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Article de revue

Déploiement et réflexions d’une cellule de soutien éthique à l’hôpital Legouest en situation de crise sanitaire liée au Covid-19. Place du psychiatre

Pages 645 à 650

Notes

  • [1]
    La plateforme e-PMSI est conçue pour le recueil et l’analyse des informations sur l’hospitalisation des établissements de santé. Elle est ouverte aux professionnels et utilise un protocole sécurisé.

Introduction

1Depuis la fin de l’année 2019, le monde est frappé par la propagation d’un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19. Le cap de pandémie mondiale a été franchi le 11 mars 2020, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le risque d’hospitalisation pour les personnes infectées est en moyenne de 2,6 %. Ce risque augmente avec l’âge et atteint 31 % pour les hommes de plus de 80 ans [1].

2Le taux de mortalité chez les infectés est de 0,5 % en France, bien supérieur à celui de la grippe saisonnière de 0,1 %, et augmente fortement avec l’âge [2].

3Dans la région Grand Est, le pic de l’épidémie a eu lieu en semaine 13 (du 23 au 29 mars 2020) avec 4116 passages aux urgences pour suspicion de Covid-19, soit 6 fois l’activité pour grippe et syndrome grippal de la semaine du pic d’une épidémie de grippe habituelle. Le nombre des admissions à l’hôpital pour Covid-19 a atteint son pic en semaine 14 (du 30 mars-5 avril 2020) avec 3777 nouvelles hospitalisations, dont 648 en réanimations et soins intensifs, pour 471 lits de réanimation en situation normale. Cette semaine-là, la région a aussi enregistré une surmortalité toutes causes médicales confondues, record, avec un excès de mortalité de 116 % par rapport à la même période les années précédentes [3].

4L’afflux de malades a nécessité l’augmentation des capacités d’accueil des établissements de santé, en hospitalisations conventionnelles et en réanimation, avec l’ouverture de secteurs d’hospitalisations dédiés.

5Dans un premier temps, nous partagerons l’expérience de la reconfiguration en urgence de l’hôpital Legouest à Metz. Nous présenterons, dans un second temps, le déploiement et les réflexions d’une cellule de soutien éthique au sein de laquelle le chef de service de psychiatrie occupe une place centrale.

Un hôpital réorienté

6À l’hôpital Legouest, hôpital général à Metz, jusqu’à 52 lits d’hospitalisation ont été libérés au profit des cas de Covid-19, militaires et civils [4]. Pour mesurer ce redimensionnement, précisons que la capacité totale en hospitalisation conventionnelle avant la crise était de 120 lits, répartis en 6 services (dont 6 lits d’unité d’hospitalisation de courte durée, UHCD).

7La mission prioritaire du service de santé des armées est de soutenir les forces armées. Cependant les HIA participent au service public à la hauteur de leurs capacités.

8L’HIAL est un membre associé du groupement hospitalier de territoire Lorraine Nord, qui répond aux besoins d’une population d’environ 800 000 habitants. Le CHR Metz-Thionville occupe une place centrale au sein du groupement, et c’est avec celui-ci que le partenariat est prépondérant.

9La réorganisation de l’HIAL a débuté le 15 mars 2020 par l’ouverture d’un secteur de 16 lits appartenant initialement à l’unité de médecine vasculaire. Puis le déploiement complet du dispositif d’accueil s’est réalisé en quelques jours, avec des places ouvertes dans les services de médecine interne et rhumatologie, médecine polyvalente et médecine physique et réadaptation. C’est un médecin de l’établissement, chef de service, qui a assuré le rôle de directeur médical de crise pour opérer cette mutation.

10L’hôpital ne disposant pas de service de réanimation, les patients accueillis ne présentent pas de formes sévères, ou ils ont été récusés à des soins de réanimation au regard de leur état de santé. Ils sont alors placés en limitation et arrêt des thérapeutiques actives (LATA) ; mesures réévaluées tout au long de la prise en charge.

