1Le qigong ou « travail du souffle », actuellement qualifié de technique corps-esprit, mind-body technic (MBT), est entré dans le champ de la recherche médicale en France depuis 2010, sous la dénomination MAC (médecine alternative complémentaire), terme adopté par l’OMS [1] ou médecine complémentaire (MC) quand elle est utilisée en addition de la médecine conventionnelle [2] et le premier programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), sponsorisé par l’AP-HP, dédié au qigong est obtenu en 2016.
2Sur la forme, débutée en septembre 2018 sur le site pilote de la Pitié-Salpêtrière, l’étude multicentrique, randomisée, en double aveugle, essuie quelques désordres organisationnels multifactoriels et réunit 25 patients sur une estimation de 186 patients attendus en juin 2022. Sur le fond, la motivation à la recherche est optimum puisqu’il s’agit de la première étude en la matière en France, financée par le ministère de la Santé.
3Ce travail de recherche a été expertisé par la Direction générale de l’offre de soin (DGOS) comme technique originale et innovante, convenant de l’intérêt à comprendre les mécanismes à l’œuvre dans ces techniques du corps chinoises et leur contribution dans le champ de la recherche médicale. « Le qigong, une méthode de réduction du craving dans le cadre d’une prise en charge addictologique complexe » a en effet le mérite de proposer une évaluation rigoureuse dans le champ des médecines complémentaires, pour lequel les données sont à ce jour insuffisantes et les études nécessaires. Dans l’esprit du PHRC, dispositif créé en 1992 par Bernard Kouchner, il s’agit, en amont de la recherche fondamentale, de favoriser la capacité de la recherche clinique à encourager le développement de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques ; de dynamiser la recherche clinique hospitalière en vue de promouvoir le progrès médical ; de participer à l’amélioration de la qualité des soins par l’évaluation de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques ; de valider scientifiquement les nouvelles connaissances médicales en vue d’un repérage des innovations thérapeutiques et de la mise en œuvre des stratégies de diffusion dans le système de santé. Ainsi, au terme de l’étude et de l’analyse des résultats, le qigong pourrait entrer au nombre des offres de soin.
4La restructuration géopolitique apparaît également avoir un impact sur l’introduction de la pratique qigong comme objet de recherche en France.
5Dans les années 2000, la Chine fait son entrée dans le commerce international. Son adhésion à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) fait du libre-échange un système quasi planétaire. Les accords de libre-échange définissent les modalités des appels. L’effet d’externalisation est très fort et suppose des stratégies d’équipe avec mise en concurrence. C’est par ce procédé de l’appel d’offres qu’en 2012 un protocole d’accord entre la State Administration of Traditional Medicine (SATCM) et l’AP-HP Paris est signé.
6En France, l’AP-HP intègre un plan stratégique 2010-2014 de développement des médecines complémentaires et engage une réflexion stratégique sur l’exercice des médecines alternatives et complémentaires en son sein. La rédaction du rapport intermédiaire par Fagon précisant la terminologie MAC et MC fait entrer du même coup le qigong à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris dès 2012.
7Aussi, l’obtention en 2016 de ce premier PHRC dédié au qigong est clairement expertisé participant à l’ouverture d’un nouveau champ de recherche. Ce programme, désigné d’innovant, a été apprécié pour son approche mixte biomédicale et psychologique d’orientation psychanalytique. La mise à jour du craving, soit l’envie irrésistible de prendre le produit [3], comme symptôme central de l’addiction et sa nature pulsionnelle, nous conforte dans le choix d’une approche mixte, quantitative et qualitative de type note clinique.
8L’utilisation de méthodes mixtes est appréciée très pertinente dans le champ de l’évaluation des médecines complémentaires d’une part (le patient étant placé par ces approches au « centre » de la prise en charge avec une attention particulière accordée à son vécu subjectif) et dans le champ de l’addictologie d’autre part (où la complexité du sevrage rend une exploration approfondie de cette période par des méthodes qualitatives particulièrement pertinente).
9Le programme a pour objectif d’évaluer l’efficacité du qigong en adjonction de la prise en charge habituelle pour diminuer l’intensité du craving à 75 jours du sevrage réalisé en milieu hospitalier.
10Concrètement, les patients participant à l’étude bénéficient en plus de la prise en charge habituelle de 13 séances de qigong associées à 13 entretiens psychologiques de trente minutes. Le travail thérapeutique procède, en l’occurrence, des temps d’écoute et de parole puis de l’apprentissage d’une technique du corps.
11Au-delà d’une seule aide à la représentation de la conduite addictive, le renforcement physiologique paraît essentiel et pourrait contrecarrer la tendance dépressive observée lors de la période de sevrage.
12Nous savons que la pratique du qigong constitue dès lors un point d’appui, en faveur d’un auto-étayage [4]. Il s’agit de mobiliser les ressources internes, par un travail intérieur. La traduction littérale du terme qigong par « travail et efficacité sur le qi » proposé par Despeux indique ce processus qu’il convient à mon sens de désigner d’étayage. Le recours à une technique corps-esprit, en l’occurrence qigong, pourrait être au service de la pulsion, y a-t-il un effet du qigong sur la pulsion, ici pulsion à consommer ?
