normatives permettant de comparer la performance d’un patient à celle de sujets témoins appariés en âge, genre et niveau de scolarité.
Méthode
Participants
19Le test Brumory a été administré à 378 sujets sains âgés de 40 à 89 ans recrutés via le bouche-à-oreille, le milieu associatif ou par des annonces affichées dans les services publics ou les commerces. Tous étaient volontaires, non rémunérés et ont signé un consentement éclairé. Aucun ne présentait d’antécédents neurologiques ou psychiatriques ni de troubles visuels insuffisamment corrigés (sur base d’un questionnaire de santé). Aucun ne consommait en moyenne plus de trois unités d’alcool par jour ni de médicaments susceptibles d’agir sur le fonctionnement cognitif (excepté la prise d’un somnifère). Les données étaient recueillies lors d’une visite au domicile des participants, qui devaient pouvoir assurer un endroit calme, sans perturbations externes, par des neuropsychologues diplômés ou par des étudiants en master de neuropsychologie de l’université libre de Bruxelles formés spécifiquement à l’utilisation du matériel. Nous avons éliminé de l’étude les sujets présentant des indices de dépression sévère au questionnaire de dépression GDS-15 [13] (score supérieur à 7/15) [14] ainsi que ceux présentant une atteinte cognitive globale évaluée avec le Montreal Cognitive Assessment (score au test MoCA inférieur à 23/30) [15]. Nous avons également éliminé cinq sujets avec données aberrantes au test Brumory (outliers), à savoir avec des résultats s’écartant de plus ou moins trois écarts-types de la moyenne. Finalement, les résultats de 355 participants ont été retenus pour les analyses.
20Les nombres de sujets par groupe d’âge, par niveau de scolarité et par genre sont présentés dans le tableau 3 . Le niveau de scolarité I équivaut à l’enseignement primaire ou de type professionnel, le niveau II équivaut à la réussite de l’enseignement secondaire autre que professionnel (niveau du BAC) et le niveau III équivaut à un diplôme de l’enseignement supérieur.
Tableau 3
Tableau 3
Répartition de la population de référence selon le groupe d’âge, le niveau scolaire et le genre.Procédure
21Après la complétion du consentement informé et du questionnaire de santé, l’évaluation débutait avec l’encodage incident des items du Brumory. Durant les 20 minutes de délai entre l’encodage et la reconnaissance, les sujets complétaient le questionnaire GDS et réalisaient le test MoCA ainsi qu’un test d’inhibition verbale (test de Hayling [16]).
Mesures
22Les mesures concernant le Brumory sont identiques à celles de l’étude 1.
Analyses statistiques
23 Les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel SPSS 13.0. L’effet des variables âge (cinq groupes), niveau de scolarité (trois groupes) et genre a été déterminé avec une analyse de variance. Les analyses post-hoc ont été réalisées à l’aide des comparaisons multiples de Bonferroni. L’analyse de l’effet des items (concrets/abstraits ; paires similaires/dissimilaires) a été réalisée avec une analyse de variance pour mesures répétées.
Résultats
24Une analyse de variance âge (cinq groupes) × scolarité (trois groupes) × genre sur les scores au test Brumory montre que l’âge exerce une influence sur les scores aux items abstraits (F(4, 225) = 4,432 ; p = 0,002) mais pas sur les scores aux items concrets (p > 10), ni sur le score total (p > 10), ni sur les scores aux items similaires ou dissimilaires (ps > 10). Selon une analyse post-hoc (comparaisons multiples de Bonferroni), l’effet de l’âge sur les items abstraits est lié à une différence significative entre le groupe 40-49 ans, d’une part, et les groupes 70-79 et 80-89 ans, d’autre part, lesquels ne diffèrent pas entre eux. Dans la présentation des données normatives, nous avons donc rassemblé les participants âgés de 40 à 69 ans et ceux âgés de 70 à 89 ans. Le niveau de scolarité affecte le score aux items abstraits (F(2, 225) = 3,905 ; p = 0,021) ainsi que celui aux paires où les distracteurs sont perceptivement similaires (F(2, 225) = 3,351 ; p = 0,036). Des analyses post-hoc révèlent une différence significative entre les niveaux 1 et 3 pour les items abstraits et une différence entre les niveaux 2 et 3 lorsque les distracteurs sont similaires, alors que les scores des niveaux 1 et 2 ne diffèrent jamais de manière significative (ps > 0,10). Nous ne relevons aucun effet du niveau de scolarité significatif à 0,05 pour le score total, pour le score aux items concrets ou pour le score obtenu lorsque les distracteurs sont dissimilaires. En conséquence, nous avons regroupé les participants des niveaux de scolarité 1 et 2. Enfin, le genre n’affecte significativement aucun score, quelle que soit la variable considérée (ps > 0,20). Nous ne prenons donc pas en considération cette variable dans les analyses ultérieures.
25La distribution de l’ensemble des scores de reconnaissance n’étant pas normale (ps < 0,001 au test de normalité Kolmogorov-Smirnov), nous avons choisi de présenter les scores sous forme de percentiles (tableau 4 ).
