1Le concept de dangerosité est né au XIXe siècle, dans un contexte de défense sociale, de volonté de protection de la population contre le crime. Les aliénistes ont adhéré à cette volonté de défendre la société contre les individus dangereux et pour eux, la place occupée par la dangerosité s’est accrue après la loi de 1838 qui les a transformés, selon M. Foucault, en « fonctionnaires de l’hygiène publique (...) chargés de contrôler tout ce qui est désordre, ce qui est danger ». La psychiatrie porte alors un jugement sur les risques sociaux, la maîtrise du danger devant être assurée par l’exclusion de certaines catégories d’individus : les fous, les criminels.
2Si la psychiatrie du XXe siècle, avec les apports de la psychanalyse et des traitements médicamenteux, a permis de s’éloigner de la pensée « déterministe » et de penser à une possible amélioration des symptômes, à une diminution des troubles du comportement et à une réinsertion des individus atteints de troubles mentaux, la notion de dangerosité n’a pas pour autant disparu des débats.
3Un certain nombre de lois récentes va à nouveau dans un sens de défense sociale et de prédiction de la dangerosité, et vise à mettre à l’écart de la société, pour une durée plus ou moins déterminée, des individus présentant des risques élevés de récidive ou de comportements violents [33].
4Les psychiatres sont interpellés par la justice pour évaluer cette dangerosité et cela dans un nombre de circonstances de plus en plus important [23].
5Mais les psychiatres sont-ils habilités et ont-ils les connaissances requises pour une telle évaluation ?
6Disposent-ils d’outils pour évaluer la dangerosité psychiatrique ?
Dangerosité criminologique ou psychiatrique
7La dangerosité, même si ses définitions restent multiples, pourrait se caractériser comme une propension à commettre des actes d’une certaine gravité, dommageables pour autrui ou pour soi, fondés sur l’usage de la violence. Mais pour certains auteurs [29], ce concept est une construction sociale, qui se modifie selon les valeurs changeantes de la société. Initialement, l’évaluation de la dangerosité répondait aux principes du droit pénal classique : plus le nombre de crimes était important, plus la sentence était sévère. Après les années 1970, c’est le genre de crime qu’un individu pourrait commettre dans le futur plutôt que le nombre de crimes perpétrés antérieurement qui présente un intérêt dans la détermination de la dangerosité. Le Code pénal français va dans ce sens, en demandant aux psychiatres de déterminer la dangerosité et le risque de récidive des auteurs d’agressions sexuelles et dernièrement, des criminels condamnés à 15 ans de réclusion ou plus pour des infractions criminelles jugées comme inacceptables. L’évaluation de la dangerosité revient à pronostiquer un acte de réitération ou de récidive, à calculer un risque de récidive d’une infraction ou d’un acte violent.
8Mais l’amalgame existant entre « crime » et « folie », le fait qu’un crime horrible ne puisse être commis que par un fou et que la schizophrénie soit associée, dans l’imaginaire collectif, au sentiment de peur et de danger a entraîné la nécessité d’une distinction entre la dangerosité criminologique et la dangerosité psychiatrique.
9La dangerosité psychiatrique a été définie comme une manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale alors que la dangerosité criminologique est un phénomène psycho-social caractérisé par des indices révélateurs de la très grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens [6]. Pour Bénézech et Bourgeois [4], elle est la capacité d’un individu ou d’un groupe à présenter un risque de violence et de transgression, physique ou psychologique, ou encore comme une disposition, dans un contexte donné, à passer à l’acte d’une manière violente et transgressive.
10Si cette distinction est actuellement critiquée par un certain nombre d’auteurs, elle a néanmoins pour intérêt de rappeler que si les individus, atteints de troubles mentaux (psychoses, troubles de l’humeur), présentent une augmentation du risque de violence, ils ne sont que rarement à l’origine des actes criminels les plus graves.
