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Article de revue

Le syndrome du choc de la réalité chez les nouvelles infirmières

Pages 82 à 90

Introduction

1Chaque année, de nombreuses jeunes diplômées dans le domaine des soins infirmiers rejoignent les équipes de travail dans différents milieux de soins. Ces nouvelles recrues se démarquent par leur enthousiasme, leur motivation et leur bonne volonté (1). Après des études exigeantes, elles peuvent finalement mettre à profit leurs connaissances, les principes théoriques appris ainsi que leurs savoir-faire. Malgré beaucoup d’attentes, plusieurs nouvelles infirmières décrivent leur entrée sur le marché de l’emploi comme une expérience éprouvante, marquée par l’écart entre leur idéalisation du monde du travail et sa réalité (2). Le syndrome du choc de la réalité est un passage obligé du processus d’intégration des nouvelles infirmières, qui présente paradoxalement la porte de sortie à des professionnelles qui viennent tout juste d’entamer leur carrière (2). À cette fin, il importe de se pencher sur cette étape marquante vécue par les jeunes infirmières qui vivent des difficultés dans leur transition au rôle de professionnelles. Le texte qui suit est une revue de la littérature émanant du domaine infirmier, permettant d’explorer le concept du syndrome du choc de la réalité dans sa globalité. Pour commencer, un portrait de la situation de la relève infirmière au Québec sera dressé. Par la suite, il sera question de la formation initiale des jeunes infirmières, des attentes des milieux professionnels envers ces dernières, de la transition au rôle de professionnelles, du concept de soi, de l’impact de l’environnement de travail sur la rétention des recrues et de l’encadrement des jeunes dans leur milieu de travail. Finalement, ce texte tente de répondre aux questions suivantes : qu’est-ce qui caractérise le choc de la réalité chez les nouvelles infirmières, dans un contexte de transition entre le rôle d’étudiante et celui de professionnelle ? Quelles sont les pistes de solution afin de faciliter ce processus ? Les bases de données CINAHL et MEDLINE ont été consultées, en plus de rapports émis par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). Pour optimiser les résultats de recherche, les mots clés utilisés ont été transition, nouvelles infirmières, choc de la réalité, concept de soi, préceptorat et mentorat.

Le syndrome du choc de la réalité chez les nouvelles infirmières

La relève infirmière

Le portrait de la situation au Québec

2Entre le 1er avril 2014 et le 31 mars 2015, 73 622 infirmières étaient inscrites au Tableau de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (3). De ce nombre, 3 131 étaient des infirmières de la relève, représentant ainsi 89,2 % des nouveaux permis délivrés (4). Ces derniers se maintiennent à plus de 3 000 annuellement pour une quatrième année consécutive, nombre qui n’avait pas été atteint depuis la fin des années 1970 (4). Selon l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) (5), cette tendance demeurera supérieure à 3 000 par an pour les prochaines années, considérant le nombre d’étudiantes inscrites dans des programmes de formation initiale en soins infirmiers. La place qu’occupe actuellement la relève au sein de la profession au Québec influence inévitablement le profil global de l’ensemble des infirmières.

Les caractéristiques des nouvelles infirmières

3Toujours sur la même période, l’âge moyen de la relève formée au Québec était de 27,5 ans (4). Ainsi, la plupart des nouvelles infirmières qui intègrent le marché du travail font partie de la génération Y, qui regroupe des personnes nées entre le début des années 1980 et le début des années 2000. La main-d’œuvre qui provient de cette génération est caractérisée comme étant très scolarisée et sûre d’elle-même (6). Les travailleurs de la génération Y ont des attentes claires. Ils sont à la recherche de milieux de travail où règnent l’organisation et la cohérence et ont peu de tolérance pour des conditions difficiles (6). Par conséquent, leur satisfaction au travail est influencée par le climat qui y règne (7). Les travailleurs de cette génération sont plutôt mobiles. Contrairement à leurs collègues de la génération des boomers (travailleurs nés entre 1946 et 1964), qui valorisent la sécurité d’emploi ainsi que la loyauté envers l’organisation, ceux de la génération Y n’hésitent pas à se chercher un autre emploi lorsque des difficultés se font ressentir dans leur milieu (6,7). Alors que les employés de la génération X (nés entre 1965 et 1980) visent à assurer un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, ceux de la génération Y en font leur priorité. Ces derniers peuvent donc muter de cinq à huit fois au cours de leur parcours professionnel, afin de trouver satisfaction (6). Ces nombreux mouvements affectent le travail d’équipe et l’expertise professionnelle, en plus d’accentuer les coûts de formation, l’insatisfaction au travail et, dans certaines situations, la pénurie de personnel (8).

