Couverture de SPUB_083

Article de revue

Activité physique adaptée et éducation du patient dans les Réseaux Diabète français

Pages 213 à 223

Notes

  • [1]
    Cette étude a bénéficié du soutien financier de l’INPES.
  • [2]
    Université de Lyon, F-69622, Lyon, France ; Université de Lyon 1, UFR STAPS, Villeurbanne ; CRIS, EA 647.
  • [3]
    CRES Languedoc Roussillon, France.
  • [4]
    Réseau Gentiane Dole, France.
  • [5]
    Soulignons également que les séances collectives d’éducation du patient comportent le plus souvent des interventions sur la diététique et bien moins sur l’activité physique. L’analyse réalisée par Cécile Fournier [3] de 120 séances éducatives collectives de 10 programmes proposés à des patients diabétiques de type 2 en 2001, fait apparaître l’alimentation comme un thème majeur couvrant près de 45% des interventions, alors que l’AP ne représente que 4 % des thèmes abordés.
  • [6]
    Les deux seuls EMS recrutés avec un brevet d’état, l’ont été dans le cadre de la politique Emploi jeunes à la fin des années 90. Ils ont depuis largement élevé leur niveau de compétences, l’un des deux venant d’ailleurs d’être recruté comme coordinateur de réseau de santé.
  • [7]
    Le concept d’Activité Physique Adaptée (APA) défini au Québec (1977) fédère depuis 1989 les filières de formation en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS). Les formations en APA ont pour finalité de rendre les étudiants capables d’exercer des responsabilités de conception et d’animation d’activités physiques adaptées aux besoins spécifiques et ressources de personnes malades et/ou en situation de handicap. Le niveau de formation de Master développe par ailleurs des compétences de coordination, d’évaluation et de conseil méthodologique. L’APA s’intéresse au secteur des maladies chroniques depuis son origine (12). Certaines formations universitaires en APA et Santé intègrent aujourd’hui des contenus d’éducation pour la santé et de physiopathologie. Elles préparent les étudiants à travailler en équipe pluridisciplinaire dans le champ des maladies chroniques dans un objectif de prévention médicale (lié au déconditionnement physique) mais également de qualité de vie : reconstruction biographique, plaisir, loisir, estime de soi, intégration sociale...
  • [8]
    Comme le définit l’Association des éducateurs médico-sportifs (ADEMS) créée en 2005 dans le but de faire reconnaître les compétences du métier d’EMS.

Introduction

1L’activité physique (AP) régulière est aujourd’hui reconnue comme un des piliers du traitement du diabète de type 2 (DT2), avec la prise de médicaments et une alimentation équilibrée. Les publications scientifiques internationales [5, 7, 11] sont en effet unanimes pour reconnaître les effets bénéfiques de l’AP dans ce triptyque, que ce soit en termes de prévention primaire, secondaire ou tertiaire. On sait en effet qu’une activité physique régulière fait baisser la glycémie, améliore la sensibilité à l’insuline, diminue la masse grasse, améliore le bilan lipidique et, d’une façon générale, contribue à contrôler les facteurs de risque et prévenir les complications du DT2. Ses effets sur la qualité de vie, sur l’estime de soi et la restauration du lien social sont également bien établis [6].

2La récente reconnaissance institutionnelle des bénéfices de l’AP dans la prise en charge du DT2 est à l’origine de nouvelles dynamiques professionnelles qui se traduisent simultanément par le développement de nouvelles compétences chez les professionnels de santé et par l’émergence d’un nouveau groupe professionnel. Des intervenants dénommés « éducateurs médico-sportifs » figurent en effet officiellement dans la liste des professionnels paramédicaux chargés de cette éducation dans les recommandations de la Haute autorité de Santé de novembre 2006 [4]. Dans une perspective de prévention des complications et d’amélioration de la qualité de la vie, la pratique d’activités physiques adaptées (APA) fait ainsi l’objet de nouvelles articulations avec les pratiques d’éducation du patient qui comprennent « des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’accompagnement psychosocial concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, l’hospitalisation et les autres institutions de soins concernées, et les comportements de santé et de maladie du patient » [8].

