Introduction
1L’apprentissage par problème (APP) est une stratégie pédagogique flexible qui mise sur la participation active de l’étudiant dans le processus d’apprentissage (1). Adapté dans les instituts de formation en sciences infirmières (2), il consiste en une approche d’enseignement-apprentissage centrée sur l’étudiant où ce dernier apprend en petits groupes à travers une situation complexe composée d’un ensemble de problèmes (3,4). Cette approche est inscrite dans une perspective constructiviste permettant aux étudiants de prendre la responsabilité de leur propre apprentissage et de contribuer de façon significative à l’apprentissage de leurs pairs (4–7). Le socio-constructivisme est un courant théorique qui met l’accent sur la dimension relationnelle de l’apprentissage. En d’autres termes, l’étudiant élabore sa compréhension de la réalité par la comparaison de ses perceptions avec celles de ses pairs et celles du professeur (8). Ainsi, ce dernier place l’étudiant au centre de l’action tout en favorisant les situations d’interaction et de négociations dans une équipe d’apprenants. En ce sens, les apprenants deviennent des acteurs actifs de leur apprentissage et s’engagent à réaliser un projet commun qui est dans la présente étude l’utilisation d’une stratégie d’apprentissage qui est l’APP.
2Plusieurs études ont été menées dans le but de décrire et de comprendre la perception des étudiants infirmiers de premier cycle quant à l’APP (5–7,9,10). Les résultats ont montré que les étudiants perçoivent d’une façon positive l’APP, ils ont relevé que l’APP favorise le raisonnement critique chez eux et la résolution de problèmes (5–7,9,10), les encourage à participer activement dans le processus d’apprentissage (5,9,10) et les aide à identifier leurs besoins d’apprentissage et à développer leur leadership (5,6). Parallèlement, le soutien fourni par leurs tuteurs d’APP durant le processus d’apprentissage a été apprécié par les étudiants (6,7). Cependant, certains d’entre eux présentaient une perception négative à l’égard de l’APP, ils étaient démotivés et désorganisés dans les activités d’apprentissage (10) ; ils mentionnaient qu’ils avaient une connaissance limitée des différents sujets appris selon la méthode d’APP (10). Une difficulté dans la recherche d’informations (6,7,9) et un manque de confiance en eux-mêmes, figuraient aussi parmi les perceptions négatives relevées par les étudiants (6). Certains ont déclaré qu’ils vivaient dans un chaos au sein de leur groupe et se sentaient perdus (6,9). De plus, ils avaient remarqué que les enseignants évaluaient rarement leur apprentissage au moment de l’APP (6).
3Au Liban, la Faculté des sciences infirmières (FSI) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), s’est engagée depuis l’année 2014 dans un projet de réforme du programme de formation en sciences infirmières pour deux raisons. D’abord, une mise à jour en profondeur s’avérait nécessaire, étant donné l’évolution du domaine de la santé dans son ensemble et, plus spécifiquement, de celui des sciences infirmières. Ensuite, l’exigence de l’USJ d’implanter l’approche par compétences dans les différentes formations académiques. Ce changement a imposé de repenser l’enseignement dans la perspective de ses résultats attendus, des compétences relatives au savoir, savoir-faire et savoir-être (11).
4Ainsi, plusieurs méthodes pédagogiques innovantes ont été intégrées dans le cursus de Licence et plus spécifiquement l’APP.
5Cette méthode d’apprentissage a été privilégiée parmi les méthodes pédagogiques actives à la FSI et ce, dans la majorité des unités d’enseignement du cursus dès la première année de la formation, afin de minimiser l’écart entre l’apprentissage et la pratique des soins infirmiers et de développer un niveau de raisonnement clinique élevé chez les étudiants. Ce changement a créé chez ces derniers plusieurs réactions à la fois positives et négatives. Certains étudiants ont relevé d’après les résultats de la grille d’évaluation des enseignements réalisée à la fin de chaque matière, qu’ils étaient très motivés à appliquer cette nouvelle méthode pédagogique. D’autres n’étaient pas très satisfaits et réclamaient d’avoir toujours des polycopiés à l’appui tout en souhaitant l’intervention du professeur à la fin de la matière. Enfin, ils ont noté que cette méthode nécessitait beaucoup de temps et d’investissement de leur part.