La formation initiale

4En septembre 2011, lors du Congrès de l’OIIQ, le Comité de la formation des infirmières a indiqué que la formation initiale devait préparer les recrues à une pratique professionnelle complexe ainsi qu’à l’exercice des actes réservés de manière sécuritaire, quels que soient la nature, le milieu, la clientèle et le domaine de pratique (9). Cependant, bien que les infirmières nouvellement diplômées aient atteint des exigences minimales professionnelles et légales pour faire leur entrée dans la profession, des études démontrent que plusieurs nouvelles recrues n’ont pas les compétences cliniques et le jugement nécessaires pour fournir une pratique compétente et sécuritaire (10,11). À titre d’exemple, l’adoption de la Loi 90 et de la Loi 21 ont attribué aux infirmières un champ d’exercice élargi et des actes réservés, favorisant le développement et la reconnaissance de leurs compétences ainsi que de leur expertise (12). Considérant que le champ d’exercice de la profession infirmière comporte le spectre d’interventions le plus étendu de l’ensemble des professionnels de la santé, il est raisonnable de se demander si les nouvelles infirmières sont prêtes à assurer pleinement leur champ d’exercice, et ce, dès leur entrée en fonction (13) ? Ont-elles les connaissances et les habiletés nécessaires pour endosser les responsabilités que leur confère la loi et ainsi répondre convenablement et professionnellement aux besoins des patients (12) ?

5Lors du même congrès en 2011, l’OIIQ a relevé le décalage de la formation de la relève infirmière au Québec avec le reste du Canada et d’autres pays (12). De ce fait, notre province dénote un retard de 2500 heures de formation pour l’entrée dans la profession, soit de deux ans, avec les autres provinces canadiennes. Ainsi, le Québec demeure la seule province au Canada où l’obtention du baccalauréat n’est pas obligatoire pour entrer dans la profession infirmière (12). Depuis, l’OIIQ demande au gouvernement provincial que le droit de pratique professionnelle soit obtenu à la fin de la formation universitaire, afin de créer une génération d’infirmières mieux formée, plus autonome et créative, pour une prestation de services plus efficace et efficiente (12, 14).

Les attentes des milieux

6Dans le but de bien illustrer le niveau de performance possible des nouvelles diplômées dès leur insertion dans les milieux de travail, le concept de novice à expert de Benner qualifie les capacités fonctionnelles des infirmières selon cinq niveaux différents (1, 15). Lorsqu’elle quitte les bancs d’école, la recrue se situe habituellement au stade de débutante avancée (16, 17). On décrit cette dernière comme une personne ayant rencontré suffisamment de situations réelles simples pour être en mesure d’en comprendre certains aspects pratiques. Cependant, la transition rapide entre l’accoutumance à des règles et des directives pédagogiques, sous l’encadrement soutenu d’une enseignante, et les nombreuses contraintes des milieux de soins, fait en sorte que la débutante avancée a besoin d’aide pour établir ses priorités et éprouve de la difficulté à développer son autonomie (1, 16, 17).

7Cependant, dès qu’elle intègre le marché du travail, les gestionnaires et les équipes de soins perçoivent la débutante avancée au stade de compétente, qui est, selon Benner, à un niveau de performance supérieur (2, 15, 18). En effet, être une infirmière compétente signifie posséder deux à trois années d’expérience dans un domaine particulier (1, 17). À ce stade précis, l’infirmière organise généralement bien son travail, est sûre d’elle-même et est efficace dans la plupart des situations (16). L’étudiante qui entre sur le marché du travail se voit donc confrontée à des attentes irréalistes des équipes de soins, impliquant inévitablement un manque de soutien de la part des collègues et des gestionnaires (2). Or, c’est pourtant à cette étape cruciale qu’est l’intégration sur les unités de soins que les nouvelles diplômées ont un besoin important de se sentir soutenues, encadrées et acceptées, considérant les limites fonctionnelles et organisationnelles que leur impose leur niveau de compétences (1).