11Plus de 150 malades ont été reçus dans ces unités dédiées. La moyenne d’âge de ceux-ci est de 68 ans (source e-PMSI [1]). Des mesures d’accompagnement des fins de vie ont dû être mises en place, le personnel réquisitionné n’étant pas toujours formé ni expérimenté à la gestion de ces situations.

12En effet, pour armer ces « néo-services », le personnel nécessaire a été réquisitionné : médical, paramédical, brancardiers et élèves médecins et infirmiers militaires.

13Les professionnels de santé sont issus de différentes spécialités : médecine vasculaire, médecine interne, médecine polyvalente, rhumatologie, médecine physique et réadaptation, médecine générale, chirurgie, psychiatrie…

L’impériosité éthique

Lignes directrices nationales

14Les perspectives de saturation des établissements de santé et de prévision des décès ont conduit le ministère de la Santé à saisir le comité consultatif national d’éthique (CCNE) fin février 2020. Le 13 mars 2020, le rapport de saisine est rendu. Il reprend un premier principe fondamental de respect de la dignité humaine [5].

15Un plan de lutte contre une épidémie ne doit pas aggraver les injustices déjà existantes au sein de la société. L’engagement de tous les citoyens, dans une démarche responsable et solidaire, est un enjeu éthique central.

16Le CCNE a recommandé la mise en place d’une « cellule éthique de soutien » permettant d’accompagner les professionnels de santé dans la prise en charge des malades graves en contexte de tension des services hospitaliers, en particulier la réanimation.

17Le CCNE a fait connaître sa position sur les visites aux patients le 17 avril 2020. Il insiste, d’un point de vue anthropologique, sur la place et la valeur de l’hommage aux défunts : ritualiser la mort et accorder une sépulture digne. L’absence de rite funéraire (dont la non-présentation du corps du défunt à ses proches) exacerbe la sidération propre au deuil ainsi que la souffrance chez les familles, en spoliant les proches des étapes fondamentales, personnelles et intimes pour surmonter cette épreuve.

18Le 24 mars 2020, les recommandations professionnelles multidisciplinaires opérationnelles sont publiées et insistent sur les aspects éthiques et stratégiques de l’accès aux soins de réanimation et autres soins critiques en contexte de pandémie Covid-19. Ce texte promeut le recours à une cellule d’aide à la décisionpour conforter les équipes dans les décisions prises. Elle serait composée de membres de l’équipe médicale auxquels s’ajouterait, si possible, un praticien indépendant (d’un service moins impacté par la crise) permettant d’y apporter le recul nécessaire [6]. Cette dernière formulation permet aisément d’imaginer la place privilégiée d’un psychiatre comme praticien pouvant avoir ce recul adapté. On remarquera ici que le concept de « réflexion éthique » glisse vers le terme « d’aide à la décision ».

19Une directive nationale du service de santé des armées est éditée le même jour et réitère l’objectif de promouvoir la réflexion éthique dans cette période de crise.

20Le 3 avril 2020, à l’occasion d’une réunion avec les représentants des principaux cultes, le président de la République a souhaité donner suite à une proposition commune, visant à faciliter la mise en relation des patients qui en éprouvent le besoin, avec une personne à même d’assurer un soutien spirituel.

Application à l’hôpital Legouest

21Le 19 mars 2020, à la demande du directeur de l’hôpital, un médecin officier général dans le service de santé des armées, l’hôpital Legouest crée une cellule de soutien éthique pilotée par le chef du service de psychiatrie.

22Ses membres sont médicaux, notamment le chef de service des urgences et le directeur médical de crise. Ils sont pluridisciplinaires avec l’intégration d’une équipe mobile de soins palliatifs du CHR de proximité. Les paramédicaux y sont représentés régulièrement par des cadres de santé. Au moment de la création de la CSEt, il est convenu d’une réunion bi-hebdomadaire qui devient hebdomadaire un mois après son lancement.

23D’une part, son rôle est de fournir une aide pour les décisions médicales complexes que pourraient être amenées à prendre certaines équipes. D’autre part, elle prend en compte les besoins quotidiens dans l’organisation des soins et les attentes des personnels confrontés à la prise en charge des patients.