6Or, la perception des étudiants quant à l’APP pourrait varier selon le contexte culturel. Ainsi, certains étudiants pourraient acquérir de précieuses expériences, tandis que d’autres pourraient réagir de manière opposée. D’un autre côté, l’étude des perceptions des étudiants de leur évaluation de l’APP, s’inscrit parfaitement dans la stratégie de l’Université, qu’est l’évaluation des enseignements par les étudiants. Cette méthode est devenue un outil efficace au service de l’amélioration de la qualité des pratiques pédagogiques dans un nombre croissant d’universités à travers le monde, afin de s’adapter à un contexte toujours changeant. Elle contribue à un éclairage et à un soutien de la relation entre enseignant/étudiant et à des changements dans le système d’enseignement (12).
7D’où la pertinence de mener une telle étude visant à identifier les perceptions des étudiants quant à leur évaluation de l’APP. Les résultats émanant de la présente étude permettraient aux enseignants de la Faculté de mieux comprendre la perception des étudiants quant à l’utilisation de l’APP dans leur processus d’apprentissage. Ceci va les aider à réajuster les stratégies pédagogiques adoptées à la FSI et de revoir par la suite la relation étudiant-enseignant dans le processus d’apprentissage. Cette étude permettrait aussi aux étudiants de s’exprimer en toute liberté et confidentialité et de parler de leur malaise vécu durant leur apprentissage et de relever les points positifs émanant de cette méthode.
8Ainsi, le but de cette présente étude est de décrire la perception des étudiants infirmiers quant à leur évaluation de l’APP dans leur processus d’apprentissage, en termes d’aspects positifs et négatifs.
Matériel et méthode
Devis
9La recherche qualitative descriptive s’avérait une approche indiquée pour explorer et décrire la perception des étudiants de première année de Licence en sciences infirmières à la FSI de l’USJ quant à l’utilisation de l’APP dans leur processus d’apprentissage. Ce devis décrit un phénomène centré sur le milieu naturel dans lequel on cherche à découvrir le qui, le quoi et le lieu d’une expérience humaine (13).
Participants à l’étude
10Les participants à l’étude sont au nombre de 22, âgés entre 19 et 20 ans. Ils ont été sélectionnés selon les critères d’inclusion suivants : 1) être étudiant de 1ère année de formation à plein temps de Licence en sciences infirmières, 2) avoir suivi 16 semaines de cours à la Faculté. Bien qu’il soit difficile de déterminer à l’avance la taille de l’échantillon, les chercheurs ont abordé tous les étudiants de 1ère année, afin d’atteindre un niveau acceptable de saturation des données. En effet, la saturation a été atteinte au nombre de 12 étudiants, mais les investigatrices de l’étude ont décidé de continuer, pour deux raisons. Premièrement, dans un but d’évaluation de cette stratégie d’apprentissage, à l’instar des études recensées dans le cadre de la présente étude, où les chercheurs ont pris toute la population d’étudiants. Deuxièmement, les six derniers participants corroboraient ceux exprimés par les participants précédents. Il est à signaler que la personne qui a réalisé les entrevues est un enseignant externe à la Faculté et ceci pour permettre aux étudiants d’être à l’aise durant les entrevues et de parler de leur expérience. Toutefois, deux étudiants ont refusé de participer à l’étude pour des raisons personnelles. Donc, le nombre total des participants est de 20.
Déroulement de l’étude et considérations éthiques
11Après avoir obtenu l’approbation du comité éthique de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, tous les participants ont été informés du but de l’étude, du déroulement, de leur liberté de participation ainsi que de l’anonymat et de la confidentialité des informations collectées, et ceci par le remplacement de leurs prénoms par des prénoms fictifs. Un formulaire de consentement écrit fut obtenu de la part de chaque participant. De plus, les participants ont été informés que seules les chercheuses ont accès aux données recueillies, qui seront détruites à la fin de l’étude.