3Les réseaux diabète se sont développés en France depuis le milieu des années 1990, pour atteindre en 2006 le nombre de 66 réseaux actifs, très majoritairement orientés sur la prise en charge du DT2. Comme pour l’ensemble des réseaux de santé, leur objectif est d’assurer une coordination efficace et une continuité des soins (proximité, suivi et accompagnement des patients). Par l’éducation thérapeutique, ils visent aussi la construction par le patient de compétences qui lui permettront de devenir autonome dans la gestion quotidienne de son traitement et la prévention des complications avec, pour finalité, l’amélioration de sa qualité de vie.

4Les réseaux assurent également la formation continue des praticiens aux spécificités des pathologies, à l’éducation du patient et à la mise en commun des informations sur les patients (Dossier Médical Partagé).

5Dès lors, comment se structure l’offre d’Activité Physique au sein des réseaux ? Quels dispositifs ont été inventés pour articuler l’Activité Physique Adaptée (APA) à l’éducation du patient ? Entre médecins, infirmières, diététiciennes, podologues, psychologues, kinésithérapeutes, pharmaciens qui interviennent dans les réseaux diabète, quelle place occupe aujourd’hui l’éducateur médico-sportif ? Est-il présent dans tous les réseaux diabète ? Est-il le seul professionnel en APA à intervenir ? L’objectif général de cette recherche est donc d’analyser la structuration de l’offre des services liés à l’activité physique dans les réseaux diabète, au regard des objectifs d’éducation du patient du réseau et des groupes professionnels mobilisés.

Méthode

6Elle combine deux enquêtes par questionnaires, l’une auprès des coordinateurs des réseaux diabète et l’autre auprès des professionnels formés à l’intervention en Activité Physique.

Outils de recueil des données

7Les questionnaires ont été spécifiquement conçus pour cette étude, ils comportent essentiellement des questions fermées. Les thèmes principaux de l’étude et les indicateurs afférents sont précisés dans le Tableau I.

Recueil des données

8Les questionnaires ont été administrés par téléphone. Dans un premier temps auprès des coordinateurs des réseaux diabète répertoriés par l’Association nationale de coordination des réseaux de soins aux diabétiques (Ancred). Soixante-six questionnaires ont pu être remplis entre avril et décembre 2006, ce qui correspond au nombre de réseaux diabète en activité selon la lettre n? 2 de l’Ancred (janvier 2007). Dans un second temps, les 36 intervenants en AP signalés par les coordinateurs ont été interrogés et ont tous répondu. Nous disposons donc de données exhaustives sur les réseaux en activité.

Tableau I

Thèmes et indicateurs des deux questionnaires (coordinateur du réseau et intervenant en APA)

Tableau I
Thèmes Indicateurs Questionnaire coordinateur concernant le réseau Identification du réseau Ancienneté; nombre de patients adhérents (type I et II); nombre de professionnels adhérents; budget (% origine publique); identification du coordinateur: ancienneté, profession, pratique sportive Personnels du réseau Nombre; profession; statut (vacataire ou salarié) ; temps et contrat de travail; projet d’embauche d’un intervenant en APA Actions (générales) du réseau Existence et niveau d’importance (**) concernant: la communication sur le diabète, la formation des professionnels (diabète et éducation du patient), l’éducation du patient (individuelle ou en groupe), les consultations (podologie et diététique), le dossier médical partagé, les bilans et les séances pratiques concernant l’APA, l’aide dans les démarches administratives Actions du réseau concernant l’APA Rôle du réseau en APA (***); existence de formation aux professionnels et au personnel d’encadrement, d’information au patient, d’une séance théorique, d’une pratique ponctuelle ou régulière d’APA et d’un suivi; externalisation de l’APA Questionnaire optionnel (*) intervenant APA Identification de l’intervenant Diplôme; formations concernant l’encadrement AP, le diabète et l’éducation du patient Emploi de l’intervenant Dénominations personnelle et officielle ; contrat et temps de travail; autres activités professionnelles concomitantes; perspectives d’évolution Compétences de l’intervenant Descriptions ; compétences partagées dans le réseau ou spécifiques ; existence d’autres intervenants en APA ; contribution estimée à la prise en charge du diabète et à l’éducation du patient Activités de l’intervenant Reprise du point de vue de l’intervenant des questions portant sur les actions du réseau concernant l’APA avec précisions concernant le suivi individuel, les documents d’information, les activités ponctuelles et régulières d’APA (objectifs, contenu, fréquence, lieu, nombre de bénéficiaires et externalisation) (*) S’il existe et sachant qu’il peut y en avoir plusieurs pour un même réseau, chacun étant alors interrogé. (**) Mesuré grâce à une échelle de Likert (4 niveaux). (***) Question ouverte ayant fait l’objet d’une analyse de contenu.

