1L’accès aux soins et à la sécurité sociale ont été à l’origine de la progression considérable de l’espérance de vie et la consommation de médicaments a largement sa part dans ces progrès. Néanmoins, si notre attention s’est essentiellement portée, à juste titre, sur les bénéfices pour la santé, elle a été insuffisante sur les conséquences environnementales de leur usage. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années, et plus récemment en France, que ce thème est abordé par quelques rares équipes de recherche. L’Académie nationale de Pharmacie, soucieuse de ces problèmes, a souhaité faire le point sur les conséquences environnementales et humaines de la présence de médicaments dans l’environnement, d’autant plus qu’il s’agit de molécules biologiquement actives.
La consommation de médicaments
2Ce sont les pays les plus industrialisés avec le niveau de vie le plus élevé qui consomment le plus de médicaments. Ainsi 80 % de cette consommation mondiale, et donc des sources de contamination, concernent l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon. Ces médicaments concernent aussi bien les usages vétérinaires qu’humain. Avec 25 630 M$, la France est le 4e consommateur mondial après les États-Unis (197 802 M$), le Japon (56 675 M$) et l’Allemagne (27 668 M$), d’après le LEEM [69]. Les plus vendus en France pour l’usage humain (en valeur) sont les médicaments pour les maladies cardio-vasculaires puis du système nerveux central, du tube digestif, respiratoires, anti-infectieux, musculo-squelettiques, etc. De 1992 à 2002, l’augmentation des ventes en officine a été de 5,5 % alors que dans le même temps, elle était de 10 % environ dans les hôpitaux [5]. Pour les usages vétérinaires, trois catégories de médicaments émergent : les antibiotiques, les anti-parasitaires et les hormones. Les statistiques étant données en valeur monétaire, les données quantitatives font souvent défaut ce qui gêne les études d’évaluation des risques.
Le cycle de vie des substances médicamenteuses
3Pour évaluer les risques pour l’homme et pour l’environnement, il est nécessaire de répertorier l’ensemble des sources susceptibles de contribuer aux rejets environnementaux :
- la conception des molécules chimiques et biologiques est issue des laboratoires des centres de recherche publique (Université, CNRS, INSERM...) et de l’industrie ;
- la fabrication des principes actifs, effectuée par l’industrie chimique ;
- la fabrication des spécialités pharmaceutiques à usage humain et vétérinaire dans les laboratoires pharmaceutiques qui relèvent d’ailleurs des installations classées mais qui sont généralement certifiées aux normes ISO 9000, comme l’industrie chimique ;
- les utilisations en médecine humaine selon les prescriptions médicales, les conseils dispensés par les pharmaciens, sans oublier l’automédication ;
- les utilisations en médecine vétérinaire des animaux d’élevage et domestiques ;
- les utilisations en élevage industriel animal ou piscicole, à des fins thérapeutiques mais aussi de promotion de la croissance, d’additifs alimentaires, d’obtention d’une lactation permanente... ;
- le recyclage ou le rejet des médicaments non utilisés (MNU) ;
- le rejet dans l’environnement de composés issus du métabolisme des substances médicamenteuses ;
- le comportement dans les stations d’épuration des eaux usées ou de potabilisation de l’eau de boisson ;
- le devenir, biodégradabilité ou persistance, dans l’environnement avec éventuellement bioconcentration dans certaines espèces végétales ou animales et éventuellement retour à l’homme par son alimentation pour les molécules les plus persistantes.
Le constat de la contamination environnementale
4Depuis la première publication de Hignite et Azarnoff en 1976 [54], montrant la présence d’acide salicylique et d’acide clofibrique dans les eaux d’une station d’épuration de Kansas City, nombre de publications ont révélé que toutes les classes thérapeutiques sont concernées par ce problème de leur présence dans l’eau ou dans d’autres compartiments de l’environnement.
5Les classes thérapeutiques les plus observées sont données dans le tableau I.
Principales classes de substances médicamenteuses identifiées dans les eaux
–Agents de contraste iodés –Analgésiques et antalgiques –Antagonistes de l’angiotensine II –Anti-acides –Anti-arythmiques –Antiasthmatiques –Antibiotiques –Anticonvulsivants –Antidépresseurs – Anxiolytiques –Anti-ulcéreux –Béta-bloquants –Bloquants des canaux calcium –Bronchodilatateurs –Diurétiques –Produits de diagnostic –Radionucléides | –Anti-diabétiques –Antifongiques –Antigoutteux –Anti-hypertenseurs –AINS –Anti-ischémiques –Anti-parasitaires –Antipsychotiques –Antiseptiques –Régulateurs lipidiques –Stéroïdes et Hormones –Stimulants cardiaques –Stimulants du SNC –Substances illicites –……. |
Principales classes de substances médicamenteuses identifiées dans les eaux
6Généralement, les recherches concernent les molécules mères, beaucoup plus rarement les métabolites, mais ceux-ci ont autant d’importance, car il peut s’agir de métabolites biologiquement actifs.
Les sources de contamination
7Il faut distinguer deux types de sources. Les sources diffuses qui intéressent les populations humaines et animales en général et les sources ponctuelles qui sont à l’origine d’émissions plus concentrées mais limitées sur le plan géographique.
Les sources diffuses
8Ce sont les traitements ambulatoires qui représentent la plus grande partie des médicaments rejetés par l’homme ainsi que les traitements des animaux domestiques dont la part n’a pas été évaluée mais qui, a priori, doit être faible.
9En effet, tous les médicaments font l’objet d’une métabolisation variable d’un médicament à l’autre, puis d’une élimination. Si l’élimination par voie pulmonaire est faible, il n’en est pas de même pour la voie digestive par les fécès et pour la voie urinaire, pour l’homme comme pour l’animal.
