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Citation de Paracelse, médecin suisse du XVIe siècle. La citation complète est : « Alle Dinge sind Gift, und nichts ist ohne Gift ; allein die Dosis macht, daβ ein Ding kein Gift ist », ce que l’on peut traduire librement par : « Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison ».
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Clinckemaillie M, Scanff A, Naudet F, Barbaroux A. Sunshine on KOLs: assessment of the nature, extent and evolution of financial ties between the leaders of professional medical associations and the pharmaceutical industry in France from 2014 to 2019: a retrospective study. BMJ Open 2022 ; 12: e051042.
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Procureur A, Lesueur P. Loi « Ma santé 2022 » : pourquoi la formation des internes risque d’être sacrifiée ? Innov Ther Oncol 2019 ; 5 : 293-4. Doi : 10.1684/ito.2019.0191
1 Je me suis posé la question de savoir si les « cadeaux » de l’industrie pharmaceutique étaient empoisonnés, comme on pourrait le croire dans cette citation qui me sert de titre, gift ayant le sens de cadeau en anglais et de poison en allemand… Un excellent article vient de paraître sur les liens entre les médecins et l’industrie pharmaceutique [1]. Ce sont tout particulièrement les influenceurs, que l’on appelle pudiquement des KOL (Key Opinion Leaders), qui font l’objet de l’enquête menée par Adriaan Barbaroux et ses collègues des universités de la Côte d’Azur et de Rennes. C’est un travail rigoureux reposant sur des données disponibles, une étude scientifique reposant sur des faits, pas une enquête d’opinion sous couvert de l’anonymat comme les aiment les journalistes. Hervé Maisonneuve, avant moi, a souligné dans son blog [2] l’intérêt de ce travail pour la communauté médicale tout entière.
2 Les auteurs ont d’abord identifié les KOL comme étant les membres du bureau (board) de « sociétés médicales professionnelles » ayant publié des recommandations (guidelines) en 2018 et 2019. Ils sont parvenus au nombre de 548, soit 0,24 % des médecins exerçant en France. Ils ont ensuite épluché la base de données publique Transparence - Santé [3], en distinguant ce qui relève des « cadeaux », des « accords contractuels » et des « rémunérations », après avoir donné une définition précise de ces termes, que je ne recopie pas mais que je vous invite à lire si vous avez des questions.
3 Sur la période 2014-2019, les « cadeaux » ont représenté au total 818 millions d’euros et les KOL ont reçu 1,5 % de cette distribution, soit l’équivalent de 3 700 euros par an. La majeure partie est représentée par la participation des médecins aux congrès scientifiques, avec transport, logement et repas. Les « accords contractuels » ont représenté, sur la période 2017-2019, un total de 125 millions d’euros, les KOL recevant 2,5 % de ce montant ; quant aux « rémunérations », elles ont représenté, sur cette même période de trois ans, une valeur totale de 156 millions d’euros, les KOL ayant reçu environ 4 fois plus que les médecins « ordinaires », soit 4 à 4,8 % de la masse totale. Ces chiffres sont à comparer avec les données issues d’une étude réalisée aux États-Unis : les KOL y reçoivent environ 10 fois plus per capita en montant total, et 83 fois plus en valeur médiane… Les auteurs avancent quelques explications pour cette distorsion importante ; je ne les tiens pas toutes pour vraisemblables.
4 Il est bien évident qu’il existe des liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins prescripteurs, en particulier ceux qui guident les choix de leurs collègues. Il peut en résulter des biais importants dans l’élaboration des recommandations ; il en résulte également une perte de confiance. Mais les auteurs soulignent aussi que ces liens d’intérêts peuvent être instrumentalisés pour discréditer toute expertise… Personnellement, je trouve que cette étude ne met pas en évidence des excès insoutenables. Il en existe certainement, mais ils sont dilués dans la masse. Sans doute gagnerions-nous tous à mieux déclarer ce qu’il nous arrive de « percevoir » de l’industrie. Les « cadeaux » sont pour l’essentiel des participations à des congrès : inscription, transport, logement, repas. Bien sûr, les médecins pourraient (devraient ?) payer de leur poche ces participations : je crains qu’alors ils ne se déplacent plus et ne se forment et s’informent que via Internet, au grand dam des organisateurs de congrès, souvent des sociétés savantes, ayant besoin de ces inscriptions pour vivre et pour remplir leur mission de formation, information et expertise.
