Notes
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INSERM, U1018, CESP Centre de recherche en Épidémiologie et Santé des Populations, Équipe Épidémiologie des déterminants professionnels et sociaux de la santé, Villejuif, France.
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[2]
Univ. Paris-Sud, UMRS 1018, Villejuif, France.
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[3]
Université de Versailles St-Quentin, UMRS 1018, Villejuif, France.
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[4]
APST Centre, 15, avenue de Vendôme 41000 Blois, France.
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DST, InVS-UMRESTTE, Lyon, France.
Introduction
1Des inégalités sociales de santé sont communément observées dans de nombreux pays, les catégories sociales les plus désavantagées étant généralement les plus à risque en termes de santé. Ces inégalités ont été mises en évidence pour de nombreuses pathologies chroniques, pour divers indicateurs de morbidité et mortalité [1-4] ainsi que pour différents types de marqueurs de position sociale (niveau d’études, catégorie socio-professionnelle ou niveau de revenus). Concernant les troubles de la santé mentale, on observe ce même constat [5]; les catégories les plus basses dans la hiérarchie sociale présentent les prévalences les plus élevées de troubles de la santé mentale. Marmot [6] souligne que la santé mentale est étroitement liée aux différentes formes d’inégalités ; les gradients sociaux les plus forts se retrouvant pour les maladies mentales les plus sévères. Toutefois, ces différences sociales ne sont pas toujours observées et les résultats peuvent varier selon le trouble de santé mentale et les indicateurs de position sociale étudiés.
2En France, plusieurs études en population générale permettent de connaître les prévalences de troubles de la santé mentale. Peu d’entre elles ont cependant étudié ces troubles sous l’angle des inégalités sociales. Toutefois, selon l’enquête « Santé mentale en population générale : images et réalités »[[7], les prévalences d’épisodes dépressifs varient entre 5-9,5% selon les catégories socio-professionnelles et le sexe ; et entre 9-17% pour les troubles d’anxiété généralisée. Globalement, les femmes et les personnes appartenant aux catégories sociales les plus défavorisées sont les plus concernées par ces troubles. Une autre étude en population française [8] confirme ces constats : les employés chez les hommes et les ouvriers chez les femmes semblent les plus à risque de dépressivité. Néanmoins, selon le type d’outils utilisés pour mesurer les troubles de la santé mentale (entretien diagnostique basé sur la logique des classifications standardisées [9, 10] ou auto-évaluation de symptômes via par exemple l’échelle du GHQ28), et selon la pathologie explorée (troubles anxieux, troubles dépressifs ou les deux simultanément) les résultats peuvent varier [11, 12]. Malgré la difficulté de comparer ces résultats et devant l’hétérogénéité de certains constats sur les inégalités sociales observées, Lorant et al. [12] montrent que globalement les personnes ayant un statut socio-économique bas sont les plus à risque de dépression. Muntaner [13] confirme ce constat et l’étend aux troubles anxieux. D’autres études utilisant un outil diagnostique en population générale [5, 14] montrent également des gradients sociaux marqués, quel que soit le marqueur de statut socio-économique étudié, toujours au détriment des catégories sociales les plus défavorisées. L’étude de Stansfeld et al. [15] basée sur le GHQ28, confirme ce constat pour les symptômes dépressifs mais observe un gradient social inverse pour les symptômes anxieux chez les femmes où les scores d’anxiété sont plus élevés pour les catégories sociales les plus élevées.
3Cette étude a pour objectif de décrire les inégalités sociales de santé mentale à travers l’exploration des associations entre la position sociale et différents indicateurs de santé mentale en population salariée (multisecteurs). Elle présente l’originalité de s’intéresser à différents types de troubles de la santé mentale et différents marqueurs de la position sociale. Elle vise également à explorer l’association entre position sociale et troubles de la santé mentale avant et après ajustement sur des facteurs de risque dits classiques.