Thèmes et indicateurs des deux questionnaires (coordinateur du réseau et intervenant en APA)

L’analyse des données

9Elle permet d’avoir une vue complète de l’offre de services liés à l’AP dans les réseaux diabète français, d’observer certaines tendances, de repérer la diversité des conceptions du rôle de l’AP. En tant que données exhaustives concernant une (petite) population, les procédures inférentielles (ex : significativité d’un coefficient de corrélation) perdent de leur pertinence d’un point de vue strictement statistique. L’analyse des données restera donc avant tout descriptive.

Résultats

Les actions des réseaux : l’encadrement en APA comme action discriminante

10Les réseaux diabète mettent en place, de manière quasi systématique, une éducation du patient en séances de groupe ou en séances individuelles (respectivement 97 % et 83 %), ainsi qu’une formation des professionnels, tant à la prise en charge spécifique du diabète (95 %) qu’à l’éducation du patient (95 %). Si des consultations de diététique sont proposées dans 9 réseaux sur 10, l’intervention en APA est moins courante : des séances pratiques d’AP sont proposées dans un réseau sur deux et un bilan individuel des pratiques physiques est effectué dans à peine plus d’un réseau sur quatre [5]. Il s’avère par ailleurs que deux fois plus de patients ont bénéficié d’une consultation de diététique en 2005 que de l’encadrement d’une séance pratique d’APA. Si l’APA est l’un des trois piliers du traitement du diabète avec la prise de médicaments et l’alimentation, il apparaît encore comme étant le moins solide.

11En matière d’activité physique, l’univers des réseaux se structure finalement en deux parties égales, 50 % des réseaux proposant en effet des séances pratiques d’AP (Figure ). Cette position originale de l’APA renforce l’intérêt de la présente étude.

L’APA jugée aussi importante que la formation des professionnels à l’éducation du patient

12Pour chacune des actions réalisées, il a été demandé au coordinateur d’évaluer le niveau d’importance qu’il leur accordait sur une échelle de 1 à 4 (1 étant le niveau le plus faible et 4 le niveau le plus important).

13Les séances d’AP qui ne sont mises en place qu’à 50 % sont d’un intérêt évalué à un niveau équivalent à celui de la formation des professionnels à l’éducation du patient (score moyen de 3), tout comme le bilan individuel des pratiques physiques qui n’est pourtant réalisé que dans 28 % des réseaux. Si les actions concernant l’AP sont en cours de développement dans les réseaux, les coordinateurs qui les conduisent, paraissent ici convaincus de leur intérêt.

Figure 1

Pourcentages des réseaux réalisant les différentes actions

Figure 1

Pourcentages des réseaux réalisant les différentes actions

14Les consultations de diététique et de podologie ainsi que les séances collectives d’éducation du patient constituent cependant les priorités dans l’offre de service des réseaux (score moyen de 3,5), au point explique le coordinateur d’un réseau, « qu’elles sont les plus facilement reconnues par les professionnels de santé comme justifiant l’existence d’un réseau. Elles constituent de fait des apports immédiats et bien visibles de la structure réseau à la pratique quotidienne des médecins ». Ces trois prestations bénéficient de dérogations spécifiques financées par la DRDR contrairement à l’accompagnement en AP qui ne bénéficie pas de plan national et qui reste soumis aux positionnements différenciés des autorités régionales de tutelle.

15Enfin, la communication sur le diabète (campagnes, événements) fait partie des actions indispensables, relativement peu coûteuses mais qui ne sont pas considérées comme une priorité par les coordinateurs. Quant à l’aide au patient dans les démarches administratives, elle est peu réalisée et considérée comme la moins importante des actions.