11En effet, les études internationales ne retrouvent que 5 à 10 % d’individus atteints de troubles mentaux chez les auteurs d’homicides et les chiffres sont quasiment les mêmes chez les auteurs de violences sexuelles. Les individus présentant un trouble mental sévère seraient les auteurs de 5 % des infractions criminelles avec violence [13].
12De plus, si la littérature met en évidence une association entre maladie mentale et violence, il semble que cette violence soit d’origine multifactorielle et qu’un trouble mental seul n’en constituerait pas un facteur de risque. En absence d’abus d’alcool et de substance, les individus atteints de troubles mentaux auraient une probabilité de commettre un acte de violence identique à celle de la population générale [11, 42].
13Il conviendra donc, lors de l’évaluation du risque de comportement violent chez les personnes présentant une pathologie mentale, de s’intéresser aux différents types de facteurs qui ont montré leur implication dans l’augmentation du risque de passage à l’acte.
Les facteurs de risque de violence
14Les études sur les facteurs de risque de violence chez les individus présentant un trouble mental les ont divisés en facteurs de risque « statiques » et « dynamiques ».
15Les facteurs statiques sont ceux ne pouvant être modifiés (par ex : âge, sexe…) et ceux qui sont difficilement modifiables (par ex : structure de personnalité de type psychopathique). Les facteurs de risque dynamiques sont, en revanche, capables de changements (ex : abus d’alcool, symptômes…). Cette distinction va avoir des implications importantes pour la prise en charge et le traitement d’individus potentiellement violents.
16Les facteurs de risque de violence chez les individus présentant des troubles mentaux ont donc été examinés dans la littérature selon 4 domaines : individuel, historique, clinique et contextuel.
17En conséquence, ces quatre domaines devront être évalués lors de la prise en charge d’un patient.
Les facteurs de risque individuels
18Dans la population générale, les hommes sont plus fréquemment violents que les femmes et les conséquences de leurs actes sont plus sévères. En revanche, chez les personnes qui présentent des troubles mentaux, cette différence de genre semble s’amenuiser et, en milieu hospitalier, les femmes seraient même plus fréquemment violentes que les hommes [27, 49]. Toutefois, les actes violents qu’elles commettent entraîneraient des lésions physiques moins sévères. Cela suggère que les cliniciens travaillant sur l’évaluation de la violence ne doivent pas considérer le genre comme un facteur de risque.
19L’âge est un autre facteur de risque bien connu pour la violence et le risque de comportement criminel dans la population générale. Les adolescents et les adultes jeunes sont plus susceptibles de commettre des actes violents.
20Un faible niveau socio-économique [42] ainsi qu’un faible niveau d’études seraient également associés à une augmentation du risque de violence [41].
Les facteurs de risque historiques
21Parmi ces facteurs historiques, la violence subie ou agie de l’individu constitue un facteur de risque prépondérant [2, 18, 49]. La précocité de comportements délinquants et d’actes violents mais également les maltraitances physiques et psychiques subies dans l’enfance jouent un rôle dans le risque de violence [8, 44]. De même, les individus atteints de troubles mentaux sont victimes d’actes de violence, à l’âge adulte, deux à trois fois plus souvent que la population générale [16], et cette victimisation va être également associée à une augmentation du risque de passage à l’acte violent [11].
22Les antécédents de violence, le type de violence et les cibles des actes violents sont donc à rechercher dans toute évaluation.
Les facteurs de risque cliniques
Pathologie psychiatrique
23La schizophrénie est le trouble psychiatrique le plus étudié dans ses liens avec la violence. Néanmoins, s’il existe une augmentation du risque de violence liée à ce trouble, il semble que cela soit plurifactoriel. L’existence de symptômes psychotiques productifs, comme les idées délirantes de persécution ou le syndrome d’influence avec injonctions hallucinatoires de passage à l’acte, augmente le risque de violence [28, 40, 45]. Il convient, en cas de délire de persécution, de penser à protéger le persécuteur, qui peut être la cible d’un passage à l’acte violent.
