Introduction
1En France, selon la circulaire du 27 juillet 2010 [1] et les Recommandations de bonnes pratiques (RBP) de la HAS en février 2018 [2], le parcours de diagnostic de l’autisme est organisé en trois niveaux : un 1er niveau de repérage et d’alerte (médecins de premier recours, professionnels de la petite enfance), un 2e pour le diagnostic primaire (équipe pluriprofessionnelle formée aux troubles neurodéveloppementaux [TND]), et un 3e pour les diagnostics dits « complexes » composé par les centres ressource autisme (CRA). L’accès au niveau 3 devrait se faire sur indication des professionnels de 2e ligne qui identifient des éléments de complexité (tableau 1). L’absence de définition précise d’un « diagnostic complexe » dans les différents textes officiels induit un manque de repères pour l’ensemble des acteurs de ce qui est attendu par les trois niveaux de la stratification.
Tableau 1
Tableau 1
Définition des situations complexes selon HAS-20182Le premier critère « diagnostic différentiel difficile à établir » fait référence aux troubles sémiologiquement les plus proches de la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme (TSA). Il s’agit des autres TND, des troubles psychiatriques (troubles obsessionnels compulsifs, anxiété sociale, schizophrénie à début précoce, trouble réactionnel de l’attachement), des troubles sensoriels (surdité) et du syndrome de Rett [3, 4].
3Les « troubles associés » constituent le deuxième critère de complexité et les plus fréquents sont les mêmes que les diagnostics différentiels. Des TND associés au TSA seraient présents chez 82,7 % de ces enfants [5] : le déficit de l’attention/hyperactivité (dans 21,3 % à 40,8 % des cas [5, 6]), la déficience intellectuelle (entre 30 et 70 %, avec une médiane à 40 % selon les pays et les systèmes de soins), le trouble de la communication (63,4 % [6]), le trouble de la coordination (entre 34 et 79 % [7]), et enfin, plus rarement, les troubles spécifiques des apprentissages (6,3 % [5]). Il faut également noter une comorbidité non négligeable (environ 10 % [5]) avec des troubles psychiatriques et des troubles du comportement.
4Le troisième critère de complexité intitulé « situations particulières » fait apparaître à nouveau des intrications étroites entre différents TND et les troubles psychiatriques, recoupant le deuxième critère. Une évocation de l’âge des patients est faite au travers de l’expression « repéré tardivement » sans précision. L’argumentaire des RBP [4] situe l’âge moyen de diagnostic entre 3 et 5 ans, variable selon les pays. Un âge dit « tardif » pourrait être déterminé à 6 ans, qui correspond en France au moment de l’entrée à l’école élémentaire, voyant croître les exigences scolaires ; l’entrée dans les apprentissages peut également révéler les autres troubles spécifiques fréquemment comorbides des TSA, ainsi que des difficultés dans les interactions sociales. De plus, les termes « tableaux cliniques atypiques, etc. » laissent en suspens de nombreuses situations et sont sujets à de multiples interprétations compliquant l’orientation vers un niveau 3.
5Enfin, le dernier critère mentionné par la HAS, « désaccord diagnostic », regroupe des différends soit entre professionnels, soit entre les parents et les professionnels. Des conflits sur les modalités de prises en charge et de compensation du handicap des enfants augmentent le risque de désaccord au sujet du diagnostic entre les familles et les professionnels des différents niveaux.
6Les articles traitant de la question des diagnostics complexes dans les TSA sont peu nombreux. Miles, et al. en 2005 [8] ont proposé de scinder l’autisme en deux catégories, « autisme essentiel » et « autisme complexe », selon les trajectoires neurodéveloppementales et des critères morphologiques. En 2017, De Marchena, et al. [9]ont interrogé 151 cliniciens sur la question des TSA « francs » (simples) : parmi ceux-ci, 97 % reconnaissent l’entité clinique et l’estiment à environ 40 % des TSA ; les auteurs interpellent cependant sur l’absence d’étude à ce sujet. Nous n’avons pas trouvé de définition univoque du « diagnostic complexe de l’autisme ». L’argumentaire scientifique des RBP [4] ne contient d’ailleurs que neuf lignes à ce sujet sur 257 pages, et dans le résumé à destination des professionnels n’apparaît que la table 1 sans commentaire [2].