L’offre de services liés à l’AP dans les réseaux

16Elle permet de distinguer quatre types de structures :

  • celles qui n’ont pas d’offres liées à l’AP en dehors de la consultation médicale, ni d’information-explication, ni d’expérience pratique (16 sur 66) ;
  • celles qui ont une offre réduite à de l’information-explication (distribuer des fiches d’information, organiser une séance théorique sur l’AP) (15 sur 66) ;
  • celles qui proposent une séance pratique ponctuelle dite « de sensibilisation » (12 sur 66) ;
  • celles qui proposent un cycle de séances pratiques (23 sur 66) parfois couplé à un suivi individuel de l’APA.
Notons que celles qui proposent une expérience pratique la combinent avec de l’information-explication.

17Une formation des professionnels de santé au sujet de l’activité physique est mise en place par 1/3 des réseaux. Elle est principalement théorique, une pratique physique n’étant intégrée que dans trois cas sur soixante-six.

Les salariés des réseaux : la place des professionnels de l’Activité Physique Adaptée (APA)

18Les trois professions les plus représentées dans le cadre de l’embauche sous contrat sont les secrétaires (32 % en équivalent temps plein), les infirmières (22 %), et les diététiciennes (18 %). Les intervenants en APA ne représentent que 4 % de l’embauche, comme les médecins généralistes, les psychologues, 3 % et les podologues 1 %.

19Les embauches ponctuelles et irrégulières en fonction des besoins, sous forme de « vacations » (bien que ce terme ne soit pas celui utilisé), concernent bon nombre de professionnels de santé, de psychologues et également certains intervenants en AP.

20Si 25 réseaux emploient un ou des professionnels formés à l’intervention en activités physiques, 5 font appel à des kinésithérapeutes pour intervenir au sujet de l’AP et 3 sous-traitent des interventions (séances pratiques et suivi des patients) à des associations de professionnels spécialisés dans les programmes d’AP pour malades chroniques.

21Au total, 28 réseaux financent des interventions de professionnels formés à l’intervention en activités physiques, parmi lesquels nous différencions, à partir des dénominations utilisées par les professionnels de l’AP eux-mêmes :

  • les éducateurs sportifs (25 ES) qui interviennent plutôt sous forme de prestations de service (9 salariés pour 16 vacataires), essentiellement en animation de séances pratiques. Ils ont le plus souvent une formation courte de type brevet d’état, parfois complétée par une formation courte à la pathologie du diabète. Les brevets d’État « Activités Physiques pour Tous » ou « Métiers de la forme » forment en effet des éducateurs qui peuvent intéresser les réseaux. Dans le cadre de sa mission « Sport et santé », le ministère Jeunesse et Sports développe des actions et des formations à destination des publics fragilisés. Les premières vacations d’ES datent de 2003 et se sont accentuées en 2005.
  • les éducateurs médico-sportifs (12 EMS) sont plutôt embauchés sous contrat (10 salariés pour 2 vacataires). Ils collaborent avec les professionnels de santé à une approche globale du patient et à la formation des professionnels de santé. Ils ont généralement [6] une formation longue à l’encadrement de l’APA [7] (8 de niveau Master, 2 de niveau Licence), complétée d’une formation à la pathologie du diabète et à la méthodologie de l’éducation du patient. Les premiers EMS ont été recrutés en 1999.
Si la formation théorique concernant l’AP est avant tout encadrée par des médecins et des professionnels de l’AP (EMS, ES), la mise en situation ou l’encadrement de la pratique est surtout le fait des EMS.

22Au total, 10 réseaux font appel à des EMS, 15 font appel à des ES et 3 à des associations prestataires de service (2 sous-traitent avec Cap Santé dans le Calvados, 1 avec Efformip en Midi-Pyrénées), qui font elles-mêmes appel à des ES (titulaires d’un Brevet d’état pour Cap Santé, ayant au minimum un diplôme sportif fédéral pour Efformip, complétés par une formation courte à la pathologie chronique pour un encadrement sécuritaire dans les deux associations). Dix-huit réseaux déclarent par ailleurs avoir un projet d’embauche d’un professionnel qualifié dans l’encadrement d’AP.

