Couverture de INPSY_9305

Article de revue

Analyse de livre

Pages 441 à 442

Notes

  • [1]
    Mottron, L. L’autisme : une autre intelligence. Ixelles (Belgique) : Mardaga, 2006.
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1 Laurent Mottron
L’intervention précoce pour enfants autistes
Ixelles (Belgique) : Mardaga, 2016

2 Laurent Mottron publie récemment son dernier livre L’intervention précoce pour enfants autistes qui pourrait se lire comme un manifeste scientifique et politique, ou encore comme la seule publication significative de ces dernières années en matière d’autisme. Le moins qu’on puisse dire est que sa lecture vous décoiffe. C’est comme si on avait attendu jusqu’à 2016 pour divulguer une œuvre et une recherche faites à la mesure de l’objet étudié, connue surtout par les experts. Si l’on devait penser à un auteur, pour qui Mottron n’a certainement pas une affection particulière, on penserait à Freud, quand il conseille de changer toute la théorie si la clinique nous apporte un seul cas qui contredirait le dogme. Dans le livre de Mottron, nous voyons se déployer beaucoup plus qu’un cas clinique faisant jurisprudence : c’est toute la clinique de l’autisme qui se trouve remise sur ses pattes à partir du moment où l’auteur distingue tout d’abord une forme d’autisme, de sous-type autistique, qu’il nomme « autisme prototypique », afin de le différentier d’un autisme syndromique. La multiplication DSMiste des cas d’autisme est certainement due, en partie, à une confusion entre ces formes. Mais cette distinction ne signifie pas, à mon sens, que ce qui est défendu dans l’ouvrage de Mottron ne rejaillisse pas sur d’autres formes d’autisme moins prototypique. L’autisme prototypique est ici caractérisé par un ensemble très important d’enfants autistes qui ressembleraient à la première description de L. Kanner. Ce groupe comporte peu de variabilité dans le nombre de copies (génétique), une morphotypie caractérisée (périmètre crânien à la naissance normal ou macrocéphale, âge de marche dans la limite de la normale, une performance bonne ou très bonne dans un des domaines évalués au plan cognitif ou perceptif, une saccade oculaire vive, un langage qui évolue aussi de manière caractérisée, etc.). Mottron se livre ensuite à une critique systématique de tous les modèles d’intervention de type béhavioriste, en reprenant un après l’autre les items ciblés par lesdites « marques » caractérisées notamment par ce qu’elles ont comme but, à savoir une augmentation de la sociabilité « typique » et un empêchement et réduction des comportements répétitifs et des types d’intérêts restreints qui caractérisent la clinique des autistes. Mais il ne faut pas croire que l’auteur épargne la psychanalyse, à qui il accuse d’avoir négligé et déformé la particularité clinique de l’autisme, tout autant que les courants comportementaux. Mais revenons à l’analyse de toutes les modes d’intervention que l’auteur nomme les ICIP (« intervention comportementale intensive précoce »), méthodes qui n’ont rien d’autre à proposer qu’une compensation de ce que la compréhension actuelle de l’autisme ne voit qu’en termes de déficits. Ces compensations se résument essentiellement à une augmentation de la socialisation et à une diminution des comportements répétitifs. Quant à la socialisation, dont l’altération définit l’autisme, les ICIP veulent la normaliser, mais selon les paramètres sociaux des non-autistes. Cela va à l’encontre de la nature même de l’autisme, dans lequel la socialisation n’est pas absente mais diffère des codes sociaux habituels. Quant aux comportements répétitifs, ils sont souvent causés par une exploration et une recherche typique de l’autisme, de telle sorte que dans une grande partie de ces comportements (à l’exception des comportements dangereux), nous voyons se déployer l’intelligence et la perception propres à l’enfant autiste. En ce sens, il est souvent préférable de ne pas empêcher ces comportements mais aussi de les encourager. Quant aux modalités des ICIP, l’auteur décompose également leur : 1) « intensité » : il n’est pas certain que plus une thérapie est intensive, plus elle sera efficace. Une étude menée par Ph. Reed, citée par Mottron, montre que non seulement il n’y a pas de différence quant à l’efficacité, si l’on compare 40 heures versus 20 heures par semaine de ICIP, mais, de plus, le groupe de patients qui avait plus d’heures montraient moins d’acquisitions adaptatives (« The high-intensity group did better than the low-intensity group, but within the high-intensity group there was an inverse relationship between the temporal input and the gains. ») ; 2) « Précocité » : à savoir l’idée selon laquelle plus un traitement est précoce, plus il est efficace. Cette notion provient de l’hypothèse d’une « plasticité cérébrale » dont « on ne précise jamais les limites et les contraintes, dans le cadre d’une altération génétique […] ou d’un calendrier développemental. ». Qui plus est, il y a des études citées par l’auteur qui prétendent chiffrer en dollars les économies qu’on ferait par individu si le traitement est précoce… Or, il n’y aurait pas d’étude qui montre la modification définitive du cerveau grâce aux traitements comportementaux, le seul remodelage prouvé est celui de la perception, ce qui est le propre de l’autisme. Si changement il y a, il n’est vérifiable qu’à travers des échelles qui ne mesurent que l’autisme compris comme un déficit (socialisation, comportements non utiles, etc.). D’une manière générale, Mottron indique que tous les « renforçateurs » utilisés par les ICIP n’ont pas lieu d’être et ne font que dévier le développement psychologique de l’enfant dans ce qu’il a de positif. Pour finir, quand bien même les ICIP parviendraient à modifier de manière parcellaire certains comportements (l’enfant apprend à faire bye-bye), rien n’assure que ce changement de comportement puisse se généraliser en puissance et s’étendre à d’autres attitudes sociales. L’enfant, et l’adulte ensuite, saura faire bye-bye, sans qu’il lui attache nécessairement une valeur affective.