Méthodes
4Face à l’inexistence d’une activité de veille en matière de surveillance épidémiologique de santé mentale au travail en France, il a été proposé une expérience pilote consistant en la mise en place d’un observatoire épidémiologique de la santé mentale et du travail, à travers le programme Samotrace. Le principal objectif était d’évaluer la fréquence des atteintes de la santé mentale en rapport avec les activités professionnelles et d’identifier les facteurs professionnels susceptibles d’être des facteurs de risque pour la santé mentale.
5Le programme Samotrace développé en zone Centre repose principalement sur une enquête transversale pilotée par le Département Santé-Travail de l’InVS (Institut national de Veille Sanitaire), menée en partenariat avec la faculté de Médecine de Tours et en collaboration avec un réseau de 110 médecins du travail volontaires des régions Centre, Pays-de-Loire et Poitou-Charentes. Lors de l’inscription au dispositif, les médecins participants ont fourni un descriptif de la population qu’ils surveillaient, l’objectif étant de s’assurer de la représentativité de leur population par rapport à la population de la région en termes de sexe, âge, catégorie professionnelle et secteur d’activité.
6Le questionnaire était composé d’une partie auto-administrée et d’une partie administrée par le médecin du travail ou l’équipe médicale. L’échantillon comporte 6 056 salariés dont 3 463 hommes et 2 593 femmes résidant dans les régions concernées et faisant l’objet d’une surveillance médicale périodique de médecine du travail. Le protocole prévoyait l’inclusion d’un salarié par semaine sur 40 semaines de travail annuel pour un médecin équivalent temps plein sur deux ans. L’anonymisation des données était garantie par l’utilisation d’un numéro d’anonymat unique. Ce projet a reçu l’accord de la CNIL. Le recueil de données a été effectué de janvier 2006 à mars 2008.
7Les variables retenues ici sont les suivantes : le sexe, l’âge, la catégorie socio-professionnelle (cadres et professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires, employés et ouvriers) ainsi que le niveau d’études (niveau primaire ou moins, niveau secondaire sans baccalauréat, niveau baccalauréat et niveau supérieur). La profession et le niveau d’études sont considérés comme de bons marqueurs de la position sociale dans la littérature. En effet, le niveau d’études permet un suivi précoce du parcours de vie et est un bon déterminant du futur emploi ou du niveau de revenu. La profession est un indicateur très utilisé notamment dans les études en population au travail où il est le marqueur le mieux adapté et le plus proche de la situation de travail [16]. Les variables mesurant la santé mentale comportaient l’échelle du General Health Questionnaire en 28 questions [17] permettant de mesurer la présence de souffrance psychique à l’aide du score global (28 questions) et de ses 4 sous-dimensions (symptômes anxieux, dépressifs, somatiques et dysfonctionnement social). Si le score global était supérieur strictement à 4 (seuil classiquement retenu), le salarié était alors considéré comme présentant une souffrance psychique. Pour les 4 sous-dimensions, au seuil strictement supérieur à 1, le salarié était alors considéré comme présentant les symptômes. D’autres variables ont été également utilisées : la consommation de médicaments psychotropes évaluée par deux questions, une question posée par le médecin du travail sur la prise actuelle d’un traitement psychotrope (oui/non), et une question regroupant deux items d’auto-évaluation : un sur la fréquence de prise de médicaments pour dormir et un sur la fréquence de prise de médicaments contre l’angoisse ou la nervosité, « assez souvent » ou « quotidiennement ». Un problème d’alcool (consommation excessive ou dépendance) a été mesuré grâce au questionnaire DETA (Diminuer, Entourage, Trop et Alcool), composé de 4 questions [18]. Le statut tabagique actuel a été mesuré à l’aide d’une question « Êtes-vous actuellement fumeur ? » (oui/non). Des facteurs de risque classiques de la santé mentale ont été retenus pour l’analyse : la situation familiale, le soutien social (score global allant de 0 à 3 portant sur quatre questions relatives à l’entourage personnel, le soutien des proches pour prendre une décision difficile ou d’aide pour les tâches quotidiennes), les événements de vie marquants avant 18 ans et au cours des douze derniers mois (salariés ayant connu au moins un événement de vie grave tels que divorce des parents, situation financière difficile, décès d’un proche…) ainsi que les antécédents familiaux de dépression.