7Finalement, les éléments de complexités relevés par les RBP sont centrés sur des arguments cliniques, sans évocation de critères environnementaux. En 2008, Kohl, et al. [10]mentionnent qu’une proportion importante de patients évalués dans un centre référent de troubles du langage pour des troubles sévères grandissent dans un environnement multilingue. Parmi ceux-ci, le trouble du langage apparaît plus souvent associé à un TSA. Or, les grilles de cotation cliniques type ADOS et ADI ne tiennent pas compte de l’environnement multiculturel, et peuvent être entravées par une déperdition d’information même en présence d’un interprète [11]. Enfin, Neyton propose aussi une revue de la littérature concernant la migration parentale et l’origine ethnique comme facteurs de risque de la gravité des TSA [12].
8L’Udela (Unité d’évaluation Loire Autisme) est une antenne du CRA Rhône-Alpes implantée au CHU de Saint-Étienne, et assume donc les missions de diagnostics complexes. Elle s’appuie notamment sur des réunions de synthèse pluriprofessionnelles hebdomadaires dans lesquelles sont discutés les bilans à réaliser. Les demandes d’évaluation de TSA reçues (enfants de 0 à 15 ans) débouchent sur un premier entretien (RV1) réalisé en binôme. À l’issue de ce RV1, le consultant, appuyé par l’équipe pluridisciplinaire, décide du déroulement de la démarche de diagnostic standardisée.
9Cette recherche, motivée par une évaluation des pratiques professionnelles (EPP), propose de situer l’activité de l’Udela au regard des recommandations de la HAS concernant les structures de 3e ligne pour le diagnostic de « cas complexes ». Les objectifs secondaires étaient de préciser la définition des diagnostics complexes par le point de vue de ses professionnels et de rendre compte des effets sur l’équipe de la stratification des parcours diagnostics.
Méthodes
10Cette mixed method utilise un agrégat de données tirées de recherches bibliographiques, de la lecture détaillée de cinq dossiers complexes selon les critères HAS, d’une analyse des dossiers vus à l’Udela entre septembre 2017 et juillet 2018, et de la réalisation de deux focus groups d’EPP. Les données intermédiaires de chaque sous-analyse ont été utilisées non seulement par ordre diachronique, mais aussi de manière circulaire synchronique.
11Concernant la recherche bibliographique, nous avons tout d’abord identifié les différents textes officiels français, puis réalisé une revue narrative de la littérature disponible avec les termes : « Autism », « Diagnosis », « Complex », « Differential diagnosis », « Autism Spectrum Disorders », « Difficult ».
12La réalisation de focus groups d’EPP a eu lieu en novembre 2018 et en janvier 2019 rassemblant quatre médecins, une neuropsychologue, quatre psychologues cliniciennes, deux psychomotriciennes, une orthophoniste et sa stagiaire, l’infirmière coordinatrice et la secrétaire. Le guide d’entretien aborde les critères avec lesquels les patients sont perçus comme relevant de la catégorie du diagnostic « complexe », la procédure mise en place par l’Udela pour formuler un diagnostic, son positionnement en tant qu’équipe de 3e ligne, et les difficultés auxquelles elle est confrontée dans ses missions. Les deux entretiens semi-structurés, d’une durée respective d’une heure trente et une heure, ont été menés par la sociologue et l’investigatrice principale, enregistrés avec le consentement des interviewés, et retranscrits en totalité.
13Nous avons réalisé une revue des dossiers des patients qui ont été reçus en première consultation entre le 1er septembre 2017 et le 31 juillet 2018 (année scolaire française), et dont le bilan était terminé au moment de l’analyse des données. En nous basant sur la date du RV1, 126 dossiers ont été sélectionnés, 11 dossiers ont été exclus (quatre refus et sept patients perdus de vue durant le bilan). Dix dossiers n’ont pas pu être inclus dans l’analyse : un était incomplet, cinq autres bilans inachevés à la date de clôture du recueil des données, et les quatre autres étaient des adressages pour soins, le diagnostic ayant déjà été posé par une équipe compétente. Au total, 105 dossiers complets ont donc été analysés. Ce travail avait pour critère de jugement les critères de complexité selon les RBP et ceux mis en évidence par les focus groups. Dans cette étude observationnelle monocentrique rétrospective, nous avons recueilli les données épidémiologiques des patients (âge au moment de la demande, sexe, niveau scolaire, antécédents familiaux, bilinguisme), le mode d’adressage (fonction de l’institution et le niveau de soin auquel il devrait être rattaché selon la stratification HAS, nature de la demande), le bilan préalable effectué et celui réalisé à l’Udela, le diagnostic et les comorbidités retenus, et l’éventuelle prise en charge ultérieure. Le comité d’éthique du CHU de Saint-Étienne a émis un avis favorable le 22 novembre 2018. Le projet a été référencé par le numéro IRBN932018/CHUSTE. Le design de l’étude est résumé dans la figure 1.
