1Le concept d’impulsivité renvoie à une variété de comportements réalisés prématurément, excessivement risqués, inappropriés et pouvant entraîner des conséquences indésirables (Evenden, 1999). En particulier, les personnes hautement impulsives ont davantage de difficultés à réguler leurs émotions et à empêcher la survenue de pensées et de comportements non pertinents. L’impulsivité est ainsi associée à divers comportements problématiques tels que les conduites agressives, le tabagisme, l’abus d’alcool et de drogue, le jeu excessif, les achats compulsifs ou encore les troubles du sommeil. L’impulsivité a cependant un aspect positif en ce qu’elle permet de s’adapter à certaines situations qui nécessitent d’agir rapidement, sans trop réfléchir, comme c’est, par exemple, souvent le cas dans la conduite automobile.
2Les recherches récentes en psychologie ont conduit à distinguer différentes facettes de l’impulsivité. L’objectif de cet article est d’une part de décrire ces différentes facettes ainsi que les mécanismes cognitifs, émotionnels et motivationnels qui y sont associés et d’autre part d’examiner en quoi ce modèle en quatre facettes de l’impulsivité pourrait permettre de mieux comprendre les difficultés de régulation émotionnelle et de gestion des relations sociales chez l’enfant et l’adolescent.
Les facettes de l’impulsivité
3Considérant la diversité des comportements impulsifs, Whiteside et Lynam (2001) ont tenté d’identifier les principales composantes de l’impulsivité afin de développer un outil apte à évaluer ses multiples manifestations. Pour ce faire, ils ont administré à 437 étudiants universitaires l’ensemble des questionnaires habituellement utilisés pour mesurer l’impulsivité, ainsi que l’inventaire de personnalité NEO révisé (NEO-PI-R). Une analyse factorielle exploratoire réalisée sur les items de ces différentes échelles a permis d’identifier quatre facettes de l’impulsivité : l’urgence, le manque de persévérance, le manque de préméditation et la recherche de sensations. A partir des items présentant les meilleures saturations sur chacun des facteurs, les auteurs ont élaboré un questionnaire comprenant 45 items: le questionnaire UPPS d’impulsivité (« UPPS Impulsive Behavior Scale », Whiteside & Lynam, 2001; version en langue française, Van der Linden et al., 2006). L’urgence renvoie au fait d’agir précipitamment, au risque de regretter son action, et ce particulièrement lorsque l’individu est en proie à des émotions négatives (voir cependant Cyders & Smith, 2008, pour une conception de l’urgence dans un contexte d’émotion négative et positive). Cette facette de l’impulsivité est évaluée au moyen du questionnaire UPPS par des questions du type : « Quand je suis contrarié(e), j’agis souvent sans réfléchir » ou « Quand la discussion s’échauffe, je dis souvent des choses que je regrette ensuite ». Le manque de persévérance correspond à la difficulté de rester concentré sur une tâche pouvant être ennuyeuse, longue ou difficile. Pour évaluer le niveau de persévérance, le questionnaire UPPS contient des questions telles que « Je suis une personne productive qui termine toujours son travail » ou encore « Je me concentre facilement ». Le manque de préméditation concerne le fait de ne pas prendre en compte les conséquences d’une action avant de s’y engager. Les questions de l’UPPS évaluant cette facette de l’impulsivité sont du type : « Avant de me décider, je considère tous les avantages et inconvénients », ou « D’habitude je réfléchis soigneusement avant de faire quoi que ce soit ». La recherche de sensations constitue la quatrième facette de l’impulsivité et concerne la tendance à apprécier et rechercher les activités excitantes ainsi que l’ouverture à de nouvelles expériences. Cette composante de l’impulsivité est abordée par le questionnaire UPPS via des questions telles que « Je me réjouis des expériences et sensations nouvelles même si elles sont un peu effrayantes et non conformistes », ou « J’éprouve du plaisir à prendre des risques ». Smith et al. (2007) ont montré que les mesures obtenues par le questionnaire UPPS corrélaient fortement avec les données recueillies via des entretiens semi-structurés menés chez les mêmes sujets, ce qui suggère que ce questionnaire possède une bonne validité convergente.
