Introduction
1Pour Serge Hefez, « le couple est une danse, syncopée, qui se nourrit de ses propres crises. Celle-ci impose son propre rythme indépendamment de chaque partenaire. Chacun vit un déchirement intérieur car il a le sentiment de perdre son individualité » [1].
2 Nous allons exposer le cas d’un couple, avec lequel nous avons eu l’impression « d’entrer dans la danse ». Mais qui a déjà tenté de danser à trois, sait combien il s’agit d’un exercice périlleux, où le plus souvent l’un reste en dehors de la danse, tentant de s’y insérer au détriment d’un autre qui se trouve ainsi exclu.
3 Nous avons reçu un appel du CLIC (centre local d’information et de coordination), nous signalant le cas de Mme V au mois d’août 2016. Ils s’étaient rendus au domicile de couple pour aider à la mise en place d’un étayage par une aide-ménagère et avaient noté que Madame était en rupture de soins psychiatriques depuis son retour au domicile conjugal (elle avait habité quelques temps chez son fils à Montpellier bénéficiant d’un traitement par neuroleptiques retard sous forme injectable).
La patiente
4Madame V est âgée de 80 ans. Elle est originaire de Montpellier où son père était notaire. Elle est la troisième d’une fratrie de cinq enfants, un frère est décédé par défenestration.
5 Madame dit de son enfance qu’elle était malheureuse. Sa mère était aveugle, elle est décédée alors que Madame V. était encore adolescente, elle s’est alors beaucoup occupée de sa fratrie. À l’âge de 16 ans, elle rencontre Monsieur V, à 17 ans elle est enceinte et se marie. Elle travaille quelques années comme caissière, mais rapidement arrête de travailler pour se consacrer à ses fils. Son époux est cadre dirigeant dans une entreprise de travaux publics, il est très souvent absent de la maison.
6 Madame est peu informative sur son histoire familiale, « c’est trop douloureux » dit-elle.
7 Son histoire psychiatrique est difficile à retracer. Madame dit avoir rencontré un neuropsychiatre il y a longtemps en raison de la maltraitance dont elle était victime. Son époux confirme le caractère ancien des troubles, depuis l’âge de 25 ans elle aurait reçu différents psychotropes que Monsieur ne peut nommer, hormis le Neuleptil. Il dit de sa femme qu’elle a « un tempérament d’artiste et qu’elle souffre d’insatisfaction et de nervosité », qu’elle a toujours été « dépressive », comme son frère qui s’est suicidé. Ses enfants disent qu’elle a toujours été un peu bizarre, ayant tendance à s’isoler, à rester en retrait dans sa chambre.
8 Sa première hospitalisation en psychiatrie date de 2012, elle a alors 74 ans. Dans un contexte délirant elle quitte le domicile conjugal et se réfugie à Montpellier chez son fils aîné, où elle restera plusieurs années, précipitant une situation de crise familiale.
9 Durant cette période elle sera hospitalisée à plusieurs reprises en SPDT, elle présente alors un délire riche à mécanisme interprétatif et hallucinatoire. Elle évoque un vaste complot qui veut sa destruction et qui a déjà tué son chien. Elle invoque le pouvoir de Dieu et utilise l’imposition de ses deux mains pour déjouer les attaques. Le discours est mal organisé, diffluent. Elle présente un déni total des troubles la conduisant à interrompre régulièrement son traitement. Le bilan biologique et l’IRM cérébrale sont sans particularité. Le diagnostic de trouble schizoaffectif est évoqué.
10 Le lieu de vie de Madame fait l’objet d’un conflit important entre d’une part le père et les deux fils parisiens et d’autre part le fils aîné qui se positionne en tant que protecteur de sa mère contre les violences du père. Le père ainsi que les fils parisiens refusent que Madame reste chez le fils aîné, arguant que celui-ci spolie Madame qui a reçu un héritage important de son père. Une mesure de protection juridique est demandée. La nomination du fil aîné comme mandataire spécial attise les conflits.
11 Après avoir vécu 4 ans chez son fils, elle réintègre le domicile conjugal en juin 2016. Une nouvelle curatrice, extérieure à la famille, est nommée. Dans le jugement, il est précisé que la curatrice a la charge de régler la question du lieu de vie de Madame. Dès son retour au domicile, elle interrompt tous les traitements, c’est alors que nous la rencontrons.
La famille
12Le couple a trois enfants, des garçons, dont aucun ne vit en couple ou n’a d’enfants.
13 L’aîné vit à Montpellier, le cadet est fonctionnaire et vit dans le même immeuble que le benjamin, qui est employé de bureau. Ce dernier est décrit comme fragile psychiquement.
