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Article de revue

La compensation biodiversité, un instrument économique au service de l’intérêt général

Pages 55 à 58

Notes

Introduction

1La séquence Éviter-Réduire-Compenser (ERC) a pour objectifs d’éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être évitées et de compenser les impacts résiduels [2]. Elle s’applique aux projets, aux plans et programmes soumis à une évaluation environnementale, ainsi qu’aux projets soumis à diverses procédures au titre du Code de l’environnement (CE) (autorisation environnementale, dérogation aux obligations relatives à la protection des espèces, évaluation des incidences dans le cadre de Natura 2000, etc.). Si la séquence ERC est apparue en 1976 dans la loi relative à la protection de la nature, son application a été renforcée à la suite du Grenelle de l’environnement en 2007, puis par la loi biodiversité de 2016 et ses décrets d’application. Aujourd’hui, la séquence ERC bénéficie d’un socle législatif et réglementaire solide (MEB, 2016 [3]). Toutefois, cette approche législative doit faire face aux interprétations des textes par les divers acteurs du territoire (Bigard, 2018) [4], au manque de suivi ou de contrôles et à la rare pérennisation des actions (Regnery, 2017) [5], qui viennent amoindrir la portée de cette loi et ses effets sur ce bien commun qu’est la biodiversité. Pour tenter de pallier ces limites, les leviers économiques et financiers sont à même d’agir sur les arbitrages et de renforcer les actions en faveur de l’intérêt général.

L’application de la séquence ERC au juste coût économique

2Pour certains acteurs économiques, négliger les phases d’évitement et de réduction est une stratégie pour passer directement à la phase de compensation, et ainsi accélérer les procédures et la validation de leurs projets. Ce choix fait par les maîtres d’ouvrage traduit bien souvent une méconnaissance de la réalité des coûts associés aux mesures compensatoires. La compensation n’est pas un droit à détruire et l’évaluation des coûts réels de compensation permet de faire payer au maître d’ouvrage le coût véritable de la réparation des préjudices causés, pour l’inciter à réviser son projet d’aménagement.

3Pour mémoire, le coût des mesures compensatoires doit intégrer :

  • la recherche foncière du ou des site(s) de compensation ;
  • leur sécurisation foncière soit par acquisition, soit par contractualisation (location, ORE…) sur la durée de l’engagement précisé dans l’arrêté préfectoral (30 ans, en moyenne) ;
  • les actions de création, de restauration ou de réhabilitation, le cas échéant ;
  • la gestion et le suivi du ou des site(s) de compensation pendant toute la durée des engagements du maître d’ouvrage (correspondant à la durée des atteintes, d’après l’article L. 163-1 du CE), et le reporting associé ;
  • et, d’une façon générale, de tous les coûts directs ou indirects nécessaires à la mise en œuvre et à la gestion pérenne des actions de compensation engagées.

4Ce coût des mesures compensatoires reflète le coût réel des actions de restauration et de gestion des milieux naturels permettant d’atteindre la non-perte nette de biodiversité. En abordant la compensation par le prisme économique de ces coûts, le maître d’ouvrage prend alors la pleine mesure des incidences environnementales de son projet. Par une réflexion itérative partant de la compensation et visant à minimiser les coûts de son projet, l’aménageur est incité à éviter, puis à réduire les impacts de son projet afin de diminuer les coûts des mesures compensatoires. Dans l’idéal, une bonne compensation est une compensation qui n’a pas lieu d’être grâce à une juste application de la séquence ERC en insistant sur les phases d’évitement et de réduction. Toutefois, dans la réalité, le développement de projets est nécessaire au fonctionnement des activités économiques.

5À partir de ce postulat et suivant l’objectif de non-perte nette de biodiversité, il est indispensable que, dès la phase de conception du projet, le maître d’ouvrage dispose d’un chiffrage réel de ces coûts de compensation pour renforcer les phases d’évitement et de réduction et inverser la dynamique actuelle consistant à disposer d’un projet déjà finalisé au moment de l’engagement de la procédure réglementaire.

