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Article de revue

Le Conseil Mondial de l’Eau : un enjeu mondial pour une ressource locale

Pages 92 à 95

1L’année 1977 a vu la première Conférence intergouvernementale exclusivement consacrée à l’eau se tenir en Argentine sous la dénomination de « Conférence des Nations Unies sur l’eau de Mar del Plata ».

2Trois ans plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies proclame la Décennie internationale de l’approvisionnement en eau potable et de l’assainissement. Celle-ci avait pour objectif d’assurer aux populations, à l’horizon 1990, un approvisionnement en eau potable, de bonne qualité et en quantité suffisante, ainsi que des installations sanitaires de base.

3En 1992, la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement de Dublin et le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro permettent de faire émerger l’idée de la création d’un « Conseil Mondial de l’Eau », dont la concrétisation juridique interviendra en 1996. En compétition avec Montréal et Stockholm, c’est finalement Marseille qui est choisie pour accueillir le siège de la nouvelle organisation.

4Vingt ans après, il est intéressant de se pencher sur les missions du CME et de déterminer les défis qu’il doit désormais relever.

5Actuellement, le CME s’organise autour d’une équipe permanente et de ses 330 membres originaires de plus de 50 pays, qui se réunissent lors d’une Assemblée générale.

6Cette assemblée élit, parmi ses membres, le Conseil des gouverneurs. Ceux-ci désignent leur président, qui, à son tour, nomme un bureau.

7Le CME s’est donné pour mission première d’encourager et de faciliter, à tous les niveaux, la préservation, la bonne gestion et l’utilisation raisonnée des ressources en eau – dans une perspective de développement durable. Aussi le Conseil cherche-t-il à mobiliser tout particulièrement les décideurs politiques et économiques. Il doit permettre de développer une vision commune des différents acteurs sur les principes à mettre en œuvre pour assurer une bonne gestion de la ressource et des services de l’eau, en jouant le rôle d’une plateforme de débats et d’échanges d’expériences. Par ailleurs, le Conseil organise, tous les trois ans, le Forum mondial de l’eau et apporte sa contribution aux autres grands rendez-vous internationaux.

8Pour la période 2015-2018, le Conseil axe son programme d’actions sur le rapprochement entre les acteurs, à travers une hydro-diplomatie active, l’exploration de nouvelles idées et de nouveaux concepts et la discussion de divers sujets, et ce, tout en encourageant les échanges et l’extension et la consolidation d’un réseau.

9Il axe ses travaux autour de quatre priorités : l’eau et la politique afférente, les questions relatives à la sécurité hydrique, la co-organisation des prochains Forums mondiaux de l’eau (au Brésil en 2018 et au Sénégal en 2021) et le renforcement de l’organisation.

10Le Conseil a ainsi pour vocation d’être le porte-voix des acteurs de l’eau au niveau mondial, notamment du fait de l’inexistence d’une agence onusienne sur ce sujet.

11En 2003, ONU-Eau (UN-Water) est créée par le Comité de haut niveau des Nations Unies sur les programmes. Mais il s’agit uniquement d’un mécanisme inter-organisations visant à renforcer la coordination et la cohésion entre les différentes entités des Nations Unies s’occupant des questions relatives à tous les aspects de l’eau douce et de l’assainissement, notamment les ressources en eau de surface et en eau souterraine, l’interface entre l’eau douce et l’eau de mer et les catastrophes liées à l’eau. ONU-Eau n’a donc aucun rôle politique ou de coordination, en dehors des initiatives issues du système des Nations Unies.

12De nombreux enjeux entourent cependant l’avenir du CME. Si celui-ci veut rester l’organe référence de l’eau dans le monde, il doit se montrer capable non seulement de se saisir à la fois de la problématique des Objectifs de développement durable (ODD) et de celle du changement climatique, mais également de faire face à la montée en puissance d’autres événements environnementaux globaux.