Collecte des données
12Deux modalités de collecte des données ont été utilisées dans l’optique de documenter la perspective des participants, à savoir l’entrevue individuelle semi-dirigée et le journal de bord. L’entrevue semi-dirigée s’est déroulée sous forme d’une conversation dirigée avec souplesse par un assistant de recherche recruté par les auteurs en dehors de la Faculté afin de réaliser, à l’aide d’un guide, les entrevues auprès des étudiants. Ce guide d’entrevue comportait une question ouverte qui était : « Quelle est votre perception de l’APP ? » avec la possibilité d’ajouter des questions d’approfondissement portant sur les aspects positifs et négatifs perçus de l’APP, afin d’encourager le participant à décrire son point de vue en toute liberté. Trois questions sociodémographiques comprenant l’âge, le sexe et l’expérience antérieure d’utilisation de l’APP à l’école ont été ajoutées aux questions ouvertes.
13Ces entrevues réalisées dans les locaux de la FSI, d’une durée variant entre 30 et 45 minutes ont été enregistrées en version audionumérique.
14Un journal de bord a été utilisé dans la présente étude dans lequel l’assistant de recherche consignait ses notes de terrain, ses réflexions et ses impressions émanant des entrevues réalisées.
Analyse des données
15L’analyse qualitative des données recueillies lors des entrevues individuelles a été effectuée selon les trois étapes de l’approche inductive inspirée des travaux de Miles et Huberman (14) qui sont : 1) La condensation des données, 2) la présentation des données et 3) l’élaboration et la vérification des résultats.
16A noter que l’analyse et la collecte des données se sont déroulées de façon concomitante. Ensuite, une retranscription intégrale des entrevues a été réalisée sans aucune modification des formulations.
17La première étape de l’analyse a consisté à condenser les données. Les auteurs de la présente étude ont lu chacune des entrevues dès leur transcription et ont procédé au codage des unités de sens. En réalisant l’analyse des premières entrevues, les membres de l’équipe de recherche ont élaboré leur grille d’analyse. Cette grille a ensuite évolué au fil du processus d’analyse par l’ajout des catégories émergentes et par le regroupement des catégories de même nature en une structure plus conceptuelle mettant en relief les points positifs et négatifs émanant du vécu des étudiants.
18La deuxième étape d’analyse a consisté à réviser les résultats de condensation des données en explorant différentes façons de regrouper en thèmes significatifs dans l’optique de dégager une compréhension plus signifiante de la perception positive et négative des étudiants quant à l’APP.
19Enfin, la troisième étape d’analyse consistait à élaborer des conclusions et à les vérifier, ce qui a été fait tout au long de la recherche. Parmi les moyens utilisés à cette fin, la co-analyse du contenu des 20 entrevues individuelles, la validation des résultats de l’analyse des données au cours des entrevues individuelles par une personne experte en recherche qualitative ainsi que les échanges réguliers au sein de l’équipe de recherche ont permis de raffiner les catégories et de les vérifier d’une façon plus rigoureuse.
Critères de rigueur scientifique
20Selon Lincoln et Guba (15), la rigueur scientifique d’une étude qualitative est assurée par les critères de crédibilité, de fiabilité de validation et de transférabilité. Dans la présente étude, la crédibilité a été assurée par la validation des résultats auprès des six derniers étudiants ayant participé à l’étude, qui ont approuvé les résultats et ont confirmé qu’elles expriment réellement leur vécu et leurs idées. Ensuite, les résultats émergeant suite à l’analyse des données ont été comparés à ceux d’études empiriques recensées et traitant du même sujet. La fiabilité a été démontrée par la soumission des résultats à un chercheur expert pour vérifier et s’assurer que les procédures en usage ont été bien suivies. De plus, cet expert a vérifié et attesté que les résultats obtenus concordent avec les données recueillies. Enfin, les résultats pourraient être transférables à un autre contexte présentant les mêmes caractéristiques.