10Quant aux médicaments non utilisés (MNU), ils sont parfois dispersés par les déchets ménagers ou rejetés directement dans les égouts ou dans les toilettes. La part de ces rejets dans la présence de substances médicamenteuses dans les eaux a été évaluée par Bound et Voulvoulis [18]. Une enquête a été réalisée auprès de 400 foyers dans le sud-est de l’Angleterre, en tenant compte pour chaque type de médicament, de sa métabolisation, que les traitements étaient ou non menés à leur terme, du retour dans les pharmacies ou du rejet dans les toilettes ou les égouts mais aussi de la dégradation dans l’environnement et dans les stations d’épuration. À titre d’exemple, pour le métoprolol, pour 100 unités vendues, l’enquête a déterminé que 73,4 % sont utilisés ce qui conduit à 10 % dans les toilettes ou les égouts, soit 7,3 unités. Sur les 26,6 % non utilisés, 4,4 retournent dans les pharmacies, 4,4 vont dans les toilettes et 17,7 partent dans les déchets ménagers. Le bilan est donc le suivant : 7,3 + 4,4 = 11,7 unités arrivent dans les stations d’épuration dont 17 % ne sont pas détruits et se retrouvent dans les effluents, ce qui représente 2 unités retrouvées dans les eaux de surface sur les 100. Sachant que le retour dans les pharmacies n’est que de 13 % en France et de 1 % aux États-Unis, le bilan y serait encore plus inquiétant car en Angleterre, il est d’environ 24 % !
Les sources ponctuelles
11Elles sont liées à la fabrication des substances médicamenteuses dans l’industrie chimique qui les synthétise. Même si ces industries respectent les normes ISO 14000, nous n’avons aucune information qualitative ou quantitative sur les rejets aqueux éventuels qui sont contrôlés par les autorités mais sur des critères généraux (DBO, DCO, métaux lourds…) qui n’ont rien à voir avec la spécificité de ces molécules biologiquement actives.
12Il en est de même pour l’industrie pharmaceutique qui met ces molécules en formes pharmaceutiques. Une étude allemande a rapporté des concentrations élevées de phénazone et de diméthylaminophénazone jusqu’à 95 µg/L dans le Main dont la vallée est une zone à forte concentration d’entreprises pharmaceutiques, alors que dans les vallées voisines, elles ne dépassent pas en moyenne 0,024 µg/L. De même, des rejets de 45 kg/j de diclofénac ont été évalués dans le Rhin, à Mayence, en relation avec la présence de plusieurs sites de production [95].
13Les établissements de soins se caractérisent par une forte concentration de malades et par l’utilisation d’agents chimiques très variés : biocides, réactifs de laboratoire, cosmétiques, produits phytosanitaires et, bien entendu, des médicaments et produits de diagnostic. L’élimination de ces produits peut être effectuée directement par les professionnels du soin lors de leur utilisation, de leur préparation ou de leur administration, mais elle est aussi indirecte par les excréta des patients. Ce sont les principaux responsables de l’élimination des produits radiopharmaceutiques et anticancéreux. Ces derniers sont peu biodégradables comme la bleomycine, le metho-threxate, le 5-fluorouracil, la cytarabine, la gencitabine ou l’épirubicine : ils sont peu dégradés par les STEP et peuvent persister assez longtemps en gardant un potentiel hautement toxique et migrer dans les eaux de surface et les eaux de consommation. Des concentrations de 146 et 109 ng/L avec des pointes de 500 et 3 000 ng/L respectivement pour le cyclophosphamide et l’ifosfamide ou des pointes de 3 000 ng/L pour le platine ont été observées dans des effluents hospitaliers [12, 67]. Kümmerer et al. [81] ont montré que l’ifosfamide pouvait résister à une simulation de deux mois de fonctionnement d’une station d’épuration. D’autres substances ont été mises en évidence dans les eaux résiduaires des établissements de soin comme des fluoroquinones du type de la ciprofloxacine [7, 47] ou des analgésiques très puissants comme le métamizole [35].
14Les élevages industriels d’animaux apportent aussi une contribution locale parfois importante à la contamination des milieux aqueux. Les principales catégories de substances médicamenteuses qui y sont utilisées sont les antibiotiques, les antiparasitaires et les hormones. Certains, comme la tylosine, sont utilisés comme promoteurs de croissance. Ces médicaments vétérinaires peuvent être dispersés directement dans l’environnement lors du traitement des animaux d’élevage (porcs, volailles, bovidés, caprins, chevaux…) ou indirectement en cas d’épandage des lisiers et purins dans les sols destinés à l’agriculture. Les lisiers et purins peuvent aussi participer à la dégradation des molécules comme l’enrofloxacine sur des périodes assez longues [80], mais peuvent aussi réactiver d’autres molécules. À titre d’évaluation, Sarmah et al. [86] ont estimé qu’aux États-Unis 100 millions de tonnes de matières fécales et d’urines étaient émises chaque année par les 60 millions de porcs. Elles sont retrouvées dans les champs et les prairies avec toutes les substances qui y sont véhiculées. La pratique d’utiliser des doses non thérapeutiques d’antibiotiques pour l’élevage des porcs sélectionne aussi des bactéries résistantes de tube digestif des animaux et permet leur rejet massif par les excréta dans les lisiers, fumiers et purins puis dans les sols et les eaux [2, 11, 31, 44, 77, 107]. Pour preuve de cette réalité, l’étude de Sapkota et al. [85] qui a montré la présence d’entérocoques résistants à l’érythromycine et à la tétracycline 4 à 33 fois plus nombreux que dans les eaux de surface en amont mais aussi des entérocoques résistants à la tétracycline et à la clindamycine dans les eaux souterraines.
Les élevages industriels piscicoles posent un problème particulier parce que les médicaments sont directement émis dans les eaux douces et les eaux marines. Les manipulations de poissons dans les élevages provoquent des stress importants à l’origine de la baisse d’efficacité de leur système immunitaire avec des risques de colonisation bactérienne et d’infection. De plus, les conditions d’hygiène incluant une forte densité de poissons, les difficultés d’isolement des animaux malades et l’absence de barrière sanitaire augmentent le risque de propagation des infections d’où l’usage des antibiotiques à titre préventif [75]. Ces antibiotiques sont administrés le plus souvent mélangés à l’alimentation. Les plus utilisés sont les tétracyclines. Cependant, une part considérable des aliments n’est pas consommée par les poissons et ces aliments sont ainsi rejetés dans l’environnement. De plus, absorbés, ces antibiotiques peuvent traverser le système digestif des poissons et être éliminés en grande partie inchangés ou sous forme de métabolites toxiques [65]. Environ 70 à 80 % des antibactériens administrés sont rejetés dans l’environnement où ils peuvent atteindre des concentrations parfois importantes dans les écosystèmes à proximité des fermes piscicoles. Les concentrations de résidus d’antibiotiques peuvent ainsi atteindre des valeurs variant du ng au µg/L. Ainsi qu’une étude portant sur 13 cas d’élevage intensif de poissons aux États-Unis, Thurman et al. [98] ont mesuré des teneurs de 0,17 à 10 µg/L d’oxytétracycline, de 0,10 à > 15 µg/L de sulfadiméthoxine et de 0,10 à 0,61 µg/L pour la tétracycline. Une partie importante de ces résidus se retrouve aussi dans les sédiments où ils peuvent se concentrer [36], mais ils peuvent aussi être transportés sur de longues distances et être ingérés par des poissons sauvages ou des coquillages qui les concentrent [19, 52, 89]. Un autre problème est celui de l’appauvrissement de la diversité de la flore microbienne et du plancton, amplifiée par l’eutrophisation provoquée produite dans l’environnement de ces fermes par les gros apports en nutriments (C, N, P) générés par l’alimentation non ingérée et les déjections des poissons [26, 39].
