1Qu’est-ce que la « croissance verte » ? Cette expression, pourtant bien répandue, n’a pas été définie pour l’instant de manière aussi précise que celle du « développement durable » (rapport Brundtland, 1987), avec laquelle elle a cependant des liens étroits. Le concept est encore évolutif, et on discute de son principe et des bonnes pratiques associées dans les instances internationales concernées, notamment l’UE, l’OCDE ou le PNUE [1].
2Le Gouvernement français défend une distinction entre :
- d’une part, la « croissance verte », qui correspondrait au développement accéléré de nouvelles technologies et de nouveaux services permettant d’atteindre des modes de vie et de production plus sobres et moins « carbonés » qu’actuellement,
- d’autre part, l’« économie verte », qui serait un objectif à atteindre pour une humanité en expansion dans un monde aux ressources limitées.
3Le présent numéro des Annales des Mines ne peut traiter de façon égale tous les aspects de la croissance verte. Ainsi, les champs de l’agriculture, de la pollution de l’air, de l’eau, des sols ou de la protection de la biodiversité y sont relativement moins développés que les aspects relatifs à l’énergie, au climat et aux matières premières.
4Les négociations internationales sur le climat et les engagements qu’elles entraînent ou peuvent entraîner, y compris par leurs conséquences financières, conduisent les pays les plus concernés à investir dans la croissance verte. C’est en effet leur intérêt bien compris en temps de profonde crise économique, car c’est une façon de faciliter l’acceptation par leurs citoyens des efforts qui leur sont demandés au titre de ces engagements, ainsi qu’une volonté de saisir les opportunités de compétitivité économique. Des distinctions apparaissent, sur la méthode, entre les pays riches qui s’efforcent de « découpler » croissance économique et dégradation de l’environnement, et les pays en développement ou émergents, dont la priorité va à la progression du niveau de vie de leurs habitants. La crise économique a cependant contribué à faire converger les politiques, tandis que les préoccupations sociales et d’équité entre populations et entre générations se renforcent. Ainsi, on retrouve le concept de développement durable.
5Les entreprises peuvent également trouver profit à prendre en compte dans leur activité des considérations environnementales, qui auraient autrefois été considérées comme des externalités négatives au débit de l’économie locale, nationale, voire globale dans le cas des gaz à effet de serre ou de la raréfaction des ressources.
6L’adjectif « vert » pourrait paraître réducteur si on le limitait à la préservation de l’environnement. En fait, le champ d’application des démarches et des stratégies annoncées ou mises en place pour la croissance verte va en général bien au-delà, avec des enjeux d’emploi, de politique industrielle, de lutte contre la précarité, d’image, etc., surtout dans un contexte de crise économique. Les entreprises ont ainsi un rôle central, car elles sont concernées à au moins trois niveaux :
- celui des produits et services qu’elles vendent et qui se doivent d’être de plus en plus « verts », tant pour des motifs de compétitivité que de respect des normes et des incitations,
- celui de leur insertion dans une société dont elles façonnent les modes de vie par l’innovation et l’effet de mode,
- enfin, celui de la responsabilité sociétale et environnementale, qui englobe leur activité et en particulier les externalités dont elles sont à l’origine.
- la décroissance comme moyen de limiter les besoins de l’humanité et de retrouver la frugalité connues par des sociétés dites primitives mais apparemment heureuses ;
- à l’inverse, la négation de l’intensité de l’impact des effets négatifs que l’homme pourrait faire subir à la Planète ;
- le paradoxe selon lequel des pays comme les Etats-Unis ou la Chine se révèlent être des champions de la croissance verte grâce à l’essor chez eux de certaines filières (photovoltaïque, éolien…), alors que leurs performances environnementales sont loin d’être aussi présentables ;
- le niveau de prise en compte du nucléaire ou de techniques comme le « charbon vert » (par exemple, les centrales de production d’électricité au charbon couplées à un système de captage et de stockage du carbone)…
7La croissance verte et la gestion de la qualité, par exemple, présentent toutes deux une ambition de transcendance et de transversalité. La croissance verte innove de par la forte implication des associations et des ONG environnementales, ainsi que par la mobilisation du grand public, et donc des politiques. Un facteur commun à ces stratégies de changement est qu’elles marquent leur époque, les mutations qu’elles entraînent conduisant à modifier durablement les modes de vie, ainsi que la gestion des entreprises ou des organisations. Elles s’imposent aux décideurs publics parce qu’elles contribuent au processus de sélection, épargnant (voire dynamisant) les acteurs les plus proactifs et faisant, au contraire, disparaître ceux qui n’ont pas su s’adapter à temps.
8L’apprentissage de la croissance verte s’accompagne inévitablement de divergences sur la pertinence des moyens mis en œuvre : des résistances et des critiques se manifestent tant sur les finalités (« effet de mode », « green washing »…) que sur les fondements théoriques (« coût-avantage », « bulle verte », « incertitudes »…). Les arguments continuent de s’échanger (c’est d’ailleurs une des explications du point d’interrogation accompagnant le titre de ce numéro des Annales). Malgré ce débat, la nouvelle démarche se répand inexorablement et tend à devenir consensuelle, même si elle peut connaître des hauts et des bas, comme le prouvent les négociations sur le climat. D’ici une ou deux décennies, il se peut aussi qu’elle soit dépassée par une nouvelle école de pensée.
9Le présent numéro des Annales des Mines ne cherche pas à paraphraser ou à trancher les débats entre ces différentes analyses ou visions. Après avoir approfondi le concept de « croissance verte » ou d’« économie verte », il s’attache à faire s’exprimer des acteurs et des experts reconnus qui se sont engagés dans diverses démarches de développement durable. Leur parole permet de mieux comprendre leurs actions et d’en apprécier les enjeux et les objectifs, tout en identifiant les contraintes et les moyens avec lesquels ils doivent composer. La somme des contributions réunies dans ce numéro des Annales des Mines, écrites par ces éminents experts et décideurs issus des pouvoirs publics comme du secteur privé ou associatif, de France et d’autres pays, témoigne de l’intérêt du sujet. Qu’ils en soient tous et chacun vivement remerciés.
10Le choix éditorial qui a présidé à la mise au point de ce numéro consacré à la « croissance verte » fait apparaître quatre parties :
- Des fondamentaux vers des politiques publiques diversifiées ;
- TIC et ressources pour une économie plus verte ;
- Recherche et innovation pour forcer les « verrous » ;
- Nouveaux modes de vie pour accompagner la transition.
11L’avenir dira si ce choix éditorial était le bon. En tout cas, dans les prochains mois, il ne manquera pas d’occasions d’en débattre et les coordonnateurs du numéro espèrent que celui-ci sera utilisé comme une référence utile.