Mécanismes psychologiques sous-tendant les quatre facettes de l’impulsivité
4Bechara et Van der Linden (2005 ; voir également Billieux, Rochat, & Van der Linden, 2008) ont suggéré que les facettes d’urgence, de manque de persévérance et de manque de préméditation seraient principalement associées à des difficultés touchant des mécanismes exécutifs et de prise de décision alors que la recherche de sensations refléterait davantage les dispositions motivationnelles ou de tempérament de l’individu.
5Plus spécifiquement, un haut niveau d’urgence résulterait d’une difficulté à inhiber des comportements automatiques, difficulté qui serait exacerbée par la présence d’un état émotionnel positif ou négatif. Dans ce contexte des relations entre inhibition et émotion, il a été montré que la présence d’informations suscitant un niveau élevé d’activation émotionnelle pouvait perturber les processus d’inhibition d’une réponse dominante (Verbruggen & De Houwer. 2007). Le manque de persévérance pourrait découler de difficultés à résister à l’interférence proactive ou de difficultés à inhiber des pensées et/ou des souvenirs non pertinents en mémoire de travail. Les deux mécanismes d’inhibition censés être impliqués dans l’urgence et le manque de persévérance (inhiber des réponses automatiques et inhiber des pensées intrusives) ont été identifiés par Friedman et Miyake (2004) comme étant deux dimensions constitutives de l’inhibition. Par ailleurs, Gay, Rochat, Billieux, d’Acremont, et Van der Linden (2008) ont montré que les scores d’urgence et de manque de persévérance obtenus via le questionnaire UPPS étaient associés à des indices de performance recueillis à des tâches évaluant respectivement l’inhibition de réponses automatiques et le contrôle de l’interférence en mémoire de travail. Le manque de préméditation quant à lui renverrait aux processus de prise de décision, et notamment aux processus, plus ou moins conscients, permettant d’anticiper et de prendre en compte les conséquences positives ou négatives d’une décision, et ce à partir de la réactivation des émotions positives ou négatives qui ont été associées à des décisions similaires dans le passé. Dans ce contexte, nous avons récemment montré que les étudiants universitaires qui avaient un bas niveau de préméditation faisaient plus de mauvais choix dans une tâche de prise de décision (« Iowa Gambling Task » ou tâche du Casino ; Bechara, Damasio, Damasio, & Anderson, 1994) spécifiquement conçue pour évaluer les conséquences positives et négatives d’une décision sur base des réactions émotionnelles (Zermatten, Van der Linden, d’Acremont, Jermann, & Bechara, 2005). Enfin, la recherche de sensations correspondrait à un facteur motivationnel et plus spécifiquement à une prédominance des comportements d’approche (plutôt que d’évitement) et à une sensibilité aux récompenses plutôt qu’aux punitions.
6Dans cette perspective, les comportements seraient sous l’influence des systèmes motivationnels d’approche et d’évitement, en interaction avec les aspects liés à l’autorégulation (reflétés par les trois facettes d’autocontrôle de l’impulsivité). Ainsi, des individus ayant une recherche de sensation élevée associée à de bonnes capacités d’autocontrôle prendront des risques « contrôlés », alors que des individus ayant une recherche de sensation élevée associée à de mauvaises capacités d’autocontrôle auront des difficultés à contrôler leurs comportements d’approche et s’engageront dans des comportements potentiellement dommageables.
Les facettes de l’impulsivité et les comportements problématiques chez l’enfant et l’adolescent
7Les différentes facettes de l’impulsivité ont été mises en relation, de façon plus ou moins spécifique, avec différents symptômes psychopathologiques et comportements problématiques, tels que les conduites antisociales, les comportements de dépendance (dépendances aux substances et dépendances comportementales), les troubles alimentaires, les troubles obsessionnels-compulsifs, etc. (pour une revue de question, voir Billieux et al., 2008).