24La violence peut également survenir lors d’un épisode maniaque dû à des symptômes mégalomaniaques, à la désorganisation de la pensée ou du comportement [30]. Pour ces patients, l’évaluation du niveau d’impulsivité, d’irritabilité, de trouble de la capacité de jugement est essentielle pour connaître le risque de passage à l’acte violent.
25De même, les patients mélancoliques peuvent commettre des passages à l’acte violent en lien, le plus souvent, avec des idées délirantes d’indignité et de ruine, de persécution, des préoccupations mystiques étendues aux proches. Ces idées délirantes mélancoliques paraissent directement en cause dans l’homicide, homicide qui est souvent suivi d’un suicide.
Troubles de la personnalité
26La potentialité violente liée à la psychopathie, marquée par l’absence d’empathie, l’indifférence, la dimension égocentrique, la tendance au mensonge et à la manipulation, est reconnue. Le passage à l’acte violent est fréquemment en lien avec une intolérance à la frustration.
27La présence d’une psychopathie ou d’un trouble de la personnalité antisociale chez un individu présentant des troubles mentaux est associée à une augmentation significative du risque de violence [17, 21, 47].
28Hodgins [18] a bien mis en évidence la différence entre les patients schizophrènes présentant ou non un trouble de la personnalité comorbide dans le type de violence perpétrée. Chez les patients schizophrènes ayant un trouble de la personnalité antisociale, les passages à l’acte n’ont souvent aucun lien avec les idées délirantes, les comportements délinquants ayant fréquemment débuté avant l’émergence du trouble psychiatrique. Pour ces patients, les antipsychotiques préviennent peu le risque de violence.
Troubles d’abus de substance ou d’alcool
29La consommation de toxiques augmente le risque de violence en population générale et chez les individus présentant des troubles mentaux. Ce risque est multiplié par 2 à 5 chez les individus présentant un trouble mental et une comorbidité d’abus de substance par rapport à la population générale [39, 46]. En l’absence d’abus de substance, certains auteurs ont retrouvé un risque de violence identique entre la population générale et les individus présentant des troubles mentaux [11].
Capacité d’insight
30Bien que la capacité d’insight soit une notion assez récente et que les moyens d’évaluation ne soient pas les mêmes selon les études – ce qui rend les résultats difficilement comparables –, il semble qu’une faible capacité d’insight soit associée à une augmentation du risque de comportement violent [1, 5].
Capacité de gestion de la colère
31L’existence de troubles neurologiques a été mise en évidence chez les patients violents, en particulier chez ceux présentant des actes de violence à répétition. Les atteintes frontales dans les psychoses déficitaires entraîneraient une diminution des capacités de contrôle pulsionnel et de gestion de la colère [19, 20, 22].
Adhésion aux soins et observance thérapeutique
32Des études sur la violence posent le problème de la rupture de soins qui a un rapport évident avec la désinstitutionnalisation psychiatrique connue par tous les pays industrialisés [34]. La rupture thérapeutique par son impact sur la recrudescence des symptômes est associée à une augmentation du risque de violence [12]. Et il est surtout intéressant de noter que la mise en place d’un suivi rapproché, augmentant ainsi l’adhésion aux soins, diminue le risque de passage à l’acte. Ainsi, les patients ayant un suivi hebdomadaire auraient un risque de violence divisé par 4 par rapport à ceux qui sont suivis toutes les 4 semaines. La mise en place de soins sous contraintes, obligeant à la prise de traitements et à des entretiens réguliers, réduit significativement le risque de passage à l’acte [43]. La période de 20 semaines suivant la fin de l’hospitalisation est un moment important pendant lequel le patient est souvent fragilisé, où se jouent l’observance et l’alliance thérapeutiques et la resocialisation et où le risque de passage à l’acte violent est majeur [39].