Design de l’étude
Design de l’étude
Résultats
Résultats de la revue de dossier selon la stratification du parcours de diagnostic
14Selon les RBP de la HAS, 56/105 patients (53 %) ont été orientés par un médecin de deuxième ligne (tableau 2). Les délais moyens entre la demande de RV et le RV1 étaient de 106 jours pour les demandes émanant d’un professionnel de niveau 1 et de 137 jours pour celle d’un professionnel de niveau 2. Le diagnostic de TSA n’a pu être ni confirmé ni infirmé à l’issue de la procédure de diagnostic pour huit dossiers (7 %).
Tableau 2
Tableau 2
Détails des professionnels adressant des patients à l’UdelaCritères cliniques de complexité selon la HAS
15L’âge médian des enfants au moment de la demande était de cinq ans. Il y a eu 55 demandes pour des enfants de moins de 6 ans (52 %). Concernant les comorbidités, nous avons considéré que la présence de trois diagnostics (diagnostic principal – TSA ou non – et deux comorbidités) faisait de ces dossiers des cas complexes. Au total, 23 enfants avaient au moins deux comorbidités renseignées dans le compte rendu final (22 %), en sus du diagnostic TSA (13 enfants), en l’absence de TSA (sept enfants), ou lorsque les médecins n’ont pas conclu (trois enfants). Parmi ces 23 patients, 11 étaient adressés par un médecin de niveau 1, et 12 par un médecin de niveau 2 (tableau 3).
Tableau 3
Tableau 3
Nombre de dossiers présentant des critères de complexité et selon le niveau d’adressageLes diagnostics complexes à partir de l’expérience des professionnels
16Une méconnaissance de la structuration des parcours diagnostiques est d’après l’équipe, source d’erreurs d’adressage. « Dans le cadre des formations, on a l’impression que les gens découvrent l’organisation stratifiée. » L’incertitude des professionnels de 2e ligne face à une situation complexe qui devrait motiver l’orientation à l’Udela n’apparaît pas toujours clairement dans les courriers initiaux. Il en est de même pour les médecins généralistes dont les courriers, visiblement réalisés à la demande de la famille, sont peu précis.L’équipe met aussi en avant un réseau de soins insuffisant sur le département qui peut engendrer de l’anxiété pour les parents à la recherche d’accompagnements et de soins.
17Les professionnels identifient bien les premiers critères de la HAS autour de l’intrication de comorbidités, des diagnostics différentiels et de l’âge. Le dernier critère intitulé « désaccord » représente pour les soignants un vaste sujet de débat. Les trajectoires de soins peuvent en effet se complexifier lorsque surviennentdes tensions entre famille et professionnels, qui impactent alors la procédure de diagnostic.
18L’équipe évoque également la multiplicité des bilans, qui peut devenir source de complexité et augmente le risque d’incohérences. Ces incohérences peuvent également survenir au sein de l’Udela, soit entre les différents bilans réalisés par la structure, soit entre les résultats des professionnels et les propos rapportés ou les grilles remplies par les familles, l’école ou les proches.
19Enfin,l’environnement familial joue un rôle important dans la complexification des diagnostics. La précarité socio-économique est bien repérée par les professionnels : certaines familles isolées, ayant peu de ressources sur lesquelles s’appuyer, s’inscrivent difficilement dans une procédure de diagnostic. Ces situations sont souvent repérées par la PMI. Au-delà de la difficulté d’accès au système de soin, d’éventuels traumatismes liés aux parcours migratoires complexifient le lien entre l’équipe et la famille. À cela s’ajoute l’existence fréquente d’un bilinguisme familial qui complique la procédure : il s’intrique avec les troubles de la communication chez l’enfant, et la barrière de la langue, même en présence d’un interprète, appauvrit les données cliniques.
20Les antécédents psychotraumatiques familiaux impactent l’environnement de l’enfant et donc le diagnostic. Les situations familiales instables, les conflits conjugaux, les antécédents psychiatriques familiaux, la nécessité d’une aide éducative administrative ou judiciarisée multiplient les intervenants à rencontrer, diffractent l’information et peuvent la rendre contradictoire.
Résultats de la revue de dossier selon les critères établis en équipe
21Les focus groups ont précisé le critère « désaccord diagnostic », et l’existence de tensions entre les professionnels du soin et la famille a été repérée après discussion collégiale pour sept dossiers (7 %) avec un très haut risque de sous-estimation. En effet, ce type d’information n’est que rarement consigné explicitement dans les dossiers médicaux des patients.