Les milieux concernés
15L’atmosphère est peu concernée par ce problème, hormis les anesthésiques volatils. Quant à l’incinération des MNU, elle a montré qu’elle pouvait être menée avec la sécurité de ne pas retrouver dans les effluents ni les composés médicamenteux ni les produits intermédiaires susceptibles de modifier la composition des fumées, même avec des médicaments anticancéreux [17].
16Les sols peuvent être contaminés par les aliments, par les déjections des animaux traités par des médicaments vétérinaires directement dans les prairies, mais aussi par l’épandage sur les champs des boues des stations d’épuration, même si l’épandage est encadré par le Code de l’Environnement et le Code Rural, puisqu’on ne recherche pas de façon spécifique la présence de médicaments. La contamination provient aussi des fumiers ou purins produits dans les étables, ce qui peut conduire à des concentrations locales parfois très fortes. Les pluies peuvent ensuite entraîner les substances les plus hydrophiles vers les eaux souterraines et les eaux de surface. Or, dans les purins, des modifications peuvent se produire comme une déglucuronidation du chloramphénicol ou de la sulfadimidine [16]. Il en est de même pour les métabolites glucuronoconjugués des chlorotétracyclines excrétés par les volailles et qui sont reconvertis en molécules actives, sous l’action des bactéries dans les purins [101]. Les animaux se nourrissant de fumier comme les vers, les oiseaux ou les mouches peuvent à leur tour être contaminés. Une autre conséquence de l’utilisation des purins dans l’amendement des sols agricoles est le transfert de résistances provenant de la microflore des organes des volailles ou des porcs [45].
17Les milieux aquatiques sont ceux qui ont été les plus étudiés. La présence dans l’eau dépend de nombreux facteurs et, en particulier, de la demi-vie des molécules, liée à leur stabilité et à leurs propriétés physico-chimiques. Elle peut varier de plusieurs mois pour l’acide clofibrique et la carbamazépine à quelques heures ou quelques jours pour le diclofénac, le sulfaméthoxazole, l’ofloxacine ou l’ibuprofène [8]. Mais le rejet en continu de médicaments et de leurs métabolites dans les milieux aquatiques confère à ces molécules un caractère de « pseudo-persistance ».
Nous suivrons les médicaments dans leur trajet depuis leurs sources d’émission urbaines dans l’eau jusqu’au robinet :
Les eaux résiduaires
18Les eaux résiduaires urbaines contiennent des quantités mesurables de nombreux médicaments comme des anticancéreux via les eaux d’égouts domestiques ou hospitalières, du fait que leur demi-vie d’élimination est assez longue [67, 68]. Parmi ceux-ci, le cyclophosphamide, le platine et l’ifosfamide ont été trouvés à des concentrations pouvant aller respectivement jusqu’à 4 500, 3 000 et 3 000 ng/L dans les effluents des hôpitaux [12, 81, 82]. La présence de tamoxifène, anti-œstrogénique utilisé dans le cancer du sein, a été rapportée en Grande Bretagne dans les eaux résiduaires et les effluents des STEP à des concentrations de 146 à 369 ng/L [83, 97].
19De nombreux antibiotiques ont été détectés dans les effluents d’élevages industriels ou de fermes piscicoles, tels les nitro-imidazoles, les sulfamides, les macrolides, le triméthroprime [52, 94].
20Parmi les hormones, les œstrogènes sont présents en concentrations plus élevées dans les effluents domestiques que dans les effluents industriels [14].
21Le composé le plus souvent retrouvé dans les effluents des stations d’épuration est l’acide clofibrique, un métabolite du clofibrate, un hypolipémiant. Il est également présent dans les eaux des lacs étudiés en Suisse [24, 25]. Sa demi-vie est suffisamment longue pour le retrouver dans toutes les eaux.
22Les anti-inflammatoires non stéroïdiens les plus concernés sont le diclofénac, et l’ibuprofène. Ce dernier n’est pas entièrement métabolisé chez l’homme et peut donc entrer dans l’environnement sous forme de composé initial ou de métabolites. Il est présent dans les eaux usées urbaines à des concentrations parfois élevées de 1,7 jusqu’à 3,8 µg/L selon Hilton et Thomas [55]. Quant à l’acide acétylsalicylique, il s’hydrolyse assez facilement et des métabolites comme l’acide gentisique (6,8 µg/L) et l’acide hydroxy-hippurique (6,8 µg/l) ont pu être détectés à l’entrée des stations d’épuration [93].
23D’autres médicaments comme les bêta-bloquants [103], les antidépresseurs, des anticonvulsivants, notamment la carbamazépine [51], des analgésiques puissants comme le métamizole et ses métabolites [35] sont présents dans les eaux résiduaires, mais on y trouve aussi des produits de contraste iodés (iopamidol, iopromide, iohexol, ioméprol) à des concentrations pouvant atteindre, comme l’ont montré Oleksy-Frenzel et al. [72] à Berlin, plus de 10 mg d’iode par litre. Autres composés médicamenteux relevant des utilisations hospitalières ou cliniques, les produits de diagnostic, notamment le gadolinium utilisé en IRM [49] et les radionucléides comme l’iode 131 et 123, le technétium 99m, le thallium 201, le gallium 67 et l’indium 111 ont fait l’objet de nombreuses publications notamment en France [3, 4].
