Notes
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Une étude de l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA), publiée en 2016, montre que rien que pour atteindre les NDC, sans même parler de la trajectoire des 2 °C, les flux d’investissements dans le secteur de l’énergie renouvelable sur la période 2016-2050 devraient être du double de ce qui est actuellement prévu.
Le portefeuille et le climat sur le cœur
1Les premières déclarations d’amour et de fidélité des institutions financières à l’Accord de Paris ne datent pas de la COP21. Elles précèdent en fait cet accord de plusieurs années, mais surtout elles en ont rendu possible la signature le 12 décembre 2015 : sans la succession d’engagements pris, une Climate Week après l’autre, par un nombre croissant de banquiers à la tribune des Nations Unies, sans le programme « Fast start finance » porté depuis Cancun ou la multiplication des coalitions de financiers pour décarboner leurs investissements, il eut sans doute été impossible de convaincre « les parties » aux négociations climatiques que la finance était prête à détourner ses grands fleuves pour soutenir une transition économique que le tarissement de l’irrigation budgétaire publique, causé par la crise de 2008, rendait irréalisable par les seuls États (un constat amer qui avait conduit à l’impasse de Copenhague). La Pax Climatica, toujours fragile, n’a été obtenue, fin 2015, qu’au prix d’un formidable marathon diplomatique et de l’implication de la finance privée qui devait prouver au monde, selon les termes de l’ancien président de la Commission européenne, « qu’après avoir fait partie du problème (…), elle pouvait faire partie des solutions ». L’engagement des financiers à épouser une trajectoire climatique ambitieuse n’est donc pas un objet économique et social que l’on peut traiter à la légère. Le principe de l’alignement des flux financiers, énoncé dès le second des 29 articles du traité, n’est pas juste une conséquence ou un effet collatéral de l’Accord de Paris, il en est véritablement le ciment.
2Institutionnalisé depuis la COP21, le mariage de la finance et du climat ne cesse de faire des émules : les engagements de financiers prêts à unir le destin de leurs investissements avec celui de l’Accord de Paris prolifèrent. Plus d’une dizaine de nouvelles coalitions, de la Paris Aligned Investment Initiative au Groupe de Katovice, prônent l’alignement des portefeuilles d’actions et de crédits avec les objectifs dits « de Paris », auxquelles s’ajoutent pléthores d’engagements individuels. Suspecte aux yeux de la société civile qui redoute toujours une nouvelle forme de greenwashing, cette tendance doit avant tout s’analyser comme un symptôme-clé de la bonne santé de l’Accord lui-même. C’est en quelque sorte le carburant qui entretient la flamme « de Paris ». Une attitude contraire, ou même un ralliement trop timoré des financiers, seraient de nature à remettre en cause l’équilibre complexe et fragile qui maintient encore la dynamique du 12 décembre 2015 ; et cela dans un contexte où – crise de la Covid-19 oblige – les gouvernements se retrouvent plus que jamais obligés de s’appuyer sur les marchés financiers (et vice-versa, dans une situation inédite de « catch 22 » selon la célèbre formule de Joseph Heller).
3Mais là où la société civile a raison de se méfier, c’est qu’à travers la mise en œuvre de l’article 2.C de l’Accord de Paris, on attend en définitive ni plus ni moins de la finance qu’elle régule la température de la planète ! Une responsabilité pour le moins des plus lourdes, qui mérite de se pencher sur les approches privilégiées, les outils utilisés et « d’ouvrir le capot » des méthodes sous-jacentes. C’est précisément l’objet des travaux menés par l’Institut Louis Bachelier en coopération avec I4CE pour le compte du ministère chargé de la Transition énergétique et du WWF.