Résultats et discussion
Caractéristiques des étudiants de 1ère année à la FSI
21Les résultats de la présente étude ont montré que la majorité des participants sont de sexe féminin (88.9 %). Quant à leur âge, il varie entre 19 et 20 ans avec une moyenne de 19.06 ans et un écart type de 0.235. Presque les trois quarts d’entre eux (72.2 %) ont noté qu’ils n’avaient pas d’expérience antérieure à l’école quant à l’utilisation de l’APP. Ces résultats rejoignent ceux d’autres études (6,9,10), où le taux des étudiants de sexe féminin est supérieur à celui de leurs collègues de sexe masculin. Ce taux élevé concorde avec les statistiques nationales de l’Ordre des infirmier/es au Liban en 2018, qui montrent que 79,64 % des infirmières sont de sexe féminin.
Thèmes dégagés
22La perception des étudiants quant à l’utilisation de l’APP dans la formation se regroupe en deux thèmes qui sont : les aspects positifs et les aspects négatifs envers cette méthode.
Aspects positifs de l’APP
23Les étudiants de la présente étude ont relevé des aspects positifs quant à l’APP. Ces aspects se traduisent par un développement des relations amicales dans les sous-groupes ; un changement comportemental lors de l’apprentissage ainsi que le développement de l’autonomie de l’étudiant.
Développement des relations amicales dans les sous-groupes
24La majorité des étudiants ont relaté que cette méthode a favorisé l’échange et le partage d’opinions entre les différents membres du groupe. « Au début, il existait plusieurs « clans » en classe, chacun avait son propre groupe avec qui il s’entendait.
25La répartition des groupes dans cette méthode nous a aidé à communiquer avec les autres groupes, à connaître leur façon de penser et à établir de bonnes relations » (Jamilé 11, L12-15). « On étudie ensemble avec plusieurs personnes et nous partageons les informations. Il existe des fois peu d’informations chez moi et ceci pourra être complété par l’autre » (Pierre 2, L 30-32). De plus, quelques participants ont signalé que l’APP les a aidés à comprendre l’autre, à le respecter et à accepter les règles du groupe. « Concernant la prise de parole au sein du groupe, si quelqu’un souhaite exprimer ses idées même avec la présence d’opinions diversifiées, toutes les personnes du groupe arrivent à s’entendre, et à accepter les uns les autres » (Rania 14, L 176-180).
26Ces résultats sont similaires à ceux relevés dans plusieurs études réalisées dans le contexte africain (7), asiatique (6,10), australien (5) et au Moyen-Orient (9). L’étude menée en Jordanie a montré que les séances d’APP ont amélioré la capacité des étudiants infirmiers à travailler en petits groupes (9). De même, l’étude menée en Australie et celle menée en Thaïlande, ont montré que l’APP a un impact sur le travail d’équipe par le fait que les étudiants s’entraident tout en apprenant les uns des autres (5,6). D’un autre côté, certains auteurs ont montré que le fait d’avoir expérimenté le travail de groupe au sein de la formation, permet de développer chez eux en tant que futurs infirmiers une collaboration solide au sein d’une équipe multidisciplinaire (5,6). Aussi, le fait d’établir des relations étroites entre les membres du groupe a permis à ces derniers de se connaître, de se comprendre malgré leur diversité (10) et de s’entraider dans la démarche de résolution de problèmes (7).
Changement comportemental lors de l’apprentissage
27Le changement comportemental lors de l’apprentissage regroupe le développement du raisonnement clinique, la confiance en soi et la motivation des étudiants à apprendre. En effet, la majorité des participants ont déclaré que cette méthode les a aidés à développer leur raisonnement clinique. « … Parce que ceci nous permet d’analyser les choses plus profondément d’une façon moins superficielle » (Hiba 6, L 78-82). « Grâce à l’APP la compréhension des concepts est plus profonde et les liens entre les concepts sont plus clairs » (Pascal 10, L 9-11) « cette méthode aide à développer notre pensée et à avoir une bonne compréhension des concepts » (Youmna 8, L 10-12). D’un autre côté, plusieurs participants ont signalé que l’APP a permis de développer leur confiance en soi, ce qui a favorisé leur motivation à apprendre. « … Je suis de nature timide, mais cette méthode m’a beaucoup aidé, j’arrive à prendre la parole dans un groupe… » (Pierre 2, L 102-104). « J’aime cette méthode et je me sens très impliquée et intéressée par les sujets qu’ils sont en train de nous donner, c’est ce qui me motive à trouver des informations et à les partager en classe » (Hind 7, L 90-94).
