Couverture de INPSY_8304

Article de revue

Pour un meilleur contrôle de la disponibilité des armes à feu en France

Pages 265 à 268

Notes

1L’émotion est toujours vive lorsque, régulièrement, les médias se font l’écho de drames le plus souvent intrafamiliaux et qui mettent en cause la présence d’une arme à feu au domicile même des victimes. Dans la Somme, c’est un enfant de 2 ans qui est décédé des suites d’une décharge de fusil de chasse manipulé par son frère, son aîné de 3 ans : « Mardi soir, en début de soirée, à Quend dans la Somme, deux frères, l’un âgé de 5 ans et demi, l’autre de 2 ans, regardent un dessin animé dans la chambre de leurs parents. Ces derniers ne s’imaginent pas que l’enfant le plus âgé va s’emparer d’un fusil de chasse, rangé dans une armoire non fermée à clé », poursuit La Voix du Nord dans son édition du 22 février 2007. « Le garçonnet manipule l’arme en direction de son petit frère et réussit à la charger. C’est alors qu’une détonation se fait entendre subitement dans toute la maison. Le petit garçon vient de tirer accidentellement sur son jeune frère qui a reçu la décharge en pleine tempe ».

2Ce drame ne nous semble pas sans lien avec l’ouverture du procès de Claude Duviau devant les Assises de la Dordogne le 5 mars dernier. Dans son édition en date du 10 mars 2007, Le Monde nous rappelle les faits : « Ce matin-là, comme à l’habitude, Claude Duviau rejoint son exploitation agricole aux alentours de 6 h 30. Comme à l’habitude, il a commencé par déposer son casse-croûte dans la maison de l’exploitation et son fusil, dont il ne se sépare plus depuis qu’il a été agressé verbalement par un ancien saisonnier. Il a avec lui une boîte de cartouches Brenneke, calibre 12, utilisées pour le tir à gros gibier : ‘J’en avais acheté en février 2004 au moment où j’avais décidé de mettre fin à mes jours, pour être certain de ne pas me rater’, explique-t-il ». Le 2 septembre, deux contrôleurs de l’Inspection du Travail lui annoncent qu’ils ont décelé des infractions à la législation du travail sur son exploitation et qu’ils vont dresser un procès-verbal. « Puis, il a un déclic : ‘J’ai ressenti une émotion très forte. J’ai voulu m’échapper. […] Je suis allé dans la chambre, j’ai pris le fusil, je suis sorti et je me vois leur tirer dessus’. Claude Duviau retourne alors dans l’habitation, recharge son fusil et se tire une balle dans le menton ».

3Il y a quelques mois une mère de famille de la quarantaine, peu de temps après le départ de son compagnon, se saisit de l’arme de la famille, la charge et tire sur deux de ses enfants, donnant la mort à l’une et blessant grièvement l’autre avant d’abattre les animaux familiers et de se donner la mort par pendaison.

4Ces trois faits divers n’occupent pas le devant de la scène de l’actualité, et pour cause ! Ces trois tristes histoires de vie illustrent pourtant le rôle tout à fait déterminant de la disponibilité des armes à feu dans la survenue de tels drames. La première histoire, tout d’abord, relate la mort accidentelle d’un jeune enfant, tué par son frère, d’un coup de fusil. Le journaliste ne se trompe pas lorsqu’il précise dans son article que l’arme à feu était tout à fait accessible puisque rangée dans la chambre à coucher des parents « dans une armoire non fermée à clé ». La deuxième histoire, enfin, montre encore le rôle de la disponibilité du fusil de chasse dans la survenue d’un double homicide commis par un sujet qui avait précisément fait l’acquisition d’une arme à feu dans le but de se supprimer 2 ans auparavant. Dans les suites de l’homicide, il avait d’ailleurs tenté de se suicider avec la même arme. Le meurtre suicide va dans le même sens.