La transition au rôle professionnel

8L’intégration au travail implique le passage de la théorie à la pratique, l’apprentissage de nouvelles façons de faire ainsi que l’exploration des divers éléments de la culture organisationnelle (17). Kramer, suite à sa première analyse du processus d’intégration, a défini quatre étapes de socialisation pour les nouvelles infirmières, étapes qui sont encore actuelles aujourd’hui, malgré les années passées (19). Les étapes de la socialisation incluent la lune de miel, le choc, la récupération et la résolution. Seulement les deux premières étapes seront abordées dans ce texte, afin de mieux illustrer le choc vécu dès le début du parcours professionnel.

La lune de miel

9À la fin de leur programme d’études, les recrues qui intègrent le marché du travail arrivent habituellement avec une image de soi positive et des aspirations élevées (16,17). Cette étape, que l’on appelle la lune de miel, se caractérise par une vision idéalisée du monde (17,19). Dès leurs premières expériences dans leur milieu de travail, les nouvelles infirmières reçoivent généralement de la rétroaction positive de la part des patients. En effet, elles se sentent reconnues et appréciées dans leurs fonctions professionnelles (2, 17, 19). À ce moment précis, leurs principales préoccupations sont de développer des habiletés techniques, de maîtriser la routine de travail de l’unité de soins ainsi que de s’intégrer au groupe d’infirmières auquel elles s’adjoignent (2,17,19). Or, cette première étape du processus de socialisation des nouvelles infirmières est généralement de courte durée.

Les difficultés rencontrées en début de parcours

10Être infirmière au Québec peut s’avérer être une voie périlleuse pour celles qui n’auront pas été préparées aux nombreux défis de la profession. Le contexte changeant des soins infirmiers place la nouvelle génération d’infirmières face à des défis de taille, qui n’étaient pas présents, ou moins criants, il y a à peine quelques années (12). La population vieillissante, la complexité des soins, les unités de plus en plus spécialisées et la surcharge de travail sont le reflet de quelques-uns des défis qu’auront à relever les futures recrues dès leur arrivée sur le marché du travail.

11Tout d’abord, la forte croissance de la population âgée de 65 ans et plus, qui de 2010 à 2020 passera de 16 % à 26 %, représentant ainsi plus du quart de la population totale du Québec, augmente nécessairement la demande des services, par des patients plus âgés, plus vulnérables et conséquemment plus malades, ce qui occasionne un impact dans tous les secteurs cliniques (12,20).

12Par la suite, le suivi des maladies chroniques représente une grosse proportion du travail des infirmières. En 2011, 67,9 % des décès étaient attribuables à des maladies chroniques au Québec (21). La prévention et la prise en charge efficace sont deux défis posés par les maladies chroniques. Avec l’augmentation de la prévalence de ces maladies dans la province, il importe que le personnel infirmier réévalue son rôle et sa formation, afin d’être bien préparé à confronter cette réalité (22). En plus, le suivi des maladies chroniques multiples implique le développement accéléré des connaissances scientifiques et technologiques (1, 12). Or, dans leur étude, Ellerton et Gregor rapportent que dans les trois premiers mois de pratique, les nouvelles infirmières sont dans une période d’apprentissage intense (23). Une infirmière de l’étude explique même que dans son travail au quotidien, elle est tellement orientée sur la tâche à exécuter qu’elle a de la difficulté à assimiler les notions à apprendre (23). Le surapprentissage et la complexification des soins exigés par les maladies chroniques, demandant aux recrues des tâches allant au-delà de leurs fonctions habituelles, sont des enjeux majeurs en début d’emploi (1,2).

13Puis, de plus en plus de nouvelles infirmières intègrent des unités de soins spécialisées, où les soins à prodiguer sont complexes et les compétences décisionnelles élevées (11). Dans son rapport, l’OIIQ estimait que sur la période 2013-2014, environ 62,2 % des infirmières de la relève du Québec exerçaient sur des unités spécialisées (24). Selon Dyess et Sherman, pratiquer sur ces unités de soins requiert une pensée critique et un jugement éclairé, mais la charge et la complexité du travail à exécuter laissent peu de place à la réflexion (11). Les nouvelles graduées se sentent souvent peu préparées ou incapables de surmonter ce genre de défi (11).