14 Les différents contacts avec la famille nous laissent entrevoir des liens familiaux extrêmement conflictuels, faits de suspicion les uns envers les autres, de violence verbale et certainement physique aussi.
15 Même en dehors des périodes de crises, Madame accuse son époux de violence et de sévices sexuels. Elle appelle quotidiennement son fils aîné, se plaignant d’être séquestrée et demandant à retourner vivre chez lui. Cette violence conjugale est confirmée par le médecin généraliste qui connaît le couple depuis longtemps.
16 L’aîné évoque la violence de son père à son égard, il confirme que sa mère a également été violentée et que son père la prostituait. Il accuse aussi son frère cadet de le frapper, et soupçonne ses frères et son père de vouloir récupérer leur mère pour des motifs financiers.
17 Le cadet accuse l’aîné d’avoir détourné l’argent de leur mère lorsqu’il était mandataire spécial, pour s’offrir une Jaguar. Il a porté plainte contre lui en raison de menaces de mort répétées.
18 L’époux de Madame adopte le même discours que son fils cadet, il dit de l’aîné c’est « un escroc, un assassin, qui veut les économies de sa mère ».
L’appartement
19Le logement du couple se trouve dans un bel immeuble parisien. Bien que grand, il donne le sentiment d’être exigu, les plafonds sont bas, les sols irréguliers, il y fait sombre. La décoration date des années cinquante avec de vieux papiers peints très décorés aux murs. Au milieu du salon trône une grande télévision, souvent allumée. Aux murs sont accrochés beaucoup de tableaux et de photos de famille encadrées.
20 L’appartement n’est pas très bien entretenu, il y a beaucoup de papiers, de livres, de journaux et de revues qui traînent, sans encombrer tout l’espace. La cuisine est rangée, mais les plats sont entreposés sur les plaques électriques qui sont ainsi condamnées.
21 Monsieur et Madame font chambre à part.
22 Dans la chambre de Monsieur se trouve le lit matrimonial en bois sombre, richement décoré. Il y a aussi son bureau et les dossiers à ranger ainsi que la photocopieuse.
23 La chambre de Madame est beaucoup plus modeste en taille. Les meubles plus simples et très vides, sans ornement hormis 3 photographies de ses chiens et de ses fils enfants.
Les visites
24Lors de notre première rencontre Madame est très maquillée, les lèvres et les joues sont roses, les paupières fardées de bleu, son regard est fuyant. Elle se tient enfoncée dans son fauteuil, qui semble la protéger de l’extérieur, évite le contact. Le couple nous reçoit dans le salon. Refusant que nous rencontrions Madame seule, Monsieur monopolise la parole, cherche à comprendre qui nous sommes, se montre méfiant, me demande des références quant à mes diplômes de médecin, dit connaître « ce qui se fait de mieux comme médecin sur la place de Paris », répète qu’il a des amis haut placés. Le ton est parfois menaçant. Il est peu informatif, il dit que son épouse a besoin de soins psychiatriques, comme son frère qui s’est suicidé. Il ajoute qu’elle est bien suivie, il tente alors vainement de se souvenir du nom des différents médecins qu’ils ont consultés. Madame reste immobile dans son fauteuil, marmonnant de temps en temps « menteur », « salaud » lorsque son époux parle d’elle. Elle est réticente à la prise d’un traitement, se plaignant de troubles de l’équilibre.
25Les visites suivantes se font de façon conjointe avec le médecin et l’infirmière, nous tentons d’offrir une écoute à chaque membre du couple. Madame reste inaccessible, nous n’arrivons pas à établir un lien de qualité avec elle. Tandis que Monsieur semble empêcher sa parole, elle se tait, adoptant une attitude de victime opprimée, ne pouvant s’exprimer ouvertement devant lui.
26L’infirmière référente de notre équipe organise alors un rendez-vous avec le médecin traitant de Madame et l’y accompagne afin d’établir un contact avec elle. En chemin, elle évoque les sévices, les violences verbales, la séquestration actuelle. Lors de ce rendez-vous, le généraliste atteste l’existence de traces de violence dans le passé. Mais cet accompagnement est très mal vécu par l’époux. Lors de la quatrième visite, il refuse d’ouvrir à l’infirmière. Lors de la visite suivante nous rencontrons le fils, Jean. Nous tentons alors de glaner quelques informations anamnestiques, toujours sans succès. Le fils se retourne sans cesse vers son père ou sa mère avant de prononcer une parole, s’assurant de leur assentiment. Il s’avère plutôt aidant, il cherche à convaincre sa mère de poursuivre le traitement, à convaincre son père de la nécessité d’aides à domicile.