24La cellule s’est positionnée dans un rôle d’espace ouvert de réflexions et de propositions en soutien direct aux équipes soignantes, et non d’instance décisionnaire parallèle, avec des apports techniques et éthiques théoriques appliqués aux situations. L’objectif est d’apporter aux équipes un éclairage complémentaire et des outils, en conservant leur autonomie de prise de décisions. Cette direction est également celle que prend Armelle Grenouilloux, psychiatre qui préside un comité d’aide à la réflexion éthique en hôpital général [7].

25L’existence d’une cellule extérieure aux équipes directement engagées auprès des patients, qui viendrait décider d’orientations voire de limitations lourdes de conséquences, présente de potentiels écueils et questionnements, précisément éthiques. Il nous est apparu justifié, en termes de bénéfice et de risque, (absence de patients réanimatoires sur l’hôpital) de ne pas nous orienter vers cette piste de « cellule d’aide à la décision » mais de privilégier celle d’une cellule de soutien éthique, apportant donc un appui, certes plus théorique et nuancé, mais plus adapté à notre activité singulière.

26On remarquera que l’HIAL a été particulièrement réactif aux enjeux de la crise sanitaire en déployant cette cellule de soutien éthique dans les suites du communiqué du CCNE du 13 mars 2020, sans attendre les textes ultérieurs du 24 mars 2020 qui ont confirmé cette nécessité.

Mesures éthiques pratiques

27Le risque de contamination implique des mesures de protection renforcées pour les soignants en secteur Covid avec des masques FFP2, des blouses, des gants, des charlottes et des équipements supplémentaires pour les soins au contact des malades.

28Au départ, le risque infectieux a imposé l’interdiction des visites extérieures auprès des malades. L’interdiction des toilettes mortuaires et des cérémonies funéraires a, de plus, empêché la présentation du corps aux familles.

29La réflexion à propos des fins de vie a ainsi été le premier sujet étudié par la CSEt.

30Dès sa création, le 19 mars 2020, une mesure dérogatoire de visite pour les patients est proposée puis validée par la direction de l’hôpital. Elle est destinée aux malades dont l’état clinique est jugé critique avec un engagement du pronostic vital à court terme. Sur décision médicale, elle permet la visite de deux proches, pour 30 minutes maximum. Les visiteurs sont équipés avec les mêmes dispositifs que les soignants, dans le respect des mesures de protection.

31Toujours pour répondre à ce besoin élémentaire de conservation d’un lien entre le patient et ses proches, des tablettes numériques ont été mises à disposition des patients afin de communiquer via des logiciels de visioconférence. Ces tablettes ont été aussi utilisées pour proposer une forme de relaxation par la musique, dans une perspective de bien-être.

Figure 1

Limitation et arrêt des thérapeutiques actives

figure im1

Limitation et arrêt des thérapeutiques actives

.

32Sur proposition de la CSEt, le médecin-chef de l’hôpital a décidé qu’une lettre de condoléances serait adressée à toutes les familles endeuillées.

33Une cellule d’information aux familles a été ouverte rapidement le 18 mars 2020. Elle vise à recueillir les demandes de la famille et des personnes de confiance, à donner des nouvelles des patients et à organiser les visites auprès des malades. Cette tâche est confiée aux aspirants médecins militaires en 4e et 5e années, de l’École de santé des armées de Lyon ou de statuts réservistes.

34D’un autre côté, un grand axe de réflexion de la CSEt s’est porté sur les LATA. Un « flyer » d’information à destination des secteurs Covid a été rédigé (figure 1). Il vise à diminuer le vécu péjoratif que les soignants portent sur ces décisions en insistant sur leur caractère collégial, réversible, et sur la place du patient et des proches.

35Une fiche de la Société française d’anesthésie réanimation (SFAR), a été intégrée par le service informatique au logiciel métier (Référence Amadeus de Maincare), permettant d’ajouter un formulaire au dossier médical numérique du patient, assurant ainsi la traçabilité de la réflexion [8].