Discussion

23L’intégration de la question de l’AP dans les séances d’éducation du patient et dans la formation des professionnels est aujourd’hui effective dans 7 réseaux diabète sur 10. Les dispositifs inventés par ces réseaux sont variés,ils mobilisent l’ensemble des professionnels de santé et plus particulièrement des professionnels de l’encadrement d’activités physiques adaptées. Plus de la moitié des offres sont pour l’instant des actions à valence cognitive et rationnelle : informer, expliquer, inciter, alors que la petite moitié restante propose une expérience pratique d’APA qui s’inscrit dans la durée. Cette répartition des offres renvoie à des conceptions bien distinctes de l’intervention professionnelle visant un réengagement du patient dans une AP.

Spontanéisme versus interventionnisme

24Parmi les quatre types de structures définis dans la troisième partie des résultats (« L’offre de services liés à l’AP dans les réseaux »), une première opposition émerge entre les trois premiers et le dernier :

  • la première conception, que l’on pourrait qualifier de « spontanéiste », repose sur la croyance en l’efficacité des dispositifs de prescription, d’information et de recommandation sur l’autonomie du patient en AP. Elle considère que les patients, raisonnables et autodéterminés, seront réceptifs aux informations (écrites ou orales) sur l’AP, respecteront les recommandations et, finalement, s’engageront durablement dans une AP régulière et adaptée. L’expérience pratique de l’AP est pensée comme allant de soi, « naturelle », également accessible à chacun. Autrement dit, la combinaison des dispositifs prescriptifs, cognitifs (les informations sur les bienfaits de l’AP), normatifs (les recommandations sur l’intensité, la fréquence, le type d’AP...), voire expérientiels (une séance ponctuelle de sensibilisation à l’AP) est jugée suffisante pour obtenir la motivation des patients et leur engagement dans un processus de transformation de soi et de ses habitudes de vie dans le sens d’un autocontrôle. On suppose donc que les dispositifs ou les supports mis à disposition du patient sont suffisants pour créer les conditions d’une égale opportunité d’appropriation de la culture sanitaire fondée sur l’injonction à une pratique d’APA autonome. Les éducateurs sportifs étant plutôt engagés pour animer des séances ponctuelles de sensibilisation, sont davantage associés à cette conception ;
  • la seconde conception, que l’on pourrait qualifier d’« interventionniste », considère, au contraire, que les patients ont besoin d’être accompagnés/ encadrés pour s’autonomiser par rapport à l’APA. Elle ne néglige pas le rôle de l’information-explication, mais valorise l’expérience du patient et le développement de compétences motrices et psycho-sociales. Elle s’appuie sur le double constat : d’inégalités sociales dans le rapport au corps et aux activités physiques et sportives [2, 9] et de fragilisation des personnes par la maladie, pour mettre en place un accompagnement destiné à restaurer leur degré antérieur d’autonomie, ce premier constat prenant d’autant plus d’importance que le diabète de type 2 touche davantage les personnes en situation de précarité sociale. Dans ce cas, ni l’expérience ponctuelle, ni a fortiori les supports cognitifs et normatifs (écrits et oraux) ne suffisent pour rendre effectif l’accès des patients aux activités physiques. L’accompagnement en APA des patients considérés comme « hétéronomes », est initié dans le cadre d’une sociabilité « de l’entre soi » avec l’objectif de combler certaines ressources manquantes indispensables à la (re)construction d’une autonomie en AP.

Internalisation du service d’AP versus externalisation

25Cette seconde opposition organise les résultats de la partie 4. L’embauche des premiers EMS à la fin des années 90 s’est faite avec le souci d’intégrer l’intervention en APA dans le cadre de l’éducation du patient [10], en favorisant les collaborations avec l’ensemble des professionnels dans le cadre même du réseau. L’EMS conçoit le contenu de son intervention et les passerelles avec les autres professionnels, évalue son travail et les acquisitions des patients [8]. Il est un interlocuteur direct des professionnels du réseau. L’orientation vers des associations de professionnels « externalise » le service de suivi du réengagement dans l’AP.

26L’encadrement des séances pratiques par les éducateurs sportifs vise la mise en activité des personnes dans le cadre d’un programme élaboré et évalué par un professeur de sport (Cap Santé) ou par un Coach en AP et santé (Efformip). Les éducateurs sportifs sont donc supervisés par un professionnel de l’AP de niveau cadre, qui collabore avec un médecin diabétologue (Cap Santé) ou un médecin du sport (Efformip). Ce sont ces derniers qui sont les interlocuteurs directs des professionnels de santé du réseau, non les ES.

