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Article de revue

Faire vite n’est pas toujours faire bien, ou l’importance d’avoir des connaissances pour des résultats de recherche novateurs

Pages 5 à 6

English version

1 Un constat fréquent : lorsqu’un nouveau phénomène prend de l’ampleur et occupe l’actualité, il devient un sujet porteur et objet d’intérêt pour des chercheurs. Il devient aussi un sujet plébiscité par les étudiants pour leurs travaux académiques – mémoires de master ou thèses de doctorat. Les motivations pour réaliser des recherches sur ce phénomène d’actualité peuvent être diverses, dont celles de produire du savoir, de s’approprier le sujet, de répondre à une commande ou d’accéder à des financements subitement disponibles.

2 Pour certains chercheurs, le « phénomène » s’inscrit dans leur champ d’études ; pour d’autres, il s’agit plutôt d’une opportunité. À titre illustratif, cela a été observé lors de l’instauration de la pratique infirmière avancée en France avec une multiplication de publications de niveau scientifique variable, par des auteurs, chercheurs ou étudiants d’origines diverses (infirmiers, médecins, sociologues, etc.). La profusion de travaux sur un sujet d’actualité, réalisés dans des contextes variés et dans un temps limité, suggère quelques réflexions.

3 Parmi les éléments observés, notons en trois particulièrement. Le premier : une certaine uniformité dans le thème exploré, la question posée et la manière de la poser, et donc dans les résultats obtenus. Ainsi, la question majoritairement posée étant relative à l’implantation de la pratique avancée (ex. représentations des professionnels et leurs attentes concernant la pratique avancée, facteurs favorisant l’intégration ou l’accompagnement du changement), les résultats décrivent des leviers et des difficultés rencontrés par les infirmières nouvellement diplômées en pratique avancée. Mais la question de l’implantation de la pratique avancée a déjà été largement explorée depuis de nombreuses années dans divers contextes internationaux et fait l’objet de publications. De fait, ce qui apparaît dans les résultats est, pour une large part, déjà connu, parfois depuis longtemps. Les difficultés liées à l’acceptabilité – notamment médicale –, aux politiques d’établissements ou aux modèles économiques sont documentées. Ainsi, sauf à confirmer que l’on retrouve la même chose dans le contexte français – ce qui peut avoir son intérêt en soi –, les résultats de ces travaux n’apportent pas véritablement de nouvelles connaissances. En définitive, en multipliant des études similaires, il est dommage de consacrer de l’énergie, du temps et de l’argent pour des résultats somme toute peu intéressants, alors qu’il y aurait tant de questions à explorer. Par exemple, pourquoi n’a-t-on pas anticipé les difficultés prévisibles ? Quel rôle ont joué les différents acteurs et parties prenantes (les institutions comme les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur, les agences de santé, les organisations professionnelles, les universités, etc.) ? Quel est l’usage et la connaissance des savoirs infirmiers en France ? Quel enseignement des savoirs infirmiers au cours de la formation en pratique avancée ? Comment les savoirs des sciences infirmières sont utilisés dans les travaux et mémoires ? Dans quelle perspective s’inscrit principalement l’exercice en pratique avancée : dans le champ médical ou celui des soins infirmiers ?

4 Un deuxième élément apparaît à la lecture de nombre d’articles, ce sont des méconnaissances qui influencent les aspects étudiés, les résultats et leur analyse. Ces méconnaissances sont relatives, par exemple, à l’existence de la littérature sur le sujet, à l’histoire de la profession et de cette nouvelle fonction, aux fondements juridiques singuliers et aux textes régissant l’exercice des professions réglementées auxquelles sont assujetties les infirmières, aux spécificités du système de formation, aux modalités de travail selon les secteurs d’exercice (collaborations entre professionnels, modèles économiques, etc.), à l’organisation professionnelle. Parfois, ce sont les croyances du chercheur – ce qu’il croit savoir – qui prévalent sur le doute inhérent à la recherche scientifique qui conduit à s’appuyer sur des données objectivées et vérifiées. À ces méconnaissances s’ajoutent fréquemment des contraintes temporelles pour réaliser l’étude, contingentées par les organismes financeurs ou par le calendrier académique.

5 Enfin, un troisième élément tient au type de travaux le plus fréquemment réalisés. Ils pourraient être qualifiés d’études fondées sur des enquêtes descriptives versus des recherches sous-tendues par une problématique documentée. Ces travaux descriptifs fournissent des données, notamment chiffrées, parfois difficiles à interpréter et à mettre en perspective, faute de disposer d’éléments de comparaison. Cependant, elles pourront éventuellement être utiles ultérieurement lorsque des données consolidées seront disponibles. Là encore, le temps peut être un facteur contraignant, notamment dans des contextes où il faut produire des résultats rapidement, publier vite et parfois beaucoup. Si le temps peut constituer un élément de contexte mais pas une justification, diverses raisons peuvent conduire à reproduire toujours le même type d’études ou à privilégier une méthodologie plutôt qu’une autre, parce qu’on la maîtrise.

6 S’agissant de l’illustration retenue ici, ces observations sont à inscrire dans le contexte où le « phénomène », instauration et déploiement de la pratique infirmière avancée en France, est très récent et ne permet pas toujours le recul nécessaire à des études plus approfondies. Toutefois, pris par l’enthousiasme et dans l’action, il est parfois utile de se rappeler quelques principes lors de la réalisation de travaux scientifiques. Par exemple, l’importance d’identifier un aspect « original » qui n’a pas encore été travaillé, de bien connaître le milieu étudié (population, contexte, langage, spécificités, particularismes, etc.), de vérifier et de confronter des affirmations répétées et/ou rapportées dans des publications, mais relevant pour l’essentiel d’opinions, de maîtriser les méthodologies utilisées, de chercher à proposer des analyses inédites.

7 Ces observations suggèrent, à l’heure où la recherche se développe et prend de l’ampleur, notamment dans des milieux peu habitués à ces démarches scientifiques, qu’il est parfois utile de se rappeler, au risque de se répéter, quelques règles. Tous ceux qui ont véritablement été formés à la recherche scientifique les ont apprises, et il convient de les enseigner et de les faire mettre en application aux apprentis chercheurs.

8 La recherche est une affaire exigeante qui vise à produire de nouveaux savoirs à partir notamment de ceux qui existent. Elle requiert de la précision et de la rigueur. Elle nécessite du temps – parfois long – pour la réflexion, la maturation et la confrontation des idées. La durée est aussi indispensable à l’établissement de l’état des connaissances issu de la bibliographie et de documents, la vérification des données produites et des idées avancées dans les analyses, mais également pour laisser place à l’expression de la créativité. Autrement dit, la recherche nécessite une bonne connaissance, notamment du terrain d’étude, des résultats déjà produits, des compétences en méthodologie et de l’inventivité.

9 Ces quelques principes peuvent s’appliquer dans tous les contextes de réalisation de recherches scientifiques, le plus important étant d’ajuster les exigences. En effet, on ne demandera pas la même chose à un chercheur ou à un étudiant en phase d’apprentissage.

10 Ces quelques constats nous incitent à une certaine vigilance, que l’on soit chercheur, enseignant ou étudiant, pour un investissement productif et des résultats de recherche utiles, originaux et novateurs.

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