1Le mot « clinique », à la fois adjectif et substantif comme son homologue latin d’où il dérive, apparaît pour la première fois dans la langue française en 1626 et va servir à connoter une révolution capitale en médecine. Par opposition au médecin traditionnel qui établit son diagnostic par référence à quelque théorie magistrale, le clinicien pose le diagnostic par l’observation directe, au chevet du malade (en grec, kliné désigne le lit), des manifestations de la maladie, en faisant table rase des connaissances théoriques préconçues. Le clinicien donne semblablement son enseignement médical auprès du lit des malades; par son exemple et sous sa direction, les élèves apprennent à percevoir les signes spécifiques de la maladie à en provoquer au besoin la manifestation, à poser au malade les questions décisives, à conduire un entretien exploratoire. L’Anglais John Locke, médecin, diplomate, philosophe, au xvii e siècle, est le premier, non pas à avoir pratiqué l’observation clinique, ce que tous les grands noms qui jalonnent l’histoire de la médecine avaient fait, mais à lui avoir donné ses lettres de noblesse philosophiques en décrivant dans la clinique l’application particulière à la maladie d’une méthode générale du savoir, la méthode empirique. La valeur, la fécondité de la méthode empirique, par antithèse de la démarche rationaliste, vient de ce qu’elle serre au plus près le cheminement de nos associations d’idées. Toutes nos connaissances vraies dérivent de l’expérience sensible et du cheminement consécutif de nos idées. Du même coup se trouvent fondées la médecine clinique, la psychologie empirique, le libéralisme politique.
2 Les découvertes décisives de la clinique ont été effectuées en France, au début du xixe siècle, par des médecins, Broussais, Laennec, Bichat, qui ont dû leur orientation à l’attitude philosophique empiriste que les « idéologues » professaient à leur tour dans notre pays.
3 L’histoire raisonnée de ces découvertes se trouve dans l’ouvrage de Michel Foucault : Naissance de la clinique (PUF, 1963).
4Si la clinique se définit à l’origine par opposition à la théorie, elle s’est ensuite affirmée, elle s’affirme toujours à l’heure actuelle par opposition à l’expérimentation. La médecine oscille entre la clinique et les méthodes de laboratoire, qu’il s’agisse de la pratique ou de la recherche. Cette même tension, parfois ce déchirement se retrouve en psychologie. Comme l’a fort justement montré Daniel Lagache dans l’Unité de la psychologie (PUF, 1948), deux conceptions de la psychologie s’affrontent et se complètent : une psychologie naturaliste et expérimentaliste, branche de la zoologie, et une psychologie « humaniste », fille de la philosophie empiriste et de la clinique médicale.
5En psychiatrie, la méthode clinique connaît un développement particulier : l’observation des manifestations spécifiques de la maladie devient une observation générale de la conduite ; l’entretien avec le malade devient une anamnèse systématique, la reconstitution de l’histoire de la vie. Élaborée sur des malades mentaux, la méthode clinique s’est étendue du champ de la psychopathologie à celui de la psychologie générale. Elle a pu être avec bonheur appliquée aux individus normaux. Elle est devenue, selon l’expression de Lagache, « l’étude approfondie des cas individuels », et, plus précisément, l’interprétation de la conduite d’un individu en évolution aux prises avec un problème personnel, avec une situation difficile.
6 Le psychologue clinicien l’est resté au premier sens, qui est strictement médical. Il est l’adjoint du psychiatre. Il a pour fonction principale d’examiner le malade mental à l’aide de tests, spécialement de tests projectifs, et d’essayer de reconstituer le tableau d’ensemble de son fonctionnement mental. Ses renseignements peuvent aider le psychiatre à poser le diagnostic, le pronostic et à indiquer un traitement.
7 La psychologie clinique, par contre, c’est-à-dire l’utilisation en psychologie de la méthode clinique, connaît des applications aussi bien non médicales que médicales. L’établissement de la dynamique psychologique d’une personnalité à partir de tests projectifs, de jeux psychodramatiques, d’entretiens non directifs s’est en effet avéré fécond dans les études de marché (c’est la recherche de motivations), dans les sondages d’opinion, dans les enquêtes sociales, dans la sélection et l’orientation professionnelles, etc. La méthode clinique s’est même étendue de l’individu pris séparément à l’observation des petits groupes et des collectivités. La conduite non directive des groupes, le diagnostic et l’intervention d’entreprises en représentent des applications. Parmi ces groupes et ces collectivités se rencontrent les groupes de malades ou de médecins, les établissements psychiatriques et psychothérapiques. D’où une seconde fonction plus récente et plus incertaine qui est parfois assignée au psychologue clinicien : contribuer à l’animation des groupes, à la formation du personnel, à l’investigation des lignes de forces, de résistances et de tensions au sein des équipes hospitalières, voire de la communauté asilaire toute entière.
8 Pour accomplir toutes ses fonctions, le psychologue clinicien a reçu une solide formation de base. Dans les centres universitaires les plus importants, les futurs licenciés de psychologie suivent au sein des facultés de lettres et sciences humaines un enseignement théorique et technique qui tient compte de l’évolution ci-dessus esquissée. Ils complètent cette formation en acquérant, au sein des instituts de psychologie, et avec la collaboration des facultés de médecine, une expérience pratique poussée de la psychopathologie. La réforme actuelle des études supérieures dans les facultés des lettres et sciences humaines, qui entre en vigueur au 1er novembre 1967, donne la possibilité de compléter la licence de psychologie par une maîtrise de psychologie. Celle-ci comporte deux certificats, à choisir par le candidat dans une liste qui comprend notamment un certificat de psychologie pathologique. De plus, à la Sorbonne, il a même été créé un certificat de psychologie clinique, qui sera peut-être appelé à s’étendre à d’autres facultés, et qui doit mettre surtout l’accent sur les applications non médicales de la méthode clinique utilisée en psychologie.
9 Être psychologue clinicien, c’est envisager les choses d’un certain point de vue, poser certaines questions, adopter une attitude envers les individus et les groupes, point de vue, questions, attitude qui leur permettent de se révéler dans leur vérité, dans les causes de leurs résistances et dans leurs possibilités de changement.