Quant aux eaux résiduaires des établissements de soin, des industries chimiques ou pharmaceutiques, des élevages intensifs ou des fermes piscicoles, elles peuvent présenter des concentrations extrêmement élevées qui peuvent être localement très dangereuses pour les composantes de l’environnement. Or il n’y a pas de norme pour la surveillance des résidus médicamenteux dans les eaux usées de ces établissements.
Les stations d’épuration
24Elles sont destinées à détruire la charge organique présente dans les eaux des affluents pour que les effluents en contiennent un minimum. Dans les STEP, la biodégradation conduit à des transformations très variables selon les molécules. Par exemple, l’ibuprofène est détruit à des taux de 60 à 96 % [15] alors que la carbamazépine l’est à des taux de moins de 10 à 30 % [62]. Il est également très faible pour le clofibrate, de 6 à 50 % [90]. Vieno et al. [103] ont même observé des concentrations supérieures dans les effluents que dans les affluents pour la carbamazépine. L’efficacité des STEP ne serait que de 6 % pour l’acide clofibrique, 8 % pour la carbamazépine, 17 % pour le diclofénac et 99 % pour la caféine (quand même présente à 180 ng/L dans les effluents). Les anticancéreux ne semblent pas non plus bien éliminés par les STEP : Heberer [49, 50] a trouvé la cyclophosphamide dans leurs effluents, de même que [22] au Canada à des concentrations de 38 ng/L ou Zuccato et al. [109] en Italie. Aherne et al. [6] ont aussi retrouvé de 10 à 19 ng/L de cis platine et de bleomycine dans ces effluents. Le tamoxifène est également mal détruit [83]. Parmi les antibiotiques, les quinolones, les nitro-imidazoles et les sulfamides sont mal dégradées dans les STEP traditionnelles à boues activées [38] mais les bioréacteurs à membrane augmentent cette efficacité de plus de 80 %. Pour les macrolides, l’efficacité ne dépasse pas 33 %. La microfiltration et l’osmose inverse seraient plus efficaces que les STEP classiques pour l’acide nalidixique, l’enrofloxacine, roxythromycine, la norfloxacine, l’oléandomycine, la triméthroprime, l’oléandomycine, la tylosine et la lincomycine [106]. Des composés comme le 17?-estradiol, le 17?-estradiol, l’estrone, le 17?-éthinylestradiol sont présents dans les effluents des STEP [71, 94]. Plus de 80 % de ces hormones sont présentes dans les boues activées mais il se produit aussi des transformations d’estrogènes dans les STEP qui permettent de déconjuguer et d’oxyder des métabolites pour revenir aux molécules libres qui sont présentes dans les effluents [13, 94]. Par exemple, Cargouët et al. [30] ou Branchereau et al. [21] ont trouvé systématiquement l’estrone dans les échantillons prélevés dans la Seine, la Marne et l’Oise. Les traitements aérobies par les boues activées sont sans effet sur l’iopromide [29] et sont peu efficaces sur l’ensemble des produits de contraste iodés.
25En dehors des problèmes d’efficacité des STEP vis-à-vis des résidus de médicaments, certains phénomènes néfastes peuvent aussi se produire :
- la déconjugaison des molécules éliminées sous forme de glucurono- ou de sulfo-conjugués [71] ;
- la conversion partielle en estrone du 17?-estradiol [29] ;
- la réduction de médicaments acides ;
- l’absence d’absorption par les boues des substances les plus hydrophiles que l’on retrouve donc plus facilement à la sortie des stations (cas de la carbamazépine) ;
- la concentration de substances lipophiles par adsorption dans les boues qui peut poser un problème sanitaire si ces boues sont épandues à des fins agricoles ;
- la photodégradation dans les procédés de lagunage ;
- d’autres facteurs ne sont pas liés au procédé de traitement de l’eau comme c’est le cas du régime des pluies : Ternes [92] a observé près de Francfort-sur-le-Main qu’au cours d’une période de temps très pluvieux, l’augmentation du flux d’eau à traiter a fait chuter considérablement l’efficacité du traitement qui est passée de 60 % en moyenne en période normale à moins de 5 % !
Les eaux de surface
26Les résidus de médicaments non retenus dans les STEP sont rejetés dans les eaux de surface, mais d’autres résidus peuvent aussi s’y jeter directement. Leurs concentrations sont abaissées progressivement par dilution ou par photodégradation, mais celle-ci est très variable d’une substance à l’autre : la demi-vie de la carbamazépine par photodégradation en hiver est de 100 jours alors qu’elle est de 5 jours seulement en été [8]. S’il y a peu de données sur les anticancéreux hormis la présence d’ifosfamide dans les eaux de surface allemandes, certains antibiotiques sont fréquemment rencontrés comme les macrolides [10], les fluoroquinones et les tétracyclines [66], les sulfonamides [20]. Sur le territoire américain, les antibiotiques sont présents dans 50 % des eaux de 139 sites [66]. Une étude de Togola et Budzinski [99] dans divers estuaires français, a montré que, si la Gironde et la Loire étaient relativement peu touchées par les résidus de médicaments hormis un pic de 228 ng/L de carbamazépine dans cette dernière, il n’en est pas de même pour l’Adour et surtout la Seine où les concentrations en carbamazépine restent stables autour de 100 ng/L sur des distances de l’ordre de 150 km en amont des estuaires. Ils ont aussi mis en évidence une contamination des eaux de l’Hérault par la caféine, la carbamazépine, le diclofénac, le gemfibrozil, l’ibuprofène, le kétoprofène, le naproxène, le nordiazépam et le paracétamol [100].
Les eaux marines
27L’existence d’un site d’enfouissement de déchets en eaux profondes qui recevait entre 1972 et 1983 de 30 à 280 millions de litres de déchets pharmaceutiques par an, est pour le moins scandaleux ! Ce site avait été établi en « offshore » aux USA à 74 km au Nord d’Arecibo (Porto Rico) et couvrait environ 500 km2 sans qu’on puisse en connaître les conséquences environnementales !
28Des contaminations de la calanque de Cortiou, près de Marseille, ont été mises en évidence pour plus d’une dizaine de composés à des concentrations de 3 à 8 000 ng/L [23]. La mer du Nord contiendrait de 1 à 2 ng/L d’acide clofibrique ce qui représente des tonnages importants de 48 à 96 tonnes [24, 25].
