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Article de revue

Orange Bank : la première telco-banque

Pages 60 à 63

Notes

  • [1]
    Les GAFA : Google, Amazon, Facebook, Apple.
  • [2]
    Les NATU : Netflix, Airbnb, Tesla et Uber.
  • [3]
    ACPR : Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution.
  • [4]
    BCE : Banque centrale européenne.
  • [5]
    NFC : Near Field Communication.

Introduction : la banque mobile vue par un opérateur de télécommunications

1Avec une approche nouvelle et exclusive au niveau mondial, le groupe Orange se lance dans la banque de détail. En effet, les services financiers sur mobile sont l’un des piliers de la stratégie de diversification et l’un des relais de croissance prioritaires du groupe Orange. C’est une opportunité dont il s’est astucieusement saisi afin de profiter de son savoir-faire en matière de numérique pour s’ouvrir de nouveaux horizons. C’est surtout pour lui une façon d’être encore plus proche de ses clients dans leur vie numérique, au même titre que ses offres d’accès Internet, de téléphonie fixe ou mobile, de contenus et d’objets connectés.

2Il s’agit pour ce telco, d’une part, de tirer parti des évolutions du marché bancaire, des technologies et du nouveau comportement des clients, et, d’autre part, d’utiliser ses nombreux atouts pour proposer un nouveau modèle de banque incluant le paiement sous des formats les plus étendus, tout en offrant également une palette complète de services bancaires, et ce, afin de construire une activité qui soit rentable sur la durée.

Les modèles économiques

3Les modèles économiques des services de paiement et des banques de détail diffèrent. L’appellation « néobanque », qui est souvent reprise par les commentateurs, s’applique en général à des établissements de paiement et non à des établissements de crédit.

Le paiement : un modèle de flux

4Quelle que soit la technologie en jeu et quel que soit le média utilisé (smartphone NFC, carte, SMS…), une activité de paiement dématérialisée a un business model de flux. En effet, le chiffre d’affaires de l’opérateur est constitué des commissions sur paiement – ou sur rechargement, dans le cas d’un porte-monnaie électronique – associées au moyen de paiement. De ce fait, c’est bien le flux des transactions qui engendre des recettes.

5Dans les pays d’Europe occidentale où le taux de bancarisation est très élevé, les clients ont, pour la plupart, une carte bancaire déjà facturée par la banque (à l’unité ou dans le cadre d’un forfait de services). Du point de vue économique, il n’est donc pas rationnel, pour le client, de devoir payer une commission supplémentaire pour avoir le droit de payer un bien ou un service.

6C’est pour cette raison que les offres des Fintechs en matière de paiement sont soit gratuites – et dans ce cas la rentabilité de l’activité est impossible à assurer –, soit payantes – et s’adressent plutôt à un marché de niche. Mais même dans ce dernier cas, la rentabilité est loin d’être garantie : les prix restent bas et ne permettent pas d’absorber les coûts fixes.

7De plus, l’évolution des technologies ou, tout simplement, là encore, les nouvelles réglementations et normes en cours d’implémentation – SEPA, DSP2, Instant Payment – continueront de challenger les modèles économiques des acteurs du paiement. De fait, les investissements nécessaires à la sécurité et à la robustesse du service, et donc à la conservation de la confiance d’utilisateurs toujours

8prompts à changer de fournisseur, dépasseront certainement la capacité financière d’acteurs trop éparpillés.

9Les Fintechs spécialisées dans le paiement cherchent de ce fait à se vendre à un investisseur désireux d’acquérir le savoir-faire technologique afférent ou à s’adosser à une banque classique qui saura valoriser son fonds de commerce (par exemple, en proposant à ses clients des produits complémentaires en matière de crédit ou d’assurance).

La banque de détail : un modèle de stock

10La banque de détail, en revanche, est basée sur un modèle de constitution sur la durée d’un fonds de commerce. Les investissements initiaux en termes de conception d’offre, de processus de gestion et de système d’information sont relativement élevés. Le coût d’acquisition de nouveaux clients l’est aussi comparativement à celui des opérateurs de paiement.

11La rentabilité de l’opération s’acquiert sur la durée en fidélisant le stock de clientèle et en lui proposant des produits générateurs de marges : crédits, produits d’épargne, assurances de dommages aux biens et aux personnes…

12Si la tarification adoptée pour les produits de la « banque au quotidien » est de plus très compétitive, afin de recruter rapidement le plus possible de clients, on arrive à un point d’équilibre se situant entre 5 et 7 ans d’existence, traditionnellement.

13C’est donc bien sur un stock, obtenu chèrement, que se fabrique la rentabilité. Une fois ce stock constitué, l’activité devient très profitable, surtout si l’on a des processus de gestion efficaces, simples et qualitatifs et si le nombre des nouveaux clients recrutés devient marginal par rapport au nombre des clients déjà acquis.

14Bien entendu, la solidité financière de l’investisseur (la banque elle-même ou le groupe auquel celle-ci appartient) est à la fois un facteur majeur de réussite et une barrière à l’entrée pour de nouvelles initiatives, notamment ce que l’on appelle (à tort) les « néo-banques », lesquelles se cantonnent plutôt à l’activité de paiement.

De profondes mutations plus ou moins rapides

15Cet environnement en pleine évolution propose nombre d’opportunités aux nouveaux entrants. Réglementation, technologie, usages… : le paiement, bien que central parce que faisant partie de l’expérience quotidienne que l’on a de la banque, n’est pour autant que l’une des facettes du métier de banquier – un métier lui aussi en plein changement !

Les banques : des fonctionnements à réinventer

16Les banques de détail traditionnelles ont, depuis le milieu des années 1990, cherché à repousser les clients en dehors de leurs agences, au motif qu’elles voulaient accroître le temps consacré au commercial. Les commerciaux devaient privilégier les actes de vente au détriment des opérations de guichet (remise et encaissement d’espèces, chèques, virements…) peu rentables, mais qui engendraient naturellement du trafic. Les agences ont été modifiées dans leur fonctionnement et leur aménagement : un mur d’automates incitant les clients à faire leurs opérations par eux-mêmes, un guichet d’accueil barrant le chemin conduisant vers les bureaux de conseillers recevant uniquement sur rendez-vous ! La réussite est totale : les clients n’y viennent plus du tout !

17Il faut bien admettre que les banques ont subi, et continuent de subir, de nombreux changements dans leur environnement, notamment du fait d’un empilement de réglementations qui accroissent leurs coûts et laminent leurs marges. Les commerciaux eux-mêmes consacrent un temps croissant aux formalités administratives obligatoires, pour être en conformité avec la loi.

18Les banques de détail ont historiquement étendu leurs réseaux d’agences, partant du constat que leur part de marché était proportionnelle au nombre de leurs agences. Elles ont aussi développé des canaux alternatifs (Internet, centre d’appels et, plus récemment, applications mobiles) indispensables à la palette des services à offrir au client, mais aussi servant de relais au réseau d’agences, pour des opérations à faible valeur ajoutée. Souvent, ces canaux ont été considérés plutôt comme une contrainte générant des coûts supplémentaires que comme de véritables opportunités de développement commercial.

19Dans le même temps, de nouveaux acteurs spécialisés (courtiers de crédit ou d’assurance, établissements de paiement, plateformes de financement participatif et agrégateurs d’informations) faisaient leur apparition et ne tardaient pas à défier les banques installées. Tous repoussaient l’activité des banques derrière leur dernier mais solide rempart : leur bilan. Or, c’est la gestion prudentielle de leur bilan par les banques qui garantit la solidité du système financier, et donc la capacité d’un financement de l’économie, notamment par le crédit.

20La banque de détail va désormais devoir rapidement s’adapter en menant simultanément de multiples chantiers de transformation, parfois difficilement compatibles entre eux, qui favoriseront peut-être l’émergence de nouveaux modèles de fonctionnement : systèmes d’information, réseaux de distribution, offres de produits et de services, acquisition de savoir-faire technologiques…

Les clients : de nouvelles générations

21Aujourd’hui prépondérante, la génération Y – les Millennials – est très autonome et est, de ce fait, très consommatrice d’Internet, de smartphones et de réseaux sociaux. Même si ses comptes bancaires ont été initialement ouverts dans une agence, celle-ci n’est plus aujourd’hui pour elle son premier mode de contact. La génération Z – les post-Millennials – qui suit est totalement immergée dans le numérique et ignore totalement les agences bancaires dans sa relation au jour le jour, y compris pour l’ouverture d’un compte.

22Les attitudes paradoxales sont légion : les clients attendent une personnalisation poussée de l’offre, tout en demandant des produits simples. Ils sont attachés à la confidentialité, mais n’hésitent pas à tout raconter sur les réseaux sociaux. Ils craignent que la banque mobile utilise des techniques de Big data pour décoder leur comportement, mais autorisent dans le même temps les GAFA [1] et autres NATU [2] à épier leurs faits et gestes en temps réel par l’intermédiaire de leur smartphone géo-localisé qui diffuse toutes sortes d’informations dans le cloud ! Ils veulent être suivis par un conseiller attitré mais disponible tout le temps ! Ils choisissent de plus en plus les banques sans agence, mais considèrent que le contact physique reste nécessaire pour un prêt immobilier…

La technologie : le smartphone en première ligne

23Le smartphone est maintenant le premier mode de contact entre le client et sa banque. En effet, depuis deux ans, environ, le smartphone a supplanté Internet, reléguant les agences en dernière position.

24Mieux encore, l’application bancaire smartphone figure parmi les trois applications à être consultées en premier, le matin, par la plupart d’entre nous, avec la messagerie et la météo.

25Pourtant, le concept même de smartphone n’a réellement pris son envol qu’après l’apparition de l’iPhone, le premier smartphone tactile, c’est-à-dire il y a tout juste dix ans. Et le paiement sans contact n’est disponible, en France, que depuis l’été 2016 !

26Quoi qu’il en soit, à l’instar des autres pays européens, la France devrait voir le taux d’attrition augmenter dans la banque au profit des banques mobiles, que celles-ci soient sans agence ou constituées d’une agence d’un réseau bancaire existant consultable exclusivement à distance.

Boutique Orange Money au Burkina Faso offrant un service de transfert d’argent sécurisé et immédiat de mobile à mobile

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Boutique Orange Money au Burkina Faso offrant un service de transfert d’argent sécurisé et immédiat de mobile à mobile

« Fort de son véritable succès en matière de paiement, en Afrique, avec Orange Money (30 millions d’utilisateurs, pour un milliard d’euros de transactions chaque mois), le groupe Orange a décidé de se lancer dans la banque de détail à l’échelle européenne. »
Photo © Jean-Claude MOSCHETTI/REA

27Pas étonnant, dès lors, que les banques à réseau aient quasiment toutes annoncé la diminution significative du nombre de leurs agences. Et celles qui ne l’ont pas annoncé ont en réalité déjà commencé à les réduire, mais dans la plus grande discrétion.

Du paiement à la banque

28Tout commence avec le paiement en ligne et sa proximité évidente avec la téléphonie mobile. Fort de son véritable succès en matière de paiement, en Afrique, avec Orange Money (30 millions d’utilisateurs, pour un milliard d’euros de transactions chaque mois) et compte tenu des constats évoqués plus haut, le groupe Orange, sous l’impulsion de Stéphane Richard, son président-directeur général, a décidé de se lancer dans la banque de détail à l’échelle européenne. En Pologne, le lancement réussi d’Orange Finanse – une offre bancaire portée par mBank et distribuée par Orange – confirme le potentiel d’Orange sur le marché des banques de particuliers. En Europe de l’Ouest (France, Espagne et Belgique), Orange Bank offrira un service bancaire complet, nativement mobile, en temps réel et, ce, en disposant d’une expérience client incomparable.

Un capital telco à valoriser

29L’expérience du paiement acquise en Afrique avec Orange Money (mais aussi en Europe, avec Orange Cash) montre donc la voie à suivre. Dans un marché sursaturé mais qui devrait se fluidifier et se déplacer en faveur des banques sans réseau d’agences, Orange s’appuie sur une combinaison d’atouts essentiels pour réussir :

  • une assise de 28 millions de clients,
  • un réseau de distribution dense (800 boutiques en France, par exemple), qui permet l’ouverture d’un compte dans un point de contact physique ;
  • le capital de confiance de la marque, qui porte des valeurs clés : sécurité, fiabilité, solidité,
  • l’assise financière, nécessaire pour garantir les investissements indispensables à la constitution d’une activité durable et qui rassure des autorités (l’ACPR [3] et la BCE [4]) à juste titre attentives aux initiatives innovantes,
  • le savoir-faire technologique : systèmes d’information, applications mobiles, sécurité, paiement NFC [5] ;
  • la faculté de proposer des avantages croisés entre l’offre de télécommunications et l’offre bancaire, des facteurs de rentabilité et de fidélisation.

30Pour accélérer la mise en œuvre de son ambition stratégique, Orange a noué un partenariat fort avec Groupama, qui dispose, d’une part, d’un réseau de 3 000 points de vente et, d’autre part, d’une expertise reconnue et d’actifs clés dans les métiers de la banque et de l’assurance. Ainsi, Orange a acquis, le 4 octobre 2016, 65 % de Groupama Banque, rebaptisée depuis « Orange Bank ».

Une offre de banque de détail complète

31Le choix originel du modèle de stock matérialise l’implication stratégique et à long terme du groupe Orange dans la banque de détail, qui est un véritable relais de croissance économique.

32Il s’agit de proposer une offre de banque de détail complète à destination des particuliers incluant, bien entendu, le paiement sous toutes ses formes et le compte courant – le pivot de la relation bancaire –, mais aussi les produits à plus forte profitabilité que nous avons cités plus haut.

33Au-delà de la proximité évidente entre « la banque et le smartphone » qui donne tout son sens à cette initiative, la création de valeur se concrétisera par une rentabilité très significative une fois la phase initiale d’investissement et de recrutement de clients réalisée, et, par conséquent, par la création d’un fonds de commerce bancaire. La diminution du churn (le taux d’attrition de la clientèle) attendue du côté telco devrait légitimer plus encore notre vision stratégique.

34Affaire à suivre, donc !


Date de mise en ligne : 31/10/2017

https://doi.org/10.3917/rindu1.174.0060

Notes

  • [1]
    Les GAFA : Google, Amazon, Facebook, Apple.
  • [2]
    Les NATU : Netflix, Airbnb, Tesla et Uber.
  • [3]
    ACPR : Autorité de Contrôle prudentiel et de Résolution.
  • [4]
    BCE : Banque centrale européenne.
  • [5]
    NFC : Near Field Communication.

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