27 Le mari s’oppose peu à peu à nos visites, il se montre agressif lorsqu’il est en difficulté (oubli de nom, perte de papiers), nous assimile à la curatrice nouvellement nommée qui lui demande différents papiers administratifs qu’il ne retrouve pas, qui leur propose des aides à domicile qu’il ne souhaite pas. Les troubles cognitifs de Monsieur semblent de plus en plus évidents : il cherche ses mots, ses papiers, ne retrouve plus les noms des différents médecins consultés, à chaque visite ses questions sont les mêmes.
28 Madame se plaint de la saleté de leur appartement, elle souhaite être aidée mais son mari refuse. Elle réclame aussi de retourner chez son fils aîné.
29 Cette situation était peu confortable et si nous avions réussi à maintenir le traitement de Madame nous étions inquiets quant à la poursuite des soins.
30 Les troubles cognitifs de Monsieur et un heureux hasard ont brusquement fait basculer la situation. L’infirmière référente a rencontré Monsieur dans la rue, il l’a reconnue sans vraiment l’identifier comme celle qui menaçait son environnement et l’a invitée à venir parler avec lui.
31 C’est ainsi que la prise en charge s’est déplacée progressivement vers Monsieur, permettant par la suite d’accéder à Madame. S’étant plaint de troubles de la mémoire, l’infirmière l’a accompagné pour une consultation mémoire à l’hôpital, puis il s’est plaint de la marche. Elle l’a accompagné en consultation de podologie, puis chez le médecin généraliste… à tel point que Monsieur la considère maintenant comme sa secrétaire personnelle…
32 Cette nouvelle confiance qu’il nous a accordée a permis de mettre en place le passage d’une infirmière à domicile, de façon quotidienne pour la délivrance du traitement de Madame et peu à peu pour lui aussi. Nous avons impliqué progressivement le fils Jean dans les soins et il a accompagné son père lors des rendez-vous suivants.
33 La méfiance de Monsieur diminuant, nous avons rencontré Madame seule, la consultation qui avait lieu dans le salon s’est déplacée dans la chambre. Actuellement chaque membre du couple a une infirmière référente, et Madame est de nouveau en position d’accepter ses soins.
34 La question du lieu de vie restait en suspens, interrogeant chacun sur des questions éthiques. Est-ce que la suspicion de maltraitance nous imposait de nous positionner sur le lieu de vie ?
35 Madame a vécu 60 ans avec cet époux maltraitant et était toujours revenue auprès de lui. L’époux ne voulait pas entendre parler du départ de son épouse, Madame changeait d’avis en fonction de l’interlocuteur, le fils aîné se plaignait du père, mais restait flou sur les conditions d’accueil de sa mère et le fils cadet refusait un retour chez son frère. En attendant plus de clarté nous avons tout mis en œuvre pour que le domicile soit confortable.
36 La situation s’est éclaircie lorsque le fils aîné a admis ne pas pouvoir accueillir sa mère à temps plein et qu’il projetait pour elle des séjours à l’hôtel. Madame a alors déclaré qu’elle préférait rester chez son époux plutôt que d’aller en maison de retraite.
La danse
37Interpelés dans une situation de psychiatrie « classique » de non-demande de soins – une patiente psychotique chronique en rupture de traitement – nous avons rencontré un conjoint refusant lui aussi notre intervention et présentant lui-même des troubles non reconnus par son entourage. Dès lors comment intervenir « officiellement » pour l’un, tout en se mêlant des soins de l’autre ?
38 Le choix de rencontrer les enfants semblait évident… et pourtant dans notre prise en charge, ils sont peu présents. Les trois fils ne se manifestent que très peu, adoptant une attitude fuyante vis-à-vis des soignants. Il faut que nous le sollicitions pour que le fils cadet accompagne son père aux consultations. De notre côté, les descriptions de nos confrères concernant les interactions familiales nous effrayent un peu : lors des entretiens familiaux, les uns viennent accompagnés de leur avocat, l’autre enregistre tous les entretiens, des plaintes sont portées... Cette ambiance de défiance et de méfiance nous paralyse, nous empêchant de réunir toute la famille.
39 C’est par le biais de l’intervention à domicile que nous nous sommes ainsi retrouvés au cœur d’une situation de crise de couple et de famille, à valser au rythme que nous a d’abord imposé le couple. Chacun des conjoints s’est aussi adapté au tempo des différents intervenants modifiant peu à peu ses positions.