4Pour mesurer l’alignement des flux avec l’Accord de Paris et s’assurer que la finance est bien en train de jouer son rôle, il convenait en effet de donner une définition précise de ce qu’est l’alignement. Cela suppose notamment de distinguer l’alignement avec l’Accord de Paris en général qui, au-delà de la réduction des émissions de GHG, préconise un développement compatible avec le développement durable et l’éradication de la pauvreté, de l’alignement avec le scénario de température de cet Accord (se situer bien en dessous des 2 °C). Quant à la compatibilité des flux avec une telle trajectoire de température, cela suppose aussi de s’accorder sur ce que l’on attend du secteur financier : qu’il évite de financer les activités fortement émettrices ou bien encore qu’il réoriente ses flux vers les technologies bas-carbone permettant de faciliter la transition énergétique [1] ? La plupart des méthodologies disponibles ont une vision plutôt restrictive de ces questions et se limitent à analyser la compatibilité des flux avec la trajectoire de température de l’Accord de Paris sans en considérer l’impact réel sur la transition énergétique ou sur le développement durable.
5La littérature émergente et les observateurs ne manquent pas de souligner la disparité des approches utilisées par l’ensemble des acteurs financiers lorsqu’ils cherchent à estimer le degré d’alignement de leurs portefeuilles avec les objectifs de l’Accord de Paris. En l’absence d’une définition consensuelle du concept d’alignement que l’équipe finance de la COP26 emmenée par Mark Carney souhaiterait voir graver dans le marbre de Glasgow, de nombreuses méthodes sont proposées pêle-mêle par des prestataires et des think-tanks, lesquelles sont basées sur des hypothèses sous-jacentes et des modalités de mise en œuvre qui empruntent des chemins très variés, rendant l’atteinte de leur objectif commun assez aléatoire. Une difficulté de leur analyse tient au fait que toutes ces approches tiennent plus de l’art que de la science ; il n’est sans doute pas moins ardu d’établir une preuve d’alignement que de démontrer un sentiment amoureux. Le plus simple est donc de s’en tenir à ce que l’on appelle communément « les preuves d’amour ». Ce déni de romantisme présente l’intérêt de préserver l’engagement des « paroles » superflues : « Aimer Paris » requiert pour un financier responsable de s’impliquer concrètement dans le processus méthodologique décrit dans le rapport « Alignement Cookbook » et donc, faisant fi des envolées lyriques, « de se mettre à la cuisine ».
Tous les chemins ne mènent pas à Paris
6Une autre question légitime, tant pour la recherche que pour le régulateur et les parties civiles, consistent à se demander si une telle hétérogénéité des méthodes n’est pas préjudiciable à leur fiabilité, à leur comparabilité et, in fine, à leur efficacité. L’étude menée par l’ILB sur les portefeuilles et les indices actions, la classe d’actifs la plus usitée à ce jour pour la mesure de l’alignement des flux de capitaux, démontre de ce point de vue que différentes méthodes peuvent donner des résultats très différents pour un même portefeuille, contribuant de fait au manque global de transparence et de cohérence qui prédomine dans ce domaine émergent. L’étude comporte ainsi une analyse comparative portant sur les méthodologies de 12 fournisseurs distincts de données. Appliquée à l’indice Euronext LC100 Europe©, l’étude montre que les résultats exprimés traduisent une hausse implicite de la température (HIT) variant de 1,5 à plus de 3,5 degrés pour l’année 2019. L’étude relève des disparités encore plus importantes au niveau des entreprises individuelles : la HIT de l’action Veolia a été évaluée à plus de 6 °C par un fournisseur et à 2 °C par deux autres !
7L’analyse méthodologique réalisée par l’ILB discerne quatre étapes majeures dans la mise en œuvre opérationnelle de la mesure de l’alignement sur une trajectoire de température : la définition de la performance climatique spécifique aux actifs ; le choix du scénario de référence conduisant à l’objectif climatique ; la conversion des scénarios en performances climatiques ; et, enfin, la mesure de l’alignement, avec en option son expression en termes de température.