Les facteurs de risque contextuels
33Les cliniciens ne s’intéressent que rarement aux facteurs contextuels lorsqu’ils évaluent le risque de violence d’un patient, alors que les données de la littérature montrent l’importance de considérer les variables situationnelles lors de l’évaluation du risque de violence [35, 38]. Les facteurs de risque contextuels sont les facteurs liés à l’environnement, aux conditions sociales et aux autres circonstances qui composent le cadre de vie d’une personne. De façon empirique, le stress est depuis longtemps considéré comme un facteur de risque de violence. Les personnes confrontées à un environnement de vie stressant (chômage, ressources limitées, cadre de vie, situations conflictuelles…) connaissent une augmentation de l’incidence de comportements violents [11]. Le contexte a donc un impact important sur le risque de violence chez les individus présentant des troubles mentaux. Senninger et Fonta [32] retrouvaient, chez des patients schizophrènes ayant commis un acte criminel, une prévalence 3 fois supérieure d’événements de vie stressants dans l’année précédant leur passage à l’acte par rapport à d’autres patients schizophrènes n’ayant pas commis d’actes violents. Ces résultats montrent que le risque individuel de violence future peut varier au cours du temps, dépend des expériences stressantes vécues et n’est donc pas un risque « figé », « déterminé » pour un individu donné.
34L’étude de ces facteurs de risque a permis de proposer une classification en sous-groupes de patients présentant un risque accru de violence, mais chez lesquels l’origine de la violence et donc la prise en charge ne seront pas les mêmes :
- les patients qui présentent des troubles neurologiques associés, la violence venant souvent en réaction à une frustration. La violence n’est pas dirigée vers une cible particulière et la récidive est fréquente ;
- les patients qui présentent un délire de persécution, le geste violent étant dirigé vers une cible désignée, souvent un membre de la famille. La récidive, dans ces cas-là, est plus rare ;
- les patients qui présentent un trouble de la personnalité associé, le passage à l’acte étant le plus souvent de type impulsif, en lien avec une alcoolisation ou une prise de toxiques. Il existe des antécédents de violence avant l’apparition du trouble psychiatrique et un fort potentiel de récidive.
35Il sera aussi nécessaire de prendre en compte la consommation d’alcool, de cannabis et de stupéfiants, du fait de leur action désinhibitrice, mais également de leur action sur l’émergence d’idées délirantes.
36De même, il conviendra d’évaluer les capacités du sujet à reconnaître ses difficultés, à reconnaître sa maladie et la nécessité d’un traitement, à reconnaître son implication dans l’acte violent et les conséquences de son acte, car ces éléments sont également importants dans l’évaluation du risque. L’adhésion aux soins, surtout dans la période de 20 semaines qui suit la sortie de l’hôpital, doit être renforcée par la mise en place d’un suivi psychiatrique intensif qui permet ainsi une diminution du risque de violence. La prise en charge devra se centrer sur les facteurs de risque dynamiques, susceptibles de changements.
Les outils d’évaluation de la dangerosité psychiatrique et du risque de violence
37La connaissance de ces facteurs de risque a servi à la mise en place d’outils qui vont aider les psychiatres pour leurs évaluations.
38L’utilisation de ces outils, en complément de l’évaluation clinique, va dans le sens « d’une plus grande rigueur et d’une meilleure efficience » [25]. Cela peut permettre également de suivre l’évolution d’un patient selon des critères plus objectifs. Mais il est essentiel de rappeler qu’à l’heure actuelle, ces outils ne sont pas suffisants à eux seuls pour prédire de façon certaine le niveau de dangerosité d’un patient, qu’ils ont des limites, que leur fiabilité peut être discutable et qu’ils ne peuvent être que complémentaires d’une évaluation clinique.
39Parmi ces instruments d’évaluation de la dangerosité et du risque de comportement violent, il convient de différencier les instruments actuariels, fondés sur des analyses statistiques et les instruments semi-structurés, qui prennent en compte à la fois les connaissances sur la violence, le contexte et la clinique.