13L’étude QICA, QIgong Craving Addiction en tant que le craving est de nature pulsionnelle [5] pourrait nous apporter des éléments de réponse.
14La classification du qigong au nombre des techniques corps-esprit, mind-body therapy par la bibliothèque américaine United States Library of Medicine depuis 2015 et son indexation à ce titre dans le thésaurus biomédical de référence, Medical Subject Headings (MeSH) sont en faveur du caractère thérapeutique du qigong, ce qui va bien au-delà d’une pratique de bien-être et constituent des pratiques à haute valeur subjective [4].
15Il s’agit d’un retour à la perception en repassant par la présence et l’entraînement à la méthode thérapeutique spécifique du qigong en tant que travail du souffle ; en constituant des points d’appui, à partir des ressources propres du corps, une sorte de « bodypowerment », concept émergeant des recherches contemporaines [6]. Considérant les ressources cognitives et organiques, souvent endommagées par le toxique ; cette prise en charge active tend à restaurer les fonctions organiques et cognitives (approche globale et rôle du sang) par cette méthode reconnue par son innocuité [7].
16L’intérêt du PHRC est très important puisqu’il permet de recueillir les données cliniques. Le champ clinique reste essentiel. Le travail clinique vise à comprendre les mécanismes du travail du phénomène craving et à poser les jalons des conditions d’application du dispositif QICA, QIgong Craving Addiction. Le qigong, composante de la médecine chinoise, pourra-t-il offrir une alternative thérapeutique dans une pathologie très fréquente dans laquelle le risque de récidive est de 50 % à 3 mois ?
PHRC QICA QIgong Craving Addiction « Qigong as a method of craving reduction in severe addict patients »
L’objectif principal est d’évaluer l’efficacité de la thérapie par le Qigong dans la réduction du craving à l’alcool chez les patients en cours de sevrage. Mesure de la variation de l’intensité du craving à partir de l’Échelle visuelle analogique (EVA), en aveugle du bras de traitement, entre la baseline premier jour d’inclusion (J0) et 9e semaine (S9).
L’étude concerne des patients hospitalisés dans le cadre d’un sevrage complexe à l’alcool (addiction à l’alcool et comorbidités associées ou d’autres addictions). La première semaine d’hospitalisation est dédiée au sevrage et aux procédures en vue d’une éventuelle inclusion dans l’étude. Les patients ayant donné leur accord pour participer à l’étude sont répartis en deux groupes par randomisation à la fin de la première semaine d’hospitalisation : le groupe contrôle correspond à la prise en charge habituelle, et le groupe verum, les sessions de qigong ajoutées. Le traitement commence la deuxième semaine d’hospitalisation et dure 9 semaines.
Durée totale de la recherche : 27 mois
Budget initial : 37 430 euros sur 5 tranches
Démarrage des inclusions : septembre 2018. Terme de l’étude : juillet 2022
Lien vers le descriptif de l’étude sur le site NIH :
https://www.clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT03589118
Lien vers le communiqué de presse (source : AP-HP) :
https://www.aphp.fr/contenu/lhopital-de-la-pitie-salpetriere-ap-hp-engage-la-1ere-etude-nationale-multicentrique-sur
Liens d’intérêts
17l’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
- 1. Wieland L., Manheimer E., Brian M., Berman B.. Development and classification of an operational definition of complementary and alternative medicine for the Cochrane Collaboration. Altern Ther Health Med 2011 ; 17 : 50-9.
- 2. Fagon JY, Viens-Bitker C. Médecines complémentaires à l’assistance publique-Hôpitaux de Paris. 2012. https://pitiesalpetriere.aphp.fr/wp-content/blogs.dir/134/files/2014/04/Rapport-M%C3%A9d-Compl-%C3%A0-lAP-HP.pdf (consulté le 16 juin 2015)..
- 3. Auriacombe M, Serre F, Fatseas M. Le craving : marqueur diagnostique et pronostique des addictions. 2016 https://www.researchgate.net/publication/321627522_LE_CRAVING_MARQUEUR_DIAGNOSTIQUE_ET_PRONOSTIQUE_DES_ADDICTIONS (consulté le 9 mars 2018)..
- 4. Plet N. Pulsion et Qi, contribution du qigong à la compréhension du mécanisme du craving dans les addictions. [Thèse de doctorat, Université Diderot.] Paris : Sorbonne Paris Cité, 2018..
- 5. Daniel ML. Comment évaluer le craving chez les sujets alcoolodépendants ? [Thèse d’exercice]. Poitiers : Université de Poitiers, 2012..
- 6. Garland E.L., Froeliger B., Howard M.O.. Mindfulness training targets neurocognitive mechanisms of addiction at the attention-appraisal-emotion interface. Front Psychiatry 2014 ; 173 : 1-16.
- 7. Kirsteins A.E., Dietz F., Hwang S.M.. Evaluating the safety and potential use of a weightbearing exercise. Tai Chi Chuan for rheumatoid arthritis patients. Am J Phys Med Rehabil 1991 ; 70 : 136-41.