22Concernant les incohérences entre les bilans, il n’a pas été possible de les relever durant l’étude. En revanche, nous avons collecté le nombre et le type de bilans effectués avant ou au cours de l’évaluation. Nous avons alors comptabilisé le nombre de dossiers où il a été nécessaire de renouveler un bilan déjà effectué. Nous avons identifié 10 enfants pour le bilan orthophonique, et 10 pour l’évaluation psychométrique ou neurodéveloppementale soit 17 enfants différents (16 %).
23Enfin, 23 enfants (22 %) ont bénéficié de 2 bilans ou plus. Nous entendons par « bilan » : réalisation d’une ADI-R (Autism Diagnostic Interview-Revised), d’une ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule), d’un bilan neuropsychologique (PEP, WISC-V, bilan attentionnel), d’un bilan orthophonique, de trois séances d’observations protocolisées, d’un bilan psychomoteur.
24Les données concernant la précarité de l’environnement familial n’ont pas pu être analysées par un critère direct lors de cette étude rétrospective. En revanche, si l’on considère un critère composite tel que la présence d’un bilinguisme familial, d’un adressage par la PMI en urgence et/ou l’existence d’une mesure éducative judiciarisée, alors 33 enfants (31 %) répondent à un ou plusieurs de ces critères.
25Quarante-six enfants parmi la totalité des dossiers adressés (44 %) et 37 parmi les dossiers complexes (35 %), ont reçu un diagnostic deTSA. Ces chiffres indiquent que tout dossier « complexe » ne recouvre pas forcément un TSA, et qu’une part du travail des centres Autisme revient aussi à éliminer ce trouble, en faveur d’un ou de plusieurs autre(s) diagnostic(s). Le tableau 3 reprend tous les cas complexes distingués par les critères des RBP ou ceux identifiés en focus groups et par niveau d’adressage, ainsi que le nombre d’enfants ayant reçu un diagnostic de TSA. Au terme de ce travail, nous avons donc recensé 40 dossiers de cas complexes adressés par des professionnels de niveau 1 et 40 dossiers complexes adressés par des professionnels de niveau 2.
Vécu de l’équipe face à la complexité
26La complexité induit une incertitude face au diagnostic. Ces situations déstabilisent l’équipe, les poussant à s’interroger avec inquiétude sur leur fonction d’expertise avec un sentiment de solitude, de « dernier recours ». Les membres de l’équipe trouvent alors des appuis au sein de leur pratique mutualisée dans les unités de soins. Leurs connaissances sont réajustées en permanence grâce à leur activité soignante.
27Les focus groups ont eu une fonction de réassurance, permettant à l’équipe de préciser ses missions et de reconnaître ses atouts, notamment celui lié à la réorganisation de l’Udela. Les synthèses pluriprofessionnelles permettent d’inviter des partenaires pour participer aux décisions collégiales. Cela limite le sentiment d’isolement et concourt à la sensibilisation des équipes de 2e ligne aux outils recommandés pour le diagnostic et à l’évolution des classifications nosographiques. Ce partenariat permet de soutenir des positions cohérentes face à des demandes diagnostiques conflictuelles de certaines familles. Pour les enfants de plus de 6 ans, l’équipe relève des parcours de soins plus chaotiques, l’augmentation d’errances diagnostiques, l’accumulation de comorbidités non prises en charge, un risque d’échec scolaire et d’épuisement familial. Pour les enfants de 2 à 5 ans, la proximité des soins précoces au Centre Léo Kanner (service de soins précoces dédiés aux TSA, service de psychopathologie du CHU) permet aux professionnels de l’Udela d’annoncer initialement un diagnostic moins spécifique (TND, retard global de développement), en attendant de recueillir suffisamment d’éléments sur l’évolution des enfants et de réaliser des bilans dans de bonnes conditions.
Discussion
28Ce travail original insiste sur la notion de complexité et montre une équipe pluriprofessionnelle en mouvement, qui tente de se réorganiser autour de la stratification en trois niveaux et de la classification nosographique du DSM-5. Cette structuration ne peut s’envisager qu’en lien étroit avec les partenaires du secteur médicosocial comme de la pédopsychiatrie. L’approche méthodologique de type « mixed method » complète le traitement de données quantitatives par du matériel qualitatif, comblant une définition imprécise des cas dits « complexes », non résolue par la seule recherche bibliographique. Le grand nombre (105) de dossiers analysés permet d’obtenir une bonne représentativité des dossiers traités. Les focus groups sont l’occasion de préciser les représentations d’un échantillon diversifié de professionnels qualifiés.
29Les biais retenus sont essentiellement liés à l’aspect rétrospectif de l’étude, induisant une perte de données notamment sur les critères ajoutés ou modifiés par les focus groups. Les dossiers discutés en réunions pluriprofessionnelles et repérés comme complexes pourraient être tracés avec plus de précisions pour poursuivre ce travail d’EPP et des indicateurs de précarité pourraient par exemple être consignés. La stratification établie par la HAS paraît précise, mais certains professionnels de 1re ligne disposent d’un bon niveau d’expertise. Nous les avons cependant catégorisés en 1re ligne, nous référant à leur niveau de recours par les patients et à l’hétérogénéité des compétences au sein d’un même groupe professionnel. Enfin, il s’agit d’une étude monocentrique, qui ne permet pas de généraliser les résultats au fonctionnement d’autres CRA. Une démarche comparativiste serait pertinente pour analyser les parcours diagnostiques selon des territoires et des organisations différentes, et d’en souligner les invariants.
Stratification nationale
30Si l’on reprend les résultats de notre étude quantitative, 80 dossiers (76 %), soit la grande majorité des patients reçus par l’Udela, relèvent de diagnostics complexes. L’Udela répond donc majoritairement aux missions balisées par les plans nationaux de santé publique. En revanche, la moitié des adressages sont réalisés par des professionnels de 1re ligne, ce qui va à l’encontre des nouvelles recommandations. Une hypothèse est que ces professionnels (ou les parents conseillés par les associations de patients), démunis face aux délais d’attente des professionnels de 2e ligne (Camsp, CMP…) se tournent vers le niveau 3 pour un premier avis dont l’attente est plus courte. L’équipe du CRA pense inconcevable de renvoyer les familles vers les niveaux 2 saturés (1 à 2 ans d’attente) ou dont les pratiques ne répondent pas aux recommandations. Borelle [13] évoque la même situation dans d’autres villes lorsqu’elle réalise son étude de terrain. Quelles que soient les raisons identifiées de ce « circuit court », 82 % des dossiers adressés par des niveaux 1 validaient les critères de complexité que ces professionnels repèrent très rapidement.
Formation continue, travail en réseau et missions de soutien
31Les offres de formation sont à maintenir autant pour les professionnels de niveau 1, afin de clarifier la stratification souhaitée par les autorités de santé, que pour ceux de niveau 2 en précisant avec eux les critères de complexité. Les professionnels de 3e ligne doivent maintenir leurs connaissances par des formations spécialisées et des échanges avec les autres équipes des CRA. Seulement 44 % des patients reçus, complexes ou non, reçoivent un diagnostic de TSA : au-delà du diagnostic d’autisme, la complexité tient au diagnostic différentiel, et éliminer un TSA fait bien partie des missions d’un CRA.
32Ce travail a lancé une initiative de RCP (Réunions de Concertation Pluriprofessionnelles) intégrant des pédiatres et des neuropédiatres, des généticiens, des pédopsychiatres spécialisés dans l’adolescence pour discuter des dossiers les plus complexes. Ce dispositif soutenant le travail en réseau et la formation s’ouvre aux médecins de 2e ligne.
33La réalisation d’EPP a permis un effet d’induction circulaire en clarifiant les critères de la HAS et en donnant à l’équipe l’occasion de trouver les ressources nécessaires pour prendre plus sereinement une place « d’expert ». Ce holding des équipes est essentiel s’il leur est demandé de répondre aux tensions existantes entre familles et soignants, ou de travailler au contact de populations précaires nécessitant un accompagnement plus important [14].
Conclusion
34Développer une stratification du parcours de diagnostic de l’autisme alors qu’un certain nombre d’indicateurs restent imprécis ou absents (précarité socio-économique, bilans multiples et incohérents) est particulièrement problématique à l’aune de la construction des plateformes TND annoncées par la circulaire 22 novembre 2018. Si cette initiative s’avère salutaire afin d’améliorer le repérage et la prise en charge des jeunes enfants, l’absence d’une réflexion soutenue sur les orientations entre les trois niveaux de la structuration risque de maintenir une confusion et un manque de cohérence dans les parcours des enfants. Les difficultés engendrées par la précarité de l’environnement (socio-économique, culturel, familial…) apparaissent cruciales : alors qu’il n’est pas évoqué dans les RBP, il représente un tiers des dossiers traités par notre équipe.
Liens d’intérêt
35l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.
Références
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Mots-clés éditeurs : diagnostic, trouble du spectre autistique, théorie de la complexité, épidémiologie, évaluation, recherche clinique
Date de mise en ligne : 28/08/2020
https://doi.org/10.1684/ipe.2020.2124