28Ces résultats corroborent ceux émergés par d’autres études (5,9). Notamment, l’APP promeut également la pensée critique, car les étudiants doivent réfléchir et justifier leur prise de décision clinique (5). De surcroît, la plupart des étudiants semblent être positifs à l’idée de s’adapter à l’APP dans leur programme d’études, ils ont reconnu que ce type d’apprentissage avait augmenté leur propre intérêt et leur enthousiasme pour les sujets étudiés (9). De plus, ils témoignent être plus satisfaits à l’égard de ce nouveau processus d’apprentissage (9).
Développement de l’autonomie de l’étudiant
29Presque tous les étudiants ont signalé que cette méthode d’APP leur a permis de devenir plus autonomes dans leur apprentissage et ceci s’est traduit par le développement de leur auto- questionnement, le développement de nouvelles connaissances et le fait d’être plus responsables de leur apprentissage.
30« Cette méthode m’a aidée à se questionner, je voudrais tout savoir, faire des liens et avoir plus de connaissances. Je voudrais savoir le pourquoi des choses … » (Céline 4, L 196-199). La majorité des participants ont relevé qu’ils ont appris de nouvelles connaissances suite à cette méthode. « Ceci nous permet d’avoir un maximum d’informations, puisqu’on a lu les articles que les professeurs nous ont donné ainsi que ceux cherchés par nous et par nos collègues de classe » (Hiba 6, L 66-73). Plusieurs participants sont devenus plus responsables. « Nous sommes devenus responsables de nous-même et des informations que nous sommes censés chercher » (Nour 3, L 301-303). « Ce qui est bien c’est le fait de réaliser des recherches par nous-mêmes et ceci revient à nous de tirer les bonnes synthèses des articles qui sont entre nos mains » (Jihane 12, L 10-13).
31Ces résultats rejoignent ceux retrouvés par d’autres auteurs (5,6,9,10). D’ailleurs, le sens de responsabilités envers legroupe était une des principales caractéristiques positives de l’APP chez les étudiants (5). Ce type d’apprentissage favorise l’intégration et la synthèse des domaines de connaissances grâce à la participation active des étudiants dans le processus de résolution de la situation problématique (5). De plus, l’optimisme perçu par les étudiants vis-à-vis de l’APP s’est illustré par le fait d’être un étudiant actif c’est-à-dire apprendre de manière autonome ; partager son opinion et participer à l’apprentissage (10). L’APP développe également chez l’étudiant ses capacités de réflexion, de leadership, sa capacité de comprendre et de retenir un contenu considéré important pour lui (6). Et les étudiants qui utilisent l’APP dans leur apprentissage ont eu davantage recours aux bibliothèques et sont devenus des apprenants plus indépendants (9).
Aspects négatifs de l’APP
32Le second thème émanant des résultats reflète les aspects négatifs perçus par les étudiants envers l’APP et qui sont : le sentiment d’avoir des connaissances insuffisantes, la difficulté de gestion du temps lors de l’apprentissage et enfin un manque de cohésion dans le groupe.
Sentiment d’avoir des connaissances insuffisantes
33Certains participants ont témoigné avoir des connaissances insuffisantes suite à l’APP. Ils indiquent qu’ils acquièrent seulement les informations de base, dans le travail de groupe, à cause du manque de temps et de la difficulté d’aller en profondeur dans leurs recherches des informations. « Chaque groupe sort avec sa propre synthèse, et parfois on trouve que notre groupe présente des informations manquantes et d’autres groupes de même » (Jamilé 11, L 187-189). « Je ne sais pas qu’est-ce que je dois chercher si je dois justifier ou approfondir les explications. Il n’y a pas de limite précise » (Rachelle 16, L 17-20).