36Le pilote de la CSEt, et un médecin travaillant en secteur Covid, se sont rendus au contact des équipes, pour leur présenter les travaux sur les LATA. Les cadres de santé sont également des alliés précieux pour la diffusion des informations. En pratique, il apparaît important d’informer les soignants des différences de concept entre LATA et fins de vie : par exemple, un patient suivi pour insuffisance respiratoire chronique peut guérir d’une infection à coronavirus et regagner son domicile alors même qu’une LATA est posée initialement, (récusation d’un transfert en réanimation).

37La CSEt a la volonté de partager les enjeux et les écueils créés par la crise Covid, avec les représentants des principales religions. Quatre aumôniers (catholique, musulman, protestant, israélite) ont été intégrés aux réunions. Ils sont autorisés à rendre des visites pour assurer un soutien spirituel aux malades et aux patients en fin de vie, dans le respect des mesures de protection. Des fiches réflexes par religion ont été rédigées par les aumôniers, à destination des équipes soignantes, afin de prodiguer les soins appropriés aux corps. Cette collaboration permet de joindre des regards qui se mêlent peu habituellement. Cela favorise un éclairage plus exhaustif sur certaines situations complexes.

38L’équipe mobile de soins palliatifs du CHR a apporté un soutien technique continu, en délivrant des conseils dans la pratique des soins, et des fiches de synthèse pour les prises en charge spécifiques, comme les dyspnées inconfortables et les détresses respiratoires aiguës asphyxiantes terminales. Leur expérience dans les domaines de la limitation des soins et des fins de vie apporte un recul éthique précieux aux soignants des autres champs de spécialités.

39La CSEt a évalué d’un point de vue éthique l’utilisation d’un dispositif médical en secteur Covid : la pression expiratoire positive exercée à l’aide d’un kit de Boussignac [9]. Cela permettrait à des patients en LATA, et qui ont des besoins en oxygène supérieurs à 6 litres par minute, d’être ventilés de manière plus efficace. Cela peut toutefois aussi engendrer des douleurs du visage et des lésions cutanéo-muqueuses.

40La CSEt a insisté sur la nécessité de surveiller ces effets secondaires. Par ailleurs, cette ventilation ne présente qu’un risque moindre d’aérosolisation des particules virales et ne met ainsi pas en danger le personnel soignant. Étant donné le bon rapport bénéfice/risque, la CSEt a émis un avis éthique favorable à l’utilisation de cette technique, dont certains patients ont pu bénéficier.

41L’amélioration du confort du patient a conduit à ne pas effectuer de prises de sang en secteur Covid avant 6 h 30 du matin, décision prise après un audit des pratiques.

42Ces conditions de travail exceptionnelles ont enfin conduit la CSEt à valider une évaluation de l’épuisement professionnel, destinée aux équipes employées en secteur Covid, reposant sur l’utilisation d’une échelle standardisée (Maslach Burnout Inventory [MBI]).

Place du psychiatre

43Le chef du service de psychiatrie a été désigné pilote de la cellule de soutien éthique. Le CCNE précise que sa composition doit être plurielle, en représentant différentes professions, religions et philosophies [10]. Ajoutons que la désignation d’infirmières, très proches par leurs fonctions des préoccupations des patients, ainsi que des membres des professions paramédicales, est opportune.

44Mener, en tant que soignant, une interrogation éthique quant à l’influence de ses propres représentations de la maladie sur ses prises en charge, ainsi que de la compatibilité de celles-ci avec la société, est une voie qui permet un ajustement éthique des soins.

45Le psychiatre tient une place particulière dans une cellule éthique car il entretient des liens avec les sciences naturelles tout en trouvant identité et légitimité dans les sciences humaines [11]. La psychiatrie a pour objet la subjectivité, celles du psychiatre et du patient, avec chacun leurs croyances, affects et imaginaires. Elle a pour outil l’intersubjectivité dans le colloque singulier. Dans la rencontre avec le patient, le praticien se positionne dans une éthique de relativisation de son savoir, en cherchant le « vivre bien » [12]. Le psychiatre est attentif aux relations interpersonnelles et au bien-être des patients comme des soignants. Pour autant, il n’est pas le référent officiel des questions morales, des enjeux interhumains et éthiques.

