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Article de revue

La mesure de l’empreinte biodiversité comme outil d’atteinte des objectifs globaux

Pages 59 à 63

Notes

  • [1]
    MACE G. M., BARRETT M., BURGESS N. D. et al. (2018), ‟Aiming higher to bend the curve of biodiversity loss”, Nat Sustain 1, pp. 448-451, https://doi.org/10.1038/s41893-018-0130-0
  • [2]
    Mean Species Abundance (MSA), ou un équivalent comme le Biodiversity Intactness Index (BII). La MSA est l’abondance moyenne des espèces, une métrique exprimée en pourcentage caractérisant l’intégrité des écosystèmes. Les valeurs de MSA vont de 0 à 100 %, 100 % représentant un écosystème intact non perturbé.
  • [3]
    Rapport IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). Schéma issu de Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services, 2019.
  • [4]
    Telles que Aligning Biodiversity Measures for Business puis ALIGN, le Natural Capital Protocol Biodiversity Supplement, le Biological Diversity Protocol ou la Plateforme EU Business @ Biodiversity.
  • [5]
    WWF Switzerland and PwC Switzerland, ‟Nature is too big to fail – Biodiversity : the next frontier in financial risk management”, 2020.
  • [6]
    Irene Heemskerk, Senior Policy Advisor Climate Risks and Sustainability pour la National Bank of the Netherlands, explique que l’Institution a intégré ces éléments dans sa stratégie : « À côté du climat, la perte de biodiversité porte en soi des dangers pour le secteur financier. Nous voulons un système financier sain, qui tienne compte correctement des risques et fasse ce qu’il faut pour en minorer l’impact ».
  • [7]
    Achmea Investment Management, ACTIAM N. V., Aegon Nederland N. V., Allianz France, ASN Bank, ASR Nederland, AXA Group, Bank J. Safra Sarasin, Bankinter, Domini Impact Investments LLC, Etica Sgr ‒ Responsible Investments, HSBC Global Asset Management, Karner Blue Capital, Mirova, New Forests Pty Ltd, NN Investment Partners, NWB Bank, Piraeus Bank, Coöperatieve Rabobank U.A., Robeco, Triodos Bank, Triple Jump, UFF African Agri Investments, Vancity Investment Management et Volksbank.
  • [8]
    ‟Assessment of biodiversity measurement approaches for business and financial sectors”, EU Business@ Biodiversity Plateform, 2019.
  • [9]
  • [10]

Introduction

1La biodiversité est indispensable au fonctionnement sur le long terme des activités économiques. La majorité des secteurs économiques utilisent, et donc dépendent, directement ou indirectement, des ressources naturelles et des services écosystémiques. Du fait de cette relation de dépendance, l’érosion actuelle de la biodiversité représente une menace pour le développement économique et la stabilité de nos sociétés. Les ressources financières allouées à la préservation de la biodiversité à l’échelle mondiale s’élèvent à 50 milliards de dollars par an, dont les 3/4 sont publics. Les besoins sont estimés a minima à 150 milliards de dollars par an. L’implication du secteur privé dans la préservation de la biodiversité est donc indispensable pour pouvoir couvrir l’ensemble des besoins. Ainsi, il est indispensable que le secteur privé, qui représente environ 60 % du PIB mondial, se mobilise. La biodiversité est une source de risques, mais aussi d’opportunités. Le secteur privé peut et doit jouer un rôle-clé dans la concrétisation à la fois de la vision 2050 de la CBD pour « vivre en harmonie avec la nature » et des Objectifs de développement durable (ODD).

Des outils adaptés pour atteindre une ambition commune, celle de l’inversion de la courbe d’érosion de la biodiversité

Des objectifs solides et des métriques pertinentes

2La tonne équivalent CO2 a joué un rôle déterminant dans la prise de conscience des enjeux liés au changement climatique. Cette métrique a constitué un levier incontestable dans la mise en œuvre d’actions d’atténuation du changement climatique. Des métriques comparables, autrement dit des métriques quantitatives décrivant l’état de la biodiversité, largement utilisées et accessibles à tous, consensuelles sur le plan scientifique et pouvant être agrégées ou désagrégées à de multiples niveaux de granularité, sont nécessaires pour répondre efficacement à l’enjeu de la perte de biodiversité. Associées à des analyses qualitatives, de telles métriques sont indispensables aux États, aux entreprises et aux institutions financières désirant évaluer leurs impacts, démontrer des gains de biodiversité et piloter leurs actions opérationnelles.