8Ainsi, par exemple, nous avons montré que les quatre facettes de l’impulsivité sont spécifiquement liées aux quatre formes principales d’utilisation problématique du téléphone portable : l’usage prohibé du téléphone portable (p. ex., utilisation du téléphone portable dans des lieux où il est formellement interdit de le faire), l’usage dangereux du téléphone portable (p. ex., utilisation du téléphone portable tout en conduisant), les manifestations de dépendance au téléphone portable (p. ex., se sentir mal quand on n’a pas son téléphone portable) et les problèmes financiers pouvant découler de l’utilisation du téléphone portable (problèmes plus particulièrement rencontrés chez les adolescents et les jeunes adultes ; Billieux, Van der Linden, & Rochat, 2008). Ainsi, il apparaît qu’un haut niveau d’urgence est associé à la fois à la présence de symptômes de dépendance, à l’existence de problèmes financiers (traduisant une utilisation excessive du téléphone portable) et à un usage dangereux. Ces relations suggèrent que les personnes avec un haut niveau d’urgence, quand elles sont sous l’effet d’une émotion positive ou négative suscitée par le fait de se remémorer une situation particulière, ne peuvent s’empêcher d’utiliser leur téléphone portable (une action devenue automatique) pour interpeller autrui concernant la situation qui a suscité l’émotion (par exemple, transmettre son dépit ou son irritation à quelqu’un, suite à une remémoration d’une situation dans laquelle cette personne vous a causé du tort ou, suite à une rêverie amoureuse, communiquer à l’être aimé combien on se réjouit de le revoir). Le fait d’être empêché d’utiliser son téléphone portable constituera ainsi pour les personnes avec un haut niveau d’urgence une contrainte psychologique considérable, se traduisant par un sentiment de dépendance. Enfin, la relation entre un niveau élevé d’urgence et la tendance à utiliser son téléphone portable de manière dangereuse, par exemple en conduisant, serait liée au fait que le flux de pensées de la personne qui conduit peut la pousser à évoquer une situation émotionnelle, laquelle induira une envie irrépressible (non contrôlable) de téléphoner. Les personnes avec de bas niveaux de persévérance tendent à en faire un usage plus intensif (nombre et durée des appels) et à s’exposer à davantage de problèmes financiers en lien avec son utilisation. Ces données indiquent que la présence de pensées intrusives est susceptible de susciter de nombreux appels téléphoniques, car elles amènent à la conscience de potentiels sujets de conversation. De même, il se pourrait que la présence d’intrusions mentales conduise à prolonger la durée des appels émis en suscitant de nouveaux thèmes de discussion à aborder. Le manque de préméditation est relié à la durée des appels émis et à l’utilisation prohibée du téléphone portable, à savoir l’utilisation du téléphone portable dans des lieux où les règles ou les conventions l’interdisent. Ces données suggèrent tout d’abord que les personnes avec un bas niveau de préméditation ne prennent pas en compte les éventuelles conséquences négatives (coûts financiers élevés, perte de temps, remontrances dues aux dérangements) susceptibles d’entraîner une utilisation prolongée et/ou dérangeante du téléphone portable. Enfin, il apparaît qu’un niveau élevé de recherche de sensations prédit uniquement une utilisation dangereuse, ce qui suggère que chez les personnes ayant une recherche de sensations élevée, le fait, par exemple, de téléphoner en conduisant générerait des sensations excitantes.
9La conception à quatre facettes de l’impulsivité, dans ses dimensions motivationnelles et d’autocontrôle (inhibition de réponses automatiques, résistance à l’interférence proactive et prise de décision) devrait également permettre de mieux comprendre les comportements problématiques chez l’enfant et l’adolescent, et notamment les difficultés de régulation émotionnelle et de gestion des relations sociales. De façon générale, la mise en place de relations sociales harmonieuses et de bonnes capacités de régulation émotionnelle repose sur de nombreuses compétences psychologiques. Certains de ces mécanismes sont plus spécifiquement sociaux ou émotionnels comme par exemple la capacité de reconnaître les émotions exprimées par la personne qu’on rencontre, la capacité d’identifier l’orientation du regard ou encore la capacité de prendre en compte le point de vue de la personne. D’autres compétences ne sont pas spécifiquement sociales, mais concernent les tendances motivationnelles d’approche et d’évitement (telles que reflétées par la facette « recherche de sensations » de l’UPPS) ainsi que les processus généraux de contrôle exécutif et de prise de décision (tels que reflétés dans les facettes d’urgence, de manque de persévérance et de manque de préméditation). En effet, une grande partie des conduites sociales sont constituées de routines d’action produites automatiquement. Cependant, il existe de nombreuses situations sociales dans lesquelles ces routines ne suffisent pas. Ainsi, les fonctions exécutives et de prise de décision vont entrer en jeu lorsqu’il faut inhiber une réponse sociale automatique qui n’est pas ou plus adaptée, réévaluer une situation sociale en termes non émotionnels, s’adapter à une situation sociale non familière, prendre en compte simultanément plusieurs informations (comme par exemple dans une conversation) ou encore se focaliser sur un autre aspect de l’interaction ou changer de point de vue.