14Ce sont donc dans des unités de soins en surcharge que sont accueillies nos recrues, ces infirmières qui en sont à leurs premiers pas dans le domaine où elles ont étudié. Dans les différentes organisations, il n’est pas rare de constater que les lits sont à leur pleine capacité, les unités de soins sont chaotiques et les infirmières déjà sur place, épuisées (1). Alors que la pénurie de personnel persiste, les surcharges de travail au sein des équipes perdurent et les heures supplémentaires sont des irritants qui demeurent. Dès leur arrivée, les nouvelles infirmières s’attendent à recevoir un accueil chaleureux de la part de leurs consœurs de travail et veulent sentir un climat de solidarité au sein de l’équipe (2). Cependant, comme le rapportent Dyess et Sherman, au milieu du chaos, les recrues peuvent facilement se sentir accablées et professionnellement isolées (11). Ainsi, les expériences de travail peuvent rapidement devenir négatives, alors qu’inexpérimentées, celles-ci n’obtiennent pas de réponses immédiates à leurs interrogations (11). Après quelques jours de travail seulement, la période de la lune de miel s’estompe pour laisser place au choc (17).

Le choc de la réalité

15Rapidement émergées dans la réalité des milieux de travail, les nouvelles infirmières doivent faire face à des valeurs qu’on ne leur a pas permis de développer dans leur formation, comme la rapidité d’exécution et la capacité d’exercer un certain leadership au sein de l’équipe (1, 17). La série de tâches qu’elles doivent exécuter au quotidien se dessine selon un modèle beaucoup plus technique que professionnel (2). Malgré le fait que les recrues débutent dans l’exercice de leurs fonctions, il n’est pas rare qu’elles doivent prendre en charge à elles seules le même nombre de patients que leurs consœurs beaucoup plus expérimentées, sans qu’elles reçoivent la rétroaction régulière d’une enseignante, comme elles y étaient habituées durant leurs stages (1, 2). Pendant leur formation académique, alors qu’on leur avait véhiculé des valeurs orientées sur l’attention à porter aux patients, dont le soin, l’écoute et la relation d’aide, dans le chaos des unités de soins, les recrues peinent à trouver le temps de bien organiser leur travail et de gérer les priorités (1). Ainsi, les jeunes diplômées constatent vite qu’il existe une dissonance entre ce qu’elles avaient imaginé et idéalisé du monde du travail et ce que représente la réalité des milieux de soins (2, 17). Cette confrontation entre ces deux systèmes de valeurs est habituellement vécue par une dépréciation de la formation et des habiletés acquises, ce qui pousse les recrues à douter de leur formation générale (2). L’étape du choc de la réalité fait partie du processus d’intégration en début d’emploi des jeunes infirmières qui intègrent pour la première fois le marché du travail. Elle représente une période déterminante, qui affecte l’estime de soi et le niveau de confiance des nouvelles diplômées, ce qui peut les amener à quitter la profession (1).

Le concept de soi chez les nouvelles infirmières

16Dans le domaine des soins infirmiers, le concept de soi représente la perception du professionnel face à sa confiance et ses capacités de soignant (25). Le développement de ce concept résulte entre autres de l’information reçue et des croyances portées sur leur rôle, leurs valeurs et leurs comportements (26). Le concept de soi peut varier à des points critiques dans la carrière d’une infirmière. Les premières expériences de travail ont une influence marquante sur le concept de soi professionnel des nouvelles diplômées (25). En effet, ces dernières peuvent rapidement constater si l’occupation qu’elles ont choisie entre en harmonie avec leurs valeurs et leur concept de soi personnel (26). Selon Cowin, Craven, Johnson et Marsh, le concept de soi professionnel des nouvelles graduées est plus faible que celui des infirmières expérimentées (27). Ces dernières, avec leur bagage antérieur et leur niveau de maturité généralement plus élevé, possèdent une image professionnelle plus stable, qui s’effrite moins facilement. Quant à elles, les plus inexpérimentées ont un concept de soi fragile, qui est plus facilement affecté par les opinions et les images que les autres personnes peuvent avoir d’elles ainsi que par leur capacité à donner des bons soins aux patients (25).