13Le CME contribue à porter le sujet de l’eau au plus haut niveau international. Alors que les Objectifs du millénaire pour le développement avaient démontré une véritable difficulté pour définir l’accès à l’eau et l’assainissement, ils ont été prolongés par l’adoption des 17 Objectifs de développement durable (ODD), au mois de septembre 2015, par l’Assemblée générale des Nations Unies.

14Désormais, ils concernent non seulement les pays en développement, mais aussi les pays développés. L’idée est de faire le lien entre la pauvreté et un développement durable dans l’acception la plus large de ce terme (sur les plans économique, social, etc.).

15L’adoption d’un objectif Eau, le 6ème ODD, est une avancée sans commune mesure, à l’échelle globale. Ce fut en partie le résultat concret de discussions, lors du Forum mondial de l’Eau de 2012, entre les différents ministres (avec la Déclaration de Marseille), ainsi que de celles qui ont eu lieu lors du sommet de RIO+20.

16Cet ODD 6 représente également une avancée pour le système onusien lui-même, avec, pour la première fois, l’eau en tant que problème transverse et non pas uniquement en tant que problématique d’accès des populations à l’eau potable. L’eau est ainsi présente dans un objectif de développement durable qui lui est dédié, mais aussi au travers de cibles visées par d’autres objectifs (notamment ceux concernant le genre, la ville et l’océan). Les ODD permettront, en autres, d’évoquer les ressources en eau, les questions de quantité, de qualité, de gestion des eaux usées et les catastrophes liées à l’eau.

17L’organisation des Forums est un des points centraux de l’action actuelle du CME. Il ne doit cependant pas se cantonner à celle-ci. Les Forums permettent des rencontres entre plus de 20 000 participants ; ils sont co-organisés par le Conseil et le pays hôte. Ces forums sont des événements toujours utiles, dont les résultats ne sont jamais « écrits d’avance ».

18A posteriori, les différents forums ont apporté de grandes avancées pour l’eau dans le monde à travers des engagements sur les thèmes de la gestion intégrée de l’eau (pour le Forum tenu au Maroc), du stress hydrique (pour celui organisé aux Pays-Bas), du financement de l’accès à l’eau (au Japon), du droit à l’eau et à l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous (forums tenus au Mexique et en France), de l’assainissement (Turquie) et, enfin, des sciences et des technologies (pour le septième Forum, en Corée).

19Le prochain Forum aura lieu, en 2018, au Brésil, il portera notamment sur un meilleur partage de l’eau.

20Ces processus s’intègrent ainsi à la dynamique des activités du Conseil. Les débats se démarquent de par leur grande qualité, avec plus de 400 heures d’échanges, notamment lors de sessions thématiques.

21On pourrait se satisfaire des progrès réalisés lors des Forums, qui permettent à des sujets émergents de prendre davantage de place, de débattre sur des thématiques en apparence moins importantes, car moins polémiques, ainsi que l’implication d’une nouvelle génération et une meilleure intégration des ONG dans les différents processus.

22Mais l’une des difficultés qui demeurent réside, cependant, dans le suivi entre les Forums, qui doit être renforcé, et ce, d’autant plus que les engagements pris lors des Forums ne sont pas forcément très concrets, notamment au niveau politique. Certains grands pays (comme la Grande-Bretagne) n’y sont que peu ou pas représentés préférant privilégier leurs propres initiatives. La Déclaration ministérielle reste malheureusement trop peu connue du grand public et les engagements manquent de chiffrages précis.

23Les initiatives positives, comme le programme de l’OCDE pour la gouvernance de l’eau, doivent être davantage prises en exemple et démultipliées. Cela est d’autant plus important que ces dernières années ont vu l’émergence de rendez-vous internationaux sur l’eau, avec la Semaine mondiale de l’eau de Stockholm, celle de Singapour ou encore le Sommet de Budapest. Véritables lieux de rencontres multi-acteurs (même si leur force politique reste faible), la compétition est désormais rude pour les Forums du CME, qui devront rester les lieux de convergence de référence, si le Conseil souhaite garder son leadership. Leur originalité reste, bien entendu, les rencontres entre les ministres en charge de l’Eau et de l’Assainissement. Le Conseil doit renforcer ses liens avec les représentants politiques pour donner davantage de poids aux Déclarations ministérielles qui concluent ses Forums mondiaux de l’Eau.