6En intégrant les coûts réels de compensation au moment de l’élaboration du projet, le maître d’ouvrage peut travailler à l’optimisation des actions d’évitement et de réduction, mais également anticiper ses besoins de compensation. Il fait cela tout en identifiant les solutions permettant d’optimiser ses coûts, tant au niveau des mesures compensatoires à mettre en œuvre, que de leur gestion dans le temps long pour se conformer aux exigences réglementaires. Comme le souligne le Commissariat général au développement durable dans sa note sur les sites naturels de compensation (SNC) [6], cet outil présente un certain nombre d’avantages par rapport aux mesures compensatoires historiques, à savoir :

  • l’anticipation des mesures de compensation écologique, qui correspond à la réalisation des mesures avant que l’impact de la réalisation des projets sur les milieux et la biodiversité ne se produise. Cela permet notamment d’éviter la perte temporaire de biodiversité (Levrel et Couvet, 2016) [7] enregistrée entre la mise en œuvre du projet et celle des mesures compensatoires, mais également de sécuriser juridiquement les obligations de compensation à long terme (Dupont et Lucas, 2017) [8], puisque les mesures compensatoires sont alors effectives dès l’achat des unités de compensation par le porteur de projet,
  • et la mutualisation : un SNC permet de mutualiser les besoins de plusieurs projets d’aménagement, conduisant ainsi à des mesures de plus grande ampleur et d’une meilleure cohérence écologique territoriale. La fragmentation des mesures compensatoires qui est propre à la compensation historique à la demande est ainsi évitée et le contrôle et le suivi s’en trouvent facilités (Weissgerber et al., 2019) [9].

7L’anticipation et la mutualisation conduisent à développer une logique globale d’aménagement du territoire et à identifier les espaces les plus pertinents pour la compensation. Par conséquent, la compensation par l’offre est un moyen particulièrement pertinent d’un point de vue écologique ‒ du fait de l’absence de perte nette ‒ pour agir en faveur de l’intérêt général. Elle présente par ailleurs des avantages du point de vue de l’intérêt général en assurant une transparence dans les actions et démarches mises en œuvre, mais également en mobilisant des fonds – privés et publics – afin de répondre à un objectif global.

8Ainsi, bien que débuter l’application de la séquence ERC par la phase de compensation n’abonde pas dans le sens de la réglementation, cela permet cependant de prendre la mesure économique du juste coût des mesures compensatoires, pour ensuite réviser le projet et ainsi parvenir à trouver un équilibre budgétaire en revoyant l’ensemble du projet, et identifier les solutions envisageables pour renforcer les phases d’évitement et de réduction.

Vue printanière des anciens bassins des Vieux salins de Hyères (Var), aujourd’hui érigés en zone protégée

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Vue printanière des anciens bassins des Vieux salins de Hyères (Var), aujourd’hui érigés en zone protégée

« L’anticipation des mesures de compensation écologique correspond à la réalisation des mesures avant que l’impact de la réalisation des projets sur les milieux et la biodiversité ne se produise. Cela permet notamment d’éviter la perte temporaire de biodiversité. »
Photo © André Simon/BIOSPHOTO

Les conséquences de l’évaluation d’un juste coût des mesures compensatoires sur les choix d’investissement

9Évaluer le juste coût des mesures compensatoires permet de faire évoluer les pratiques non seulement à l’échelle des projets, mais également au niveau des investisseurs qui réalisent des arbitrages de plus en plus favorables à la biodiversité. Le secteur de la finance se saisit des enjeux liant préservation de la biodiversité, respect des cadres réglementaires et objectifs internationaux pour restructurer ses investissements ou placements.