34Ces connaissances insuffisantes émanant de la difficulté à retirer les informations pertinentes des articles dans les travaux de groupe, créent chez les étudiants un manque de confiance en eux-mêmes. Certains ont eu recours à leurs collègues pour les aider à consolider leur manque de connaissances et d’autres ont souhaité que l’enseignant tuteur fasse une synthèse à la fin de la séance. L’APP est perçu par les étudiants comme un fardeau et certains étudiants trouvent que l’APP est ennuyeux et qu’il nécessite beaucoup de temps.
35« Lorsque je fais mon propre cours et je le sens incomplet, j’ai recours à mes amis pour le compléter ceci veut dire que je n’ai pas confiance en moi-même » (Paul 1, L 436-438). « L’APP a été pour moi un fardeau, c›est un poids supplémentaire ajouté aux examens… Je n’ai pas confiance en moi en tant qu’étudiant » (Tracy 9. L 2-7).
36Ces résultats corroborent ceux émergés dans d’autres études (9,10). En effet, les étudiants infirmiers ont décrit leur perception liée à l’APP comme pessimiste (10). Notamment, des étudiants ont expérimenté un environnement ennuyeux ; se sont sentis non familiers avec l’APP et inquiets de leur adaptation à ce type d’apprentissage (10). De plus, ils ont obtenu des connaissances insuffisantes en discutant de questions non spécifiques ; ne pas avoir généré d’idées dans le groupe ; et, obtenir des connaissances superficielles et incomplètes (10). Ainsi, ces derniers s’attendaient à ce que les professeurs soient les fournisseurs d’information et non l’inverse (10). Certains étudiants ont également indiqué que l’apprentissage traditionnel est plus efficace pour obtenir de l’information que les nouvelles méthodes d’apprentissage (9). Ces dernières les rendaient anxieux au moment de l’évaluation (9).
Difficulté de gestion du temps lors de l’apprentissage
37La plupart des participants ont déclaré que cette méthode crée une grande surcharge de travail. « Le seul point négatif dans l’APP est le manque de temps, celle-ci demande un temps supplémentaire, ce qui mène les étudiants à un épuisement et à un désintérêt » (Pascale 10, L 20-23). Quelques participants ont mentionné que le temps est inadapté aux étapes de l’APP. « …Parmi les points négatifs, premièrement le temps. Parce que parfois on a beaucoup trop de temps pour une situation clinique et pour une autre on en a beaucoup trop peu. Je trouve que cela ne devrait pas prendre le même temps que celui alloué à chaque situation clinique, ceci doit être lié aux informations qui doivent être tirées de la situation » (Hiba 6, L 171-178).
38Ces résultats sont similaires à ceux rapportés par d’autres études (5,6,9,10). En effet, les étudiants ont déclaré que les directives données par les professeurs étaient nécessaires et elles doivent prendre en considération le temps consacré à l’analyse plus que celui consacré à l’élaboration des solutions (5). Certains auteurs ont montré que les étudiants infirmiers prenaient beaucoup de temps dans la réalisation des activités d’apprentissage et ce, compte tenu de leur difficulté à accéder à l’information et à utiliser le temps de manière efficiente (9,10). Certains auteurs ont souligné que l’APP prend du temps et est stressant pour les étudiants et même pour les professeurs (6).
Manque de cohésion dans le groupe
39Plusieurs participants ont exprimé un manque de cohésion dans le groupe et ont relaté ceci à cause du manque d’engagement de certains étudiants qui ne collaborent pas assez au sein des groupes. Ceci crée des fois des conflits dans le groupe et une détérioration des relations entre les différents étudiants. Certains étudiants ont même qualifié ceci comme un chaos dans le groupe. « … le deuxième point négatif c’est quand les groupes sont trop grands, on n’arrive plus à s’écouter les uns les autres et nous vivons dans un chaos » (Hiba 6, L 245-250). « On trouve parfois des difficultés parce qu’on est obligé de travailler avec des personnes qui ne sont pas nos amis. … Il y a des étudiants qui aiment imposer leurs idées et n’acceptent pas le point de vue des autres… » (Céline 4, L 297-305). « Parfois il existe des personnes qui préparent leurs travaux alors que d’autres ne préparent rien ou très peu. Donc le travail n’est pas bien réparti entre les différents membres du groupe… » (Pascale 5, L 67-71).