40 La danse pourrait être décrite ainsi : cette famille, confrontée à la maladie chronique de la mère, s’organise autour du père qui a toujours été décisionnaire pour les siens : sa femme, ses enfants, mais aussi son frère, dont il est le tuteur. Il est celui qui sort, qui travaille, qui a des relations avec le monde extérieur ; tandis que Madame est recluse dans sa chambre, passive, ruminant à bas bruit des idées de persécutions, pas forcément délirantes ?
41 La maltraitance conjugale est clairement énoncée dans ce couple fonctionnant sur un mode complémentaire rigide [2], les fonctions sont presque « officiellement » attribuées: Monsieur est l’agresseur, actif et dominateur, il se décrit lui-même comme rigide, autoritaire, ne nie pas des épisodes de violence dans le passé ; tandis que Madame est la victime apparemment passive, et c’est ainsi qu’elle se comporte : elle s’enfuit, se cache dans sa chambre, refuse de parler en présence de son époux, demande protection et abri auprès de son fils aîné, qui, lui aussi, a été victime de la maltraitance paternelle. Des alliances intergénérationnelles se sont créées : entre la mère et le fils aîné d’une part, entre le père et les fils cadets d’autre part. La coalition entre la mère et son fils aîné, née du désir de protéger sa mère, attise la violence et l’agressivité du père qui ne s’exprime que sur un seul enfant, bouc émissaire, les deux autres étant préservés [3].
42 Le temps passe, sans laisser d’empreintes. Après 60 ans de mariage le couple se comporte toujours de façon aussi passionnelle, la danse se répète au fil du temps avec des ruptures, des retours, Monsieur nous dit au sujet de sa femme « je l’aime comme au premier jour ». Ce couple ne peut pas parler de son histoire, pour elle car le passé est encore trop douloureux, vécu au présent, pour lui parce qu’il l’a oublié, sa mémoire est devenue inutilisable. Les enfants ne perçoivent pas la dégradation cognitive qui s’opère, comme si on ne vieillissait pas… D’ailleurs les enfants ne s’engagent pas dans des vies sentimentales ou familiales, n’accèdent pas à la parentalité. Ils restent enfants. Le temps semble suspendu comme le décrit G. Ausloos dans les familles à transactions rigides : passé et présent sont confondus, sans futur envisageable [4].
43 En 2012, Madame s’enfuit dans un contexte délirant persécutif. Elle part chez son fils aîné. Qu’est-il arrivé ? Pourquoi a-t-elle brusquement décompensé une pathologie psychiatrique, certes ancienne, mais vraisemblablement stabilisée ? Quels ont été les déclencheurs de cette crise ? La retraite de Monsieur, imposant sa présence au domicile ? Ses troubles cognitifs perçus précocement par Madame ? Une rupture sentimentale du fils aîné ?
44 Le temps a été mobilisé et a suscité la crise. De cette crise a résulté une séparation, elle est allée vivre chez son fils, le désignant alors comme aidant principal, exacerbant les conflits familiaux, entraînant une succession d’hospitalisations et un déchirement familial quant à son lieu de vie.
45 Lorsque nous intervenons, le couple refuse notre aide. Notre première tentative d’établir un lien particulier avec Madame aboutit à la fermeture de l’appartement conjugal.
46 Monsieur est peu sympathique, autoritaire, menaçant, nous craignons parfois la violence physique tant il semble impulsif. Madame quant à elle suscite peu de compassion, elle est distante et froide, méfiante aussi. Notre empathie va tout de même du côté de la victime : Madame.
47 Au fur et à mesure de nos rencontres, nos positions se modifient. Madame dévoile sa détermination, sa propre violence à l’égard de son époux, refusant de parler en sa présence, adoptant des attitudes de comploteuse, l’insultant en notre présence. L’empathie éprouvée pour elle se « déplace » peu à peu vers Monsieur. Est-ce la révélation de troubles cognitifs qui le rend plus vulnérable, la détresse qu’il exprime ? Derrière l’autoritarisme et la rigidité dont il fait preuve, il nous révèle aussi son désir séduire encore son épouse. Il est celui qui maintenant nous demande : « comment faire pour mieux communiquer avec elle ? ».
48 Il prend peu à peu une infirmière pour sa « secrétaire personnelle », c’est à la condition de cette requalification de la relation soignant-soigné que Monsieur accepte l’intervention. La méfiance à notre égard s’amenuise, et il devient possible d’accepter nos passages, voire notre aide. Madame quant à elle reste recluse observant avec réticence cette nouvelle alliance.
