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Article de revue

Les services d’eau et d’assainissement en France : un modèle précurseur, aujourd’hui comme hier

Pages 85 à 87

1En France, les collectivités ont, pour la gestion de leurs services publics industriels et commerciaux, la liberté du choix entre une gestion directe (avec leurs propres ressources) ou une gestion déléguée à une entreprise. S’accompagnant d’une législation pertinente, cette dualité des modes de gestion a produit, au fil des décennies, un cadre concurrentiel sain et transparent, qui explique en grande partie le haut niveau de performance des services : la bonne qualité de l’eau potable dans son ensemble, son prix compétitif et le haut niveau d’expertise des opérateurs. On parle d’un « modèle français de l’eau » reconnu, et même envié, à l’international. Un modèle qui s’adapte aujourd’hui aux nombreuses mutations à l’œuvre, depuis les évolutions réglementaires européennes jusqu’aux enjeux écologiques et sanitaires, en passant par la recomposition administrative des territoires.

Un cadre législatif promoteur du modèle considéré

2Dès 1993, la loi Sapin a donné un cadre clair à la passation des contrats de délégation de service public (DSP), qui garantit aux consommateurs transparence et règles strictes de mise en concurrence pour le meilleur rapport qualité/prix.

3En 2014, la directive Concessions a mis en place, en Europe, des règles comparables, plus particulièrement en ce qui concerne l’assainissement, dans notre domaine de l’eau.

4En avril 2016, la France a saisi l’opportunité de la transposition en droit français de cette directive pour moderniser la législation nationale en matière d’assainissement et d’eau potable. La notion de concession de service public englobe désormais des formes de concession (au sens français du terme), comme l’affermage.

5Les passations de contrats obéissent à deux procédures précises – la procédure allégée et la procédure ordinaire – qui dépendent de l’importance du contrat. Enfin, les conditions de la passation d’avenants aux contrats ont été précisées, ce qui facilite la prise de décision pour les autorités organisatrices, tout en apportant aux opérateurs et aux consommateurs une indispensable sécurité juridique.

6Parallèlement, les outils de gestion innovent et se déclinent pour répondre aux attentes de certains élus en termes d’une plus forte implication de leur part dans la gestion de leurs services. Traditionnellement (majoritairement, dans le cadre de la délégation de services publics), le délégataire gère la totalité du service, emploie et forme le personnel, gère les investissements, assume les risques de gestion et met à la disposition de chaque service son expertise et ses ressources, au quotidien et en cas de survenue de crises (inondation, pollution…).

7Divers modèles contractuels rénovés, résolument axés sur la performance, se développent. Par ailleurs, la DSP peut désormais être confiée à une société d’économie mixte à opération unique (SEMOP). La spécificité de ces dispositifs contractuels est de permettre, le temps d’une opération ou d’un contrat de délégation, d’associer l’autorité organisatrice et l’opérateur (au capital et à la gouvernance).

8Parallèlement, les innovations en matière juridique (nouveaux modèles de contrats) et d’ingénierie tarifaire se développent dans le secteur de l’eau, dans le cadre de partenariats entre des autorités organisatrices plus puissantes et aidées par une maîtrise d’œuvre plus experte et des opérateurs à l’écoute des attentes de leurs clients.

La recomposition des territoires : une chance à saisir

9Autre évolution majeure en cours, en France : la réduction drastique du nombre des services, en application de la loi NOTRe. Leur nombre est appelé à être divisé par dix, environ, pour se situer dans une fourchette allant de 3 000 à 4 000 services en 2020. Corollaire de ces regroupements, une augmentation significative de la population desservie par ces services redessinés. Le seuil minimal de la taille des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) devrait ainsi passer de 5 000 à 15 000 habitants.

10Dans un premier temps, cette perspective de regroupements et de transferts de compétences a soulevé des incertitudes dans les territoires, qui ont pu engendrer un report des investissements dans des infrastructures.

11Cependant, au fur et à mesure de sa mise en place, cette recomposition devrait porter ses fruits et stimuler une réflexion au sein de chaque autorité organisatrice, d’une part, sur la constitution de services à une plus grande échelle, notamment sur une mutualisation des moyens de nature à en accroître l’efficacité, et, d’autre part, sur l’établissement d’une véritable politique d’investissement à long terme.

12Il faut en tous cas le souhaiter, car les infrastructures de l’eau sont en attente d’investissements, tant en ce qui concerne leur renouvellement que leur modernisation. En transférer la charge sur les générations futures aurait de lourdes conséquences sur les plans environnemental, financier et social.

13Là encore, le modèle français de l’eau s’est donné les moyens de son efficacité, notamment grâce au principe « l’eau paie l’eau ». S’il est respecté, ce principe doit permettre aux autorités organisatrices de favoriser l’investissement en toute indépendance.

14Ces dernières années, cependant, l’État a opéré des ponctions toujours plus lourdes sur les budgets des Agences de l’eau (175 millions d’euros par an) et de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) (80 millions d’euros).

15Par ailleurs, de nouvelles priorités se sont dessinées dans le domaine de l’eau, qui se sont traduites par une réorientation d’une partie importante des financements qui étaient auparavant consacrés aux services d’eau et d’assainissement. Aussi, les collectivités devraient sans doute être amenées à recourir à des dispositifs dédiés et sanctuarisés existant au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations, des Agences de l’eau, de l’Union européenne ou de banques privées.