3Pour répondre à ce besoin, Mace et al. (2018) [1] proposent d’évaluer les progrès faits dans la restauration de la biodiversité à l’aide de trois indicateurs complémentaires et des métriques reconnues scientifiquement qui y sont associées, à savoir : l’état de conservation des espèces (l’indice Liste rouge) ; l’évolution des populations (l’indice Planète vivante) ; et l’intégrité biotique ou intégrité de la biodiversité (MSA ou abondance moyenne spécifique [2].

4Engager les entreprises, les institutions financières, les États, les autorités locales et les organismes publics dans un changement significatif requiert également l’établissement d’objectifs internationaux clairs et mesurables, qui seront les pendants de l’objectif de limitation du réchauffement climatique entre + 1,5 et + 2 °C et du budget carbone qui y est associé. Plus spécifiquement, cela signifierait la mise en place d’un objectif quantitatif, une cible sur l’état de la biodiversité. Il ferait ainsi sens d’identifier un objectif pour chacune des cinq pressions (voir la Figure 1 ci-dessus) pesant sur la biodiversité identifiée dans la récente « Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques » de l’IPBES : 1) changement d’utilisation des terres/de la mer, 2) exploitation directe des ressources naturelles, 3) changement climatique, 4) pollution et 5) espèces exotiques envahissantes et autres.

Figure 1

Les cinq grands facteurs d’érosion de la biodiversité

Figure 1

Les cinq grands facteurs d’érosion de la biodiversité

(source : rapport IPBES, 2019 [3]).

5Toutefois, l’utilisation d’une métrique unique pour définir l’objectif quantitatif, par exemple en utilisant la MSA, semble encore prématurée aujourd’hui, même si elle peut constituer une cible commune à atteindre.

Une convergence des outils existants

6Le développement d’outils d’évaluation de l’empreinte biodiversité à destination de tous les acteurs est crucial pour faire respecter les futurs engagements de la COP15 et le Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. Plusieurs outils capables de mesurer l’empreinte biodiversité des entreprises et de la finance, en évaluant leur contribution à chaque facteur de perte de biodiversité à l’aide de métriques quantitatives telles que la MSA.m², existent déjà.

7Afin de former une dynamique porteuse pour inverser la courbe d’érosion de la biodiversité, des initiatives [4] travaillent à approfondir la cohérence et la compatibilité des différentes approches, constituant des bases communes pour le déploiement des stratégies des acteurs économiques. Disposer d’une définition consensuelle de l’empreinte biodiversité et de concepts partagés pour son évaluation dissipera les risques de dissonance et de malentendus alimentant la perplexité et l’inaction parmi les parties prenantes. Enfin, il est essentiel que les impacts soient mesurés tout au long de la chaîne de valeur, là où ils sont matériels, englobant donc les impacts en amont et en aval des opérations directes (voir la Figure 2 de la page suivante).

Figure 2

Représentation graphique des trois scopes de l’amont à l’aval

Figure 2

Représentation graphique des trois scopes de l’amont à l’aval

8De nombreuses entreprises, institutions financières publiques et privées souhaitent évaluer et réduire leurs impacts sur la nature. Pour répondre à ce besoin, CDC Biodiversité développe depuis six ans le Global Biodiversity Score (GBS). Cet outil repose sur une métrique agrégée compréhensible par tous et mesure l’empreinte biodiversité des entreprises de différents secteurs sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Les résultats des évaluations réalisées avec le GBS sont exprimés dans l’unité MSA.km2. Les parties prenantes peuvent ensuite créer des indicateurs basés sur les résultats de l’évaluation du GBS, par exemple des indicateurs-clés de performance (KPI) pour apprécier la performance de l’entreprise (voir la Figure 3 ci-après).

Figure 3

Différences entre métriques, unités, outils et indicateurs

Figure 3

Différences entre métriques, unités, outils et indicateurs

9L’avant-projet du cadre pour l’après-2020 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) énumère un certain nombre d’indicateurs mondiaux pouvant être mobilisés pour le suivi de la progression vers les objectifs et cibles proposés. Dans ce contexte, la métrique MSA peut aider à suivre les progrès relatifs à l’intégrité des écosystèmes.