Éducation à l’AP versus éducation via l’AP

27Finalement, deux formes de services peuvent être distinguées en croisant les deux premières oppositions :

  • d’une part une éducation à l’activité physique comme « fin en soi » qui se situe au croisement des conceptions spontanéistes et externalisantes. Elle consiste à orienter les patients vers des clubs ou associations, ou à les engager dans des programmes d’exercices sur le modèle de la réadaptation à l’effort. La sortie du programme est alors envisagée comme un passeport pour une pratique autonome, par auto-imposition d’exercices sur le long terme afin d’entretenir les gains du programme,
  • d’autre part une éducation du patient via l’AP qui se situe au croisement des conceptions interventionnistes et internalisantes de l’offre. Elle couvre les trois niveaux définis par Alain Deccache [1] :
    1. celui de l’éducation thérapeutique qui touche à la partie de l’éducation directement liée au traitement : plutôt envisageable en tout début de cycle, elle suppose des collaborations avec des professionnels de santé du réseau, et permet de construire des compétences « en situation », par exemple relatives au chaussage, à l’alimentation (avant, pendant et après l’effort), à la connaissance et à la maîtrise de l’évolution de sa glycémie au cours de l’effort... ;
    2. l’éducation du patient à sa maladie qui contribue à une reconstruction biographique « avec la maladie » via ici l’expérience d’activités physiques adaptées ;
    3. et enfin l’éducation pour la santé du patient qui, à partir d’une expérience incarnée, s’intéresse aux modes de vie dans une logique de « culture sanitaire ».
Si les programmes d’exercices proposés dans la perspective « d’éducation à l’AP » peuvent contribuer à ces trois niveaux d’éducation du patient, c’est de manière indirecte et non contrôlée. L’intervention pratique centrée sur l’exercice s’intéresse aux dimensions psychologiques et sociales quand elles font obstacle à l’engagement dans l’exercice. Créer du lien social, accepter la maladie, favoriser la construction biographique... sont envisagés selon une approche « spontanéiste », comme si l’activité physique était porteuse de valeurs éducatives intrinsèques... La perspective de « l’éducation via l’AP » considère les bénéfices psychologiques et sociaux, non pas comme des effets secondaires, mais comme des objectifs prioritaires, au même titre que les bénéfices bioénergétiques. Cette approche globale est favorisée quand le professionnel qui encadre l’expérience pratique d’APA fait partie du réseau, est formé à l’éducation du patient et collabore avec les professionnels de santé en visant avec eux les trois niveaux d’objectifs. Cette opposition se retrouve dans la manière d’utiliser le tissu associatif local. Dans la première perspective, tous les patients peuvent être directement envoyés dans les associations ordinaires, la participation régulière aux activités d’un club ou d’une association locale pouvant spontanément transformer les patients en difficulté, pour peu que les éducateurs aient une formation minimum à la pathologie. Dans la seconde perspective, bon nombre de patients ont besoin du soutien d’un cycle de séances d’APA (d’une vingtaine de séances) avant d’être adressés aux clubs et associations qui sont alors considérés comme des « relais » pour une concrétisation d’un projet individuel construit avec le patient.

28Cette distinction « éducation à l’AP » versus « éducation via l’AP », s’est construite progressivement au cours de l’expérience des stages sport-diabète pour les diabétiques insulino-dépendants, les stages ayant évolué avec le temps de la première à la seconde perspective [13]. Forts de cette évolution, les diabétologues « innovateurs » ont créé le métier d’EMS sur le second modèle. L’intégration effective des EMS au sein des réseaux constitue un précédent qui a ouvert la porte à d’autres profils d’intervenants en AP davantage en lien avec le premier modèle (éducation à l’AP). Pour autant, les deux perspectives ne peuvent être déduites purement et simplement de l’embauche d’EMS ou d’ES. On observe des variations importantes qui peuvent être situées sur un continuum qui se déroule du premier au second modèle.