17Ainsi, un lien a été établi entre le concept de soi en soins infirmiers et la rétention de personnel. Plus une infirmière a un concept de soi professionnel élevé, meilleures sont ses chances de demeurer en poste (25). Plusieurs éléments associés au concept de soi ont un impact positif sur la rétention, dont le développement et le maintien de saines relations avec les collègues de travail, l’efficacité de la communication avec les divers professionnels de la santé et les patients, le fait d’être concerné et empathique au bien-être d’autrui ainsi que l’apprentissage et l’utilisation des compétences relatives aux soins infirmiers (27). L’ensemble de ces facteurs sont considérés comme des leviers d’action dans le développement professionnel des nouvelles diplômées. Finalement, la satisfaction au travail représente également un élément favorable à la rétention des recrues en début de carrière, ce qui implique inévitablement l’environnement de travail.

L’impact de l’environnement de travail sur la rétention des recrues

18Selon l’OIIQ, le taux de rétention de la relève infirmière cinq ans après l’obtention du permis de pratique tend à augmenter depuis le milieu des années 1990, alors qu’il atteignait seulement 85 % à ce moment (4). Le taux de rétention de la cohorte d’infirmières sur la période 2009-2010 a dépassé le cap des 93 % en 2014-2015 (4). De manière globale, ce qui fait la différence entre le fait de rester en poste ou de quitter la profession chez les jeunes infirmières provient du contact avec la clientèle, de l’équipe de travail, du rôle du supérieur immédiat, des conditions de conciliation travail et famille ainsi que de l’accueil, l’orientation et l’encadrement reçus (28).

19Pour arriver à répondre aux exigences de leur milieu et pour se permettre d’évoluer convenablement, les jeunes diplômées ont besoin de stabilité au travail (1). En effet, il est conseillé qu’elles soient assignées sur une seule unité de soins, donc d’éviter les postes d’équipe volante dès l’entrée dans la profession, et de ne pas changer leur horaire de manière injustifiée (1, 25). Dans un contexte idéal, l’équipe de travail qu’intègre la recrue devrait être harmonieuse et dépourvue de mauvaises relations entre les collègues. Il est difficile pour une nouvelle infirmière de se focaliser sur son intégration et le développement de ses compétences dans une équipe où il existe des conflits (25).

20Aussi, afin d’amortir le choc de la réalité et de prolonger la satisfaction au travail des nouvelles arrivantes, il est important que le personnel déjà en place n’ait pas d’attentes trop élevées envers celles-ci. De ce fait, on ne devrait pas leur confier un nombre trop important de patients, ni même de cas complexes. Cela pourrait être une cause de découragement pour elles (1). Conséquemment, il demeure primordial de fournir une charge de travail qui corresponde au niveau d’aisance de la nouvelle infirmière à effectuer la tâche demandée, et de la faire augmenter de manière progressive (1, 25).

21De plus, selon une étude menée par Côté et al. auprès de jeunes infirmières et infirmières auxiliaires du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Vieille-Capitale, celles-ci accordent beaucoup d’importance à la relation avec la clientèle dans l’appréciation de leur emploi (28). C’est pourquoi la philosophie des milieux devrait offrir la possibilité de laisser plus de place à l’écoute, au soutien et à la préoccupation du bien-être d’autrui par la compassion (1). Ayant été formées dans une approche humaniste, les recrues ne se focalisent pas uniquement sur les performances techniques. De ce fait, elles s’attendent à ce que leur environnement de soins et leur unité d’accueil soient davantage ouverts et propices à ce genre de contacts humains privilégiés avec la clientèle, conduisant à un mieux-être pour les patients et à une satisfaction professionnelle pour les infirmières (1). Or, les soins directs aux patients ont actuellement un caractère très automatique, qui est centré sur le savoir-faire et sur les aspects organisationnels des interventions (29). De ce fait, les infirmières qui sont déjà bien établies dans ces façons de faire dans les milieux tendent à reprocher aux nouvelles diplômées leur vision idéalisée, ce qui les blesse profondément dans leurs valeurs (1).