Tableau 4
Tableau 4
Données en percentiles des scores totaux (Total, /48), des scores aux items concrets uniquement (Conc., /24), des scores aux items abstraits uniquement (Abstr., /24), des scores lorsque les distracteurs sont similaires (Sim., /24) et des scores lorsque les distracteurs sont dissimilaires (Dis., /24), en fonction de l’âge et du niveau de scolarité : Niv. A (niveau BAC max.) et Niv. B (au moins un cycle d’enseignement supérieur universitaire ou non universitaire réussi).Tableau 5
Tableau 5
Données en percentiles des temps d’encodage (appariements perceptifs) en secondes, pour les 24 items concrets (Conc.) et pour le 24 items abstraits (Abst.), en fonction de l’âge.26Une analyse de variance avec mesures répétées montre un effet très significatif de la nature des items (F(1, 325) = 125,356 ; p<0,001), les scores aux items concrets étant supérieurs aux scores aux items abstraits (tableau 4), surtout chez les participants les plus âgés (interaction items×âge significative : F(4, 325) = 27,634 ; p<0,001), et chez les participants les moins scolarisés (interaction items×scolarité significative : F(2, 325) = 4,236 ; p = 0,015). Par ailleurs, la nature du distracteur affecte également la performance, les scores étant inférieurs lorsque les distracteurs sont perceptivement similaires (F(1, 325) = 171,206 ; p<0,001), sans interaction significative avec les autres variables (ps>0,10)
27En ce qui concerne la durée des appariements perceptifs, nous relevons un net effet de l’âge, tant pour les items concrets (F(4, 225) = 49,131 ; p<0,001) que pour les items abstraits (F(4, 225) = 71,534 ; p<0,001). Selon une analyse post-hoc, les groupes 40-49 ans, 50- 59 ans et 60-69 ans ne diffèrent pas significativement entre eux. En revanche, ces trois groupes obtiennent des temps significativement différents du groupe 70-79 ans qui, lui-même, diffère significativement du groupe 80-89 ans, tant pour les items concrets que pour les items abstraits (p<0,001). Ni le niveau de scolarité, ni le genre n’affectent les temps d’encodage (ps>0,30). En conséquence, les données normatives concernant les temps d’encodage distinguent uniquement trois groupes d’âge (40-69, 70-79 et 80-89 ans) et le type d’item (tableau 5).
28Le temps d’encodage, dont la distribution n’est pas normale (ps < 0,001 au test de normalité Kolmogorov-Smirnov), est également présenté sous forme de percentiles.
29Il n’existe pas de corrélations significatives entre le temps d’encodage et la performance en reconnaissance au sein de ces trois groupes d’âge (ps > 0,05).
Discussion
30Nous avons analysé les données récoltées auprès de 355 sujets sains âgés entre 40 et 89 ans afin de pouvoir déterminer le caractère déficitaire ou non du score obtenu par un participant. Pour rappel, cette tâche a été créée essentiellement dans le but de pouvoir être utilisée avec des patients non francophones ou peu (voire non) scolarisés [9]. Les données recueillies mettent en évidence un effet de l’âge sur la performance mnésique, pour les items abstraits, à partir de 70 ans. Yonelinas [17], dans une revue de la littérature, indique que l’âge affecte les processus mnésiques de « recollection » mais pas les processus de familiarité. Bien que notre tâche minimise les processus stratégiques en utilisant un encodage incident et une reconnaissance par choix forcé [18], elle ne s’apparente toutefois pas à une tâche de mémoire implicite et n’implique donc pas uniquement des processus de familiarité.
31 En outre, l’âge affecte la durée de la procédure d’encodage, à savoir, les appariements perceptifs d’images identiques. Foster et al. [19] ont montré que le ralentissement de la recherche visuelle de cibles lié à l’âge n’était pas uniquement dû à un ralentissement cognitif global mais également à des processus attentionnels de contrôle moins efficaces. Nous attirons l’attention sur le fait que des temps d’encodage supérieurs aux temps correspondant aux valeurs du percentile 95 ou inférieurs aux temps correspondant aux valeurs du percentile 5 doivent être considérés comme anormaux et conduire à une interprétation des plus prudentes des performances au test de reconnaissance. En effet, une exposition anormalement courte ou anormalement longue aux stimuli durant la phase d’encodage peut avoir un impact sur le score en reconnaissance, même si, au sein de notre population de sujets sains, nous n’avons pas observé de corrélations entre le temps d’encodage et les scores mnésiques.
Liens d’intérêts
32les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec ce texte.
Remerciements
Nous remercions chaleureusement les neuropsychologues ayant participé au recueil des données auprès des patients ou des sujets sains, à savoir, par ordre alphabétique, Claes Thierry (hôpital Molière), Colson Catherine (CHU Brugmann), Kovac Valérie (CHU Brugmann), Lucas Olivier (CHwapi), Nury Delphine (CHU Brugmann) et Vandenberghe Muriel (hôpital Érasme ULB).Références
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Mots-clés éditeurs : culture, vieillissement, mémoire, neuropsychologie
Date de mise en ligne : 25/06/2018
https://doi.org/10.1684/nrp.2018.0461