Conclusion

29Bien que des rôles équivalents soient en théorie attribués à l’Activité Physique et à la diététique dans la prise en charge du diabète de type 2, en réalité un poids inégal (en faveur de la diététique) leur est donné à tous lesniveaux de leur promotion : éducation du patient, formation des professionnels, séances ou consultations spécifiques, embauche dans les réseaux, participation aux équipes de coordination... L’enquête fait apparaître une offre de services relatifs à l’AP en plein développement, présentant une variabilité importante dans les formes qu’elle peut prendre. Les offres se distinguent par le fait de proposer un cycle de séances pratiques ou de se limiter à une approche intellectuelle, voire à une expérience ponctuelle. A l’intérieur de l’approche interventionniste se dessinent deux perspectives éducatives : celle d’une « éducation à l’AP » qui fait de l’exercice une fin en soi sur prescription médicale versus une « éducation pour la santé via l’AP » qui vise des pratiques culturelles intégrées dans un projet personnel, construit progressivement dans l’interaction et non « donné » de l’extérieur. Si les dispositifs, la formation des professionnels et leur intégration dans les équipes de coordination du réseau sont déterminantes dans la mise en place de telles perspectives, elles n’en sont pour autant la garantie. Les manières de penser l’engagement des patients dans des activités physiques varient selon les professions et les professionnels mais elles renvoient également fortement au projet éthique et politique du réseau, lui-même encore en construction en ce qui concerne l’activité physique.

Bibliographie

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  • 3
    Fournier C, Jullien-Narboux S, Pelicand J, Vincent I. Modèles sous-jacents à l’éducation des patients. Enquête dans différents types de structures accueillant des patients diabétiques de type 2, Évolutions, Ed. INPES 2007;1:1-6.
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Mots-clés éditeurs : éducation du patient, diabète non insulino-dépendant, activité physique adaptée, profession - réseau

Date de mise en ligne : 27/08/2008

https://doi.org/10.3917/spub.083.0213

Notes

  • [1]
    Cette étude a bénéficié du soutien financier de l’INPES.
  • [2]
    Université de Lyon, F-69622, Lyon, France ; Université de Lyon 1, UFR STAPS, Villeurbanne ; CRIS, EA 647.
  • [3]
    CRES Languedoc Roussillon, France.
  • [4]
    Réseau Gentiane Dole, France.
  • [5]
    Soulignons également que les séances collectives d’éducation du patient comportent le plus souvent des interventions sur la diététique et bien moins sur l’activité physique. L’analyse réalisée par Cécile Fournier [3] de 120 séances éducatives collectives de 10 programmes proposés à des patients diabétiques de type 2 en 2001, fait apparaître l’alimentation comme un thème majeur couvrant près de 45% des interventions, alors que l’AP ne représente que 4 % des thèmes abordés.
  • [6]
    Les deux seuls EMS recrutés avec un brevet d’état, l’ont été dans le cadre de la politique Emploi jeunes à la fin des années 90. Ils ont depuis largement élevé leur niveau de compétences, l’un des deux venant d’ailleurs d’être recruté comme coordinateur de réseau de santé.
  • [7]
    Le concept d’Activité Physique Adaptée (APA) défini au Québec (1977) fédère depuis 1989 les filières de formation en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS). Les formations en APA ont pour finalité de rendre les étudiants capables d’exercer des responsabilités de conception et d’animation d’activités physiques adaptées aux besoins spécifiques et ressources de personnes malades et/ou en situation de handicap. Le niveau de formation de Master développe par ailleurs des compétences de coordination, d’évaluation et de conseil méthodologique. L’APA s’intéresse au secteur des maladies chroniques depuis son origine (12). Certaines formations universitaires en APA et Santé intègrent aujourd’hui des contenus d’éducation pour la santé et de physiopathologie. Elles préparent les étudiants à travailler en équipe pluridisciplinaire dans le champ des maladies chroniques dans un objectif de prévention médicale (lié au déconditionnement physique) mais également de qualité de vie : reconstruction biographique, plaisir, loisir, estime de soi, intégration sociale...
  • [8]
    Comme le définit l’Association des éducateurs médico-sportifs (ADEMS) créée en 2005 dans le but de faire reconnaître les compétences du métier d’EMS.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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