3Mottron entend donc refonder la compréhension de l’autisme dans l’enfance. Les différents aspects théoriques et réflexifs du livre partent des travaux empiriques du groupe de Mottron, et débouchent sur des articles qui sont en cours d’élaboration. Il a déjà montré dans un autre ouvrage  [1] que l’autisme implique une intelligence différente. Par exemple, dans une étude publiée en 2011 (Changing perceptions : The power of autism) il démontre que l’intelligence chez les enfants autistes n’est pas mesurable par les tests classiques (type Wechsler) et que nous sommes plutôt face à une intelligence perceptuelle, qui doit être mesurée par d’autres instruments. Par exemple, l’autiste peut avoir un développement perceptif beaucoup plus important que le non-autiste, ce qui pourrait expliquer au moins en partie l’absence de production et de compréhension du langage oral (une perception très développée « nuirait, par concurrence, à un traitement sémantique »). Ainsi, l’auteur propose de détecter le type d’intelligence autistique et d’éduquer et suivre l’enfant selon ses propres forces, à savoir l’intérêt restreint, la séquence particulière de l’acquisition du langage (qui est strictement inverse à celle des non-autistes), et à valoriser les intérêts et monde perceptifs de l’enfant. De cette idée, se dégage un type d’attitude bien différente que les thérapeutes et la famille devraient adopter face à l’autisme. D’une part, distinguer à l’intérieur même de la clinique autistique les comportements nocifs (dangereux) de ceux qui correspondent à une augmentation de l’information chez l’enfant ; d’autre part, il s’agit de pratiquer une « tutelle parallèle » sur l’enfant, qui est radicalement différente du « face à face » classique des méthodes ICIP. Il s’agit ainsi de ne pas être intrusif avec l’enfant et de noter que beaucoup des progrès se font « au détour d’une activité ou d’une circonstance incidente ». De même, on acceptera le type d’interaction proposée par l’enfant ». Quant aux gains, il faut s’attendre à des boucles de retombée de l’intervention « à long terme » et « indirectes », plutôt que des bénéfices directs et immédiats, ce qui implique que l’on travaille « pour un temps, à perte ». Mottron s’explique aussi quant à la nécessité d’une socialisation de type autistique, différente de la socialisation de la tribu. Les apprentissages se feront dans le sens de l’organisation autistique de l’enfant (alignements ou créations d’ensembles d’objets, mémorisation d’images) en augmentant progressivement leur niveau de complexification, toujours par le biais d’une tutelle latérale. Quant au langage, il faut privilégier, notamment pendant la période non verbale, des modes de traitement non verbaux : « on enrichira et complexifiera les talents non verbaux où l’enfant s’est montré spontanément habile. ». L’écrit permet ainsi une intervention précoce, bien avant l’acquisition complexe du langage orale. Et concernant celui-ci, il faudrait « paraphraser une action » plutôt que s’adresser directement à l’enfant. Plus concrètement encore, concernant le matériel didactique avec lequel on approche l’enfant, il sera « en nombre pair : un pour l’enfant, un pour l’adulte. L’intérêt de ce que le matériel soit en nombre pair est qu’on ne maintient pas l’enfant dans un cadre où il ne pourra agir qu’en imitation directe de l’adulte, lors d’une intervention de tutelle où chacun agit tour à tour avec le même objet ». Laurent Mottron critique aussi le rapport de la HAS en France sur l’autisme, dans la mesure où il suit les postulats comportementaux des ICIP (précocité, intensité, etc.). Pour finir il s’adresse aux parents des enfants autistes, mais aussi aux pouvoirs politiques. Le livre de Mottron tire la sonnette d’alarme à propos des obscurantismes, mais nous met aussi en garde contre le triomphalisme scientifique producteur de « fausses croyances ». Il nous interpelle en tant que professionnels, parents, décideurs politiques et citoyens dans le but d’un changement de paradigme concernant la compréhension de l’autisme. Si les postulats défendus par l’auteur s’avèrent pertinents, ils devraient marquer un avant et un après dans l’approche de cette intelligence si énigmatique.

4 Juan Pablo Lucchelli
74, av. Jean-Jaurès 75019 Paris
lucchelli@hotmail.com


Date de mise en ligne : 02/06/2017

https://doi.org/10.1684/ipe.2017.1638

Notes

  • [1]
    Mottron, L. L’autisme : une autre intelligence. Ixelles (Belgique) : Mardaga, 2006.

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