10Les capacités de régulation émotionnelle renvoient à l’ensemble des stratégies que nous utilisons afin de moduler une réponse émotionnelle. Les aspects automatiques de la régulation émotionnelle, qui nous poussent à réagir très rapidement à des situations pertinentes de l’environnement, dépendent des systèmes motivationnels d’approche ou d’évitement qui vont déterminer la tendance naturelle des personnes à approcher des situations qui sont potentiellement source de plaisir ou à éviter des situations menaçantes. Par exemple, confronté à une menace soudaine, le système motivationnel d’évitement (ou de peur) va amener la personne à focaliser son attention sur la menace, interrompre l’activité en cours et à préparer un comportement de sécurité (par exemple d’éloignement, ou au contraire d’attaque). Les aspects volontaires de la régulation émotionnelle renvoient aux processus de contrôle ou exécutifs par lesquels les personnes peuvent moduler intentionnellement l’expression de leurs émotions. Ainsi, confrontée à une information menaçante, la personne pourra, via ses processus exécutifs, limiter l’impact de l’information menaçante en lui donnant une signification différente, se désengager de la source de la menace, et plus généralement promouvoir un meilleur équilibre entre l’information de menace et l’information de sécurité. Parmi les différentes stratégies de régulation des émotions qu’une personne peut mettre en œuvre face à un événement négatif, certaines semblent moins indiquées que d’autres. Ainsi, l’adoption préférentielle de stratégies telles que se blâmer, ruminer, blâmer les autres ou dramatiser est associée à des difficultés psychologiques comme la dépression (voir Jermann, Van der Linden, d’Acremont, & Zermatten, 2006). D’autres stratégies semblent plus pertinentes et impliquent par exemple de se centrer sur des éléments positifs, de se centrer sur la planification, de réévaluer positivement la situation ou de la mettre en perspective. Il faut relever que l’adoption des stratégies les plus appropriées fait davantage appel à des capacités de contrôle exécutif, comme par exemple des capacités d’inhibition de réponses automatiques qui permettront notamment d’inhiber la mise en place automatique de ruminations.
11Les difficultés de régulation émotionnelle et les problèmes de relations sociales chez l’enfant ou l’adolescent peuvent donc être la conséquence de tendances motivationnelles marquées, et/ou d’un mauvais contrôle des systèmes motivationnels par des fonctions exécutives et de prise de décision peu efficaces. Très tôt, chez l’enfant, des différences interindividuelles peuvent être observées dans la prééminence de l’une ou l’autre des tendances motivationnelles (Rothbart & Putnam, 2002). Dès le plus jeune âge, certains tempéraments assez marqués présentent une forte tendance à l’évitement (à la peur) ou une forte tendance aux comportements d’approche (d’ouvertures aux expériences nouvelles et excitantes, voire aux comportements agressifs). Il existe également des différences interindividuelles importantes chez les enfants et les adolescents dans les capacités de contrôle exécutif. Il faut par ailleurs se souvenir que les fonctions exécutives et de prise de décision n’arrivent à maturité qu’à la fin de l’adolescence (Paust, 2005). D’une manière plus générale, le début de l’adolescence et les processus de maturation liés à la puberté s’accompagnent de changements émotionnels et motivationnels très importants, prenant notamment la forme d’une recherche d’émotions intenses et d’expériences nouvelles ou d’un intérêt accru pour la sexualité. Pendant cette même période, les fonctions exécutives (impliquées dans les capacités d’autocontrôle, de régulation émotionnelle et de prise de décision) sont encore relativement immatures. Il existe donc un décalage entre les changements émotionnels et motivationnels en lien avec la puberté et le développement plus tardif des capacités permettant de réguler les comportements et les émotions qui découlent de ces changements. Ce décalage rendrait ainsi les adolescents vulnérables à la prise de risques inconsidérés et aux conduites dites antisociales (Steinberg, 2005). En outre, l’existence de différences interindividuelles observées dans le développement des fonctions exécutives chez les enfants et adolescents constituerait un des éléments permettant de rendre compte du fait que les conduites à risque, les difficultés de régulation émotionnelle et les problèmes de relations sociales ne sont pas, et loin de là, observés, chez tous les enfants et les adolescents.