46Endosser ces nouvelles fonctions de réflexions éthiques, en période de crise sanitaire, est un défi à relever. Cela exige des capacités d’adaptation, obligeant à sortir de sa zone de confort. Les enjeux éthiques soulevés, nous l’avons vu, dépassent le champ médico-psychologique. En conséquence, les questions techniques abordées nécessitent une mise à niveau rapide.

47Il se trouve que le psychiatre de la CSEt est titulaire d’un DES de médecine générale obtenu avant sa spécialisation en psychiatrie. Il possède des bases théoriques et une expérience de médecine somatique qui lui apportent une plus-value dans ses fonctions en période de crise Covid. De nombreux médecins militaires suivent ce cursus, comme deux des auteurs de l’article. Cette particularité comporte aussi des avantages, dans la pratique quotidienne de la psychiatrie militaire qui demande de fortes connaissances des spécificités d’emploi des personnels dans les armées, notamment dans la détermination de l’aptitude à servir.

48À partir du moment où la CSEt a été créée, un risque de dérive a été repéré. La tentation est forte de saisir la cellule dans la prise directe de décision, par exemple sur les instaurations de LATA, voire de soins palliatifs. La présence d’un psychiatre ne saurait cautionner le rôle de juge ou d’instance « morale », qui pourrait être attribué de façon inadaptée et illégitime à la CSEt. Le risque serait de spolier les équipes soignantes de leurs décisions collégiales. Le vécu pourrait être péjoratif pour les professionnels investis dans l’accompagnement des patients. « L’aide à la réflexion (et non l’aide à la décision) […], en tenant le plus possible à distance intuition et convictions personnelles […], paraît, de loin, la plus pertinente pour l’instauration d’une éthique en profondeur qui infuse l’ensemble des unités et services à partir d’un comité d’éthique local » [7].

49« Si l’éthique est réflexion sur les principes qui président aux décisions, alors l’éthique est attitude, l’éthique est réflexion critique. La psychiatrie n’étant qu’un des champs particuliers d’application de l’éthique, elle ne saurait nullement en modifier les assises » [7].

50Le positionnement du psychiatre hospitalier se veut à la fois assuré mais prudent, voire critique. L’expérience transversale du psychiatre, pilote de la CSEt, est à la croisée de la clinique, du management et de la psychiatrie de liaison. Ces différentes missions assoient crédibilité et légitimité dans ces fonctions. Nous pensons que cette tâche est plus logiquement confiée à un psychiatre possédant plusieurs années d’expérience. Un jeune praticien pourrait être moins à l’aise avec le travail multidisciplinaire et institutionnel.

51Une formation dans le domaine de l’éthique serait un atout mais n’est pas indispensable. Dans cette situation, le psychiatre est entouré de personnels qui possèdent des compétences spécifiques comme une cadre de santé titulaire d’un diplôme universitaire d’éthique.

52Concernant la singularité du psychiatre militaire, le professeur Guy Briole développe la notion psychanalytique d’extimité. Le psychiatre est un médecin à qui l’on peut confier son intimité. Il est aussi militaire, et on partage avec lui quelque chose d’intime. Pourtant il est psychiatre, donc, aussi, toujours quelque peu « autre » [13]. Ce positionnement est précieux pour entretenir le dialogue avec les militaires, en particulier les blessés psychiques, y compris directement sur les théâtres d’opérations extérieures. Le psychiatre militaire est un officier reconnu par le commandement, et qui partage une communauté d’appartenance (culture, valeurs, engagement, mais aussi langage) avec les autres militaires. Dans le même temps, il est aussi identifié comme un médecin hospitalier exerçant habituellement en dehors du régiment de son interlocuteur potentiel. Il échappe donc à toute suspicion de partialité ou d’influence.