5Dans un travail publié dans Forensic, Anne-Sophie Chocard et Fabien Juan [4] reprenaient un travail de recherche pour le mémoire du DIU de psychiatrie criminelle des universités de Poitiers, Angers et Tours en 2002 en rapportant 12 observations issues d’expertises d’homicides-tentatives de suicide [5]. Dans leur série, les auteurs sont pour 91 % des femmes (il s’agit là d’homicides-tentatives de suicide et non pas d’homicides-suicides), jeunes pour la plupart (entre 25 et 54 ans). Dans tous les cas, ce sont des crimes intrafamiliaux et, dans 83 % des dossiers, les victimes sont les enfants de la mère criminelle. Dans un dossier sur trois, il est retrouvé plus d’une victime. Les moyens de l’homicide sont la noyade et, en toute deuxième position, l’arme à feu, les médicaments puis la phlébotomie, la strangulation ou les coups de masse. Le drame se passe toujours au domicile familial, le plus souvent dans la même journée. Pour Anne-Sophie Chocard, des antécédents psychiatriques à type de dépression sont retrouvés dans 75 %des cas, avec antécédents de tentatives de suicide dans 3 observations sur 12. Des difficultés conjugales, des conflits familiaux ou des problèmes financiers sont constatés dans 9 dossiers sur 12. Les diagnostics évoqués à la reprise des dossiers sont un accès mélancolique pour 5 dossiers sur 12, des troubles anxiodépressifs pour 6 dossiers. Dans sa revue de littérature, toutes les études américaines et la majorité des études européennes retrouvent que l’arme à feu est la méthode la plus utilisée comme moyen d’homicide ; c’est également la méthode la plus employée pour le suicide de l’auteur du drame. Aux États-Unis, l’arme à feu est plus utilisée dans le cadre des actes homicide-suicide, ainsi que dans les homicides de conjoints seuls [6].

6Du côté de la littérature, en dépit de l’absence d’études françaises sur le sujet, de nombreux travaux, en particulier nord-américains, canadiens et australiens, mettent en évidence une corrélation positive entre la disponibilité des armes à feu, c’est-à-dire le plus souvent la présence d’une arme à feu au domicile, et le risque de suicide au moyen de cette arme à feu [1]. De même, d’autres études retrouvent cette corrélation positive entre l’accessibilité du moyen et le risque d’homicide et de décès accidentel lié à une arme à feu. Si, aux États-Unis, la prévalence des armes à feu est estimée à 200 millions, c’est-à-dire au moins 2 armes à feu par foyer, la prévalence des armes à feu en France reste mal chiffrée en raison du faible nombre d’armes à déclaration obligatoire. En effet, alors qu’outre-Atlantique la majorité des armes à feu détenues sont représentées par des armes de poing, en Europe en général et en France en particulier, ce sont majoritairement des fusils de chasse. Dans les conduites suicidaires, l’arme à feu représente en France le second mode de suicide tous sexes confondus. Elle est également reconnue comme le moyen le plus létal potentiellement avec plus de 92 % de décès, suivie de près par la précipitation sur la voie ferrée et la pendaison.

7La réduction de la disponibilité du moyen arme à feu en France apparaît donc comme une priorité et constitue assurément un moyen de prévention primaire reconnu comme efficace, non seulement contre les conduites suicidaires, mais également contre les risques d’homicide et de décès accidentel lié à une arme à feu. Des études récentes ont d’ailleurs montré le rôle préventif joué par certaines législations en matière de détention et d’acquisition des armes à feu sur le taux de suicide, notamment au Canada et au Royaume-Uni. Dans ces deux pays, les taux de suicide et d’homicide au moyen d’une arme à feu ont considérablement diminué après la mise en place d’une réglementation plus stricte par rapport à l’acquisition et à la détention des armes à feu [2].

8En France, après l’échec du projet de loi Bruno Le Roux (1995) visant à interdire purement et simplement toute détention d’arme à feu, échec en partie lié à la politisation du débat et à la forte influence des associations de chasseurs, une nouvelle réglementation impose l’intervention du psychiatre, sous la forme d’un certificat de non-contre-indication, qui serait réservée aux patients ayant des antécédents psychiatriques ou de suivi par un psychiatre. En effet, des modifications ont été apportées par l’intermédiaire de lois qui ne concernent pas spécifiquement les armes à feu. Le titre II de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a renforcé la limitation de l’accès aux armes à feu, en distinguant notamment un régime d’autorisation et un régime de déclaration (Bulletin Officiel n° 2003-36). L’article 82 de la loi, repris dans l’article L.2336-3 du code de la défense, prévoit que « toute personne sollicitant la délivrance d’une autorisation d’acquisition ou de détention de matériels, d’armes ou de munition des 1re et 4e catégories, ou faisant une déclaration de détention d’armes des 5e et 7e catégories, doit produire un certificat médical attestant que son état de santé physique et psychique n’est pas incompatible avec la détention de ces matériels, armes ou munitions. Dans le cas où la personne suit ou a suivi un traitement dans un service ou un secteur psychiatrique, l’autorité administrative lui demande de produire également un certificat délivré par un médecin psychiatre ». L’article 83 de la loi dispose en outre que « le préfet peut, pour des raisons d’ordre public ou de sécurité des personnes, ordonner à tout détenteur d’une arme soumise au régime de l’autorisation ou de déclaration de s’en dessaisir ». Auparavant, l’article 6 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, prévoyait que les armes, les munitions et leurs éléments des 5e et 7e catégories devaient être conservés hors d’état de fonctionner immédiatement (Bulletin Officiel n° 2003-36) [2]. L’article 47 du décret 95-589 du 6 mai 1995, modifié par le décret du 23 novembre 2005, prévoit que : « toute personne physique en possession d’une arme ou d’un élément d’armes du II de la 5e catégorie ou du I de la 7e catégorie, trouvé par elle ou qui lui est dévolu par voie successorale, ou qu’il acquiert à l’étranger, fait sans délai une déclaration, sur l’imprimé conforme au modèle fixé par l’arrêté prévu à l’article 121, au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie du lieu de domicile. Cette déclaration est accompagnée d’une copie d’un permis de chasser délivré en France ou à l’étranger, ou de toute autre pièce tenant lieu de permis de chasser étranger, revêtu de la validation de l’année en cours de l’année précédente où, dans les conditions du 4e du II de l’article 39, d’une licence d’une fédération sportive ayant reçu au titre de l’article 17 de la loi du 16 juillet 1984, délégation du ministre chargé des sports pour la pratique du tir. À défaut de l’un de ces titres, elle est accompagnée d’un certificat médical datant de moins de 15 jours et attestant que l’état de santé physique et psychique du déclarant n’est pas incompatible avec la détention de ces armes et éléments d’armes. La déclaration accompagnée de l’un de ces titres ou du certificat médical placé sous pli fermé est transmise par le commissariat de police ou la brigade de gendarmerie au préfet du département du domicile du déclarant ».