Les eaux souterraines
29Elles n’englobent pas que les nappes phréatiques mais tout un ensemble hétérogène dont la vulnérabilité est très variable selon la profondeur, la nature des terrains et la protection géologique. C’est en Allemagne que les études ont été les plus nombreuses [48, 56, 84] montrant que presque toutes les classes de médicaments s’y retrouvent à des concentrations variables : diclofénac (nd-380 ng/L), gemfibrozil (nd-340 ng/L), ibuprofène (nd-200ng/L), kétoprofène (nd-30 ng/L), primidone (nd-690 ng/L), phénazone (nd-1250 ng/l), propylphénazone (nd-1465 ng/L), N-méthylphénacétine (nd-470 ng/L), acide salicylique (nd-1225 ng/L), fénofibrate (nd-45 ng/L), acide gentisique (nd-540 ng/L), acide clofibrique (nd-7300 ng/L), mais aussi des barbituriques, des antibiotiques, du diazépam, la carbamazépine, des agents de contraste (jusqu’à 2,4 µg/L)…
Les eaux destinées à la consommation humaine
30Dans la majorité des cas, les eaux analysées ne contenaient pas de résidus de médicaments mais plusieurs auteurs ont retrouvé des molécules médicamenteuses dans les eaux de boisson : des anticancéreux comme la bleomycine et le methotrexate [6, 93], la carbamazépine, le gemfibrozil [34], le diazépam [109]. Une revue de Jones et al. [61] des contaminations des eaux de boisson dans le monde a donné les concentrations suivantes : bezafibrate (27 ng/L en Allemagne), bleomycine (13 ng/L UK), acide clofibrique (270 Allemagne), carbamazépine (258 ng/L USA), Diazépam (23,5 ng/L Italie), diclofénac (6 ng/L Allemagne), gemfibrozil (70 ng/L Canada), phénazone (400,ng/L Allemagne), propylphénazone (120 ng/L Allemagne), tylosine (1,7 ng/L Italie). En France, une étude de Togola et Budzinski [100] a montré la présence d’amitriptyline, carbamazépine, diclofénac, ibuprofène, kétoprofène, naproxène, paracétamol et caféine en relation avec les teneurs dans les stations d’épuration. Ces résultats montrent les limites de l’efficacité des méthodes de traitement des eaux usées et de potabilisation de l’eau.
Les sédiments
31Il y a relativement peu d’études, mais elles sont intéressantes par les concentrations observées dans ces sédiments. Les antibiotiques comme la tylosine, l’érythromycine, la spiramycine peuvent y être concentrés de 0,4 jusqu’à 2,9 µg/kg [109]. Des valeurs de 0,1 à 4 mg/kg sont décrites autour de fermes piscicoles pour l’oxytétracycline [57]. Il en est de même dans les sédiments marins pour de nombreux antibiotiques [52]. On y trouve aussi notamment des œstrogènes [100]. Les connaissances sur le devenir de ces molécules médicamenteuses sont très limitées or ce compartiment de l’environnement aquatique comporte des micro-organismes capables de les métaboliser. Les antibiotiques présents peuvent alors altérer la composition de la microflore et y sélectionner des bactéries antibiorésistantes [28].
Les aliments
32Une contamination des aliments n’est pas à exclure. Bien qu’il n’existe pratiquement pas d’études sur les transferts de médicaments dans les végétaux ou les sources de protéines, leur présence est envisageable du fait de plusieurs facteurs :
- les antibiotiques et hormones utilisés à des fins de production sont probablement présents dans la chair des animaux destinés à la consommation ou dans le lait et produits dérivés, mais les médicaments à usage vétérinaire sont aussi concernés ;
- les sols contaminés par les excréments des animaux d’élevage sont parfois utilisés pour des productions végétales ;
- les sols peuvent être contaminés par les médicaments ou leurs métabolites encore présents dans les boues des stations d’épuration qui sont épandues dans les champs.
Les médicaments : une des nombreuses classes de contaminants de l’environnement
33Si les molécules médicamenteuses sont nombreuses dans l’environnement, elles ne sont pas seules ! Elles rejoignent d’autres polluants organiques persistants, des hydrocarbures, des solvants, des plastifiants, des muscs, des insecticides, des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des répulsifs, des désinfectants, des retardateurs de flammes, des métaux lourds… [71]. Tous ces composés peuvent agir sur les mêmes cibles que les médicaments comme c’est le cas par exemple pour les hormones et toutes les substances perturbatrices endocriniennes.
L’évaluation des risques liés à la présence de résidus de médicaments dans l’environnement
34Elle s’adresse aussi bien aux composantes de l’environnement qu’à l’homme. Elle est très complexe du fait de la grande variété de médicaments et dérivés retrouvés ensemble, de la biodiversité environnementale avec des écosystèmes interactifs, difficiles à reproduire en laboratoire, et des limites de l’évaluation des effets des mélanges de substances chimiques à faibles doses.
Les risques pour l’environnement
35Les données disponibles pour l’évaluation des dangers dans les dossiers d’AMM concernent les principes actifs et ne concernent que des doses actives pour l’homme ou l’animal et des doses ou des effets toxiques à court ou moyen terme. En fait, on se préoccupe peu des cibles animales environnementales par rapport aux cibles à valeur économique. Quant aux modèles éco-systémiques utilisés concernant les impacts environnementaux, il s’agit de bactéries, d’algues, de crustacés ou de poissons pour les chaînes alimentaires aquatiques et du lombric pour les sols, parfois de végétaux, mais tous ces modèles apportent des données sur la toxicité aiguë ou subaiguë pour des substances isolées ou des mélanges simples. Il y a donc des limites importantes pour l’évaluation des risques à long terme pour des substances en mélange.
36Les données relatives à l’exposition sont plus nombreuses puisque des concentrations dans les eaux sont disponibles mais celles concernant les sols, les boues…sont presque inexistantes. Il faut aussi évaluer les concentrations dans les organismes, notamment les plantes et les animaux d’intérêt alimentaire pour l’homme, ce qui fait grandement défaut actuellement.
37Deux cas particuliers ressortent des données de la littérature. Le premier concerne le risque de transfert d’antibiorésistance qui pourrait être abordé dans un volet « éco-bactériologique » abordable dans le volet environnement du dossier d’AMM des antibiotiques. Le second est le comportement des écosystèmes des procédés de traitement des eaux face aux médicaments et à leur transformation en fonction des techniques utilisées : lits bactériens, boues activées, lagunage,…
Nous n’entrerons pas dans les détails pour l’évaluation des risques en fonction des classes thérapeutiques et nous ne donnerons que quelques aspects relatifs aux anti-cancéreux, aux antibiotiques et aux hormones :
- les anticancéreux, essentiellement d’origine hospitalière (même si les traitements ambulatoires augmentent), peuvent être considérés par principe comme générateurs de risques pour les animaux mais aussi pour l’homme car ils font partie des médicaments cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Ils peuvent agir sur de très nombreuses cibles. Une étude a d’ailleurs montré que des échantillons d’eaux usées d’origine hospitalière présentaient un potentiel génotoxique élevé mais sans effet cytotoxique [37] ;
- les résidus d’antibiotiques rejetés dans l’environnement sans être transformés peuvent rester biologiquement actifs et présenter des risques pour l’environnement, d’autant plus qu’ils peuvent se concentrer dans les chaînes alimentaires, comme c’est le cas de l’érythromycine qui a un facteur de bioconcentration de 45,31 [60]. Ils peuvent influencer les biomasses bactériennes de l’environnement que ce soit dans les eaux, les sols, les stations de traitement des eaux, ou les réseaux de distribution d’eau potable [70]. Quant à la sélection de bactéries antibiorésistantes, elle a été mise en évidence autour d’établissements d’élevage, de fermes, de cliniques [104]. Ce phénomène concerne toutes les eaux y compris les eaux embouteillées [72]. Des échanges de gènes de résistance peuvent se produire entre les bactéries de l’environnement des fermes piscicoles et les bactéries de l’environnement terrestre, y compris des bactéries pathogènes pour les animaux et pour l’homme [89], les exemples étant assez nombreux [28]. Des phénomènes d’hépatotoxicité et de génotoxicité se sont exercés sur diverses espèces : poissons, micro-algues, crustacés, la cible variant avec l’antibiotique [53]. Sur les écosystèmes terrestres, les antibiotiques peuvent aussi affecter la qualité des sols en perturbant la communauté bactérienne ou en créant des résistances parmi les bactéries environnementales en apportant des bactéries résistantes transmises par les fumiers et les purins, c’est-à-dire créées dans le tube digestif des animaux [64] ;
- les hormones et composés apparentés sont probablement les médicaments qui ont été les premiers à être détectés dans les effluents des STEP [91]. L’activité œstrogénique a été détectée dans de nombreuses eaux, des eaux résiduelles jusqu’aux eaux de boisson, avec des variétés d’intensité de 1 à 6 [9]. De plus, l’estrone a un pouvoir de bioaccumulation de 228 chez Daphnia magna par l’intermédiaire de Chlorella vulgaris, ce qui est important dans le cadre des chaînes alimentaires [40]. Un des effets les plus souvent rencontrés est la présence de poissons hermaphrodites à proximité de sources d’eaux usées. Ils peuvent avoir des conduits reproductifs féminins et/ou un développement d’oocytes dans leurs testicules [76] et présenter des concentrations élevées d’hormones sexuelles stéroïdiennes ainsi que des concentrations sanguines élevées de vitellogénine, une protéine normalement produite par les poissons femelles [59]. Ce phénomène a été observé chez les truites arc-en-ciel, les carpes, les gardons… ainsi que dans les espèces marines. Ceci n’est pas surprenant quand on sait que des concentrations aussi faibles que 1 à 10 ng/L de 17?-estradiol et 0,1 ng/L de 17?-éthinylestradiol suffisent pour féminiser les poissons mâles [108]. L’éthinylœstradiol, composant des contraceptifs oraux ou par patch, s’est avéré être un puissant féminisant et un réducteur de la fertilisation des œufs pour un grand nombre d’espèces de poissons dans les rivières anglaises en aval des STEP [58]. Ce qui rend le problème plus inquiétant est que de nombreuses autres substances peuvent agir ensemble sur ces mêmes cibles : phythormones naturelles, PCB, phtalates, pesticides organo-halogénés, bisphénol A [33]. Ceci rend la gestion des risques encore plus difficile car si, isolément, ils sont parfois sans effet, lorsqu’ils sont en mélange, des effets synergiques peuvent apparaître.
Les risques pour l’homme
38Les données issues des dossiers d’AMM correspondent aux doses efficaces et toxiques et sont destinées à évaluer des effets à court ou moyen terme avec des doses thérapeutiques. Les relations doses-effets concernent surtout l’efficacité thérapeutique. Si bien que les données sur les risques de faibles doses à long terme sont inexistantes.
39Les expositions humaines ont fait l’objet de données relativement importantes en ce qui concerne l’absorption des eaux destinées à l’alimentation humaine. Par contre, les données relatives à l’exposition par les aliments végétaux et animaux ne sont pas disponibles. Or, il faudrait une évaluation des contaminations par les résidus de médicaments dans le « panier de la ménagère » par une surveillance spécifique des aliments. Parmi les sources directes d’absorption, il y a peu de cas identifiés de contamination de l’eau du robinet, mais il ne faut pas oublier que dans beaucoup de régions du monde, les eaux ne sont pas ou mal traitées. En l’état actuel des connaissances, il semble que même en absorbant 2 litres d’eau du robinet par jour pendant toute la vie, la dose cumulée, suite à une contamination, ne dépasse pas une prise unique thérapeutique, à l’exception de 5 substances qui dépassent 1 : le clenbutérol (25,5), le cyclophosphamide, le salbutamol, le 17?-Ethinylestradiol (2,5 chacun) et la terbutaline (2,1) alors que pour la plupart des médicaments retrouvés dans les eaux, ce rapport est compris entre 10–4 et 10–9 [63]. Mais nous ignorons les apports liés à d’éventuels transferts alimentaires.
