Couverture de INKA_124

Article de revue

Intérêt du bloc iliofascial (BIF) en soins palliatifs

Pages 141 à 144

Cas clinique

1M. H., 74 ans, est hospitalisé en service de soins palliatifs pour un cancer de la prostate associé à des métastases rachidiennes multiples. Il en à des métastases rachidiennes multiples. Il en découle des douleurs neuropathiques affectant le nerf fémoral gauche, évaluées à 8-9/10 sur l’échelle visuelle analogique (EVA) malgré un traitement oral d’oxycodone à libération prolongée (Oxycontin LP ®), d’oxycodone d’action rapide (Oxynorm®) à la demande, de prégabaline (Lyrica®), d’amytriptiline (Laroxyl®), de clonazepam (Rivotril), de citalopram (Seropram®) et, en intraveineux continu, de midazolam (Hypnovel ®). Outre sa mauvaise efficacité sur la douleur, cette association engendre des effets secondaires gênants pour le patient, notamment un état confusionnel aigu hyperactif. Il est alors décidé de réaliser un bloc iliofascial (BIF) antalgique, bloc analgésique réalisé par un médecin anesthésiste réanimateur. Dans un premier temps, une injection test de 30 ml de lévobupivacaïne 0,25% (Chirocaine®) est effectuée au lit du malade après anesthésie locale. Une fois l’efficacité avérée (EVA : 2-3/10), un cathéter tunnélisé est mis en place dans des conditions d’asepsie chirurgicale. Il y est injecté de façon systématique 15 ml de lévobupivacaïne 0,25% toutes les huit heures. On observe un net soulagement de la douleur, notamment lors des mobilisations. Une adaptation du traitement est opérée pour mettre fin aux effets secondaires médicamenteux : le midazolam et le clonazépam sont interrompus, les dosages de l’oxycodone LP et de l’amytriptiline diminués. Le traitement de prégabaline et de citalopram reste inchangé. Le malade retrouve progressivement toute sa lucidité. Le malade est de retour à domicile deux semaines après la mise en place du BIF. L’administration de la lévobupivacaïne est alors réalisée par un diffuseur élastomère. Il s’agit d’un dispositif léger et discret, permettant une injection en continu, et ne nécessitant pas de source d’énergie. Un mois après son retour à domicile, M. H. est réhospitalisé pour un syndrome infectieux. Deux foyers sont mis en évidence, la chambre implantable destinée à la chimiothérapie et une infection des voies urinaires. Par contre, le cathéter ilio-fascial ne présente aucun signe de surinfection. Une fois le syndrome infectieux maîtrisé par antibiothérapie, le patient retourne une nouvelle fois à domicile. Une vingtaine de jours plus tard, il est à nouveau hospitalisé dans un état comateux. Il décède 24 heures plus tard. L’utilisation du BIF a permis de le soulager pendant 84 jours, en grande partie à son domicile.

Discussion

Technique du BIF [1-3]

2Le BIF permet une analgésie d’une partie du territoire du plexus lombaire comprenant le nerf fémoral et le nerf cutané latéral de la cuisse. Il est habituellement réalisé chez l’adulte dans un but d’analgésie postopératoire de la chirurgie du genou et de la hanche et dans l’analgésie préopératoire des fractures de l’extrémité supérieure du fémur. Dans le cadre des soins palliatifs, le BIF est mis en œuvre dans les cruralgies néoplasiques non soulagées par les traitements médicamenteux. L’espace de diffusion de la solution anesthésique locale est situé en arrière du fascia iliaca et en avant du muscle ilio-psoas. Les contre-indications de cette technique sont les affections cutanées au point de ponction et du pli inguinal et les troubles de l’hémostase.