22Directement en lien avec les caractéristiques propres aux employés de la génération Y, les gestionnaires des différents milieux de soins devraient offrir des conditions de travail qui tiennent compte de leurs besoins spécifiques (30). De manière globale, ce qui importe pour les travailleurs de la nouvelle génération, c’est de réussir leur vie, le travail étant un moyen parmi tant d’autres pour y arriver. Le salaire n’est donc pas prioritaire (31). Ils privilégient plutôt un emploi stimulant, à travers lequel ils auront des défis à relever et avec lequel il y aura des possibilités d’avancement (6). De ce fait, l’environnement de travail aurait avantage à permettre l’enrichissement des connaissances afin de pouvoir les utiliser à leur plein potentiel comme levier d’action, dans une perspective de développement professionnel (31). Par ailleurs, pour gérer efficacement les membres de la génération Y qui débutent sur le marché du travail, les gestionnaires devraient être disposés à modifier leur style de leadership (30). Être à l’écoute de leurs employés ne signifie pas d’abaisser leurs attentes en termes de performance, mais bien d’être sensibles à une nouvelle réalité (30). Ceux-ci devraient pouvoir créer un climat de travail créatif et dépourvu de toute forme de hiérarchie contraignante (6). Ils auraient aussi avantage à fournir une rétroaction fréquente et constructive aux recrues, à évaluer la possibilité d’aménager des horaires de travail flexibles et à offrir des services qui soutiennent la conciliation travail et famille (6, 30).

L’encadrement des recrues

Des stratégies basées sur les hôpitaux magnétiques

23Avec son lot de défis, l’arrivée dans la profession amène les recrues à adopter différentes stratégies d’adaptation afin de résister aux nombreuses transformations du système de santé (2). À titre d’exemple, certaines décideront de se conformer aux valeurs du monde du travail et de délaisser celles qu’elles s’étaient établies en tant qu’étudiantes. Bien qu’elles deviendront rapidement fonctionnelles et efficaces, ces infirmières ne contribueront en aucun cas à l’amélioration du système de santé, ni à la qualité des soins (2). D’autres, devant tant d’obstacles, choisiront d’orienter leurs tâches sur les bénéfices matériels. Démotivées et désabusées, ces infirmières ne développeront pas de sentiment d’appartenance vis-à-vis de leur équipe de travail, leur organisation et leur profession. Finalement, quelques-unes quitteront tout simplement le domaine de la santé (2).

24Suite à différents travaux réalisés par la Table de concertation sur la main-d’œuvre en soins infirmiers, un consensus a été établi quant à l’importance d’élaborer des stratégies d’action pour contrer la problématique de main-d’œuvre dans la profession infirmière (32). Plusieurs stratégies s’inspirent du concept des hôpitaux magnétiques, qui est originaire de l’American Academy of Nursing, apparu au début des années 1980 (32). Les hôpitaux magnétiques se distinguent principalement par la satisfaction au travail de leurs employés, la qualité des soins prodigués ainsi que l’attraction et la rétention du personnel infirmier (33).

25Selon Lavoie-Tremblay, la période d’intégration au travail, qui englobe le passage de la théorie à la pratique, l’apprentissage de nouvelles façons de faire et l’exploration d’éléments de la culture organisationnelle, est un moment caractéristique pour la jeune diplômée dans son adaptation au marché du travail (17). De ce fait, si la période d’intégration s’avère être un échec, des constats d’insatisfaction et d’insuccès se manifesteront chez la jeune recrue, qui peuvent l’inciter à adopter des stratégies d’adaptation négatives envers elle et envers l’organisation. Se basant sur la philosophie des hôpitaux magnétiques, le soutien clinique, qui se définit par l’accueil-orientation-intégration, le préceptorat et le mentorat, s’avère être une stratégie globale de satisfaction des employés, de qualité des soins ainsi que de rétention du personnel (32). Ainsi, un processus d’intégration réussi permet d’augmenter le niveau de confiance et de diminuer le syndrome du choc de la réalité. D’ailleurs, un programme d’intégration basé et organisé selon les modalités de préceptorat représente l’une des meilleures pratiques pour faciliter l’entrée dans la profession (34).