Instruments actuariels. Échelle VRAG (Violence Risk Apraisal Guide) [31]
40Parmi les instruments actuariels, la VRAG est l’échelle la plus utilisée dans l’évaluation du risque de récidive de comportement violent (tableau 1).
Items de l’échelle VRAG
Items de l’échelle VRAG
41Cette échelle a été élaborée à partir d’informations concernant 618 patients d’un hôpital de haute sécurité. Douze items ont été retenus. Lors de la cotation, les réponses aux 12 items sont combinées selon une pondération prédéterminée pour aboutir à un score total et à une classification de risque de violence (0 à 100 %).
42Un certain nombre d’auteurs a émis des réserves quant à la généralisation des résultats de la VRAG à des individus de la population générale, présentant des troubles mentaux [3, 24]. De plus, les échelles actuarielles sont peu sensibles aux évolutions des patients et ne permettent pas de se questionner sur les moyens de prévention du risque de violence chez eux [9].
Instruments semi-structurés
HCR-20 (Historical-Clinical Risk assessment)
43Développée par Webster en 1997 [50], la HCR-20 est une échelle particulièrement utilisée par les cliniciens travaillant dans le champ de l’évaluation du risque de violence (tableau 2). Elle comporte 20 facteurs résumant les informations sur le passé, le présent et l’avenir du patient. Le total de l’échelle va de 0 à 40, chaque item étant évalué sur la base d’un score de 0 à 2 et la pondération des différents items prise en compte dans l’estimation finale du risque.
Historical Clinical Risk-20 (HCR-20)
Historical Clinical Risk-20 (HCR-20)
44Cette échelle s’est montrée efficace dans la prédiction du risque de violence, principalement sur le risque à court et moyen terme [7, 15], chez des patients suivis en ambulatoire [10] et chez des patients aux antécédents de violence. Dans ces approches, l’évaluation finale, à la différence de l’approche actuarielle, nécessite un jugement clinique, donc une prise en compte plus globale du patient.
IMPC : Instrument de mesure des progrès cliniques [26]
45Cette échelle a été développée à l’institut Pinel de Montréal afin d’évaluer l’évolution, en cours de traitement, des comportements violents chez des patients psychotiques.
46Onze variables ont été retenues comme associées au risque de violence. Parmi ces variables : l’état mental et la manifestation de symptômes psychotiques, la gestion et le contrôle de la colère, de l’impulsivité, la considération de l’autre (empathie), la reconnaissance de la violence, la reconnaissance de la maladie mentale, la connaissance des symptômes de la maladie, l’observance pharmacologique, l’alliance thérapeutique et la capacité à demander de l’aide, l’adhésion au code de vie de l’unité de traitement, l’hygiène et les capacités de socialisation.
47Chacune de ces variables est cotée de 1 (pas d’acceptation du traitement) à 5 (accepte totalement le traitement), et chaque patient doit être évalué mensuellement par plusieurs intervenants. Cela permet d’estimer les progrès du patient sur chaque critère, de préciser les objectifs thérapeutiques à privilégier et de discuter avec le patient des moyens pour y parvenir. Cette échelle n’a, pour le moment, été validée que pour une population de psychotiques violents.
48Ces différents instruments ont des limites mais peuvent apporter une aide supplémentaire pour l’évaluation des individus présentant des troubles mentaux. Si les échelles actuarielles permettent une bonne reproductibilité entre examinateurs, l’absence de prise en compte du contexte et de la clinique rend leur fiabilité très modérée. Les instruments d’évaluation semi-structurés semblent être ceux qui ont la meilleure pertinence clinique et la meilleure fiabilité du fait de la place importante laissée à l’examinateur.
49Mais il convient surtout de rappeler que l’évaluation de la dangerosité psychiatrique reste compliquée, qu’elle nécessite une évaluation multifactorielle, reposant sur une approche pluridisciplinaire, que la prédiction de survenue de comportements violents ou criminels est impossible et que seule une évaluation du risque de comportement violent est possible.