3Pour sa réalisation, le patient est en décubitus dorsal. Une abduction limitée d’une dizaine de degrés, associée à une rotation externe de la jambe, permet de dégager le pli inguinal. Les repères sont l’épine iliaque antéro-supérieure et l’épine pubienne homolatérale qui sont reliées entre elles par le ligament inguinal, ainsi que le paquet vasculo-nerveux fémoral. Le point de ponction est situé 3 cm en dessous du tiers latéral du ligament inguinal, ce qui correspond également à une distance de 3-4 cm à l’extérieur de l’artère fémorale et au bord interne du muscle satorius (couturier). La ponction test peut être réalisée après anesthésie locale par patch de lidocaïne-prilocaïne (Emla®). Une asepsie rigoureuse est recommandée. L’introduction d’une aiguille à biseau court (par exemple, Braun Plexufix® aiguille 24 G, 50 mm, Ref. 4891562) est effectuée perpendiculairement à la peau. Une fois la barrière cutanée franchie, les deux ressauts ressentis au passage du fascia lata et du fascia iliaca permettent de juger de la bonne localisation de l’aiguille. Cette distance est habituellement comprise chez l’adulte entre 20 et 40 mm depuis le plan cutané. Une injection test de 30 à 40 ml de lévobupivacaïne à 0,25% ou tout autre AL d’action prolongée (exemple : ropivacaïne) est effectuée.

4Après évaluation de l’efficacité du bloc, en général le lendemain, une deuxième ponction sur le même point d’entrée est réalisée. Une aiguille à biseau court de plus grand diamètre est utilisée avec une inclinaison céphalique à 45° pour permettre la mise en place du cathéter (exemple : kit Pajunk Perilong Set 18G, 51 mm, Ref. 121151-600). Lorsque l’espérance de vie est prolongée, une tunnélisation de 5 cm en direction latéro-distale du cathéter est souhaitable pour limiter le risque infectieux (figure 1). L’utilisation d’un filtre bactérien à l’extrémité du cathéter est également indiquée pour limiter ces risques. Celui-ci devra ensuite être changé tous les sept jours.

Figure 1

Tunnélisation du cathéter

Figure 1

Tunnélisation du cathéter

5Divers moyens d’administration de la lévobupivacaïne peuvent être raccordés au cathéter, bolus toutes les six à huit heures ou injection continue à l’aide d’un pousse-seringue électrique ou par diffuseur élastomère (solution à préférer pour les patients à domicile). La réalisation du BIF ne nécessite pas l’utilisation d’un neurostimulateur, ou d’un échographe, pour localiser précisément le point d’injection en raison de l’absence d’éléments vasculo-nerveux dans cette zone et à la localisation aisée des repères anatomiques. Les éléments de précaution et de surveillance sont les règles d’asepsie lors des injections, la surveillance de l’apparition éventuelle de signes inflammatoires sur le trajet du cathéter (l’utilisation de pansements transparents facilite le contrôle), l’aspiration avant les injections pour s’assurer de l’absence de reflux sanguin, le changement du filtre bactérien tous les sept jours.

Notre expérience du BIF

6L’efficacité des analgésies locorégionales, et en particulier du BIF, sur les douleurs cancéreuses en soins palliatifs a été étudiée durant quatre années consécutives au CHU Dupuytren de Limoges. Quatorze malades ont bénéficié de 25 BIF réalisés selon la technique du « double-clic » : Injection test, puis cathéter si l’injection test est efficace. BIF en injection unique si amélioration prolongée de la symptomatologie douloureuse ou aggravation rapide de l’état du patient.

7Dix cathéters ont été mis en place dont huit cathéters tunnélisés. Ces 25 BIF ont été réalisés en cas de cruralgies d’origine néoplasique en majorité urogénitale (tableau 1). L’efficacité antalgique, évaluée par EVA, est satisfaisante avec plus de 75% d’efficacité, et seulement 8% d’échec. Les résultats considérés comme mitigés correspondent à quatre situations différentes : une dégradation de l’état général du patient très rapide, un arrachement du cathéter par un patient, une souffrance morale intense effaçant le bénéfice sur la douleur et le réveil d’une douleur d’une autre topographie. La durée d’utilisation des cathéters a été en moyenne de 39 jours (7-84). Cinq retours à domicile ont été possibles avec cathéter. Les événements indésirables sont un arrachement accidentel du cathéter et une ablation en raison de signes inflammatoires, soit 8% de l’ensemble des BIF (les BIF test ou non suivis de cathéters, n’ont donné lieu à aucune complication) [4].