40Ces résultats rejoignent ceux rapportés par d’autres auteurs (7,10). En effet, l’APP suscite l’insatisfaction des étudiants lorsque les membres du groupe ne sont pas engagés dans le travail demandé (10). Ainsi, la cohésion du groupe devient instable à cause de la domination de quelques membres du groupe et de la participation inégale de certains étudiants ainsi que les excuses liées à l’inachèvement des travaux (7).
Conclusion
41Cette étude qualitative descriptive a permis de décrire la perception des étudiants infirmiers de première année de formation quant à l’évaluation de l’APP dans leur processus d’apprentissage. De façon générale, les résultats de cette recherche révèlent la réalité de la perception des étudiants quant à l’utilisation des méthodes actives dans l’apprentissage. Ils mettent en lumière que la perception des 20 étudiants de l’APP comporte à la fois des aspects positifs et négatifs. Bien que ces aspects soient similaires aux écrits, toutefois, le profil des étudiants ainsi que les particularités de l’environnement culturel où a eu lieu l’étude, ont permis une meilleure compréhension de la perception des étudiants et par conséquent une adaptation des stratégies d’amélioration de l’APP au contexte libanais.
42Malgré la présence des aspects positifs de l’APP, les résultats montrent que pour certains étudiants, l’APP est une méthode qui est modérément efficace dans leur processus d’apprentissage. Plusieurs raisons peuvent expliquer ceci ; premièrement, le grand nombre d’étudiants dans le groupe a fait que certains d’entre eux ont eu ce sentiment d’avoir des connaissances superficielles et un manque d’engagement de certains membres dans le groupe. Deuxièmement, le rôle du tuteur n’est pas assez clair pour certains étudiants, car ils le perçoivent toujours dans son rôle classique qui consiste à faire des synthèses et à guider les étudiants dans leurs difficultés. Ceci pourrait s’expliquer par l’influence du système éducatif qui semble pouvoir influencer la présence des aspects négatifs de l’APP. Au Liban, certaines écoles n’ont actuellement pas intégré dans leur système éducatif les méthodes pédagogiques actives, telles l’APP. Dans ce contexte, ceci pourrait être expliqué comme suit : les étudiants ayant perçu des aspects négatifs de l’APP, proviennent des écoles qui privilégient les méthodes d’enseignement traditionnelles, centrées sur les savoirs à transmettre et sur le « maître » qui enseigne à des étudiants ayant un rôle passif dans l’enseignement. Or, ces mêmes étudiants, une fois admis à l’Université, sont appelés soudainement à changer de rôle dès la première année de formation, et de devenir actifs en participant à la construction du savoir. Ce changement de rôle pourrait expliquer en partie, leur réticence quant à la recherche par eux-mêmes du savoir au sein d’un groupe auquel ils ont été de plus assignés sans leur laisser la liberté de choisir leurs collègues de travail. Or, l’APP devrait avoir lieu dans un environnement complexe et dynamique, et où l’interaction entre les étudiants est primordiale et constitue la clé de voûte de ce processus (9). Ainsi, plusieurs études ont suggéré que le fait d’assurer aux étudiants un environnement d’apprentissage favorable est un déterminant majeur pour améliorer la qualité de leurs interactions au sein du groupe de travail (1,5,9,10).
43En somme, l’importance de cette étude réside dans le fait qu’elle a mis en lumière l’importance de mieux préparer les étudiants aux pédagogies dites « actives » dans le milieu universitaire tout en leur assurant un environnement favorable d’apprentissage. Il serait également très important que les résultats issus de cette étude servent de guide pour la réussite de l’utilisation de l’APP et des méthodes pédagogiques actives dans la formation en sciences infirmières. D’où la pertinence des recommandations suivantes qui vont permettre aux étudiants, aux professeurs, et aux institutions de formation de développer des stratégies de promotion de l’apprentissage tout en accompagnant les étudiants dans l’acquisition et dans la validation de nouveaux apprentissages.