24Dans son analyse de l’architecture mondiale de l’eau, la plateforme multi-acteurs UNSGAB (UN Secretary-General’s Board on Water and Sanitation) indique qu’il manque toujours une structure politique internationale qui permette aux gouvernements de se rencontrer régulièrement afin de discuter des questions liées à l’eau, en plus d’une structure scientifique qui pourrait être un GIEC-Eau. La question se pose, alors, de savoir si le Conseil et le Forum remplissent complètement leurs rôles et s’ils répondent aux besoins de la communauté internationale. Les ODD devenant la référence non seulement en matière de politique internationale, mais également en matière de politiques nationales, la force politique du Conseil Mondial de l’Eau devra nécessairement passer par une réelle appropriation par celui-ci de la question des ODD, afin d’attirer les gouvernements et les décideurs politiques. Cependant, il doit veiller à conserver son rôle de plateforme multi-acteurs. Une de ses forces est sa capacité à rassembler ses membres issus des différents « collèges » : institutions intergouvernementales, gouvernements et autorités nationales et locales, entreprises, organisations de la société civile et associations de consommateurs, associations professionnelles et institutions académiques.

25Cette diversité entre ses membres doit être concrétisée également au niveau du Conseil des gouverneurs, qui manque actuellement de pluralité en matière de genre, de générations, mais aussi, et surtout, de représentativité géographique. La participation des acteurs, notamment africains et asiatiques, à la fois aux instances du Conseil et aux Forums mondiaux de l’eau est primordiale pour la crédibilité de l’organisation.

26La COP22 a permis de mettre en lumière la problématique de l’eau et son lien avec le changement climatique. Le fait qu’elle ait été organisée au Maroc n’y est pas pour rien, avec les ministres marocaines de l’Environnement et de l’Eau qui sont toutes deux très sensibles à la question de l’eau.

27Le 9 novembre 2016, la « Journée Eau » s’organisait autour de présentations et de débats entre acteurs de l’eau. Les liens avec la communauté du Climat devront être approfondis afin que la communauté de l’eau ne soit pas autocentrée et qu’elle puisse influer sur les négociations officielles. Lors de la matinée de ce même jour, les trois Alliances lancées lors de la COP21 de Paris ont pu se présenter et évoquer les progrès réalisés au cours des derniers mois : le Pacte sur l’eau et l’adaptation au changement climatique dans les bassins, les fleuves, les lacs et les aquifères, la Business Alliance for Water and Climate Change, l’Alliance des mégalopoles pour l’eau et le climat. Ce fut également l’occasion de mettre en lumière l’Appel « Water for Africa ». Diffusé à l’issu de la Conférence internationale sur l’eau et le climat de Rabat, en juillet 2016, cet Appel plaide en faveur du dégagement de moyens pour financer la sécurité de l’accès à l’eau en Afrique, face au changement climatique.

28Le Conseil mondial de l’eau a pris une part importante dans la Journée Eau de la COP 22, en y présentant deux initiatives.

Initiative pour l’adaptation de l’agriculture africaine (AAA) lancée en amont de la COP22, qui a eu lieu à Marrakech du 7 au 18 novembre 2016

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Initiative pour l’adaptation de l’agriculture africaine (AAA) lancée en amont de la COP22, qui a eu lieu à Marrakech du 7 au 18 novembre 2016

Photo © COP22

29Après l’adoption de l’Agenda post-2015 et l’Accord de Paris sur le climat, le Conseil et la communauté internationale de l’eau se sont rassemblés autour de l’initiative #ClimateIsWater pour rallier la communauté climatique et veiller à ce que les débats sur le climat prennent sérieusement en considération la question de l’eau.