50Dans un contexte où les psychiatres sont de plus en plus sollicités pour évaluer « la dangerosité » d’individus présentant ou non des troubles mentaux, il convient qu’ils soient extrêmement prudents et qu’ils ne se laissent pas entraîner à déterminer des risques qu’ils ne maîtrisent pas.
51Si l’évaluation de la dangerosité psychiatrique occupe une place importante pour les experts psychiatres, que les soignants sachent évaluer le risque de comportements violents d’un patient semble également essentiel. En effet, cela permettra de cibler la prise en charge sur les facteurs de risque présentés par le patient et ainsi de diminuer, pour autrui mais surtout pour lui-même, le risque qu’il commette des actes répréhensibles.
52Lorsque la violence est en lien avec des symptômes psychotiques positifs, délire de persécution, idées délirantes mégalomaniaques ou de ruine, la mise en place d’un traitement antipsychotique associé à une psychothérapie permettra de limiter le risque de passage à l’acte, la clozapine étant l’antipsychotique le plus efficace dans la diminution de la violence et de l’agressivité chez les patients schizophrènes [48].
53Lorsque la violence est en lien avec des troubles neurologiques, des troubles du contrôle de l’impulsivité, les anticonvulsivants [37], les antipsychotiques ou les bêta-bloquants comme l’avlocardyl [36], ont montré leur efficacité.
54Lorsque les passages à l’acte sont commis par des patients psychotiques présentant un trouble de la personnalité antisociale, les antipsychotiques auront un effet modéré sur les actes de violence. Une approche psychosociale [18] avec une prise en charge spécialisée en unité d’addictologie, lorsqu’une toxicomanie est associée – ce qui est fréquemment le cas –, sera alors plus adaptée.
55Il sera nécessaire de proposer à ces patients un suivi rapproché, à la sortie d’hospitalisation, principalement dans les vingt premières semaines, moment le plus à risque de rechute par rupture thérapeutique, afin d’augmenter l’adhésion aux soins. Il serait également important de proposer des thérapies variées, adaptées à chaque individu, à ses problématiques et centrées sur les facteurs de risque. Tout cela montre l’importance du temps, d’un temps soignant, qui permette d’échanger en équipe sur la prise en charge de patients difficiles, de proposer ces thérapies variées, de discuter avec le patient de sa prise en charge et des objectifs thérapeutiques.
Conclusion
56Comme le rappelait Bruno Gravier [14] dans son intervention à l’audition publique sur l’expertise psychiatrique pénale, l’évaluation de la dangerosité reste un problème difficile. Les psychiatres sont appelés à se prononcer sur la dangerosité d’un individu sans avoir réellement les connaissances et les instruments nécessaires à une telle évaluation. Les recherches actuelles montrent bien l’existence de facteurs de risque de violence chez les patients présentant des troubles mentaux. Des instruments d’évaluation du risque ont été développés mais leur fiabilité reste incertaine. Il convient donc de rester prudent et humble face aux demandes de plus en plus fréquentes, tant politiques que judiciaires, d’évaluation de la dangerosité psychiatrique mais également criminologique. Se baser uniquement sur l’utilisation d’échelles actuarielles semble très risqué, et des recherches doivent encore être menées pour valider des échelles semi structurées en langue française, en sachant qu’une évaluation du risque ne pourra se faire sans une confrontation entre les données de l’examen clinique et celles de l’échelle.
57Enfin, il semble essentiel de redonner à la psychiatrie les moyens de prendre en charge, le mieux possible, les patients présentant des troubles mentaux, par l’octroi de temps de soignants, ce qui limiterait sans doute les actes de violence qui surviennent souvent dans des moments de rupture de soins.
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Mots-clés éditeurs : troubles mentaux, violence, dangerosité, évaluation
Date de mise en ligne : 15/11/2012
https://doi.org/10.1684/ipe.2009.0539