12Peu d’études ont exploré les quatre facettes de l’impulsivité chez les enfants et les adolescents. Relevons cependant que de hauts niveaux d’urgence et de manque de persévérance ont été associés aux déficits d’attention et d’hyperactivité (ADHD) durant l’enfance (Miller, Flory, Lynam, & Leukefeld, 2003). Le manque de persévérance a également été spécifiquement relié aux performances à des tests d’efficience intellectuelle (Miller et al., 2003) ainsi qu’aux performances scolaires (Smith et al., 2007). En outre, dans une série d’études, nous avons exploré les facettes de l’impulsivité, dans leurs liens avec certains comportements problématiques, chez les adolescents.
13Il faut tout d’abord noter que la structure en quatre facettes du questionnaire UPPS a été confirmée auprès de 628 adolescents (314 garçons et 314 filles, âgés de 12 à 19 ans ; d’Acremont & Van der Linden, 2005). De plus, les corrélations entre l’âge et chaque facette de l’impulsivité étaient négligeables, suggérant ainsi une stabilité de l’impulsivité au cours de l’adolescence (bien qu’une étude longitudinale devrait être entreprise pour tester cette stabilité de façon plus directe). Enfin, les filles montraient un score plus élevé d’urgence et les garçons un score plus élevé de recherche de sensations. Dans la mesure où des corrélations importantes ont été observées entre un haut niveau d’urgence et des scores élevés à des échelles mesurant les symptômes d’anxiété et/ou de dépression (Miller et al., 2003), la différence de genre dans cette facette de l’impulsivité est en accord avec la présence plus fréquente de problèmes internalisés (dépression et anxiété) chez les adolescentes (Bongers, Koot, Van der Ende, & Verhulst, 2003). La différence de genre dans la recherche de sensations est quant à elle compatible avec le fait que les adolescents prennent plus de risques et sont plus souvent victimes d’accidents que les adolescentes (Choquet, Michaud, & Frappier, 1997).
14Une autre étude (d’Acremont, 2005) a par ailleurs montré, chez des adolescents âgés de 13 à 17 ans, que les facettes « manque de préméditation » et « urgence » prédisaient les problèmes de comportement (p. ex., fait souvent des colère, s’énerve facilement) et les symptômes d’hyperactivité (p. ex., facilement distrait, a du mal à se concentrer) rapportés par l’enseignant au moyen du « Strengths and difficulties Questionnaire » (Goodman, 2001 ; version en langue francaise, questionnaire « points forts/points faibles » : Fonbonne et al., 2005; voir d’Acremont & Van der Linden, 2008 pour une étude de validation). Par ailleurs, la facette « manque de persévérance » prédisait aussi les symptômes d’hyperactivité. Des recherches complémentaires devraient être menées afin d’examiner, au moyen de tâches cognitives, dans quelle mesure les relations observées sont déterminées, du moins en partie par les mécanismes psychologiques (d’inhibition et de prise en compte des conséquences positives et négatives d’une action) censés être impliqués dans chacune des facettes de l’impulsivité.