10Ayant déjà intégré des critères liés aux objectifs climat, les investisseurs appellent aujourd’hui à une montée en puissance des indicateurs relatifs à la biodiversité, ce qui conduit peu à peu les maîtres d’ouvrage à appliquer plus scrupuleusement la séquence ERC pour répondre aux attentes en la matière. Servant de critères de décision, les impacts environnementaux des activités anthropiques conduisent les investisseurs à réaliser des choix. Il est ainsi possible d’entrevoir deux évolutions possibles : 1) une meilleure prise en compte par le secteur financier des impacts environnementaux dans sa gestion des risques et sa stratégie d’investissement ; 2) le développement rapide d’une offre de produits d’investissement verts ou ISR (investissement socialement responsable), ces derniers prenant en compte dans leur globalité les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

11Ces deux pistes d’évolution encouragées par la Commission européenne [10] et l’Autorité des marchés financiers [11] constituent une véritable opportunité pour développer des portefeuilles d’actifs résilients et à forte valeur ajoutée potentielle. Par leurs choix d’investissements favorables à la biodiversité, les investisseurs conduisent les porteurs de projet à faire évoluer leurs pratiques afin de bénéficier d’avantages ou, à tout le moins, de ne pas se faire exclure des nouvelles opportunités offertes en matière de financements. Ainsi, les aménageurs publics et privés ont tout intérêt à répondre aux critères attendus par les investisseurs. Pour ce faire, la mise en place de systèmes de reporting financier et extra-financier contribue à renforcer la transparence des activités et concourent à la réalisation d’arbitrages durables.

12Selon de fortes probabilités, l’évolution du secteur de la finance aura un impact significatif sur les acteurs économiques publics et privés. Qu’il s’agisse des entreprises ou des collectivités territoriales, il y a un véritable enjeu pour elles à suivre cette évolution pour anticiper les projets et répondre aux besoins des consommateurs et des citoyens. Une sensibilisation et une formation des décideurs constituent un point de départ indispensable pour amplifier la dynamique initiée par le monde de la finance, tout en répondant aux enjeux des entreprises (MEDEF, 2018) [12] et des territoires (UICN, 2016) [13].

13Pour répondre aux enjeux globaux et aux attentes des investisseurs, la planification le plus en amont possible des projets et la définition précise des usages/impacts des projets sont indispensables (Kiesecker et al., 2010 [14] ; Bougrain-Dubourg et Férey, 2020 [15]). Cette planification permet d’identifier les pratiques souhaitables ou à écarter, mais également de planifier les activités sur les territoires (Bigard et Leroy, 2020) [16]. Pour accompagner les aménageurs dans une application rigoureuse et un suivi de la séquence ERC, certains dispositifs, tels que les projets territoriaux de biodiversité (PTB), permettent d’anticiper des réserves foncières destinées à orienter les mesures compensatoires de divers maîtres d’ouvrage sur un espace cohérent et contribuant à renforcer le bénéfice écologique de la compensation. Ils sont ainsi une solution rapide et efficace pour les aménageurs, tout en respectant la biodiversité des espaces et des espèces protégées.

14Conformément à une éthique qui cherche à concilier intérêt général à long terme et objectifs économiques, l’anticipation des besoins relatifs à la bonne application de la séquence ERC semble désormais indispensable pour préserver la biodiversité. Encouragée par les investisseurs, la juste application de la séquence ERC et les actions en faveur de la non-perte nette de biodiversité (voire d’un gain net) nécessitent aujourd’hui des arbitrages économiques et la mise en place d’actions fortes et coordonnées à toutes les échelles.

Conclusion

15La séquence ERC bien que présente dans le droit français depuis 1976 ne fait toujours pas l’objet d’une application rigoureuse. Par les prismes de l’économie et de la finance, une voie s’ouvre permettant de répondre aux exigences économiques des différents acteurs, mais également d’agir simultanément en faveur de l’intérêt général. Une quantification juste des coûts associés aux mesures compensatoires contribuera efficacement à faire de la séquence ERC un levier incontestable, et favorisera une remise en question des arbitrages en termes d’investissement et de planification des projets.


Date de mise en ligne : 30/03/2021

https://doi.org/10.3917/re1.102.0055

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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