8À chaque étape, des choix différents sur les hypothèses sous-jacentes peuvent entraîner des écarts d’autant plus significatifs que ces hypothèses s’avèrent très simplistes par rapport aux modèles climatiques sophistiqués utilisés par le GIEC. Ainsi, la performance climatique des actifs d’un portefeuille peut se mesurer soit en s’appuyant sur le contenu technologique de ces actifs et la comparaison de celui-ci par rapport à un scénario d’évolution technologique comme en propose l’AIE (méthode PACTA), soit en se limitant à l’estimation de l’empreinte carbone de ces actifs avec l’idée d’évaluer la dynamique de leur décarbonation par rapport à une trajectoire de référence. La première option présente l’avantage de se raccrocher au réel ainsi qu’à une classification économique telle que la taxonomie de l’UE, tout en « parlant » davantage aux gérants d’actifs dont le métier consiste aussi à faire des choix, voire des paris technologiques ; la seconde reste plus conceptuelle aux yeux des investisseurs, tout en procurant l’immense bénéfice d’exprimer une valeur homogène, comparable et indiscutablement alignée sur l’objectif climatique visé.
9Une autre option déterminante relève du périmètre choisi pour estimer l’empreinte carbone, et plus particulièrement de l’inclusion du « Scope 3 » (émissions GHG en amont et en aval de la chaîne de valeur), sachant que les données relatives à ce scope sont plus difficilement disponibles, bien que parfois plus nombreuses que celles des deux premières options. L’absence de prise en compte du Scope 3 a notamment pour conséquence de rendre caduque toute velléité d’une mesure d’impact robuste ou d’une mesure du risque financier associé, ce qui, nous le verrons plus loin, s’apparente à une opération hasardeuse.
Les scénarios d’une liaison réussie
10Le choix du scénario de référence est sans doute un des éléments les plus décisifs du processus. On entend par scénario une représentation de l’évolution future d’un éventail de variables ‒ telles que les émissions de CO2, la pénétration technologique, la demande énergétique, etc. ‒ par rapport à un modèle, qui peut avoir différentes granularités sectorielles et géographiques. Mais l’élément le plus décisif d’un scénario est sans conteste la vitesse à laquelle il infléchit la courbe des émissions absolues de GHG, autrement dit son niveau de procrastination face à l’urgence climatique. Il existe une infinité de scénarios pouvant conduire à la même hausse de température en 2100 et c’est plus particulièrement là que tous les chemins ne mènent pas « à Paris ». Tant que le réchauffement de la planète n’a pas atteint le niveau cible de 2 °C, tout le monde peut se prétendre sur la route de Paris, quel que soit son point de départ ou la distance qu’il a parcourue. Mais le poids de l’intensité carbone du PIB cumulé à sa vitesse de décarbonation crée un tel effet d’inertie que le risque est grand de dépasser « Paris », et donc de ne pas pouvoir s’y arrêter.
11L’évaluation et l’expression de ce dépassement, dit overshoot, sont d’ailleurs des éléments aussi clés que clivants permettant, tout à la fin du processus méthodologique, de rendre compte de façon très différenciée de la dynamique de la performance climatique d’un portefeuille. On peut, par exemple, soit convertir le dépassement par rapport à une trajectoire de 2 °C en une hausse implicite de la température (HIT) en supposant une relation linéaire, soit comparer la performance climatique du portefeuille considéré avec un éventail de trajectoires de référence correspondant à différents niveaux de hausse de la température. L’option HIT, qui consiste à afficher le niveau de température d’un fonds ou d’un indice, a, de par sa simplicité, des vertus indéniables de communication, notamment vis-à-vis des parties prenantes et du grand public, tandis que la seconde option serait, a priori, avec toutes les précautions qui s’imposent, plus apte à déceler des risques.