15Dans une étude plus récente (d’Acremont & Van der Linden, 2007), nous avons mis en évidence un biais mnésique en faveur de visages exprimant la colère (par rapport à des visages exprimant la joie) chez des adolescents présentant des problèmes de comportement et d’hyperactivité identifiés par l’enseignant au moyen du questionnaire « points forts/points faibles ». Cette meilleure performance mnésique pour les visages exprimant la colère pourrait résulter de l’existence d’un schéma hostile qui guiderait le traitement de l’information sociale (Crick & Dodge, 1994). Cependant, ce biais mnésique en lien avec les problèmes de comportement et l’hyperactivité (lesquels sont par ailleurs intimement reliés ; d’Acremont & Van der Linden, 2008) est plus prononcé chez les adolescents présentant un haut niveau de manque de persévérance (évalué par l’UPPS). Cet effet de modération suggère qu’une bonne capacité de résister à l’interférence proactive (mécanisme qui a été associé au manque de persévérance ; Gay et al., 2008) aiderait les adolescents à limiter l’interférence des pensées et souvenirs en lien avec la colère.
16Nous avons également examiné, chez des adolescents âgés de 15 à 19 ans, les relations entre les facettes de l’impulsivité, la dépression et les stratégies cognitives de régulation émotionnelle (d’Acremont & Van der Linden, 2006). Les résultats montrent un lien entre les facettes « urgence » et « manque de persévérance » de l’impulsivité et la dépression. De plus, ce lien est sous-tendu par l’utilisation de stratégies plus ou moins adaptées de régulation émotionnelle (évaluées au moyen du « Cognitive Emotion Regulation Questionnaire », Garnefski, Kraaij, & Spinhoven, 2001 ; version en langue française : Jermann et al., 2006). Plus spécifiquement, les résultats suggèrent que les adolescents ayant des scores élevés en urgence et manque de persévérance (et montrant des difficultés d’inhibition de réponses automatiques et de pensées intrusives possiblement associées à chacune de ces facettes) seraient plus déprimés du fait de l’utilisation moins fréquentes de stratégies de régulation adaptées (telles que la réévaluation positive ou la mise en perspective) et de l’utilisation plus fréquente de stratégies inadaptées (telles que se blâmer ou ruminer).
17Enfin, partant des données qui ont mis en évidence le rôle de l’impulsivité dans l’insomnie (Schmidt, Gay, & Van der Linden, 2008) mais qui ont aussi montré un effet délétère du manque de sommeil sur les capacités de régulation émotionnelle (Jones & Harrison, 2001), nous avons entrepris une étude longitudinale (Schmidt, Gomez, Gay, Ghisletta, & Van der Linden, 2009) auprès de 202 adolescents (âgés de 12 à 17 ans ; 104 filles et 98 garçons) dans le but d’explorer les relations entre impulsivité, problèmes de comportement, insomnie et performances scolaires. Deux évaluations ont été entreprises, séparées par un intervalle de 6 mois. Les résultats montrent tout d’abord que de moins bonnes performances scolaires sont reliées aux difficultés de sommeil (mesurées par l’index de sévérité de l’insomnie ; Blais, Gendron, Mimeault, & Morin, 1997) ainsi qu’à des scores plus élevés aux facettes d’urgence et de manque de persévérance (mesurés par l’UPPS). En outre, une analyse en équations structurales montre que des difficultés de sommeil au temps 1 prédisent des difficultés comportementales au temps 2 et que des problèmes de comportement (mesurés par le questionnaire « points forts/points faibles ») au temps 1 prédisent une augmentation des scores d’urgence et de manque de persévérance au temps 2. En conclusion, ces résultats mettent en évidence la relation circulaire qu’entretiennent l’impulsivité, les comportements problématiques et les difficultés de sommeil.