Tableau 1

Etiologies des cruralgies

Tableau 1
Etiologies Nombre de malades Cancer urogénital + métastases osseuses 5 Cancer pulmonaire + métastases osseuses 3 Cancer du sein 2 Autres néoplasies (rectale, ORL…) 4

Etiologies des cruralgies

8Le BIF est donc une technique de choix pour soulager les cruralgies d’origine néoplasiques en soins palliatifs. Ce procédé a été appliqué par un médecin-anesthésiste réanimateur (MAR) dans notre service. Cependant, il est simple techniquement et on note une absence de complication grave car le site d’injection est distant du paquet vasculo-nerveux fémoral. C’est pourquoi on peut se demander s’il est licite de confier la réalisation du BIF à un praticien non MAR, pour autant que celui-ci soit adéquatement formé. L’expérience des urgentistes est, de ce point de vue, très intéressante.

L’expérience des urgentistes

9Le BIF est couramment utilisé en médecine préhospitalière (services mobiles d’urgence et de réanimation) pour l’analgésie des fractures fémorales [5]. Les praticiens urgentistes réalisent cette technique après un apprentissage simple et rapide auprès des MAR. Dans le cadre de l’urgence, le BIF est préféré au blocage sélectif du nerf fémoral car ce dernier nécessite l’utilisation d’un neurostimulateur, voire d’un échographe. Cette technique est donc plus difficile à réaliser et son taux de réussite est moindre en préhospitalier. De plus, les contractions musculaires quadricipitales entraînées par la neurostimulation sont douloureuses chez les patients victimes de fractures du fémur.

10Le taux de succès du BIF chez des médecins du SMUR, toutes spécialités confondues, est de 94% sur une série de 52 patients. Aucune complication n’a été déplorée. Cette étude révèle que le BIF est une technique simple, efficace et sans risque qui peut être déléguée à des praticiens non spécialistes en anesthésie-réanimation, notamment à des médecins généralistes. Notre expérience confirme cette constatation puisque les BIF commencent à être confiés avec succès aux internes en stage en Unité de soins palliatifs après formation par un MAR.

Conclusion

11Le bloc ilio-fascial est une technique d’analgésie locorégionale simple, efficace et sûre qui donne d’excellents résultats dans le traitement des cruralgies d’origine néoplasique, rebelles aux thérapeutiques médicamenteuses habituelles, chez les malades en soins palliatifs (tableau 2). A l’image de son utilisation en médecine préhospitalière, sa réalisation nous semble pouvoir être déléguée, après une formation par des MAR, à tous les médecins prenant en charge des malades en soins palliatifs.

Tableau 2

Efficacité des BIF

Tableau 2
Résultats Nombre Pourcentage de malades Efficace 19 76% Echec 2 8% Mitigé 4 16%

Efficacité des BIF

Bibliographie

  • 1
    Bloc ilio-fascial et bloc « 3 en 1 ». In : Gaertner E, Choquet O, Macaire P, Zetlaoui PJ. Anesthésie régionale, Anesthésie tronculaire et plexique de l’adulte. Paris :, Arnette, 2001 ;145-150.
  • 2
    Bloc ilio-fascial. In : Protocoles MAPAR 2007, Département d’anesthésie réanimation de Bicêtre. Paris : MAPAR édition, 2007 ;383.
  • 3
    Fuzier R, Fourcade O. Cathéters nerveux périphériques. Ann Fr Anesth Reanim 2006 ;25 :84-88.
  • 4
    Grouille D, Sardin B, Terrier G. Analgésies locoégionales en soins palliatifs : bilan de quatre années d’utilisation. Ann Fr Anesth Reanim 2012 ; sous presse.
  • 5
    Gozlam C, Minville V, Asehnoune K, Raynal P, Zetlaoui P, Benhamou D. Bloc iliofascial en médecine préhospitalière pour les fractures du fémur. Ann Fr Anesth Reanim 2005 ;24 :617-620.

Date de mise en ligne : 06/02/2013

https://doi.org/10.3917/inka.124.0141

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