12L’autre raison pour laquelle le choix d’un scénario s’avère décisif est qu’il définit ce que l’on appelle le budget carbone, un des paramètres les plus sensibles – dans tous les sens du terme – dans l’établissement de l’équation sous-jacente jusqu’à la résolution du défi climatique, puisqu’in fine, il consiste ni plus ni moins à déterminer qui (État, secteur d’activité, entreprise ou individu) a le droit d’émettre des GHG et en quelle quantité : une sorte de rationnement carbone de l’ensemble des agents économiques de la planète, encore très majoritairement volontaire à ce stade, et donc, par essence, solidaire, dans « l’esprit de Paris ».
13De ce point de vue, la principale différence entre les scénarios de transition se situe dans le fonctionnement du filtre sectoriel entre le budget carbone global des États et celui des entreprises. L’initiative Science Based Targets (SBT) a été la première à développer une solution quantitative à cet épineux problème en proposant deux approches : une méthode descendante de « contraction », où toutes les entreprises d’un même secteur réduisent au même taux leurs émissions absolues, et une méthode ascendante dite de « convergence », qui fixe des cibles d’intensité d’émissions de CO2 physiques spécifiques à chaque secteur, en s’appuyant sur des unités physiques pertinentes du point de vue de l’activité économique et des technologies déployées. Là encore, cette dernière approche à toutes les chances d’inspirer davantage des gérants de portefeuilles aptes à apprécier la proposition de valeur d’une technologie donnée dans les secteurs de l’énergie ou du ciment, alors que la méthode par contraction s’inscrit plus naturellement dans des gestions basées sur des stratégies macroéconomiques.
14Un dernier exemple de choix crucial dans la mise en œuvre de la recette d’alignement est la méthode d’agrégation de l’alignement des actifs individuels au niveau du portefeuille. Là où une simple somme pondérée peut être utilisée pour l’agrégation des mesures exprimées en unités physiques, telles qu’un dépassement se situant au-delà de la trajectoire des 2 °C, l’agrégation des mesures de la HIT n’est, quant à elle, pas bien définie : à supposer un portefeuille constitué de deux actions dont l’une est alignée sur une trajectoire à 2 °C et l’autre sur une trajectoire à 4 °C, cela ne signifie pas nécessairement que le portefeuille soit aligné sur une trajectoire à 3 °C. Ce système est au mieux approximatif, et, souvent, au pire trompeur, en raison de multiples simplifications et de l’accumulation d’un grand nombre d’incertitudes qui pèsent sur la valeur du résultat final.
L’incertitude, essence de la finance climat ?
15Si l’incertitude est « l’essence même de l’aventure amoureuse », selon Oscar Wilde, force est de s’interroger sur sa fonction dans les désirs aventureux d’alignement, tant celle-ci y paraît omniprésente. Chaque étape méthodologique décrite ci-dessus se trouve en effet affectée par une multitude d’incertitudes, auxquelles les différentes approches apportent des réponses assez variées, rendant dans tous les cas la fiabilité du calcul très approximative. L’honnêteté scientifique des experts du GIEC, qui prennent le soin d’assortir chaque trajectoire climatique d’une mesure de sa probabilité, n’est pas encore de mise en finance. Quand on sait que l’espérance de maintenir le réchauffement sous les 2 °C en 2100 en limitant la concentration de GHG dans l’atmosphère à un budget carbone donné, soit 450 ppm, est de seulement 66 %, cela en dit déjà long sur notre aptitude à maîtriser le calcul de température au niveau d’un portefeuille.
16Car, en aval de cette incertitude initiale liée aux hypothèses du GIEC, il convient encore de composer avec des horizons d’incertitude plus courts et plus variés, comme la marge d’erreur communément admise pour le calcul de l’empreinte carbone d’une entreprise, soit entre 20 et 30 % de plus, notamment si l’on y inclut les émissions de Scope 3 qui sont moins fiables. Puis de composer avec les incertitudes liées aux hypothèses propres à chaque scénario microéconomique et macroéconomique et à leur modélisation qui créent un écart supplémentaire, avec les incertitudes liées à la distribution sectorielle des indicateurs mondiaux, aux choix technologiques ou à l’échéance pour les méthodes dynamiques, ou encore avec les incertitudes liées à l’agrégation des mesures de chaque action au niveau d’un portefeuille, et encore une fois, à leur conversion éventuelle en une mesure très simpliste de la HIT.