5 Quant aux « accords contractuels » et aux « rémunérations », ils correspondent (ou ne devraient correspondre qu’)à la rétribution d’un travail effectif : conférence, préparation d’un PowerPoint, animation d’une table ronde, etc. Il ne s’agit, pas plus que les « cadeaux » d’ailleurs, d’une manne providentielle récompensant les gentils influenceurs qui font vendre les médocs. Je n’ai pas tenu le compte des multiples cours, conférences, sessions de formation que j’ai donnés ou auxquels j’ai participé, soit à destination de confrères praticiens, soit à destination de confrères de l’industrie pharmaceutique, qui ont tout autant que les autres besoin d’être formés et informés. D’une part, on ne m’a jamais tenu la main pour la rédaction de mes topos ou le design de mes diapositives ; d’autre part, j’ai reçu, de-ci, delà, des « rémunérations », j’ai signé des « accords contractuels » qui impliquaient le remboursement de mes frais de déplacement, mais je n’ai pas l’impression d’avoir reçu des « cadeaux » autres que des stylos ou des blocs-notes. Et je reste convaincu qu’en dehors de quelques exagérations flagrantes et scandaleuses, qui n’ont d’ailleurs plus cours, il en est de même pour l’immense majorité de mes collègues et confrères.
6 On fait souvent la comparaison des liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins avec ceux qui existent entre l’industrie aéronautique et les pilotes : ces derniers reçoivent une formation indispensable à l’exercice de leur métier quand un nouveau modèle d’avion (ou que simplement une nouvelle manette est ajoutée dans le cockpit) ; leur déplacement, leur logement, leurs repas sont pris en charge par le constructeur… et c’est bien normal ! La formation est la clé des progrès, tant de l’aviation que de la médecine, et un équilibre est à trouver pour son financement. Sur le plan strict des profits, l’industrie pharmaceutique est gagnante lorsqu’elle n’est plus sollicitée pour abonder aux frais de cette formation ; mais alors, que les pouvoirs publics trouvent une solution financière pour que les médecins, et surtout les plus jeunes, puissent participer à des congrès, y compris internationaux, et à des sessions de formation au niveau national. Il n’existe pas de budget pour cela dans les universités, et celui des hôpitaux ne brille pas par son montant…
7 Deux internes, Adrien Procureur et Paul Lesueur, membres de notre comité de rédaction, avaient voici trois ans publié un excellent éditorial [4] sur la loi du 24 juillet 2019 dite « Ma Santé 2022 », qui introduisait une interdiction absolue « de tout financement d’hospitalité à l’intention des étudiants en formation initiale, soit les étudiants en 1er, 2eet 3ecycles. De même, les sociétés savantes, les conseils nationaux professionnels et les associations d’internes qui recevraient un soutien de l’industrie ne pourront plus le destiner au paiement des frais d’hospitalité destinés aux étudiants en formation initiale ». On notera au passage que le nom de la loi est ridicule et que le terme « hospitalité » y est dévoyé dans une acception difficilement… acceptable. Cette outrance de la loi apporte un frein considérable à la formation des internes, qui doivent payer de leurs (maigres) deniers transport et logement dès qu’ils participent à une formation nationale. Les internes parisiens n’ont pas ce genre de problème et cela introduit en plus une inégalité de fait entre internes provinciaux et parisiens…
8 D’un excès à l’autre, pourra-t-on trouver un jour une voie raisonnable ?
Financement : aucun.
Liens d’intérêts : le nom de l’auteur apparaît dans la base de données publique Transparence - Santé, car il a en particulier assuré gracieusement des formations au Maghreb dont l’organisation matérielle était prise en charge par la société Medical Axes (transport, logement et repas).
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Citation de Paracelse, médecin suisse du XVIe siècle. La citation complète est : « Alle Dinge sind Gift, und nichts ist ohne Gift ; allein die Dosis macht, daβ ein Ding kein Gift ist », ce que l’on peut traduire librement par : « Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison ».
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Clinckemaillie M, Scanff A, Naudet F, Barbaroux A. Sunshine on KOLs: assessment of the nature, extent and evolution of financial ties between the leaders of professional medical associations and the pharmaceutical industry in France from 2014 to 2019: a retrospective study. BMJ Open 2022 ; 12: e051042.
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Procureur A, Lesueur P. Loi « Ma santé 2022 » : pourquoi la formation des internes risque d’être sacrifiée ? Innov Ther Oncol 2019 ; 5 : 293-4. Doi : 10.1684/ito.2019.0191