53Le parallèle avec la place du psychiatre dans la CSEt peut être réalisé. Le psychiatre est médecin, et à ce titre, il travaille en collaboration avec les autres praticiens de toutes spécialités. Ils partagent des connaissances théoriques communes et une expérience clinique auprès des malades. Le pilote de la CSEt est aussi militaire, intégré dans la chaîne hiérarchique et dans le travail institutionnel. Il possède une expérience d’exercice sur les théâtres d’opérations extérieures. Il sait adapter ses prises en charge aux situations d’exceptions, s’articuler avec des intervenants du domaine de la santé à l’étranger et en métropole, et conseiller le commandement, dans le respect des règles de déontologie.

54En même temps, le psychiatre a souvent un regard différent, un recul dans l’analyse des situations qui lui sont présentées. C’est lié à une pratique éminemment clinique dans laquelle l’accès à la subjectivité du sujet est au cœur de la rencontre.

55Le directeur de l’hôpital a apporté son plein soutien et une volonté facilitatrice dans l’ensemble des travaux menés. Il utilise une métaphore navale pour décrire la place du psychiatre dans la CSEt. Le psychiatre est une « ancre flottante », c’est-à-dire qu’il permet à l’institution de maintenir le cap pendant la tempête, tout en évitant de dériver vers des eaux plus troubles et dangereuses.

Conclusion

56La cellule de soutien éthique de l’hôpital d’instruction des armées Legouest a été créée de façon exceptionnellement rapide pour répondre à l’urgence sanitaire.

57Les propositions et actions menées par la CSEt ont pour objectif d’améliorer les conditions d’hospitalisation du malade et d’exercice des soignants, sans créer une surcharge de travail pour ceux-ci. Les mesures ont parfois débuté en avance de phase par rapport aux directives nationales. Citons la création de la cellule ou encore les dérogations accordées pour les visites aux malades. Ces anticipations, qui s’imposaient en situation de crise, ont respecté les recommandations ultérieures.

58Le travail de la CSEt s’est opéré selon deux grands axes communs aux comités locaux d’éthiques [7] : une réflexion sur des cas complexes ayant posé des problèmes éthiques et une réflexion sur l’éthique du quotidien des soins.

59Le bon fonctionnement repose avant tout sur la coordination entre les intervenants qui la composent : pilote, directeur de crise, cadres, aumôniers, etc. Chacun partage une vision commune dans l’accompagnement des patients et le soutien des soignants. Au départ, des comptes rendus journaliers notant les attentes des personnels d’une part et de la direction d’autre part, étaient exposés en réunion de crise.

60Deux écueils principaux dans le fonctionnement d’une cellule de soutien éthique doivent être évités selon nous. La cellule n’a pas vocation à se substituer aux décisions des soignants sur le terrain, c’est bien une instance d’aide à la réflexion. D’un autre côté, son existence est conditionnée par la proposition d’actions concrètes destinées à l’amélioration des soins. Elle perdrait de son sens en devenant une structure de réflexion purement théorique.

61Une cellule de soutien éthique à l’hôpital est un organisme dont les sujets de réflexions et les champs d’action sont vastes. Chaque établissement doit en définir les contours et les missions en fonction de ses particularités.

62La forte « militarité » de la psychiatrie militaire s’exprime à travers une capacité de réactivité et d’adaptation, une connaissance du milieu, une expérience de travail transdisciplinaire et une place dans la communication et le conseil au commandement. Cette expérience de pilotage et de réflexions d’une cellule de soutien éthique en période de crise Covid, nous paraît illustrer l’expérience de la psychiatrie militaire en milieu opérationnel, au profit de la résilience nationale et du service public, en situation exceptionnelle.

Liens d’intérêt

63Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Références


Mots-clés éditeurs : retour d’expérience, accompagnement, psychiatrie, SARS-CoV-2, pandémie, éthique, établissement de santé

Date de mise en ligne : 17/11/2020

https://doi.org/10.1684/ipe.2020.2166

Notes

  • [1]
    La plateforme e-PMSI est conçue pour le recueil et l’analyse des informations sur l’hospitalisation des établissements de santé. Elle est ouverte aux professionnels et utilise un protocole sécurisé.

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