17Il n’y a pas de cerise sur le gâteau de l’incertitude associée aux recettes d’alignement, mais un élément autrement plus inquiétant et plus transversal, qui s’apparenterait en quelque sorte à l’impossibilité de maîtriser la température du four. Il s’agit de la nature foncièrement non linéaire du risque climatique qui agit presque à chaque étape du processus d’alignement et qui pèse tant à court terme (5-10 ans), au travers de la variabilité intrinsèque du système climatique, qu’à plus long terme au travers de la présence potentielle de points de bascule, de réactions en chaîne et d’autres phénomènes non complètement décrits par les modèles climatiques actuels (Alley et al., 2003). Et c’est bien ce constat qui amène Nick Stern à dire que l’essence même du changement climatique pour un financier n’est pas tant l’augmentation de la température que celle de l’incertitude. De ce point de vue, un sujet-clé de recherche consiste à voir comment on peut assortir la mesure d’alignement des portefeuilles d’un intervalle de confiance digne de ce nom.
L’alignement, un proxy pour estimer le risque ou l’impact ?
18Le point que nous venons de faire sur les niveaux d’incertitude sous-jacents aux procédés d’alignement pourrait suffire en soi à clôturer le débat sur leur utilisation en tant que proxy, c’est-à-dire comme indice, dans l’évaluation du risque financier. Des articles explorent toutefois une relation possible entre l’alignement 2 °C et le risque associé à diverses classes d’actifs (Battiston et Monasterolo, 2018), au sein de laquelle l’alignement est parfois présenté comme une mesure de l’exposition aux risques de transition. Si elles peuvent donner des indications de sous-exposition ou de surexposition d’un portefeuille au regard de secteurs ou d’actifs pouvant être affectés par la dynamique de transition dans le cadre de scénarios spécifiques (Nicol et al., 2017), leur bien-fondé en tant qu’analyse des risques de transition est discutable, car elles ne fournissent aucune information sur la probabilité ou l’étendue des pertes potentielles, ni sur la capacité des entreprises et des investisseurs à s’adapter aux risques de transition. De plus, les expositions aux risques ne peuvent s’agréger de manière linéaire comme le font les méthodes d’alignement au niveau du portefeuille, et le recours à un scénario unique, acceptable dans une approche d’impact, ne répond pas aux critères d’une gestion du risque climat qui se fonde au contraire sur l’analyse de multiples scénarios.
19Coté impact et prétention des démarches d’alignement à servir la cause climatique, il y a sans doute une vertu à distinguer deux catégories d’impacts en matière de finance : celle qui relève de l’engagement individuel et celle qui relève de l’engagement collectif. L’impact Investing appartient sans aucun doute à la première catégorie qui exige d’être en mesure de démontrer à la fois l’intentionnalité, la causalité et l’additionnalité de chaque euro investi au regard de l’atteinte d’un objectif social ou environnemental donné ; des conditions que les démarches d’alignement ne peuvent certainement pas remplir. C’est pour cela que nous jugeons souhaitable de parler de « compatibilité » ou de « conformité » d’un portefeuille donné avec des indicateurs climatiques spécifiques… Après tout, épouser quelqu’un ne garantit pas de faire son bonheur.
20Quant à l’impact collectif dont pourraient se prévaloir les démarches d’alignement, il est, d’une certaine façon, consubstantiel à l’Accord de Paris et peut s’illustrer par l’histoire du colibri chère à Pierre Rabhi : face à un immense incendie, un colibri s’active seul à chercher de l’eau avec son bec pour en jeter quelques gouttes sur le feu ; quand on lui demande à quoi cela peut-il servir, le colibri répond : « je fais ma part ». N’est-on pas finalement là au cœur de « l’esprit de Paris » et d’un accord bâti sur l’engagement volontaire de chacun à « faire sa part » ? Un autre enjeu de recherche consiste à intégrer ces quelques gouttes d’eau de l’alignement des portefeuilles dans des modèles susceptibles de démontrer qu’elles peuvent constituer de grands fleuves et se traduire en une baisse réelle des émissions, directement attribuable aux investisseurs (Arjaliès et al., 2018). Dans la mesure où les méthodes d’alignement se basent sur des hypothèses spécifiques relatives au comportement du reste de l’économie, la théorie des jeux à champs moyen (Pierre-Louis Lions et Jean-Michel Lasry), qui permet de décrire mathématiquement le comportement d’un grand nombre d’agents économiques en interaction, pourrait dès lors contribuer à estimer la quantité nécessaire de capitaux alignés et la proportion des autres agents « faisant leur part » pour que l’alignement de mon propre portefeuille contribue à un avenir à 2 °C.
De l’art et des raisons d’épouser une cause
21En guise de conclusion, notre analyse reconnaît le fait que tout investisseur peut avoir ses propres raisons d’épouser la cause climatique et l’Accord de Paris et, par conséquent, de le dire et de vouloir le prouver de différentes façons. Aucune approche n’est foncièrement mauvaise et chacune d’elles peut paraître légitime à condition toutefois, et il s’agit là d’un point-clé, que la démarche serve les objectifs de façon fiable et cohérente.
22La nécessaire transparence sur l’adéquation entre les moyens mis en œuvre et le but recherché présente aussi l’avantage d’éclairer l’intention initiale de l’investisseur. Afficher clairement et distinctement ses objectifs climatiques et leurs liens avec la stratégie d’investissement est aussi une condition nécessaire – mais pas suffisante – pour s’inscrire à terme dans une démarche d’impact collectif. Ces investisseurs-là auront à cœur de privilégier une approche d’alignement ex-ante pour déterminer s’ils sont bien sur le chemin de leur objectif et, dans le cas contraire, appréhender l’ampleur des ajustements nécessaires pour se réorienter vers la trajectoire désirée. C’est au prix de cet effort que l’élan massif des financiers en faveur de l’alignement pourra assurer à la fois la cohésion de leur action et l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris.
Références
- ALLEY R. B., MAROTZKE J., NORDHAUS W., OVERPECK J. T., PETEET D. M., PIELKE R. A., PIERREHUMBERT R. T., RHINES P. B., STOCKER T. F. & TALLEY L. D. (2003), “Abrupt climate change”, Science 299(5615), pp. 2005-2010.
- ARJALIÈS D.-L., CHOLLET P., CRIFO P. & MOTTIS N. (2018), « Mesure d’impact et label ISR : analyse et recommandations », rapport publié sous l’égide du Comité scientifique du label ISR français.
- BATTISTON S. & MONASTEROLO I. (2018), ‟A carbon risk assessment of central banks’ portfolios under a 2 C aligned climate scenarios”, document de travail présenté dans le cadre de l’atelier « Scaling-up Green Finance : The Role of Central Banks », organisé par la Bundesbank.
- NICOL M., HUBERT R., COCHRAN I. & LEGUET B. (2017), Managing climate risks for financial actors : from theory to practice, I4CE.
Notes
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[1]
Une étude de l’Agence internationale de l’énergie renouvelable (IRENA), publiée en 2016, montre que rien que pour atteindre les NDC, sans même parler de la trajectoire des 2 °C, les flux d’investissements dans le secteur de l’énergie renouvelable sur la période 2016-2050 devraient être du double de ce qui est actuellement prévu.