9D’autres mesures nous semblent pourtant également indispensables si les médecins psychiatres souhaitent s’engager dans une politique forte de prévention des décès liés aux armes à feu. Les recommandations impliqueraient non seulement de nouvelles mesures législatives plus strictes, notamment en ce qui concerne la transmission générationnelle des armes, transmission dont nous savons quelle importance souvent symbolique elle peut représenter, les patients suicidants employant l’arme à feu d’origine familiale paternelle ou grand-parentale ayant été fréquemment retrouvés [3], mais également des mesures « simples » en ce qui concerne par exemple le stockage des armes à feu à domicile. Nous recommandons, à la lecture des travaux publiés au niveau international, un stockage de l’arme vide séparé des munitions et non continuellement chargée, ou encore l’obligation d’un stockage dans un coffre-fort, ou encore l’obligation que l’arme à feu soit stockée démontée, les différentes pièces devant être placées à des endroits bien différenciés dans le lieu d’habitation. Le rôle du psychiatre nous apparaît prépondérant, non seulement dans la formation des médecins non spécialistes sur l’importance de l’accessibilité du moyen arme à feu sur le risque de décès lié à une arme à feu, mais également sur la nécessité d’interroger les patients ou leur famille sur l’accessibilité éventuelle d’une arme, notamment lorsque le patient présente un état dépressif caractérisé ou des conduites d’alcoolisation récurrentes ou une dépendance à l’alcool.

10Ces questions se sont posées à l’occasion des débats sur le projet de loi Sarkozy de prévention de la délinquance. Le projet de loi prévoyait la création d’un fichier des hospitalisations d’office, comme si les antécédents d’hospitalisation d’office étaient les seuls significatifs pour identifier les personnes susceptibles d’être dangereuses si elles sont propriétaires d’une arme, cela en totale discordance avec les données de la littérature reprises ci-dessus. Il a été proposé par les professionnels une expertise psychiatrique préalable pour toute personne faisant une demande de port d’armes.

Références

  • 1
    Humeau M, et al. Disponibilité des armes à feu et risque suicidaire : revue de la littérature. Ann Med Psychol (Paris) 2007 ; (in press).
  • 2
    Humeau M, et al. Effets des réglementations en matière d’utilisation et de détention des armes à feu sur le taux de suicide. Médecine & Droit 2006 : 134-41.
  • 3
    Humeau M. Conduites suicidaires au moyen d’une arme à feu : approche clinique et thérapeutique dans le cadre de la psychiatrie de liaison. A propos de 161 cas hospitalisés au CHU de Poitiers entre 1992 et 2005 (Thèse). Poitiers : Faculté de Médecine, 2005.
  • 4
    Chocard AS, Uan F. Les meurtres-suicides, revue de la littérature. Forensic 2003 ; 13 : 27-32.
  • 5
    Chocard AS. Le meurtre suicide : aspects historiques, épidémiologiques et psychopathologiques, étude à partir de 12 cas. Mémoire pour le DIU de psychiatrie criminelle et médicolégale, universités de Poitiers, Angers et Tours, 2002.
  • 6
    Senon JL. Les homicides-suicides restent d’actualité et posent toujours le problème de leur prévention. Forensic 2003 ; 14.

Date de mise en ligne : 15/02/2014

https://doi.org/10.1684/ipe.2007.0197

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.169

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions