Introduction
1L’incontinence urinaire (IU) touche un nombre important de personnes, en particulier celles hospitalisées et institutionnalisées (Aggazzotti, Pesce, Grassi et al. 2000) [1] ; (Irwin, Kopp, Agatep et al. 2011) [2]. Malgré les progrès scientifiques et techniques (diagnostic et traitement), des stratégies connues de prévention, les soins liés à l’IU restent problématiques (Saxer, de Bie, Dassen, Halfen, 2009) [3] ; (Resnick, Keilman, Calabrese et al. 2006) [4]. Les représentations, connaissances et pratiques des soignants sur l’IU peuvent avoir un impact essentiel sur la prise en soins. Elles peuvent être alternativement des obstacles ou des ressources. Pour ces raisons, nous avons choisi de mener une enquête sur ces thèmes auprès de 3300 professionnels de la santé les plus concernés, à priori, par cette problématique au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
2Dans cet article, nous présenterons les résultats de cette enquête menée en 2007. Dans un premier temps, nous décrirons le contexte de l’étude et réaliserons une brève revue de la littérature sur la problématique des soins liés à l’IU ; nous exposerons la méthode de cette enquête et finalement nous présenterons les résultats et ferons des suggestions pour améliorer la pratique.
Cadre de référence
Les personnes touchées par l’IU et ses conséquences
3L’International Society of Continence définit l’IU comme « toute plainte de perte d’urine involontaire » (cité par Gonthier, Pasche, Cornuz et al. 2008 [5]). L’IU est un problème de santé publique en raison de la fréquence et du coût socio-économique de ce handicap. Au moins 3 millions de personnes souffrent d’IU en France (Haab, 2007) [6] et environ 400’000 en Suisse (Société suisse d’aide aux personnes incontinentes, 2008) [7]. Souvent considérée comme le symptôme d’un vieillissement, cette affection concerne pourtant toutes les périodes de la vie. La prévalence de l’énurésie chez des enfants de 7 ans peut être estimée entre 6 et 10% ; 19 % des femmes souffriraient d’incontinence d’effort et 17 % d’hyperactivité vésicale, les deux principales causes d’IU. Chez les hommes, 16% souffriraient d’hyperactivité vésicale ; quand a ceux pris en charge pour une pathologie prostatique 25% présenterait une incontinence d’effort (Haab, 2007) [6]. Selon le rapport sur l’IU pour le Ministère de la Santé et des Solidarités en France, il n’y a pas pour les personnes âgées, des données épidémiologiques précises, à l’instar de la Suisse. Néanmoins, nous savons que la prévalence augmente avec l’âge en lien avec les altérations des fonctions vésico-sphinctériennes, la dépendance physique et mentale. Elle serait estimée entre 50 et 70% chez des sujets âgés vivant en institution (Collège national des enseignants de gériatrie, 2008-2009) [8].
4Les conséquences de ce problème sont nombreuses tant pour la personne incontinente que pour ses proches et la communauté. Elles sont physiques, psychologiques, sociales et financières (Bartoli, Aguzzi, Tarricone, 2010) [9] ; (Genoud, 1992) [10] ; (Lee, Phanmus, Fields et al. 2002) [11]. La nature de ces conséquences plurielles démontre que le problème est d’importance dans les soins (voir tableau 1).
Conséquences de l’incontinence urinaire, d’après Genoud, 1992 [10]
Conséquences de l’incontinence urinaire, d’après Genoud, 1992 [10]
Les obstacles et les éléments facilitant les soins liés à l’incontinence urinaire
5Les personnes souffrant de cet handicap ressentent de la honte, elles ont une mauvaise image d’elles-mêmes et s’isolent pour la plupart (Haab, 2007) [6], ce qui entraîne une difficulté à parler de leur propre incontinence. Ce sujet reste un tabou, même auprès de certains professionnels de la santé.
6L’IU est sous-diagnostiquée et insuffisamment prise en compte (Cudennec, 2008) [12]. Moins de la moitié des personnes concernées par cette pathologie en parlent ouvertement à leur médecin. Et lorsque tel est le cas, de nombreux médecins n’approfondissent pourtant pas, comme d’autres professionnels de la santé, la question (Lee, Phanmus, Fields et al. 2002) [11] ; (Cudennec, 2008) [12]. Certains manquent de connaissances pour poser un diagnostic (Saxer, de Bie, Dassen et al. 2009) [3] ; (Vinsnes, Harkless, Haltbakk et al. 2001) [13]. Pourtant la connaissance des étiologies de l’IU permet d’en guérir un certain nombre ou d’obtenir une amélioration (Cudennec, 2008) [12]. L’IU est un symptôme lié à de multiples causes dont beaucoup sont transitoires et la plupart peuvent être traitées sans intervention chirurgicale. L’accroissement des données publiées sur le thème de l’IU en général et sur les nouvelles techniques chirurgicales en particulier permet d’améliorer constamment les stratégies de prise en charge préventive, diagnostique et thérapeutique ; toutefois elles semblent peu mobilisées dans les situations cliniques.
7D’autres obstacles à ces soins que le manque de connaissances ont été mis en évidence dans la pratique professionnelle des auteurs. Il existe peu d’études ou de documentation professionnelle à ce propos. Les soins liés à l’IU semblent présenter peu d’intérêt auprès d’un bon nombre de soignants (Lee, Phanmus, Fields et al. 2002) [11]. Les sentiments ressentis par les soignants comme la frustration, l’impuissance influencent leurs capacités à prendre en charge les patients incontinents (Saxer, de Bie, Dassen et al. 2009) [3] ; (Vinsnes, Harkless, Haltbakk et al. 2001) [13], pouvant entraîner des attitudes délétères, comme de mettre systématiquement des protections aux patients âgés.
8L’acquisition de connaissances est indispensable, mais n’est pas suffisante pour améliorer les soins liés à l’IU. Un postulat issu de la psychologie sociale et de la didactique explique que les représentations jouent un rôle prépondérant dans l’apprentissage. Elles permettent à l’individu de s’orienter et d’agir dans le monde social, mais elles peuvent être un obstacle à l’appropriation d’un savoir. L’acquisition de connaissances nécessite une démarche de transformation de ces représentations (Audigier, 1988) [14] ; (Audigier, 1991) [15] ; (Giordan, Vecchi, 1987) [16] ; (Moscovici, 1961/1976) [17]. Partant de ce postulat, Gogniat, 2002 [18] a mené une enquête empirique de type qualitatif dans une unité de psychiatrie gériatrique aux HUG. 12 soignants (7 infirmiers et 5 aides-soignants, soit 75% de l’équipe) ont été interrogés sur les représentations et les connaissances qu’ils avaient de l’IU. Des outils didactiques ont ensuite été proposés pour modifier les représentations que les soignants avaient afin d’améliorer la qualité des soins. Par exemple, le lien entre IU et vieillesse n’étant plus prégnant, une réflexion dans l’action a permis de mettre moins de protections, des sentiments de compassion et une attitude professionnelle ont remplacé la banalisation ou la pitié. Les résultats sont encourageants, mais en raison de la taille de l’échantillon, ils ne sont pas généralisables.
9Dans le cadre d’une étude descriptive norvégienne, Vinsnes, Harkless, Haltbakk et al. 2001 [13] ont mené une enquête par questionnaire auprès de 234 infirmières et 277 aidessoignants travaillant dans des maisons de retraite, des services de soins à domicile et des services de soins aigus sur les sentiments éprouvés dans la prise en charge d’une personne incontinente, afin d’identifier des facteurs prédictifs d’attitudes négatives. Les résultats montrent que les aides-soignants ont une attitude plus positive que les infirmières (p<0,01). Les soignants travaillant en médecine et en chirurgie ont des attitudes plus négatives que ceux travaillant dans des institutions de personnes âgées (p<0,01). Cette étude ne s’est intéressée qu’aux sentiments des soignants par rapport à l’IU en fonction de leur formation et de leur pratique. Elle n’a pas exploré leurs connaissances.
10Tannenbaum, Labrecque, Lepage, 2005 [19] ont cherché à identifier, à l’aide d’une étude qualitative exploratoire, les facteurs pouvant faciliter ou réduire la capacité des soignants à améliorer la continence urinaire chez les personnes séjournant en maisons de retraite. 42 soignants (infirmières, aides-soignants et agents hospitaliers) de quatre institutions ont participé à huit focus groups. Les facteurs facilitateurs sont les connaissances à propos des causes et des traitements de l’IU, une attitude positive face à la personne âgée, la croyance que l’IU n’est pas une fatalité liée à l’âge et que les personnes âgées peuvent être actives dans leur traitement. Au niveau institutionnel, la charge en soins et l’absence de programme de soins sur l’IU sont des obstacles à une bonne prise en soins. Au niveau des patients, les altérations de la mobilité et les troubles cognitifs affectent négativement les prises en soins.
11Une étude plus récente de Saxer, de Bie, Dassen et al. 2009 [3] a été réalisée dans des structures de longs séjours pour personnes âgées en Suisse alémanique. Elle porte sur les connaissances, croyances, attitudes et pratiques en lien avec l’IU. Cette enquête, auprès de 199 infirmières et 116 aides-soignants, a mis en évidence une relation statistiquement significative (p<0,001) entre les connaissances et les attitudes comportementales, ainsi qu’entre les attitudes comportementales et les sentiments. Elle n’a toutefois trouvé aucune relation statistiquement significative entre les croyances et les connaissances, ainsi qu’entre les croyances et les attitudes. De plus, les connaissances et les attitudes avaient une influence sur les pratiques en lien avec les habitudes d’hydratation, d’élimination urinaire et d’évaluation.
12Ces deux dernières études se sont déroulées dans des maisons de retraite et sont centrées sur les attitudes, les croyances et les connaissances des soignants en lien avec l’IU de la personne âgée. Il n’existe pas à la connaissance des auteurs de démarche similaire dans des hôpitaux universitaires accueillant des personnes de tout âge en phase aiguë. Le travail réalisé par l’équipe de Vinsnes, Harkless, Haltbakk et al. 2001 [13] a mis en évidence que les sentiments des soignants varient en fonction de leur lieu de pratique, ce qui suggère que les travaux réalisés en maison de retraite ne sont peut-être pas transposables à un établissement de soins aigus tels que les HUG, d’où l’intérêt d’investiguer ces éléments.
Contexte local
13Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) sont un groupe hospitalier de 1990 lits. Ils se répartissent entre quatre sites dans un secteur de 30 km de rayon. Deux tiers des lits sont consacrés aux soins aigus de court et moyen séjour, le reste aux soins continus de type long séjour. En 2009, 47% des journées d’hospitalisation correspondent à des personnes âgées de 70 ans et plus. Ce groupe hospitalier emploie 8500 personnes, dont 3500 personnels de soins et 1470 médecins et universitaires. Ces hôpitaux répondent aux besoins d’une population, de tous les âges, essentiellement urbaine, d’environ un demi-million d’habitants (Hôpitaux universitaires de Genève, 2010) [20].
14La prévalence de l’IU varie selon les départements médicaux. Le taux de patients IU (incontinence totale, partielle ou portant une sonde) se situe entre 8% (gynécologie) et 56% (gériatrie et réhabilitation). Pour la psychiatrie gériatrique, ce taux est de 33%. Les secteurs de chirurgie, médecine et neurosciences présentent entre 15 et 20% de patients IU (enquête annuelle de prévalence « zoom escarre », HUG, 2007).
15Pourtant, à la connaissance des auteurs, seuls quelques départements ont mis en place des mesures visant l’amélioration des soins aux patients IU. En réhabilitation et gériatrie, un programme de soins est opérationnel depuis 1992. Chaque équipe bénéficie de l’encadrement d’un soignant formé à la prévention et à la prise en soins des différents types d’IU ainsi que d’outils d’évaluation : anamnèse spécifique, grille mictionnelle. Des consultations d’incontinence et d’urologie complètent l’offre. En psychiatrie gériatrique, des infirmières spécialisées en soins à la personne âgée, qui sont aussi présentes en réhabilitation et gériatrie, ont reçu une formation spécifique dédiée à l’IU. En gynécologie et obstétrique, outre les consultations de périnéologie [1] et d’urodynamique [2], toutes les parturientes reçoivent une documentation sur la prévention de l’IU et peuvent participer à un cours bi-hebdomadaire : « prendre soin de son périnée ». En neurosciences, les patients souffrant de troubles neurologiques disposent d’une consultation d’urodynamique. Dans le service de chirurgie urologique, il existe des consultations d’urodynamique, soins aux porteurs de sondes, d’incontinence. Les outils d’évaluation concernent plus spécifiquement les patients avec des problèmes prostatiques.
16Par ailleurs, toutes les équipes de soins peuvent faire appel à des infirmières spécialistes cliniques pour obtenir des conseils de soins sur l’IU. Enfin, au moment de l’enquête, le centre de formation continue de l’institution n’avait pas d’offre sur le thème de l’IU. Par contre, des ateliers de formation-action ponctuels étaient organisés dans certains départements, mais ces informations restaient souvent locales. Il n’y avait pas de coordination entre les divers intervenants et acteurs du domaine de l’incontinence, les ressources étaient peu utilisées par les soignants.
17C’est dans ce contexte qu’est né le groupe transversal « prévention et traitement de l’incontinence [3] » constitué de membres de la direction médicale et qualité et de la direction des soins, spécialisés dans ce domaine, dont le mandat est d’améliorer la prise en charge de ce problème de santé. Afin de pouvoir proposer des interventions pertinentes et adaptées au contexte institutionnel, une évaluation des obstacles, des représentations, des pratiques et des connaissances en lien avec l’IU était nécessaire. C’est pourquoi, la première tâche de ce groupe a été de construire une enquête sur ce thème.
18Le but de cette enquête est d’identifier, auprès de professionnels de la santé des HUG, les obstacles et les ressources aux soins des patients IU, afin d’en améliorer la prise en charge. Nos objectifs sont de : 1) faire un état des lieux des représentations et des connaissances que les soignants ont de la problématique de l’IU ainsi que leurs pratiques, 2) identifier leur implication et leurs besoins pour améliorer leur prise en soins.
Méthode
Population étudiée
19Il a été choisi d’interroger les soignants à priori les plus concernés par l’IU dans leur pratique et qui pourront s’investir dans des mesures d’amélioration : les aides-soignants, les infirmiers, les médecins et les sages-femmes. Néanmoins, l’avis des collaborateurs ayant un poste d’encadrement était important (cadres médecins et infirmiers, infirmiers spécialistes cliniques, infirmiers chargés de formation), car ils sont des acteurs clefs dans la diffusion et l’intégration de changement de pratique. Les lieux de soins considérés accueillent des patients adultes et âgés. Pour une première enquête, la population pédiatrique n’a pas été prise en compte, car la nature des IU de l’enfant (incontinence physiologique, incontinence diurne, l’énurésie nocturne ou mixte) est très spécifique et varie avec l’âge.
20L’entier de la population, soit 3300 soignants a été interrogée. L’absence d’un échantillonnage est justifiée par le but de cette enquête qui est de sensibiliser le plus grand nombre de soignants à ce problème et d’avoir un état des lieux le plus exhaustif possible.
L’instrument
21La méthode choisie est quantitative avec un questionnaire pour permettre au plus grand nombre de soignants concernés par l’IU de répondre à cette enquête. Il n’existe pas à la connaissance des auteurs d’instrument de recueil de données disponible en français qui permette d’explorer les obstacles, les représentations, les pratiques et les connaissances en lien avec l’IU. Le questionnaire développé par Saxer, de Bie, Dassen et al. 2008 [21] a été élaboré en allemand en 2008, alors que cette enquête a été conçue en 2006-2007.
22Le questionnaire comprend 34 questions. Il a été construit en s’appuyant sur la littérature (Gogniat, 2002) [18] ; (Tannenbaum, Labrecque, Lepage, 2005) [19] et l’expertise professionnelle des membres médico-infirmiers du groupe transversal. Il explore six axes (voir annexe 1) :
- perceptions de l’ampleur du problème et sa priorité dans les soins
- connaissances des facteurs, des conséquences, des traitements et des soins
- représentations
- pratiques de soins : évaluation de l’IU
- attitudes et implication des professionnels pour cette thématique
- besoins des soignants pour améliorer la prise en soins des patients IU.
23Le taux de réponse au questionnaire est en général assez faible, variant entre 25% et 30% (Fortin, 2010) [22]. Afin d’augmenter la participation, plusieurs stratégies ont été mises en place. Chaque membre du groupe a présenté l’enquête dans des réunions de cadres pour obtenir une meilleure adhésion. Les coordonnées étaient mises en visibilité sur la lettre d’accompagnement du questionnaire, afin de pouvoir être contacté si besoin. Chaque enquêté a reçu un questionnaire sur le lieu de travail, puis un rappel non ciblé. L’anonymat et le traitement confidentiel des données ont été garantis. Les variables socioprofessionnelles demandées (sexe, âge, catégorie et expérience professionnelles, département, formation en IU) ne permettaient pas d’identifier les collaborateurs. Le dépouillement des questionnaires a été réalisé par un organisme extérieur aux HUG. Ces mesures ont été effectuées dans le deuxième semestre 2007 (octobre à décembre).
Analyse des données
24L’analyse statistique des données (tableaux de fréquence pour les variables catégorielles, moyennes et médianes pour les variables continues) est réalisée avec le logiciel Stata version 11.1 (Stata Corporation, College Station, Texas, USA, 2009). Les tests du Chi-carré sont utilisés pour les comparaisons des variables dichotomiques et le coefficient de corrélation de rang de Spearman pour rechercher des associations entre deux variables ordinales par exemple en croisant des réponses à des questions en 5 niveaux. Des analyses de variance non paramétrique selon Kruskal-Wallis sont utilisées pour comparer les réponses entre professionnels ou départements. La plupart des résultats sont présentés en pourcentage, en fonction du collectif qui a répondu, ce qui fait que le nombre (n) diffère selon les questions, puisque les questionnaires même partiellement remplis ont été gardés.
25Pour la clarté de la présentation des résultats, certaines modalités de réponse ont été regroupées comme d’accord avec plutôt d’accord et pas d’accord avec plutôt pas d’accord, lorsque c’était pertinent, car leur différenciation n’apportait pas d’éléments significatifs. D’autre part, pour les questions identifiant les connaissances des soignants, les réponses ont été analysée selon trois catégories : connaissances correctes, non correctes et ne sais pas.
26Afin de mieux cerner les besoins et de faire des propositions d’amélioration, les réponses aux questions sont analysées selon les 6 axes du questionnaire.
Résultats
27Le taux de réponse obtenu est de 55% après un rappel. Cela correspond à 1811 questionnaires en retour exploitables. Les soignants de réhabilitation et gériatrie ont le taux de réponse le plus élevé (64%, n=479), puis ceux de gynécologie et obstétrique (53%, n=206), de chirurgie (52%, n=344), de médecine interne (50%, n=352), des neurosciences (48%, n=162) et de psychiatrie gériatrique (44%, n=102). Par profession, les infirmiers (62%, n=1070) et les sages-femmes (62%, n=95) ont été les plus nombreux à répondre, puis les aides-soignants (57%, n=396). Un tiers des médecins ont répondu (33%, n=241).
28Le coefficient alpha de Cronbach pour les 36 items s’élève à 0.77 ce qui correspond à une mesure de la cohérence interne acceptable pour un instrument utilisé pour la première fois (Streiner, Norman, 2008) [23].
Description de la population répondante
29La population répondante est composée de 81% de femmes et 19% d’hommes, sauf chez les médecins où 60% des répondants étaient des hommes. Une grande majorité des soignants ayant répondu ont entre 30 et 49 ans (76%) et la moitié des soignants répondants ont plus de 15 ans d’expérience professionnelle et moins de 5% sont dans la profession depuis moins de 2 ans. Toutefois, la moitié des médecins ont entre 2 et 10 ans d’expérience.
3017% des professionnels interrogés déclarent avoir reçu une formation complémentaire sur l’IU, pour la plupart comprise entre 1 heure et 2 jours.
Perceptions de l’ampleur du problème et sa priorité dans les soins
3132% du collectif des soignants estime que plus d’un patient sur deux est IU. Ces valeurs atteignent 73% chez les soignants en réhabilitation et gériatrie et 52% en psychiatrie gériatrique. A la question « les soins d’incontinence urinaire ne sont pas une priorité pour mon service » et « les soins d’IU ne sont pas une priorité pour moi » les 2/3 du collectif des soignants déclarent qu’ils ne sont pas d’accord avec ces items.
32Il existe une corrélation significative entre la prévalence estimée des patients IU et l’opinion des soignants sur le fait que les soins d’IU sont une priorité ou pas pour leur service (Spearman’s rho=0.26, p? 0.0001). Les deux départements [réhabilitation et gériatrie (87%), psychiatrie gériatrique (74%)] où la prévalence estimée des patients IU est la plus importante, sont ceux qui expriment le plus fortement leur désaccord avec le fait que les soins d’IU ne sont pas une priorité pour leur service. En gynécologie et obstétrique, bien que la fréquence estimée de patientes incontinentes soit moindre, les soins sont plutôt une priorité pour 68% des soignants.
33A l’affirmation « les soins d’IU ne sont pas une priorité pour mon service », il existe une différence significative entre professions (p?0.0001) ; ce sont les aides-soignants qui se distinguent, en exprimant plus leur désaccord (75%), que les infirmières (66%), les médecins et les sages-femmes (50%). Pour la proposition « les soins d’IU ne sont pas une priorité pour moi », il existe aussi une différence significative entre les catégories professionnelles (p?0.0001), ce sont les médecins qui se démarquent en mentionnant le moins leur désaccord (57%) par rapport aux aides-soignants (91%), aux sages-femmes et aux infirmières (81%).
34Par ailleurs, il existe une association statistiquement significative entre le fait de considérer que « les soins d’IU sont une priorité pour mon service » et le fait de considérer que c’est « une priorité pour moi » (Spearman’s rho=0.58, p?0.0001).
Connaissances des facteurs, conséquences, traitements et soins
35Certains facteurs favorisant l’IU semblent connus : 78% du collectif cite l’accouchement chez un tiers des femmes et 77% l’infection urinaire. Par contre moins d’un tiers du collectif déclare connaître que la constipation (29%) et la consommation importante de café (21%) peuvent provoquer une IU (voir tableau 2).
Connaissances des soignants sur des facteurs favorisant l’IU
Connaissances des soignants sur des facteurs favorisant l’IU
36Les soignants sont 90% à être d’accord que l’isolement social est une conséquence de l’IU, les aides soignants 75%. Pour les traitements et les soins, les pourcentages de soignants qui estiment que les affirmations proposées (voir tableau 3) sont correctes, varient entre 71% et 93%. Il n’y a que pour la proposition sur les aliments et les boissons favorisant la prévention de l’infection urinaire, comme la canneberge qu’ils ne sont que 40% à déclarer que cette affirmation est correcte et 45% ne savent pas (voir tableau 3).
Connaissances des soignants sur des traitements et soins de l’IU
Connaissances des soignants sur des traitements et soins de l’IU
37Pour les soins concernant les protections : 64% du collectif n’est pas d’accord (réponse correcte : plutôt pas d’accord, pas d’accord) avec l’affirmation suivante : « le patient âgé à risque d’IU nécessite le port d’une protection ». Les aides-soignants sont plus de la moitié (56%) à être d’accord de mettre une protection à un patient âgé à risque, alors que pour les autres professions, le taux est de 30%.
Représentations
38Plus de 80% des soignants tous départements confondus sont d’accord avec l’affirmation que « prendre conscience de mes préjugés sur l’IU me permet d’améliorer la prise en charge du patient IU ». Le département de psychiatrie gériatrique (93%) et la réhabilitation et gériatrie (88%) apparaissent les plus convaincus de cette proposition. Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les professions.
39A la question « c’est normal qu’on devienne IU avec l’âge », 69% des soignants ne sont pas d’accord avec cette affirmation. Une différence est à noter pour les aides-soignants : ils sont 40% à déclarer qu’il est normal de devenir incontinent lorsque l’on devient âgé. Il existe une corrélation statistiquement significative entre le fait de déclarer mettre une protection à un patient âgé à risque d’IU et l’affirmation qu’il est normal de devenir IU avec l’âge (Spearman’s rho = 0.1257, p?0.0001). 85% du collectif des soignants est d’accord que « l’IU existe à tout âge ». Il n’y a pas de différences majeures entre les professions, ni entre les départements. Les soignants qui répondent que « c’est normal qu’on devienne incontinent avec l’âge », ne sont pas d’accord pour dire que « l’IU existe à tout âge ». Il y a une tendance faible d’association inverse entre les réponses à ces deux questions (Spearman’s rho = -0.1, p?0.0001).
Pratiques de soins : évaluation de l’IU
40A la question « abordez-vous le thème de l’IU avec les patients dont vous vous occupez ? », 59% des soignants en réhabilitation et gériatrie déclarent aborder le thème toujours ou souvent, 58% en psychiatrie gériatrique et 47% en gynécologie et obstétrique. Ce sont les soignants de médecine (27%) et de chirurgie (22%) qui disent évoquer le moins cette thématique. Les soignants qui déclarent aborder le plus le thème de l’IU sont ceux dont la prévalence des patients IU est la plus importante, c’est-à-dire en réhabilitation et gériatrie ainsi qu’en psychiatrie gériatrique (p?0.0001). Il existe une exception, la gynécologie et obstétrique.
41Au niveau professionnel, ce sont les sages-femmes qui disent aborder le plus (toujours/souvent) cette problématique (57%), puis les médecins (44%) et finalement les aides-soignants et les infirmières (env. 38%). D’autre part, les soignants qui ont une formation complémentaire sur l’IU sont plus nombreux à aborder le thème avec les patients (p?0.0001). 95% des professionnels déclarent que « différencier les types d’IU est essentiel pour déterminer le traitement le plus approprié ». Cependant 63% du collectif n’utilisent jamais d’outil d’évaluation pour prendre en soins les patients IU (86% en médecine, 77% chirurgie, 74% gynécologie et obstétrique et 71% en neurosciences). Ce taux s’abaisse à 30% pour les soignants de réhabilitation et gériatrie et 41% pour la psychiatrie gériatrique avec une différence statistiquement significative par rapport aux autres lieux de soins (p?0.0001). Par profession, ceux qui déclarent ne jamais utiliser un outil sont les sages-femmes (82%), puis les médecins (65%), les infirmières (63%) et finalement les aides-soignants (55%). Cette différence entre les catégories professionnelles est significative (p?0.0001).
42Plus d’un tiers (39%) du collectif ne sollicite jamais les spécialistes ou consultants pour la prise en soins de l’IU. Environ la moitié des soignants de médecine (52%), chirurgie (50%), et des neurosciences (48%) dit ne jamais solliciter des spécialistes ou des consultants, alors que pour la gynécologie et obstétrique ce taux s’abaisse à 20%. Il est de 23% en réhabilitation et gériatrie, ainsi que de 32% en psychiatrie gériatrique. Par ailleurs, les infirmières sollicitent peu les spécialistes ou consultants (46% jamais). Ce sont les sages-femmes (75% toujours/souvent/ parfois) et les médecins (66% toujours/souvent/parfois) qui disent faire le plus appel à leurs services.
43Les soignants qui utilisent des outils d’évaluation sont ceux qui sollicitent le plus des consultants et spécialistes (Spearman’s rho 0.49, p?0.0001). Il existe également une corrélation statistiquement significative entre l’utilisation d’outils d’évaluation de l’IU et le fait d’aborder le thème de l’IU avec les patients (Spearman’s rho 0.49, (p?0.0001).
Attitudes et implication des professionnels
44De manière générale, le collectif des soignants note avoir un intérêt important pour ce type de prise en soins. 94% des soignants déclarent être d’accord avec le fait « qu’améliorer la qualité de vie du patient les préoccupe ».
4571% disent « s’impliquer dans la spécificité des soins du patient IU ». Des différences significatives existent entre les lieux de soins. La réhabilitation et gériatrie et le service de psychiatrie gériatrique se distinguent des autres (p?0.0001). Plus de 80% des soignants expriment leur accord avec cette affirmation. La médecine interne est la moins d’accord (51%). Globalement, il existe une différence significative entre les catégories professionnelles (p?0.0001). Ce sont les médecins qui expriment le plus leur désaccord (45%), puis les sages-femmes et les infirmières (environ 21%) et les aides-soignants (9%). Il existe une corrélation statistiquement significative entre le fait de s’impliquer dans la spécificité des soins du patient IU et la prévalence des patients IU dans le service (Spearman’s rho = 0.2583, (p?0.0001). Plus la prévalence est grande dans le secteur, plus le soignant est d’accord avec cette affirmation. D’autre part, il existe une corrélation statistiquement significative entre l’implication du soignant dans les soins et l’estimation de sa satisfaction sur la prise en charge (Spearman’s=0.31, p?0.0001). Si le soignant s’implique dans la spécificité des soins du patient IU, il est plus satisfait de cette prise en charge.
4640% du collectif des soignants répondant sur « l’estimation de leur satisfaction sur la prise en charge des patients IU » déclarent être toujours/souvent satisfait et 33% à l’être parfois. 27% des soignants déclarent être rarement et jamais satisfait. Il existe des différences importantes entre les lieux de soins ; la réhabilitation et gériatrie, la psychiatrie gériatrique et la gynéco-obstétrique se distinguant des autres (p?0.0001). Ce sont les soignants de gynécologie et obstétrique qui disent être le plus souvent/toujours satisfaits (65%), la psychiatrie gériatrique (60%) puis la réhabilitation et gériatrie (49%). Les soignants des départements les moins satisfaits sont les neurosciences (38%), la chirurgie (27%) et la médecine interne (24%). Il y a une corrélation statistiquement significative entre le taux de satisfaction, l’utilisation d’outils d’évaluation et la sollicitation de spécialistes. Plus ils sont utilisés et plus la satisfaction est grande (Spearman’s rho = 0.36, p?0.0001). Il n’existe par contre pas d’association entre la satisfaction et la prévalence de l’IU dans le lieu de soins.
Besoins des soignants pour améliorer la prise en soins des patients IU
47Les besoins cités par le collectif des soignants pour améliorer la prise en soins des patients IU sont en premier la formation (cours, séminaires, ateliers, etc.), puis des directives (procédures, protocoles, guidelines, etc.). Pour la plupart, on trouve en troisième position, des informations (journal, documentation spécifique, site internet, etc.) puis l’intervention des spécialistes. Les besoins au niveau du matériel se retrouvent en cinquième position. Finalement, pour la proposition « autres », il ressort principalement un besoin de temps et de plus de personnel. Il n’apparaît pas de différence significative entre les besoins exprimés et la catégorie professionnelle ou les lieux de soins. La formation complémentaire en IU des soignants, l’utilisation d’outils d’évaluation ou la sollicitation de spécialistes n’ont aucun impact significatif sur les besoins des soignants.
Discussion
48La nécessité de faire un bilan plus précis de la problématique de l’IU dans le contexte institutionnel des HUG s’est avérée nécessaire. Le but de cette enquête était d’identifier, auprès des soignants des HUG, les obstacles et les ressources aux soins des patients IU, afin de pouvoir améliorer leur prise en charge. Plus spécifiquement, les objectifs étaient de faire un état des lieux des connaissances et des représentations que les soignants ont de la problématique de l’IU ainsi que leurs pratiques, puis d’identifier leur implication et leurs besoins pour améliorer leur prise en soins.
49Les résultats principaux de cette étude peuvent être résumés en cinq points.
50Premièrement, 60% des professionnels interrogés connaissent les facteurs favorisants, les traitements et les soins liés à l’IU, toutefois les facteurs transitoires comme la constipation ou la réduction de la mobilité sont moins connus, ainsi que des éléments relatifs à l’hygiène de vie influençant la continence urinaire, comme la consommation de café ou encore la prévention des infections urinaires par l’absorption de canneberge.
51Deuxièmement, les soignants des départements, où des actions d’amélioration et de formation ont été mises en place, ont de meilleures connaissances, ils abordent plus volontiers le thème de l’IU avec les patients, ils utilisent plus les instruments d’évaluation de l’IU et ils sollicitent les consultants spécialisés. Ils ont des attitudes plus positives et se sentent concernés par cette thématique.
52Troisièmement, les médecins ont une meilleure connaissance des facteurs de risques de l’IU, cependant les infirmiers et les sages-femmes sont plus informés à propos des traitements et des soins. Les aides-soignants ont un niveau de connaissance moins important que les autres soignants.
53Quatrièmement, plus de la moitié des aides-soignants déclarent mettre une protection à un patient âgé à risque d’IU.
54Finalement, la satisfaction des soignants en lien avec les soins d’IU est positivement corrélée avec l’implication du soignant dans ces soins, l’usage d’instruments d’évaluation et la consultation de spécialistes.
55Ces résultats mettent bien en évidence l’impact des actions spécifiques menées par les départements sur la prise en charge de l’IU et le rôle de la formation. Ce sont les soignants de réhabilitation et gériatrie et de gynécologie et obstétrique qui ont bénéficié le plus de formation continue. En gériatrie et réhabilitation et en psychiatrie gériatrique, la prévalence de l’incontinence est la plus élevée aux HUG ce qui peut aussi expliquer l’importance accordée à cette thématique dans ces départements. En gynécologie et obstétrique, il y a une systématisation de l’information des parturientes à cette problématique et les sages-femmes, sont, dès leur formation initiale, sensibilisées à la périnéologie. Le département de réhabilitation et gériatrie bénéficie d’un programme de soins. Il est intéressant de constater que c’est également dans ces lieux de soins que le thème est le plus abordé et que les consultations spécialisées sont les plus sollicitées. Les instruments d’évaluation de l’IU sont bien utilisés en réhabilitation et gériatrie et en psychiatrie gériatrique. Par contre, ils sont peu utilisés en gynécologie et obstétrique. Une interprétation possible est que ce sont les consultants qui utilisent des outils d’évaluation et pas les soignants dans les unités. Pour la psychiatrie gériatrique, il est probable que les infirmières spécialisées en soins à la personne âgée et les infirmières spécialistes cliniques ont contribué à la diffusion d’outils d’évaluation. En regard du contexte des HUG, le constat est que les outils d’évaluation restent utilisés localement et n’ont pas été diffusés de manière transversale. Il n’existe pas d’outils institutionnels, tant dans la documentation dédiée aux pratiques de soins que dans le dossier informatisé du patient, ni d’échelle clinique ou de guideline dédiés à la prise en soins de l’IU.
56Les bonnes connaissances des médecins, à propos des facteurs favorisants la survenue d’une IU, peuvent s’expliquer par leur rôle dans le diagnostic de l’IU. Il faut toutefois souligner que 45% des médecins interrogés ne se sentaient pas impliqués dans la prise en charge de l’IU et que seul 33% des médecins sollicités ont répondu au questionnaire. Il est vrai qu’ils sont moins directement confrontés à cette problématique dans un hôpital universitaire, que les autres soignants. Toutefois, ce peu d’implication peut avoir des conséquences au niveau de la prise en charge, dans la mesure où la demande d’une consultation médicale spécialisée doit provenir du médecin. Par contre les consultations spécialisées offertes par des infirmières spécialistes cliniques ou des infirmières de pratique avancées peuvent être demandées directement par les soignants sans intermédiaire médical. D’autre part, ces infirmières spécialistes cliniques sont en mesure de développer des programmes de soins spécifiques et adaptés aux divers lieux de soins. Ce type d’intervention a déjà fait ses preuves en maison de retraite en diminuant l’incidence de l’IU chez les résidents (Ryden, Snyder, Gross, et al. 2000) [24]. Les infirmières spécialistes cliniques ayant développé une expertise dans ce domaine sont peu nombreuses et peu connues par les équipes. Elles sont souvent identifiées à travers d’autres domaines d’activités que l’IU, comme la stomathérapie ou la réadaptation. L’identification et la mise en visibilité de ces ressources existantes seraient à renforcer afin de pouvoir les utiliser de manière efficiente. A l’instar des HUG, Haab, 2007 [6] relève aussi, pour la France, le manque de visibilité des professionnels de santé formés à cette prise en charge spécifique.
57Dans cette étude, les connaissances des aides-soignants sont moins importantes que pour les autres professionnels. Ces résultats sont comparables à ceux de Saxer et al. 2008 [21] qui ont trouvé que les connaissances à propos de l’IU des aides-soignants en maison de retraite sont moins élevées à celles des infirmiers. Ces résultats peuvent s’expliquer par le niveau et la durée de formation de base de ces professionnels, ainsi que par leur niveau de responsabilité. C’est aussi chez les aides-soignants que le préjugé « c’est normal de devenir incontinent avec l’âge » est le plus apparu (40%) comparé aux autres professionnels. Dans la mesure, où ces professionnels sont très impliqués dans les soins corporels aux patients, ces résultats mettent en évidence la nécessité d’avoir des actions de formation spécifique et ciblée pour ce groupe de soignants. Ceci est d’autant plus important que l’usage systématique de protection de manière préventive, sans proposer d’aller aux WC, peut entrainer une IU dite induite et de facto être un obstacle à la prise en soins de l’IU (Tannenbaum, Labrecque, Lepage, 2005) [19].
58La participation active des professionnels est indispensable dans l’amélioration de la prise en soins de l’IU (Association des infirmiers et infirmières autorisés de l’Ontario, 2005) [25]. Dans cette étude, les professionnels interrogés ont déclaré que plus ils étaient impliqués, plus la satisfaction était grande. D’autre part, le taux de satisfaction est corrélé à l’usage des instruments d’évaluation et la consultation de spécialistes, qui sont des étapes essentielles pour améliorer le dépistage et le traitement de l’IU.
Limites de l’enquête
59Il existe différentes limites à cette enquête. La première concerne l’instrument utilisé. S’il a permis d’interroger un large collectif permettant de démontrer des différences significatives entre les départements, une approche qualitative telle que l’interview aurait permis d’approfondir certaines thématiques comme les représentations et le contenu du discours des soignants lorsqu’ils abordent le thème de l’IU avec les patients. Une triangulation des méthodes avec l’observation sur les pratiques réelles aurait été l’idéal pour la comparer avec le discours des soignants. Des raisons liées aux coûts financiers et de ressources humaines n’a pas permis cette réalisation. Le questionnaire utilisé n’a pas été un instrument validé au sens strict du terme et la comparaison des résultats de cette enquête à d’autres études n’a pu être approfondie. Les autres questionnaires validés n’ont pas pu être utilisés, car pour la plupart, ils étaient conçus pour des établissements pour personnes âgées de long séjour. D’autre part, il n’existe pas de consensus entre les différentes études consultées concernant les termes employés, tel que attitudes, représentations, croyances. Cela rend la comparaison difficile. Ces différences sont certainement dues à des langues et des référentiels théoriques différents.
60D’autres facteurs, peuvent avoir une influence sur les obstacles et les ressources liés aux soins d’IU que nous n’avons pas testés, comme les facteurs organisationnels, le matériel à disposition, l’architecture des unités, le travail en équipe, l’effectif des soignants ainsi que la documentation clinique. Lors d’une prochaine étude, l’inclusion de certains de ces facteurs serait judicieuse.
61Des données statistiques sur l’état de continence des patients en début d’hospitalisation et en fin de séjour ne sont pas disponibles pour tous les départements, ce qui aurait pu permettre de réaliser des corrélations avec les résultats de la présente étude.
62Finalement, le faible taux de réponse des médecins (33%) ne permet pas d’inférer les résultats à la population des médecins des HUG.
Conclusion
63Le but du groupe transversal « prévention et traitement de l’incontinence » est de développer les soins liés à l’IU pour les patients de tout âge en sensibilisant les soignants à ce problème dans les HUG. L’absence de données précises sur la problématique de l’IU dans le contexte des HUG a motivé cette démarche d’évaluation. Le projet était aussi de pouvoir mettre en visibilité les obstacles liés à la prise en soins de l’IU avec des données objectivables pour proposer des mesures d’amélioration adaptées et ciblées en fonction des besoins et des manques.
64A la lecture des résultats de cette enquête, des différences entre les départements et les professionnels ont été mises en évidence. Les résultats montrent qu’il existe une plus-value de la prise en soins des patients IU dans les départements où des actions d’amélioration et de formation ont été mises en place. L’intérêt important pour cette thématique est manifesté par les soignants qui ont répondu au questionnaire. Un bon niveau de connaissances a été identifié sur certaines dimensions de l’IU. Cependant, il apparaît qu’un certain nombre de points seraient à développer pour permettre une meilleure prise en soins des patients IU. Pour Tannenbaum, Labrecque, Lepage, 2005 [19] étant donné la multiplicité des facteurs qui influencent le soin d’IU, les efforts pour améliorer les soins d’incontinence doivent également être multidimensionnels. Les recommandations de la Registred Nurse Association of Ontario soulignent l’importance d’avoir une stratégie de formation participative et structurée mise en œuvre par des experts cliniques dans le domaine de l’incontinence (Association des infirmiers et infirmières autorisés de l’Ontario, 2005) [25]. Cette enquête a conduit à la création d’un groupe de travail institutionnel autour de la continence dont les buts sont d’établir des recommandations de bonnes pratiques, contribuer à la formation et à la mise en visibilité des ressources locales dans ce domaine.
65Les résultats de cette enquête indiquent la pertinence de s’intéresser à cette problématique et de continuer. Une méthode d’enquête serait à envisager pour mesurer l’impact de la réalisation de ces actions visant à améliorer la prévention, le dépistage et le traitement de l’IU, avec quelques questions ciblées de cette présente étude, ainsi que l’analyse de la documentation clinique dans le dossier du patient.
Remerciements
Nous remercions toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette enquête :- Les membres infirmiers et sages-femmes du groupe transversal « prévention et traitement de l’incontinence » impliqués dans l’enquête : Laurence Lataillade et Sonia Beyeler infirmières spécialistes cliniques en stomathérapie et soins liés à l’incontinence, Yvette Registe Rameau adjointe de la responsable des soins du département de médecine interne, de réhabilitation et de gériatrie, Habib Meriah infirmier responsable d’unité en urologie, Corine-Yara Montandon La Longe, sage-femme responsable d’unité en obstétrique.
- L’équipe médicale du groupe transversal dirigée par Christophe Iselin, médecin chef de service en urologie, qui a porté un regard critique sur le questionnaire et a relu le rapport d’enquête.
- la Direction médicale et qualité et la Direction des soins qui ont apporté un soutien à la réalisation de cette enquête.
- Les personnes qui nous ont soutenus dans la rédaction de l’article, en particulier la directrice adjointe des soins Marie-José Roulin
Annexe 1 - Questionnaire
66Pour la majorité des items, les modalités de réponses sont : d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas, d’accord, pas d’accord et je ne sais pas. Les modalités de réponse différentes sont précisées après les items. Dans le questionnaire, les items étaient organisés de manière aléatoire.
671. Perceptions de l’ampleur du problème et sa priorité dans les soins
- 1. Quelle est, selon vous, la fréquence des patients souffrant d’incontinence urinaire dans votre service ? (moins de 10%, moins de 50%, plus de 50%, plus de 75%)
- 2. Les soins d’incontinence urinaire ne sont pas une priorité pour mon service
- 3. Les soins d’incontinence urinaire ne sont pas une priorité pour moi
- 2.1. Facteurs et conséquences
- 1. Les maladies de la prostate rendent incontinent
- 2. Une des causes de l’incontinence urinaire est la réduction de la mobilité
- 3. Une des causes de l’incontinence urinaire est la constipation
- 4. L’accouchement provoque une incontinence urinaire transitoire chez un tiers des femmes
- 5. La consommation importante de café favorise l’incontinence urinaire
- 6. Une des causes de l’incontinence urinaire est l’infection urinaire
- 7. L’incontinence urinaire est un des facteurs d’isolement social
- 2.2. Traitements et soins
- 1. Certains types d’incontinence urinaire sont traités efficacement par la rééducation du périnée
- 2. Certains types d’incontinence urinaire sont traités efficacement par un traitement médicamenteux
- 3. Certains types d’incontinence urinaire sont traités efficacement par la chirurgie
- 4. La pose d’une sonde urinaire est le traitement de choix contre l’incontinence urinaire
- 5. Les aliments et les boissons favorisant l’acidité dans les urines doivent être conseillés aux personnes qui ont des infections urinaires, par exemple jus d’airelles, de canneberges
- 6. Il faut boire le moins possible lorsque l’on est incontinent
- 7. Le patient âgé à risque d’incontinence urinaire nécessite le port d’une protection
- 8. Le patient âgé incontinent urinaire nécessite le port d’une protection tout le temps
- 9. Les patients incontinents présentant des troubles cognitifs [4] doivent être régulièrement menés aux toilettes
- 1. C’est normal qu’on devienne incontinent urinaire avec l’âge
- 2. L’incontinence urinaire existe à tout âge
- 3. L’incontinence urinaire est un moyen qu’utilise le patient pour attirer l’attention
- 4. Prendre conscience de mes préjugés sur l’incontinence urinaire me permet d’améliorer la prise en charge du patient incontinent urinaire
- 1. Différencier les types d’incontinence est essentiel pour déterminer le traitement le plus approprié
- 4. Abordez-vous le thème de l’incontinence urinaire avec les patients dont vous vous occupez ? (toujours, souvent, parfois, rarement, jamais)
- 5. Utilisez-vous un outil d’évaluation de la continence/incontinence urinaire (questionnaire spécifique, grille mictionnelle par ex.) ? (toujours, souvent, parfois, rarement, jamais)
- 6. Sollicitez-vous des spécialistes ou des consultants de l’incontinence urinaire ? (toujours, souvent, parfois, rarement, jamais)
- 1. Je me sens impuissant (e) face à un patient présentant une incontinence urinaire
- 2. Les odeurs dégagées par le patient incontinent urinaire me dérangent pour prodiguer des soins
- 3. Améliorer la qualité de vie du patient incontinent me préoccupe
- 4. Je m’implique dans la spécificité des soins du patient incontinent urinaire
- 5. Je peux aider le patient qui présente une incontinence urinaire
- 6. Parmi les patients dont vous vous occupez, estimez-vous que la prise en charge de l’incontinence urinaire est satisfaisante ? (toujours, souvent, parfois, rarement, jamais)
- 1. De la formation : cours, séminaires, ateliers, etc.
- 2. De l’information : journal, documentation spécifique, site internet, etc.
- 3. Des directives : procédures, protocoles, guidelines, etc.
- 4. Du matériel
- 5. Des spécialistes
- 6. Autres (à préciser) :…
- 7. Pas d’avis
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Mots-clés éditeurs : incontinence urinaire, pratiques, connaissances, représentations mentales, attitudes des professionnels de la santé
Date de mise en ligne : 10/01/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.107.0085