40Pour les médicaments anticancéreux, une évaluation des effets cancérogènes et non cancérogènes a été faite par Schulman et al. [87] pour 4 composés dont la cyclophosphamide sur la base de la méthodologie de l’USEPA, en estimant les expositions humaines par les eaux mais aussi par les poissons. Ils concluent à une absence de risque pour chacun des produits mais regrettent le faible nombre de données et les limites de la méthode qui ne tient pas compte des interactions.
41Pour les antibiotiques, on peut observer une nocivité directe, notamment un risque d’antibiorésistance chez les personnels qui travaillent dans les élevages comme le montrent de nombreuses enquêtes [78, 79, 102]. Mais un des risques pour l’homme est l’ingestion de résidus d’antibiotiques par les poissons et coquillages commercialisés avec le risque de perturber la flore intestinale normale. Cette ingestion concerne aussi les viandes et peut aussi générer des problèmes d’allergie et de toxicité qui sont difficiles à diagnostiquer [27, 41-43]. Un des problèmes posés est celui de la sécurité alimentaire car il peut se produire une colonisation du tube digestif humain par des bactéries antibiorésistantes à certains antibiotiques. Le danger principal est bien la sélection de bactéries résistantes susceptibles de se transmettre à l’homme par l’alimentation ou du transfert de gènes de résistance [74] comme en témoignent les décès observés au Danemark avec une souche de S. typhimurium DT104 provenant d’une viande de porc contaminé ou l’épidémie d’infections à Campylobacter résistants aux quinolones aux États-Unis [88]. Cette nocivité indirecte a déjà eu pour conséquence une restriction drastique de l’utilisation des antibiotiques en aquaculture dans de nombreux pays [89].
42Il est souhaitable que des contrôles de la qualité des aliments permettent une diminution des expositions humaines à ces antibiotiques.
43Les hormones ont montré leur potentiel dangereux, marqué par l’apparition d’hermaphrodisme vis-à-vis des poissons. Les œstrogènes peuvent aussi affecter le développement des organes féminins et la lactation et jouer un rôle dans l’apparition de la fibrose utérine et de l’endométriose [73]. Christensen [32] a calculé au Danemark les quantités de 17?-estradiol et de ses métabolites excrétés dans l’environnement par les femmes aux diverses périodes de leur vie et par les animaux femelles, ainsi que celles liées aux d’utilisation des formes pharmaceutiques : la part de ces sources ne faisant que 5 % environ des émissions naturelles, il a décidé de les négliger pour l’évaluation des risques. Par contre, il a conservé la part du 17?-éthinylestradiol utilisé dans les contraceptifs oraux pour lequel le métabolisme conduit à des dérivés hydrosolubles, en tenant compte du fait que ces conjugués peuvent être hydrolysés dans les STEP. Il a aussi tenu compte d’une accumulation chez les poissons qui représente entre 80 et 93 % de l’exposition selon les scénarios, l’eau 5-6 %, les légumes racines 12 %, les légumes feuilles 3 %. Sur ces bases, l’estimation de la dose journalière d’exposition humaine varie de 1,37 à 6,32 10–7 mg/kg de poids corporel/jour, soit 44 ng par jour pour une personne de 70 kg. La différence entre l’hormone naturelle (E2) et synthétique (EE2) est que cette dernière est plus biodisponible par voie orale. La production d’E2 chez le garçon prépubère est de 6 µg par jour et chez l’adulte de 45-48 µg/jour. L’estimation la plus pessimiste d’ingestion journalière d’EE2 de 0,085 µg/j est très en deçà de ces valeurs endogènes et l’auteur conclut à l’improbabilité que l’EE2 contribue à un effet néfaste chez l’homme. Mais il ne faut pas oublier que les substances perturbatrices endocriniennes sont très nombreuses et qu’il existe également des effets synergiques qui ne sont pas pris en compte dans cette évaluation.
En ce qui concerne les autres médicaments, il n’y a pratiquement aucune donnée permettant une évaluation des risques.
Les difficultés de l’évaluation des risques pour l’homme et l’environnement
44L’identification des dangers ou la connaissance de la nocivité intrinsèque est tout à fait incomplète car les données dont nous disposons concernent des doses thérapeutiques et peu ou pas de données aux doses environnementales.
45L’évaluation des dangers souffre des mêmes travers puisque les éléments de connaissance des relations doses – réponses manquent pour les concentrations environnementales et les effets étudiés sont limités à la toxicité aiguë et subaiguë alors que les risques environnementaux concernent le long terme.
46La connaissance des expositions est mieux argumentée surtout en ce qui concerne les milieux aqueux mais nous manquons de données relatives aux milieux plus complexes et plus difficiles à analyser comme les sols, les boues, les végétaux et les animaux de consommation.
47Quant à l’évaluation quantitative des risques qui se fait par comparaison avec des Valeurs Toxicologiques de Référence (VTR), elle est impossible car ces valeurs n’existent pas pour les substances médicamenteuses.
48Autrement dit, tout, ou presque, est à faire dans ce domaine de l’évaluation des risques !
La gestion des risques
49Une réglementation est déjà en place en France et dans l’Union Européenne relative aux autorisations de mise sur le marché des médicaments à usage humain et vétérinaire pour la préservation de l’environnement, mais relatives aussi à la prévention des risques biotechnologiques, aux activités de production, aux effluents et leurs impacts sur les milieux naturels et aux déchets. De plus amples informations sont disponibles dans le rapport de l’Académie nationale de Pharmacie [1].
50La gestion des déchets médicamenteux des ménages est une autre approche indispensable pour limiter à la source les rejets de médicaments non utilisés (MNU) dans l’environnement : le système CYCLAMED mis en place en France s’inscrit dans cette perspective. En ramenant les MNU dans les pharmacies, le citoyen a l’assurance qu’ils seront détruits impérativement par incinération. Le taux de récupération en 2009 a atteint 13 % ce qui indique les importants progrès d’information de la population qui restent à faire !
51Les STEP sont conçues pour retirer des eaux des masses de contaminants naturels ou anthropiques caractérisés par des paramètres analytiques globaux comme l’azote total, le phosphore total, la DBO, la DCO, les matières en suspension (MES) mais pas pour éliminer des composants spécifiques comme les médicaments, pas plus que les pesticides, hydrocarbures, etc. L’objectif est de protéger les ressources superficielles pour limiter la consommation d’oxygène par des composés artificiels, limiter aussi les apports nutritifs pour les bactéries, algues ou cyanobactéries. La liste des substances indésirables est tellement grande que ces stations ne peuvent en tenir compte individuellement. Ces limites expliquent pourquoi il est indispensable de limiter les rejets en amont.