L’importance du préceptorat

26Le préceptorat consiste à entretenir une relation formelle entre deux personnes, soit une infirmière expérimentée (la préceptrice) et une infirmière moins expérimentée (l’apprenante) (32,34). Ce type de relation, basé sur des méthodes d’enseignement et d’apprentissage, a comme objectif d’aider l’infirmière qui débute à s’adapter à son nouveau milieu de pratique et à réussir dans ses nouvelles fonctions (32, 34). Généralement, les expériences de préceptorat sont de courte durée, c’est-à-dire d’un ou de deux mois, et sont prédéterminées par l’établissement de soins (34). Spécifiquement en lien avec les apprentissages des apprenantes, soit les attitudes, les connaissances techniques et les compétences, ces dernières affinent leur jugement clinique et deviennent plus rapidement autonomes (32, 34). L’accès à des modèles de rôles positifs favorise également l’épanouissement personnel dans sa globalité, augmente le niveau de confiance, abaisse le stress et facilite le développement d’un sentiment d’appartenance (32, 34).

27Depuis avril 2009, les établissements de soins du Québec sont responsables d’élaborer ou d’offrir des programmes de préceptorat à leurs infirmières (35). En vertu des attentes techniques, organisationnelles et comportementales des établissements de soins de santé, et considérant que les jeunes infirmières doivent acquérir suffisamment de connaissances et de compétences pour remplacer les départs prévus à la retraite, ces programmes s’avèrent-ils être complets, suffisants et adaptés pour soutenir efficacement les recrues de la nouvelle génération ? Sommes-nous réellement à l’écoute de ce qui leur paraît essentiel pour faciliter leur intégration ?

28Les infirmières de la génération Y qui font leur entrée sur le marché du travail ont des besoins d’apprentissage bien distincts, directement en lien avec leurs valeurs et leurs priorités. Tout d’abord, elles désirent être guidées, plutôt que gérées, laissant ainsi place à des rapports égalitaires (7). D’ailleurs, selon Hom, les nouvelles infirmières réussissent davantage lorsqu’elles prennent elles-mêmes la responsabilité de leur formation et de leurs apprentissages (36). De plus, celles-ci comprennent l’importance du besoin de se former et d’atteindre un certain niveau de compétence pour faire carrière. Elles se soucient donc de leur employabilité et prennent à cœur les situations où les apprentissages et le développement professionnel sont encouragés (37). Il importe alors de les mettre en contact avec des gestionnaires, des collègues de travail ainsi que des préceptrices ouverts d’esprit et mobilisateurs. Pour la plupart, les jeunes infirmières recherchent des préceptrices qui sont directes et qui leur donnent une rétroaction régulière. Elles désirent également que leurs supérieurs les encouragent et les soutiennent tout au long du processus d’intégration (37).

29De plus, pour s’assurer du succès des programmes de préceptorat, certaines conditions doivent être respectées. Effectivement, il demeure primordial que les préceptrices soient en accord avec leur rôle et acceptent aisément ce travail qui leur est proposé, qui est généralement ajouté à leurs tâches habituelles (1). Toutefois, idéalement, celles-ci devraient être libérées de leurs activités courantes, dans le but d’éviter la surcharge de travail et l’insatisfaction (32). De plus, il est très important que les personnes responsables de l’apprentissage des recrues soient préparées par une formation, à propos notamment des niveaux de performance selon Benner et de certaines règles de base en apprentissage (1). À cet effet, le CSSS du Sud-Ouest-Verdun a conçu en 2008 un guide de formation de la préceptrice en soins infirmiers, qui se veut être une référence notable pour la préparation à ce rôle. Le préceptorat étant une responsabilité majeure dans le transfert des connaissances, les préceptrices devraient posséder au moins deux années d’expérience dans le domaine concerné et détenir des qualités de leadership (1). En début d’emploi, les nouvelles infirmières sont soucieuses de leur intégration au sein de l’équipe de soins et de leur environnement de travail. L’accueil que devrait leur offrir les préceptrices et l’ensemble de l’équipe de soins devrait être chaleureux et plein d’humanisme (17). Toutefois, selon une étude menée par Brunelle-Agbeti et al. au CHUM, quatre des cinq nouvelles infirmières interrogées ayant quitté le centre hospitalier disent avoir vécu une intégration marquée par un accueil froid de la part de leurs collègues et avoir eu l’impression de ne pas être les bienvenues (25). De plus, trois de ces cinq infirmières prétendent également avoir ressenti que leur préceptrice considérait le préceptorat comme une corvée. On peut donc dire que les conditions d’accueil, et plus spécifiquement celles liées au préceptorat, exercent un réel impact sur la rétention des recrues (25).