49 Mais la porte est désormais ouverte et si Monsieur a accepté une secrétaire personnelle, il est désormais d’accord pour que son épouse ait elle aussi un partenaire de danse. Une autre infirmière est admise pour l’accompagner seule dans sa chambre où elle se livre avec confiance.
50 La danse brinquebalante semble avoir trouvé une stabilité temporaire, les danseurs se croisent, nous espérons pouvoir aborder une ronde prochainement, d’abord avec le couple, peut être même avec les enfants…
Conclusion
51L’intervention à domicile et la perte d’autonomie liée au vieillissement imposent de rencontrer l’environnement du patient : son lieu de vie et les personnes avec lesquelles elles le partagent. Cela nécessite une grande souplesse des soignants qui doivent s’adapter aux difficultés du patient mais aussi de chacun des membres du foyer et aux interactions entre eux.
52 Dans cette situation de visites à domicile d’un couple vieillissant, les questions soulevées sont nombreuses. La prise en charge est d’abord doublement individuelle, celle d’une patiente psychotique chronique refusant le traitement, mais aussi d’un patient atteint de troubles cognitifs. Elle est aussi une prise en charge de couple, aider un couple à se retrouver ou à se séparer après 4 années d’éloignement. Enfin, elle est familiale, les troubles des parents imposant l’intervention des enfants.
53 Le principal obstacle à cette prise en charge était le refus de soins de la patiente et la réticence de son conjoint. Madame accepte les visites à domicile à la condition qu’elle puisse se plaindre de son époux, mais elle est réticente à un traitement. L’ambivalence de Monsieur est inverse. Il souhaite un suivi et un traitement pour son épouse, mais supporte difficilement que celui-ci ait lieu au domicile et qu’un regard soit porté sur leur environnement. La visite à domicile nous a permis de contourner ce refus et d’instaurer peu à peu une alliance avec l’époux, lui permettant de baisser sa surveillance et d’accepter que nous rencontrions son épouse seule. Dans ce couple au fonctionnement complémentaire, où Monsieur est le décideur, nous avons respecté cette position, acceptant de le rencontrer avant de rencontrer son épouse. Dès lors que Monsieur nous a accordé sa confiance, Madame s’est autorisée à nous accorder la sienne pour se plaindre de son époux. Nous risquons alors de nous retrouver dans une position inconfortable, dans la danse de cette famille, où on est soit spectateur/témoin muet, comme les enfants cadets, soit protecteur/agressé, comme le fils aîné. C’est bien à la condition d’échanger en équipe et d’instaurer des entretiens de couple que nous espérons poursuivre cette prise en charge.
54 L’irruption des troubles cognitifs dans cette famille ne se semble pas de prime abord avoir modifié l’équilibre relationnel, après une période de crise, chacun semble avoir repris sa place, presque caricaturale. Pourtant, au cours de cette crise, le couple et les enfants ont pu expérimenter la séparation et la capacité de vivre l’un sans l’autre, de nouvelles fonctions ont été attribuées au sein de la famille, puis abandonnées : celle de curateur et d’aidant naturel au fils aîné. Le système, proche de l’explosion est revenu à son fonctionnement antérieur. Néanmoins il a changé, l’équilibre s’est discrètement modifié : les aides extérieures sont acceptées : mesure de protection juridique et service de soins. Par l’intervention à domicile, nous acceptons de faire partie du système, parfois même d’avoir un rôle classiquement attribué à celui d’un membre de la famille : accompagner lors de soins médicaux, paramédicaux lorsque les enfants sont en difficulté. Dans ces situations, notre objectif est aussi d’aider les enfants – et leurs parents – à changer de regard et à adopter de nouvelles positions – d’attachement – pour leurs parents vieillis, de passer de l’enfant craintif à l’adulte aidant [5].
Liens d’intérêts
55l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
- 1. Hefez S., Laufer D.. La danse du couple. Paris : Hachette, 2002 .
- 2. Watzlawick P., Helmick Beavin J., Jackson Don D.. Une logique de la communication. Paris : Seuil, 1972 .
- 3. CirilloS Di Blasio P.. La famille maltraitante. Paris : Fabert Eds, 2005 .
- 4. Ausloos G.. La compétence des familles. Temps, chaos, processus. Toulouse : Érès, 1995 .
- 5. Delage M.. La vie des émotions et l’attachement dans la famille. Paris : Odile Jacob, 2013 .
Mots-clés éditeurs : personne âgée, couple, cas clinique, famille, refus de soin, visite à domicile, pathologie psychiatrique
Date de mise en ligne : 05/03/2018
https://doi.org/10.1684/ipe.2018.1758