52Le contrôle des eaux destinées à la consommation humaine est une réalité en France. Les eaux doivent répondre aux normes européennes de qualité mais aucun médicament ne figure dans la liste des paramètres à analyser. Le traitement par les différentes méthodes de potabilisation de l’eau en vigueur permet de poursuivre la biodégradation des molécules, mais ces procédés s’avèrent encore insuffisants au vu des données analytiques dans les eaux de robinet.
53Une surveillance spécifique de certaines molécules pourrait être mise en place dans les effluents des établissements de soins, des industries chimiques et pharmaceutiques ou encore des élevages animaux ou piscicoles.
54Parmi les autres éléments d’une gestion des risques, il importe de mettre en place une évaluation globale de l’écotoxicité à l’aide de tests d’évaluation de la nocivité : les études de mortalité sur poissons, algues et daphnies ont montré leurs limites. D’autres sont disponibles mais également avec des limites : écotoxicité sur les organismes d’eau douce, impact sur le développement des invertébrés, modèles cellulaires ichthyens, phytotoxicité, essais multigénérationnels, activité œstrogénique, tests in vitro ou sur animal entier.
55Les mesures de prévention dans les industries chimiques et pharmaceutiques pourraient être prises assez facilement dans la mesure où la nature des rejets est déjà connue et que les méthodes d’analyse sont disponibles dans leurs laboratoires. Certaines firmes ont même mis au point les méthodes pour l’analyse des rejets environnementaux [101]. Mais il faudrait encore qu’une réglementation impose cette surveillance systématique.
56Il en est de même pour les établissements de soins pour lesquels aucune réglementation spécifique n’impose la surveillance des rejets médicamenteux. L’IARC a par ailleurs évalué trois méthodes de traitement des effluents hospitaliers générés par les centres anticancéreux pour le cyclophosphamide, l’ifosfamide et le melphalan. L’utilisation d’hypochlorite à 5,25 % s’est avérée plus efficace que les traitements par l’eau oxygénée ou le réactif de Fenton [46].
Dans les élevages industriels, l’une des premières mesures prises dans certains pays est d’interdire l’utilisation d’antibiotiques actifs en thérapeutique humaine. Mais il faudrait aussi que d’autres mesures limitatives soient prises entre les vétérinaires et les éleveurs de bétail.
Conclusion
57Il est indéniable que les résidus de médicaments sont présents dans notre environnement, certes à des concentrations a priori relativement faibles. Si des effets sont apparus dans certains compartiments de cet environnement, montrant qu’il s’agit bien d’une pollution, nous n’avons pas encore toutes les clés pour faire une évaluation des risques digne de ce nom. Des programmes de recherche doivent être mis en place pour améliorer nos connaissances. Mais dès à présent, l’Académie nationale de Pharmacie a voulu rappeler que, si les médicaments apportent une contribution majeure à l’amélioration de la santé des populations humaines et à l’accroissement de l’espérance de vie ainsi qu’à la qualité des soins, elle était inquiète des conséquences environnementales de leur utilisation humaine et animale.
C’est la raison pour laquelle, face au constat de la contamination des milieux, elle a fait des recommandations qui feront l’objet de notre conclusion :
Recommandations
58Pour toutes les raisons précédemment décrites, l’Académie nationale de Pharmacie formule les recommandations suivantes selon trois axes :
Limiter et contrôler les rejets
591 - Optimiser la fabrication par l’industrie chimique de substances actives à usage médicamenteux, la fabrication des médicaments eux-mêmes par l’industrie pharmaceutique, ainsi que la collecte et la destruction des médicaments non utilisés, en vue de limiter au maximum les rejets dans l’environnement de substances biologiquement actives et, plus particulièrement :
601.1. pour l’industrie de chimie pharmaceutique, utiliser les technologies les plus respectueuses de l’environnement dans ses unités de Recherche et de Production ;
611.2. sur les sites de production chimique et pharmaceutique, poursuivre et amplifier les efforts de certification ;
621.3. mettre en place des stratégies de prévention (usages, décontamination, etc.) pour minimiser les rejets de substances médicamenteuses et de leurs métabolites, en particulier dans les établissements de soins et dans les élevages, mais aussi dans le cadre familial ;
631.4. anticiper les conséquences environnementales éventuelles des nouvelles technologies comme celles utilisant les nanoparticules au service des médicaments.
642 - Renforcer la surveillance environnementale des rejets des industries chimique et pharmaceutique, des établissements de soins, des élevages industriels et piscicoles, de toutes les activités pouvant être à l’origine de rejets de substances médicamenteuses ou de leurs résidus et améliorer les traitements de ces rejets ponctuels.
653 - Développer des programmes d’optimisation de l’efficacité des stations d’épuration des eaux résiduaires et de traitement des eaux potables afin qu’elles soient mieux adaptées au problème des résidus de substances médicamenteuses.
Évaluer les risques liés aux rejets
664 - Renforcer la prise en compte, dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché, des impacts environnementaux aigus et chroniques des médicaments.
675 - Développer des programmes de recherche fondamentale et finalisée sur les risques pour l’homme et pour l’environnement liés aux résidus des substances médicamenteuses présentes dans les eaux et dans les sols et dans les denrées végétales et animales.
6 - Prendre en compte les effets liés à la multiplicité des substances présentes dans les rejets en développant des tests globaux de toxicité, en particulier pour les substances cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.
Développer des actions de formation et d’éducation
687 - Sensibiliser tous les étudiants qui se destinent à la chimie pharmaceutique et aux professions de santé par une formation concernant le problème des résidus de substances médicamenteuses dans l’environnement.
698 - À titre de rappel, éviter par principe, toute surconsommation de substances médicamenteuses à usage humain ou vétérinaire, qui ne peut qu’aggraver la contamination environnementale.
709 - Développer le rôle des pharmaciens d’officine dans la sensibilisation et l’éducation thérapeutique et environnementale du public.
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Mots-clés éditeurs : gestion des risques, environnement, santé publique, résidus de médicaments, contamination
Date de mise en ligne : 04/08/2010
https://doi.org/10.3917/spub.103.0325