44Les résultats de la présente étude sont d’un grand apport pour les étudiants. Ils leur permettent d’être plus actifs dans leur apprentissage, plus participatifs et motivés à apprendre et à exercer une pratique réflexive les aidant à confronter les difficultés et à apporter leur contribution aux différents problèmes rencontrés. De plus, cette étude leur permet de découvrir l’importance de l’interaction enseignant-étudiant, et étudiant-étudiant afin de les aider à identifier leur rôle, à mieux structurer leur apprentissage et à participer à la prise de décisions dans les travaux de groupe, dans un environnement d’écoute et de respect. Ainsi, développer des habiletés de conduite de groupe, d’animation, d’expression et de gestion de temps constituent pour les étudiants, des avantages importants de l’APP leur permettant de s’exprimer plus facilement tout en faisant face aux conflits pouvant survenir au sein du groupe.
45Tout ceci ne peut avoir lieu sans l’accompagnement des enseignants tuteurs qui doivent jouer le rôle d’un facilitateur et d’un accompagnateur dans le but de créer un environnement d’apprentissage favorable pour les étudiants.
46Ainsi, aider les étudiants à prendre un bon départ à l’Université, les initier aux méthodes de travail propres à l’enseignement supérieur, telles l’APP et le travail de groupe, leur prodiguer des conseils pour s’organiser, bref, rendre plus efficace la formation qui leur est dispensée, tout ceci pourrait les aider à avoir plus confiance en eux-mêmes et en leurs capacités.
47Tel est le but d’un tutorat académique réussi qui va permettre aux étudiants de consolider leur apprentissage et de se sentir plus à l’aise dans la formation. Ainsi, les étudiants, soutenus par les tuteurs seront plus aptes à identifier clairement leur rôle au sein du groupe, à jouer un rôle plus actif et responsable et à oser partager leurs connaissances avec leurs collègues de travail. Ceci va créer une interaction saine entre les différents membres du groupe, ce qui va les aider à partager divers points de vue, à confronter, à échanger des idées et à poser des questions. Par conséquent, ceci diminuera les tensions et les conflits au sein du groupe et aidera les étudiants à développer leur estime de soi quant à leurs connaissances, à être plus actifs et plus impliqués dans leur processus d’auto-apprentissage.
48Il serait également recommandé que le tuteur de l’APP, puisse jouer de plus, le rôle de médiateur cognitif, d’un animateur plutôt que celui d’un transmetteur d’informations afin de favoriser la co-construction du savoir. De plus, il serait crucial que le tuteur d’APP puisse connaître le profil des étudiants, identifier leurs difficultés et leurs lacunes, leur transmettre les valeurs de communication et d’écoute et les motiver à s’impliquer dans leur apprentissage tout en leur assurant les ressources nécessaires dans la résolution des problèmes pouvant survenir. De surcroît, le tuteur doit aussi apprendre aux étudiants l’importance d’une bonne gestion de temps dans leur processus d’apprentissage, et doit prendre en considération le calcul de la charge de travail de l’étudiant dans l’application de l’APP.
49Ainsi, l’enseignant sera perçu comme étant une personne ressource, à l’écoute de ses étudiants, un conseiller et un accompagnateur qui leur assure un environnement pédagogique favorable, les poussant à prendre des décisions, à résoudre leurs problèmes et à développer leurs compétences. Au niveau de la recherche, il serait utile dans un deuxième temps de décrire et de comprendre la perception des enseignants tuteurs face à cette nouvelle approche pédagogique qu’est l’APP afin de les aider à transformer leur pratique pédagogique et pouvoir créer une confiance suffisamment forte entre eux et les étudiants en vue de les aider à développer leur autonomie dans un environnement motivant et stimulant.
Limite de l’étude
50La désirabilité sociale est une limite importante étant donné que les participants appartiennent à la même Faculté où s’est déroulée l’étude.
Déclaration de conflits d’intérêts
51Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.
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Mots-clés éditeurs : perception, premier cycle, étudiants infirmiers, apprentissage par problème, recherche qualitative
Date de mise en ligne : 24/07/2019
https://doi.org/10.3917/rsi.137.0041