Conclusions
18La conception de l’impulsivité en quatre facettes proposée par Whiteside et Lynam (2001) ainsi que les propositions que nous avons émises concernant les mécanismes cognitifs, émotionnels et motivationnels en jeu dans chacune de ces facettes (voir Bechara & Van der Linden, 2005; Billieux et al., 2008) fournit un cadre conceptuel permettant une approche plus différenciée et dynamique de processus d’autorégulation. En effet, cette approche intègre et met en relation des composantes motivationnelles et exécutives, elle distingue différentes composantes d’autocontrôle (urgence, manque de persévérance, manque de préméditation), elle relie ces composantes à des mécanismes exécutifs et de prise de décision spécifiques (notamment en distinguant deux mécanismes d’inhibition impliqués dans les facettes d’urgence et de manque de persévérance : inhibition de réponses dominantes et contrôle de l’interférence; voir Friedman & Miyake, 2004) et enfin, elle prend en compte les liens entre cognition et émotion (par exemple en associant la facette d’urgence à des difficultés d’inhibition de réponses automatiques, dans un contexte émotionnel).
19Ce cadre conceptuel s’est, dès à présent, avéré utile dans l’exploration des mécanismes d’autorégulation impliqués dans divers états psychopathologiques chez l’adulte (voir Billieux et al., 2008). Quelques études récentes suggèrent également qu’il est à même de guider la recherche dans le domaine de l’autorégulation chez l’enfant et l’adolescent. De par ses composantes motivationnelles, émotionnelles et cognitives, cette conception de l’autorégulation est particulièrement bien adaptée à l’exploration de la régulation des émotions et la gestion des interactions sociales en milieu scolaire. Ces travaux devraient permettre d’aider les enseignants à mieux identifier les difficultés de régulation de leurs élèves et à mieux comprendre l’impact de ces difficultés sur l’apprentissage, l ‘enseignement et l’intégration scolaire. Il ne s’agit cependant pas d’envisager le comportement émotionnel et relationnel d’un enfant ou d’un adolescent uniquement sur la base de ses capacités personnelles de régulation, mais aussi à partir du contexte familial, scolaire et socio-économiques dans lequel s’inscrit ce comportement. Il existe en effet certains contextes qui sont susceptibles de générer des comportements émotionnels et relationnels considérés comme impulsifs (excessifs ou inappropriés), mais qui en fait constituent une réaction compréhensible d’un enfant ou d’un adolescent confronté à une situation qu’il considère comme inquiétante, injuste, agressive, etc. ou qu’il ne peut pas gérer du fait de difficultés familiales ou sociales affectant ses ressources psychologiques.
20Quoi qu’il en soit, la conception de l’autorégulation et de ses difficultés que nous avons présentée se doit d’être encore précisée sur de nombreux plans. En particulier, le questionnaire UPPS lui-même devrait être amélioré, par exemple en intégrant des questions relatives à l’urgence positive. Il conviendrait également d’évaluer de façon plus générale la sensibilité aux renforcements et aux punitions plutôt que de se centrer sur la recherche de sensations. Il s’agit également de clarifier les relations qu’entretiennent entre elles les facettes de l’impulsivité : même s’il s’agit de composantes distinctes, elles sont néanmoins en partie liées (voir Van der Linden et al., 2006), reflétant ainsi ce que Miyake et al. (2000) ont appelé « l’unité dans la diversité » des fonctions exécutives. Enfin, les mécanismes impliqués dans chacune de ces facettes se doivent d’être précisés. Ainsi, par exemple, la facette de manque de préméditation pourrait être associée à des processus de prise de décision qui diffèrent selon leur composante plus ou moins stratégique ou intuitive. De même, plusieurs mécanismes sont vraisemblablement impliqués dans la facette d’urgence et outre les capacités d’inhibition d’une réponse dominante, on peut faire l’hypothèse qu’interviennent également des mécanismes « précipitants » (tels que la réactivité émotionnelle) ainsi que des biais d’évaluation (« appraisal ») de la situation. Enfin, l’exploitation de cette approche de l’autorégulation chez l’enfant nécessitera d’adapter les outils d’évaluation à l’âge des enfants, mais aussi de prendre en compte les aspects développementaux des processus en jeu dans les différentes facettes de l’impulsivité (comme par exemple le développement des capacités d’inhibition dans leurs liens avec l’émotion).
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Mots-clés éditeurs : impulsivite, motivation, fonctions executives, adolescence
Date de mise en ligne : 02/04/2013
https://doi.org/10.3917/devel.002.0027