30Par ailleurs, j’ai eu l’honneur de lancer le Réseau international des parlementaires pour l’eau, en tant que coordonnatrice. Les cinquième et sixième Forums mondiaux de l’eau – organisés à Istanbul (2009) puis à Marseille (2012) – ont officiellement organisé un rassemblement de plus de 250 parlementaires, jugeant, qu’à l’échelle mondiale, ceux-ci devaient contribuer à la réflexion sur l’eau, pour trois raisons majeures :

  1. leur rôle dans le vote du budget national de chaque pays : à ce jour, dans les pays en développement, jusqu’à 90 % des eaux usées s’écoulent, sans avoir été traitées, dans les rivières, les lacs et les zones côtières, menaçant ainsi la santé et la sécurité alimentaire,
  2. leur rôle législatif : l’absence de mécanismes de coordination des décisions interministérielles, ainsi que d’articulation entre les interdépendances sectorielles constitue l’un des freins majeurs à une gouvernance nationale efficace de l’eau. Par ailleurs, la reconnaissance du droit à l’eau en tant que droit de l’Homme et les défis posés par sa traduction dans les législations nationales ont renforcé la nécessité d’impliquer les parlementaires dans les questions de l’eau,
  3. enfin, leur rôle dans la ratification des traités internationaux, notamment ceux se rapportant à la coopération internationale en matière de partage des eaux ou encore à la prévention de pollutions transfrontalières.

31Le besoin reconnu d’un cadre législatif adapté et de budgets dédiés aux politiques de l’eau a ainsi placé les parlementaires au cœur du processus des derniers Forums mondiaux de l’eau.

32Lors de ces rencontres, les parlementaires ont été encouragés à anticiper, à se préparer, à se responsabiliser et à agir face aux différents défis que sont la décentralisation de l’autorité, les changements mondiaux, la gouvernance et la coopération transfrontalière. Le septième Forum mondial de l’eau, qui s’est tenu en Corée, a permis l’adoption de la Déclaration des parlementaires.

33Les missions dévolues au Réseau international des parlementaires pour l’eau seront de :

  • faciliter la consultation des législations relatives à l’eau à partir d’une source unifiée. Cette plateforme pourrait permettre d’accéder ainsi aux bases de données décentralisées ou à différents compendiums des meilleures pratiques et solutions afférentes à l’eau ;
  • faciliter l’organisation de débats, d’échanges de travaux et d’analyses, de bonnes pratiques et les partages des connaissances au travers de rencontres nationales, régionales ou internationales ;
  • apporter une aide personnalisée aux parlements et à leurs élus, en mettant à leur service un plateau d’experts consultables sur des demandes spécifiques ;
  • enfin, produire des rapports et des briefings sur les politiques de l’eau et d’assainissement à destination des parlementaires, en fonction des ressources disponibles.

34Le Réseau s’organisera autour de groupes régionaux et aura ainsi pour finalité d’organiser des rencontres lors des Forums mondiaux de l’eau, ceux-ci devant être, au-delà de lieux de dialogue, de véritables centres de décision politique.

35L’exemple européen est assez significatif. Aujourd’hui, l’Europe ne place plus les thématiques reliées à l’eau en haut de son agenda politique. L’intergroupe Eau du Parlement européen n’a plus de reconnaissance officielle et nous manquons de parlementaires experts sur la question. La révision de la Directive-cadre européenne sur l’eau et le nouveau Consensus européen sur le développement doivent être des occasions de replacer l’eau parmi les priorités de la Commission, du Parlement, du Comité des Régions et des États membres.

36Tout comme le Conseil Mondial de l’Eau, l’Union européenne doit se saisir à nouveau rapidement de la question de l’eau, notamment en lien avec les objectifs du développement durable (ODD) et avec les changements climatiques, afin de jouer un rôle politique autour de ces nouvelles problématiques qui concernent tous les États membres, et qui les concerneront davantage encore dans les prochaines années.


Date de mise en ligne : 04/04/2017

https://doi.org/10.3917/re1.086.0092

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