Une déclinaison des outils par les acteurs de la finance

10Les cibles et objectifs fixés par la CDB en 2021 doivent permettre d’encourager les entreprises et les institutions financières à évaluer leur impact sur la biodiversité, dans une démarche résolument vertueuse. Dans l’étude WWF/PwC (2020) [5], quatre grands risques financiers liés à la biodiversité sont définis : 1) les risques matériels, 2) les risques de transition, 3) les risques de litiges et 4) les risques systémiques. C’est aussi pour se prémunir contre ces risques que les acteurs du secteur financier doivent agir sans tarder. Les outils de mesure de l’impact des entreprises sur la biodiversité, tels que le Global Biodiversity Score (GBS), pourraient jouer un rôle important pour la transition vers un système financier durable en allant au-delà du simple financement de la conservation et de la restauration écologiques.

Une transformation structurelle de l’économie

11Le secteur financier peut jouer un rôle actif dans la transformation de la structure de l’économie par ses choix d’investissement et de financement. Les institutions financières appréhendent de mieux en mieux les risques systémiques causés par la crise mondiale de la biodiversité. Les entreprises doivent montrer que leur modèle économique n’est pas une menace en termes d’érosion de la biodiversité. Si elles n’en sont pas capables, elles vont, à terme, être exclues par les investisseurs, comme c’est le cas aujourd’hui avec les industries extractives ou l’armement. Certaines banques centrales commencent à prendre la mesure du danger, à l’image de la Banque centrale des Pays-Bas [6].

12Dans cette dynamique, – légèrement en avance sur la probable mise en place d’un reporting obligatoire et conformément à la taxonomie verte de l’Union européenne –, plusieurs banques et gestionnaires d’actifs de premier plan s’engagent à mesurer les impacts de leurs investissements et financements afin de prendre progressivement des mesures pour s’aligner sur le cadre de la CDB. Pour mener à bien cette ambition, le Finance for Biodiversity Pledge porté par 37 institutions financières [7] issues de 13 pays (qui représentent 4 800 Mds€ d’actifs sous gestion) engage ses signataires à prendre des mesures concrètes pour inverser la perte de la biodiversité au cours de la prochaine décennie. Les engagements pris par ce groupe d’institutions financières s’articulent autour des cinq axes suivants :

  • collaborer et partager les connaissances,
  • pratiquer l’engagement actionnarial avec les entreprises,
  • évaluer les impacts,
  • fixer des objectifs d’impacts,
  • rendre compte publiquement.

13Ils évalueront ainsi leur propre impact sur la biodiversité, fixeront des objectifs et produiront un rapport sur les questions de biodiversité d’ici 2024 au plus tard. Ce changement en profondeur est nécessaire pour rendre nos sociétés plus résilientes, mais également pour empêcher de nouveaux reculs et pour faire en sorte que les bienfaits de la biodiversité et des services écosystémiques soient équitablement partagés dans la société tout entière, dès aujourd’hui et pour les nombreuses générations à venir.

La structuration des données comme levier incontournable de la prise de décision

14Pour mener à bien les transitions écologiques recommandées par l’IPBES, les entreprises et les banques ont récemment rappelé qu’elles avaient besoin de métriques pour pouvoir démontrer l’efficacité de leurs démarches. Or, une évaluation comparative réalisée par EU Business @ Biodiversity Plateform (2019) [8] des métriques d’empreinte sur la biodiversité développées pour les entreprises révèle que les modèles sous-jacents de ces indicateurs ont besoin de plus de données de terrain pour être fiables et performants [9].

15Pour améliorer les outils d’évaluation de l’empreinte biodiversité et permettre au secteur financier de disposer des informations nécessaires pour réaliser des choix éclairés et impulser une véritable dynamique auprès des acteurs économiques, un travail significatif sur les données nécessaires pour faciliter les analyses et la mise en évidence des interdépendances entre activités économiques, entreprises et pression sur la biodiversité est indispensable. Pour ce faire, la compilation de données brutes portant sur la biodiversité qui soient à la fois plus nombreuses et en accès libre diminuerait les coûts et améliorerait la qualité des études. Dans ces conditions, les nombreuses données brutes de biodiversité collectées par des banques de développement, des organismes publiques ou des groupes de recherche acquièrent une valeur particulière, et leur publication revêt une dimension importante en matière de préservation de la biodiversité. Il est ainsi estimé que chaque étude d’impact environnemental permet de collecter en moyenne 500 à 1 000 données brutes de biodiversité [10]. De même, il existe un enjeu fort pour les entreprises privées de pouvoir accéder à certaines données physiques (surface d’occupation des sols, participation à la conversion de l’agriculture, consommation d’eau, etc.) sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