Nos services de l’eau : une vitrine des savoir-faire français

16Outre ce modèle de gouvernance efficace, les services de l’eau, en France, jusqu’au plus petit d’entre eux, peuvent bénéficier des savoir-faire d’entreprises françaises depuis longtemps expertes du domaine.

17Rendre l’eau potable, cela fait appel à des technologies de pointe (en matière de filtration, de désinfection…) utilisées dans un processus plus ou moins complexe selon la provenance et la qualité de l’eau brute (de surface ou souterraine).

18L’un des enjeux majeurs de santé publique est d’ailleurs la lutte contre les pollutions émergentes (présence dans l’eau de résidus médicamenteux, de métaux lourds, de rejets industriels…), pour laquelle les entreprises de l’eau développent des techniques d’analyse toujours plus affinées et ont d’ores et déjà mis au point des technologies efficaces à même de traiter de 80 à 90 % des micropolluants restants dans les eaux usées recyclées.

19Par ailleurs, les consommateurs attendent des gestionnaires toujours plus d’informations sur la qualité de l’eau et des services toujours plus performants leur permettant notamment de mieux maîtriser leur consommation. Un tiers seulement des Français sont aujourd’hui équipés de compteurs d’eau intelligents et la réduction de cette disparité passe, localement, par des plans d’action volontaristes.

20Par ailleurs, l’évolution des métiers et des compétences est un enjeu important pour les services de l’eau, auquel les entreprises du domaine s’adaptent. Par la technicisation accrue de leurs activités du fait de l’intégration de l’innovation technologique (notamment du numérique), elles accompagnent une véritable mutation des métiers de l’eau qui sont en train de devenir une composante centrale des smart cities de demain. Qui sait, par exemple, que le compteur d’eau télé-relevé est, en France, le premier objet communicant en termes de diffusion ? (voir sur ce point l’article de Lélia De Matharel, journaliste au Journal du Net : http://www.journaldunet.com/economie/industrie/1180332-objet-connecte-france-compteur-d-eau/).

21Enfin, les enjeux écologiques de demain sont aussi ceux de l’eau et ils concernent chaque service. À ce titre, la protection des populations exposées à des risques majeurs d’inondation est un exemple de ce que les entreprises de l’eau peuvent apporter par leurs savoir-faire, tant en matière de prévention qu’en matière de gestion de crise.

22Celles-ci sont également innovantes et performantes pour permettre le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire, dans laquelle les déchets des uns deviennent les ressources des autres. De nombreuses applications en la matière ont vu le jour, en France et à l’international : valorisation des boues d’épuration, production de biogaz ou de bioplastiques à partir du traitement des eaux usées, ou encore production d’énergie renouvelable et mesures d’économie de la ressource.

23Pour répondre à ces défis, les entreprises de l’eau investissent chaque année près de 120 millions d’euros dans des travaux de recherche et développement et mobilisent à ces fins près de 900 salariés.

24Elles emploient en France 31 000 personnes dans plus de 500 points d’embauche répartis sur tout le territoire national.

25Les collectivités doivent continuer à bénéficier des expertises de ces professionnels sans cesse approfondies tant en France qu’à l’international. Il est essentiel, pour cela, que la commande publique française reste soutenue et s’attache à optimiser la performance de tous les services, et ce quel que soit leur mode de gestion. La commande publique devra également être soucieuse de se montrer résolument promotrice de l’innovation.

26Sur ces différents sujets, l’ensemble des pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer : généraliser la mesure de la performance, encourager l’expérimentation au sein des territoires, permettre la mise en œuvre de l’innovation au moyen d’une réglementation ambitieuse, favoriser de nouveaux modes de financement et, enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, promouvoir le modèle français sur la scène internationale.

Les chiffres clés de l’eau et de l’assainissement en France

Le nombre de services :
  • 2015 : 35 000,
  • 2020 (après la mise en œuvre de la loi NOTRe) : de 3 000 à 4 000.
Les entreprises de l’eau :
  • approvisionnent les 2/3 de la population en eau potable,
  • et assurent une prestation d’assainissement à plus d’1 habitant sur 2.
Les infrastructures de l’eau :
  • 33 000 ouvrages de prélèvement d’eau,
  • 1 400 000 km de conduites d’eau potable et de canalisations d’eaux usées,
  • 16 000 châteaux d’eau,
  • 17 000 usines d’épuration.
La filière française de l’eau :
  • 900 entreprises (opérateurs, canalisateurs, bureaux d’études, équipementiers…),
  • 120 000 personnes (tous métiers confondus), dont 31 000 dans les entreprises de l’eau.
Les investissements :
Près de 6 milliards d’euros sont investis par an, dont un peu moins d’1 milliard provient des entreprises de l’eau.
Le prix des services d’eau et d’assainissement dans les 5 plus grandes villes de France
Ils se situent 13 % au-dessous de la moyenne européenne.
La qualité de l’eau
84 % des Français sont satisfaits de l’eau du robinet.
Les entreprises de l’eau à l’international (hors France)
  • 100 000 salariés dans le monde,
  • 130 000 millions de personnes desservies en eau potable.

Date de mise en ligne : 04/04/2017

https://doi.org/10.3917/re1.086.0085

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