30Puis, selon Ellerton et Gregor, trois mois suivant leur insertion au travail, les connaissances académiques n’ont pas encore d’impact sur la pratique des recrues (23). Au contraire, pendant cette période précise, les connaissances qu’elles intègrent sont celles associées aux performances cliniques qu’elles apprennent des infirmières plus expérimentées de leur département. Est-ce donc suffisant de n’accorder qu’un ou deux mois aux programmes de préceptorat de manière générale ? D’après Beecroft, Kunzman et Krozek, la durée optimale d’une stratégie d’intégration se situe entre trois et six mois (38). Le préceptorat, quant à lui, devrait toujours être jumelé à une autre stratégie intégrative, comme la formation théorique ou le mentorat, par exemple (38). D’ailleurs, dans un modèle d’intégration novateur, l’hôpital Maisonneuve-Rosemont propose l’alternance graduelle de journées de formation suivies d’intégration aux unités de soins, stratégie qui offre un soutien constant aux recrues durant leurs premières semaines de travail (39). Toujours à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la création du rôle d’une préceptrice senior permet d’offrir un accompagnement aux infirmières de la relève durant leurs deux premières années de pratique, particulièrement en ce qui a trait à l’accueil et à l’intégration, à la transition au rôle ainsi qu’au développement professionnel (39). Cette pratique de soutien avant-gardiste, favorisant l’acquisition de compétences ainsi que l’attraction et la rétention du personnel infirmier, devrait être considérée dans les établissements de soins de santé où elle n’a pas encore été intégrée.

31Finalement, dans une perspective de qualité et d’amélioration continue, il est essentiel d’effectuer un processus de révision des programmes de préceptorat, ce qui permettrait entre autres de s’adapter aux différents besoins changeants des nouvelles infirmières. Ainsi, les thèmes abordés devront être les principales difficultés des recrues, les éléments essentiels de l’ensemble des programmes de préceptorat, les sources de satisfaction et d’insatisfaction ainsi que les pistes d’amélioration (2).

Conclusion

32Pour terminer, ce texte a permis d’explorer le concept du syndrome du choc de la réalité chez les nouvelles infirmières qui intègrent le marché du travail, dans un contexte où les conditions de travail sont difficiles. Rapidement confrontées à une organisation des tâches qui demande rigueur, méthode et rapidité d’exécution, les valeurs transmises au cours de la formation initiale deviennent accessoires. Devant ces constats, la période d’intégration au travail, dont le préceptorat, se veut être un moment crucial dans lequel les organisations doivent investir, afin de faciliter la transition au rôle professionnel de la recrue, qui, face au choc de la réalité, tend à se déraciner de ses origines professionnelles et des valeurs propres à sa discipline (2).

33Bref, pour que la génération future d’infirmières puisse vivre une transition au rôle professionnel réussie, il paraît essentiel que les infirmières expérimentées, les gestionnaires et les organisations soient sensibilisés au phénomène du syndrome du choc de la réalité et de ses nombreux impacts sur les recrues. Une implication concertée des différentes parties prenantes dans l’accueil de la relève infirmière pourrait permettre une meilleure rétention de ces ressources et une meilleure qualité de soins. Ce texte a mis l’accent sur la réalité vécue par les infirmières de la relève en début de carrière, les conséquences y étant associées et les pistes de solution. Par contre, qu’en est-il des programmes de formation dans les institutions d’enseignement ? Conviennent-ils à la réalité actuelle des milieux de soins ? Ces derniers questionnements constituent un élément déclencheur pour alimenter de futures recherches.

Références


Mots-clés éditeurs : enjeux, main-d’œuvre, professions de la santé

Date de mise en ligne : 08/02/2017

https://doi.org/10.3917/rsi.127.0082

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