16Certaines grandes institutions et entreprises souhaitent faire évoluer cette situation en travaillant avec des fournisseurs de données afin de contribuer à la mise en place d’une gouvernance et de méthodes de gestion des informations collectées dans l’objectif de servir les ambitions de préservation de la biodiversité et répondre ainsi aux objectifs globaux. L’existence et le partage de telles données conduiraient le secteur de la finance à se structurer de la même manière que pour le climat, en réalisant des choix d’exclusion ou d’engagement, en créant des produits financiers pro-biodiversité, etc. Cette finance « à impact » serait alors en mesure d’initier une dynamique salvatrice pour la biodiversité, dans la mesure où les entreprises et les entités publiques devront faire évoluer leurs pratiques, renforcer leur transparence et réaliser des reportings afin de bénéficier d’avantages ou, à tout le moins, de ne pas être exclus du système.

Conclusion

17Face à l’érosion de la biodiversité et à ses multiples conséquences, les entreprises et les institutions financières ont désormais compris l’urgence d’agir. Dans un contexte d’hésitation et de méconnaissance de nombre de ces conséquences, la décision des grandes institutions financières d’afficher clairement un besoin de structuration des indicateurs et des données biodiversité s’est probablement révélée être un élément déclencheur. Ainsi, les prochaines années devraient voir l’émergence d’une offre diversifiée de données sur la biodiversité, ce qui devrait fortement accélérer la prise en compte de cet enjeu incontournable dans les années à venir.


Date de mise en ligne : 30/03/2021

https://doi.org/10.3917/re1.102.0059

Notes

  • [1]
    MACE G. M., BARRETT M., BURGESS N. D. et al. (2018), ‟Aiming higher to bend the curve of biodiversity loss”, Nat Sustain 1, pp. 448-451, https://doi.org/10.1038/s41893-018-0130-0
  • [2]
    Mean Species Abundance (MSA), ou un équivalent comme le Biodiversity Intactness Index (BII). La MSA est l’abondance moyenne des espèces, une métrique exprimée en pourcentage caractérisant l’intégrité des écosystèmes. Les valeurs de MSA vont de 0 à 100 %, 100 % représentant un écosystème intact non perturbé.
  • [3]
    Rapport IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). Schéma issu de Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services, 2019.
  • [4]
    Telles que Aligning Biodiversity Measures for Business puis ALIGN, le Natural Capital Protocol Biodiversity Supplement, le Biological Diversity Protocol ou la Plateforme EU Business @ Biodiversity.
  • [5]
    WWF Switzerland and PwC Switzerland, ‟Nature is too big to fail – Biodiversity : the next frontier in financial risk management”, 2020.
  • [6]
    Irene Heemskerk, Senior Policy Advisor Climate Risks and Sustainability pour la National Bank of the Netherlands, explique que l’Institution a intégré ces éléments dans sa stratégie : « À côté du climat, la perte de biodiversité porte en soi des dangers pour le secteur financier. Nous voulons un système financier sain, qui tienne compte correctement des risques et fasse ce qu’il faut pour en minorer l’impact ».
  • [7]
    Achmea Investment Management, ACTIAM N. V., Aegon Nederland N. V., Allianz France, ASN Bank, ASR Nederland, AXA Group, Bank J. Safra Sarasin, Bankinter, Domini Impact Investments LLC, Etica Sgr ‒ Responsible Investments, HSBC Global Asset Management, Karner Blue Capital, Mirova, New Forests Pty Ltd, NN Investment Partners, NWB Bank, Piraeus Bank, Coöperatieve Rabobank U.A., Robeco, Triodos Bank, Triple Jump, UFF African Agri Investments, Vancity Investment Management et Volksbank.
  • [8]
    ‟Assessment of biodiversity measurement approaches for business and financial sectors”, EU Business@ Biodiversity Plateform, 2019.
  • [9]
  • [10]

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