Couverture de INKA_102

Article de revue

Patients, proches, soignants : peur de souffrir, peur de voir souffrir

Déposer pour dépasser

Pages 52 à 53

English version

1Comment autoriser cette parole et qu’en faire au delà de notre propre peur qui parfois voudrait étouffer, taire les plaintes de l’autre ?

2La priorité est donnée à la prise en charge de la douleur, légitimement. En effet, comment imaginer une disponibilité du patient alors qu’il est envahi par la douleur ? Certes, si l’on est de plus en plus capable de soulager la douleur physique adéquatement, je n’en dirais pas autant de la souffrance psychique. Au mieux, le psychologue est prié d’intervenir pour permettre au patient de déposer ses angoisses, mais rapidement et en silence si possible, et au pire, on les rendra mutiques grâce au Tout-Puissant anxiolytique et sa cohorte de disciples.

3La mort fait souffrance. La mort fait violence. Elle est une violence psychique.

4Confronté à la maladie grave, à l’idée d’une mort prochaine, le patient est en proie à une multitude de peurs : la peur de souffrir, d’avoir mal physiquement, la peur de laisser les siens, la peur d’être abandonné ou d’abandonner, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur d’être oublié… Se savoir mortel n’implique pas en être conscient en permanence. Effectivement, comme le disait Freud, il y a quelque chose d’inconscient au fond de soi qui se croit immortel, ignore qu’il va mourir.

5La maladie, le diagnostic, les traitements, les nombreuses pertes confrontent le patient à cette idée qu’il a tenté de refouler toute sa vie. Difficile de maintenir cette idée à distance quand tout le ramène à cela : les mouvements conscients et inconscients qui l’animent, tout comme les signes extérieurs de maladie grave, les soins, la chambre seule, les visites feutrées, mal à l’aise, les regards parfois fuyants des proches comme des soignants, mais aussi les mêmes qui souhaitent absolument aborder la question de la fin de vie.

6Face à cet ultime remaniement psychique que représente l’approche de la mort, le patient a tous les droits. Il ne dispose plus que d’une seule liberté, c’est celle d’utiliser sa tête avec laquelle il a le droit de faire ce qu’il veut (Ruzniewski).

7Il a le droit de mettre en place tous les mécanismes de défense qui lui seront salvateurs : déni, dénégation, rébellion, annulation, isolation, déplacement, maîtrise, régression, projection agressive, combativité/sublimation, résignation, acceptation philosophique,…

8Ces mécanismes lui permettront peut-être de commencer à concevoir l’inconcevable, penser l’impensable, dire l’indicible, accepter l’inacceptable.

9Parce que c’est son ultime liberté, parce qu’il s’agit pour le patient de survivre au cataclysme psychique que représente cette idée de mort, il est impératif de respecter ces mécanismes mis en place.

10Ils permettent au malade et à ses proches de ne pas avoir la mort devant les yeux en permanence mais de vivre avec la maladie grave.

11Dès l’annonce du diagnostic jusqu’à la fin de vie, le patient a besoin d’un dialogue loyal, intègre et responsable avec ses différents interlocuteurs.

12Accompagner le patient c’est être avec, il ne s’agit pas d’être devant, animé par le désir de le voir absolument aborder la question de la mort, il ne s’agit pas d’être derrière, mû par une volonté de protection et tentant de le maintenir à distance d’une réalité vécue comme beaucoup trop violente. Il s’agirait alors de rentrer dans une chambre avec chaque fois une candeur, naïveté, fraîcheur, qui n’enfermerait pas le soignant dans une obligation de résultat : se laisser conduire là où le patient veut bien l’emmener et ne pas poursuivre la validation d’objectifs prédéfinis. Il ne s’agit pas de faire « comme si rien n’était grave », bien au contraire, mais d’être suffisamment disponible pour permettre au patient de déposer son angoisse, ou simplement de parler du temps qu’il fait dehors. Il n’est pas toujours nécessaire d’aborder la mort. Le silence n’est pas une fuite.

13Le patient a surtout besoin qu’on l’aide à donner du sens à cet ultime temps de vie. Il est habité par une grande ambivalence, entre le désir que ce temps soit le plus court possible, et celui de se maintenir en vie le plus longtemps possible. Il pourra effectuer à ce moment là une relecture de sa vie avec les réémergence d’anciens conflits non résolus.

14Si le malade sent qu’en déposant cette parole, il angoisse le soignant ou un proche, que l’autre n’aura qu’une parole de fausse réassurance, il aura peur. Si au contraire, il se sent confirmé dans ce qu’il dit, il aura aussi très peur. Personne n’a vraiment envie de s’entendre dire qu’il va bientôt mourir. Mais il se sentira entendu et reconnu dans ce qu’il vit. Il a besoin de quelqu’un qui veut bien être dépositaire de sa parole. Le soulagement du malade provient de la capacité de celui qui écoute à en être dépositaire sans rien en faire.

15Certes, le psychologue semble être l’interlocuteur privilégié, mais il n’est pas le seul pour peu que celui qui reçoit cette parole ait pu travailler l’impuissance, le désarroi, et le sentiment d’échec auxquels ces rencontres nous confrontent.
Le malade peut voir son angoisse alimentée par le fait même de se voir proposer un psychologue, surtout si ce dernier n’est pas présenté correctement. Face à l’indicible, le psychologue n’a pas de recette, il est là pour permettre à chacun de mettre en mots ses souffrances. Il serait illusoire de croire qu’il pourrait les faire disparaître. Par contre, il peut mettre à son service sa capacité de « rêverie maternelle » (Bion), lui offrir un espace d’élaboration psychique où tout peut être dit, tout peut être tu.


Date de mise en ligne : 12/04/2010

https://doi.org/10.3917/inka.102.0052

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions