Introduction
1Covidom est une application e-santé qui permet aux patients porteurs ou suspectés du Covid-19 sans signe de gravité de bénéficier d’un télé-suivi à domicile via des questionnaires médicaux proposés une ou plusieurs fois par jour, en complément de mesures de confinement. Déployée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris depuis le 9 mars 2020 et étendue rapidement à tous les hôpitaux et aux médecins de l’Île-de-France. Installée dans les locaux du campus de l’hôpital Rothschild à Paris 12e, elle dispose d’un vaste plateau technique. Bénévoles, soutenus par les moyens techniques, les intervenants sont issus pour la plupart des professions de santé (étudiants ou professionnels aguerris) et soutenus par des informaticiens. Après une brève formation technique, ils deviennent des ITS (intervenant en télé-surveillance) regroupés en cellules de 4 à 5, épaulés par un médecin référent.
2La plateforme traite aujourd’hui 4500 appels par jour, un pic a été enregistré le 4 avril avec 11 233 alertes traitées. À ce jour, 28 avril 2020, au total 56 350 patients ont été inclus sur la plateforme depuis le lancement, pour un suivi de 30 jours (sauf cas exceptionnel). Plusieurs patients ont fini leur période de suivi et aujourd’hui 30 481 patients actifs suivis sont comptabilisés.
3Depuis le 17 mars, un groupe sur un réseau social permet de communiquer entre soignants. Un groupe de psychiatres bénévoles s’est constitué en appui à partir du 3 avril réunissant des internes et psychiatres plus expérimentés ayant travaillé sur les attentats de 2015, ils assurent une permanence continue. Les demandes des patients concernent autant leurs plaintes somatiques que psychiques et nécessitent un abord médical, ils interrogent aussi sur leurs traitements et s’il est impossible de prescrire, il est loisible de conseiller.
Méthodologie
4Jusqu’au 20 avril inclus, le protocole était le suivant : l’ITS spécialement formé à la télésurveillance et à l’écoute du patient au moyen de films, alerté par le vécu ou les plaintes du patient, en référait au médecin de la cellule. Celui-ci jugeait s’il était suffisant de procéder à la réassurance du patient par rapport à une anxiété dans les limites de la normale ou selon les antécédents ou les renseignements recueillis par l’anamnèse, alertait le psychiatre. Celui-ci rappelait le patient dans les 24 heures.
5Le nombre de cas traités par les psychiatres suivait la tendance générale des appels et ils diminuaient, s’établissant à une moyenne journalière de 35 à 40 cas.
6Une modification du protocole par l’inscription d’un item nouveau sur le questionnaire journalier sur proposition du référentiel national Institut Pasteur DGOS a été effectuée. Ce questionnement est basé sur une échelle EVA (échelle d’évaluation analogique de 0 à 10, validée en 1999), qui permet au patient d’autoévaluer sa douleur. Elle fut étendue à cette occasion à la détresse psychologique. Dès que le patient coche le seuil de 3 ou plus, une question apparaît pour savoir s’il souhaite être mis en relation avec un psychiatre ou un psychologue. Dans ce cas, cela initie une alerte. Ce questionnement systématique a entraîné une multiplication du nombre de patients référés aux psychiatres.
Âge des patients
Âge des patients
7Il en est résulté une augmentation transitoire des alertes (+ 1 % en valeur absolue donc plus 400 alertes/jour le premier jour mais presque 300 ont été gérées par les ITS sans que le patient nécessite un avis d’un spécialiste), avec un retour au volume usuel des alertes à J + 2 de l’instauration de ce questionnaire. Cette modification a permis une évaluation plus fine des besoins et des demandes. Bénéficiant de compétences cliniques, nous avons remplacé l’échelle EVA. Compte tenu de nos conditions de travail, nous avons procédé à une première évaluation en adaptant l’échelle HADS (hospital anxiety and depression scale) selon les recommandations de la Haute Autorité de santé en 2018 [1], le seuil d’intervention psychiatrique étant fixé à 3, existence d’un suivi psychiatrique régulier, et à 5 le deuil, sur une échelle de 1 à 7, puis nous avons analysé selon les critères diagnostiques usuels.
Étude
8Nous avons donc analysé au 23 avril la totalité des appels se référant à une angoisse décrite par le patient.
9Nous avons d’abord essayé de caractériser la population qui demande à bénéficier d’un suivi psychiatrique : 71 % des concernés sont des femmes. Quant à la tranche d’âge (figure 1), 4 % ont moins de 25 ans, 49 % ont entre 26 et 70 ans, 10 % ont plus que 70 ans et 3 % plus que 80 ans.
10(L’échantillon analysé est composé de 650 patients.)
11La moyenne d’âge enregistré est de 48 ans.
12La cellule psychiatrique traitait entre 30 à 50 alertes par jour, à la suite d’une montée en capacité, 116 patients ont bénéficié de suivi psychiatrique le 23 avril. Nous avons profité de ce flux pour effectuer quelques analyses sur les données pathologiques identifiées. Nous avons donc examiné la totalité des appels se référant à une angoisse décrite par le patient.
13Le diagnostic général est décrit figure 2.
Diagnostic 23 avril avec 116 consultations
Diagnostic 23 avril avec 116 consultations
14Nous avons aussi remarqué une disparité de genre sur ces données pathologiques (figure 3).
Diagnostic par genre 23 avril sur la base de 116 consultations
Diagnostic par genre 23 avril sur la base de 116 consultations
15Nous avons examiné la démographie des patients et leur répartition géographique sur la région d’Île-de-France (figure 4) : elle est homogène sur toute l’Île-de-France.
Pourcentage par commune de patients Covidom en Île-de-France 27 avril 2020
Pourcentage par commune de patients Covidom en Île-de-France 27 avril 2020
16Le tableau 1 récapitule les diagnostics effectués au 23 avril au centre Covidom cellule psychiatrique.
Tableau des pathologies rencontrées
Tableau des pathologies rencontrées
17Les premières conclusions sont d’abord le nombre restreint de cet item angoisse : 116 pour un nombre d’appels de plus de 4000 par jour, ce qui doit être divisé par deux car les patients font majoritairement l’objet de deux appels par jour soit 6 %. Les troubles anxieux modérés et les somatisations représentent 60 % des appels.
18Le protocole suivant est désormais en place :
- Niveau 1. L’ITS évalue qu’un simple temps d’échange avec le patient suffira. Cela ne nécessite pas de transmettre la demande ni aux psychiatres de Covidom, ni à la CUMPT.
- Niveau 2. L’ITS évalue un réel besoin de parler et transfère l’appel aux médecins référents.
- Niveau 3. Le médecin référent décide :
- a. soit de transmettre le numéro de la CUMP au patient ;
- b. soit s’il le juge nécessaire, le médecin transfère la demande aux psychiatres pour rappeler le patient.
19Une première approche nosographie
Les pathologies propres à l’épidémique
Le deuil
20L’opinion publique s’en est saisie. Désormais, les proches peuvent entrevoir le malade avant le décès. Les réactions de deuil retournent à la vie ordinaire. Celles-ci demeurent douloureuses : obsèques clandestines, impossibilité d’exécuter les dernières volontés du défunt – par exemple d’être enterré au bled. Au début de l’épidémie, les proches n’avaient pas accès au malade pendant ses derniers instants, ce qui rendait littéralement le deuil impossible : « Je ne l’ai pas vu, on m’a demandé de venir chercher une urne. Je ne crois pas qu’il soit mort. » Le mécanisme de déni devenait habituel, ce qui entraîne des deuils pathologiques. On passe d’une expérience humaine usuelle au cours d’une existence à une pathologie psychiatrique plus ou moins compliquée. L’absence de rites dans les lieux de culte et les cimetières quasi déserts est soulignée par les patients.
Le deuil en cours ou anticipé prend une grande place
21Les patients sont hospitalisés depuis plusieurs semaines et les proches envisagent une issue fatale. Les familles se rapprochent pour prendre les décisions en l’absence de directives futures.
La souffrance des soignants, atteints par le Covid, quelle que soit leur fonction
22Il est question de la culpabilité de ne plus pouvoir travailler à la peur panique de retourner dans un lieu de travail mortifère. La pression exercée par l’intermédiaire des réseaux est pathogène. La pathologie des soignants est amplement documentée sur les sites médicaux [2]. La confidentialité de nos interventions permet aux soignants de se livrer plus aisément. Les premières reprises de travail sont précédées par des jours de grande anxiété : retourner dans des lieux empreints de souvenirs mortifères, crainte de ne pas trouver de bonnes conditions de sécurité et d’être contaminé à nouveau. Ces propos sont sans cesse repris. La reconnaissance automatique en maladie professionnelle le 21 avril 2020 est vécue comme sécurisante, elle est une reconnaissance de la dangerosité du travail. Ils ne connaissent pas encore les droits qui leur sont ouverts.
Les séquelles en maladie professionnelle risquent d’être lourdes
23Le problème d’évaluation des troubles psychiatriques imputables risque d’ouvrir un large champ contentieux à moins que les commissions n’acceptent enfin de prendre en compte la maladie psychique. Pour les personnes qui ne sont pas des soignants, il est seulement prévu le recours à l’interminable procédure de droit commun. En l’absence d’aménagement pour les autres salariés, un net sentiment de préjudice va se développer.
Le confinement
24Dans des espaces trop exigus et dans une grande promiscuité, pour les enfants ou des adolescents qui souffrent parfois de handicaps mentaux ou physiques, il est à prévoir l’aggravation de la pathologie préexistante ou le développement d’une agoraphobie.
Les addictions
- Sevrage involontaire de toxiques : il est difficile de consommer du cannabis ou de la cocaïne, au moment d’une anosmie ou d’une agueusie
- Les addictions à l’alcool s’aggravent.
- Les troubles du comportement alimentaires entraînent de l’obésité
Les patients souffrant de troubles psychiatriques
26Ils sont plus nombreux désormais même s’ils sont très minoritaires, on compte peu de pathologies schizophréniques. Les troubles de l’humeur sont un peu plus fréquents, accentués par la saisonnalité. Il est admis que 25 % des troubles dépressifs et 15 % des troubles maniaques lui est liée [3]. L’augmentation des troubles maniaques caractéristiques du printemps a été mise en évidence aux urgences psychiatriques. La mise en place par les CMP et les services hospitaliers de mesures adéquates permet désormais de leur adresser à nouveau ces patients connus pour la plupart. L’essentiel de la pathologie concerne les troubles de la personnalité selon la CIM 10 et les troubles anxieux chroniques généralisés ; ils sont accentués et deviennent une comorbidité.
Les manifestations psychiatriques de la maladie
27Il s’agit d’hallucinations dues à la fièvre chez des patients sans antécédents et capables de critiques rapides, des séquelles de la réanimation et du coma.
28Les dyspnées des pathologies broncho-pulmonaires dont l’asthme sont très anxiogènes ; leur recrudescence en cette période de l’année rend parfois difficile le diagnostic différentiel avec l’infection Covid.
29Les apnées du sommeil sont très anxiogènes dans ce contexte, alors que le risque lié à l’apnée du sommeil est en soi nul…
30Un grand nombre de maladies auto-immunes sont représentées.
31Ces différents tableaux cliniques représentent moins de la moitié de nos appels que nous recevons (38 %). La partie la plus importante de notre activité concerne les troubles anxieux réactionnels qui vont de l’hypocondrie à de rares attaques de panique. La réassurance suffit le plus souvent avec parfois un renvoi au médecin traitant pour une prescription d’anxiolytique ou de techniques de gestion du stress.
32Enfin, quelques appels ne concernent pas directement le Covid mais des effets collatéraux : séparation des couples contraints à cohabiter et violences intrafamiliales.
33Sur un plan épidémiologique, après des centaines d’appel, certaines données apparaissent :
- la majorité des appels proviennent des personnes en situation psychosociale difficile : solitude, quartiers sensibles dans toute l’Île-de-France ;
- 71 % des appels qui nous sont référés proviennent de femmes. La surmortalité masculine a entraîné des veuvages, des femmes isolées ou seules avec enfant, la prise en charge du foyer et surtout la précarité ;
- les personnes issues de l’immigration : Maghreb, Afrique subsaharienne mais aussi Asie et Europe orientale, sont surreprésentées.
Conclusion
34Dans un article de 2007 intitulé « Catastrophe. Aspects psychiatriques et psychopathologiques actuels » [4], les créateurs de la CUMP évoquaient les nouveaux risques dans le domaine de la santé après le SRAS, etc. Ils évoquaient de nouveaux défis.
35Covidom est une première réponse utilisant les nouvelles technologies. Celles-ci sont appliquées aussi pour communiquer avec les malades voire avec les personnes qui allaient mourir.
36Ces réponses devraient aussi nous permettre d’anticiper les séquelles : syndrome post-traumatique et développement de pathologies phobiques chez l’adulte. Pour les maladies professionnelles, de simples cellules d’écoute semblent insuffisantes. Quant aux enfants, les répercussions vont être importantes
Références
- 1. Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours. Diagnostic. Méthode. Recommandations pour la pratique clinique. Haute Autorité de Santé Paris, publié en ligne 8 novembre 2017. https://www.has-sante.fr/jcms/c_1739917/fr/episode-depressif-caracterise-de-l-adulte-prise-en-charge-en-premier-recours.
- 2. Shanafelt T., Ripp J., Trockel M.. Understanding and Addressing Sources of Anxiety Among Health Care Professionals During the COVID-19 Pandemic. JAMA 2020 ; 323 : 2133-4.
- 3. Geoffroy P. Saisonnalité et troubles bipolaires. [Thèse de doctorat en médecine.] Lille : Université de Lille, 11 avril 2014..
- 4. Cremniter D, Coq JM, Chidiac N, Laurent A. Catastrophes. Aspects psychiatriques et psychopathologiques actuels. EMC Paris Psychiatrie 37-113-D+10, 2007..
Mots-clés éditeurs : souffrance psychique, coronavirus, soignant, téléconsultation, deuil, application numérique, pathologie psychiatrique
Date de mise en ligne : 17/11/2020
https://doi.org/10.1684/ipe.2020.2163