8Dans un premier temps, les associations entre position sociale et indicateurs de santé mentale ont été étudiées sur un mode bivarié à l’aide du test du Chi-Deux. Les associations entre les facteurs de risque classiques et les troubles de la santé mentale ont également été testées par le test du Chi-Deux. Afin d’évaluer l’association entre position sociale et troubles de la santé mentale, indépendamment des facteurs de risque classiques des troubles de la santé mentale, des régressions logistiques ajustées sur l’âge et sur ces facteurs ont été menées, les marqueurs de santé mentale étant les variables dépendantes. Les cadres et les plus diplômés ont été utilisés comme groupes de référence. Des modèles séparés ont été effectués pour les deux marqueurs de la position sociale. Des analyses spécifiques ont été menées pour chacun des indicateurs de santé mentale. Des différences étant communément observées pour la position sociale et pour les troubles de la santé mentale entre genres, les analyses sont présentées stratifiées selon le genre.
Résultats
9Le tableau I décrit la population étudiée et compare les différents marqueurs de position sociale, de santé mentale et les facteurs de risque classiques de la santé mentale selon le sexe. Chez les hommes, les catégories socio-professionnelles les plus représentées sont les ouvriers puis les professions intermédiaires ; chez les femmes, ce sont les employées puis les professions intermédiaires. Concernant le diplôme, les femmes sont globalement plus diplômées que les hommes. De fortes différences significatives selon le sexe sont observées pour l’ensemble des marqueurs de santé mentale, les femmes présentent les prévalences de troubles les plus élevées, sauf pour la consommation excessive d’alcool et le statut tabagique qui sont significativement plus élevés pour les hommes. Concernant les facteurs de risque classiques de la santé mentale, des différences entre hommes et femmes sont également observées, en défaveur des femmes.
Description des variables de position sociale, des marqueurs de santé mentale et des facteurs de risque classiques de la santé mentale selon le sexe
Description des variables de position sociale, des marqueurs de santé mentale et des facteurs de risque classiques de la santé mentale selon le sexe
10Le tableau II présente les associations bi-variées entre les deux marqueurs de position sociale et les indicateurs de santé mentale. Pour la profession, on observe chez les hommes un net gradient social inverse pour deux types de symptômes : en effet, les cadres ont les prévalences de symptômes anxieux et de dysfonctionnement social les plus élevées. Une relation significative non-linéaire est observée pour les symptômes somatiques, néanmoins, les ouvriers sont les moins à risque. De forts gradients sociaux sont observés pour le statut tabagique pour les deux sexes ; les catégories professionnelles les plus défavorisées ayant les prévalences les plus élevées. Pour le diplôme, des gradients sociaux inverses sont également constatés pour certaines sous-dimensions du GHQ28, notamment pour les symptômes anxieux chez les hommes. Malgré une relation significative non-linéaire pour les symptômes somatiques, on observe toutefois une tendance similaire pour les deux sexes, les plus diplômés étant les plus à risque. Pour la souffrance psychique et le dysfonctionnement social chez les hommes, l’association avec le diplôme est significative mais non-linéaire. Contrairement à la profession, de forts gradients sociaux sont observés pour les symptômes dépressifs ainsi que pour les deux questions relatives à la prise de psychotropes, les salariés ayant le niveau d’étude le plus bas ont les prévalences les plus élevées pour les deux sexes. Concernant le statut tabagique, le gradient social marqué déjà observé pour la profession est également mis en évidence pour le diplôme.
Associations entre position sociale et marqueurs de santé mentale
Associations entre position sociale et marqueurs de santé mentale
11Le tableau III présente les associations entre les facteurs de risques classiques et les marqueurs de santé mentale. Hormis quelques exceptions qui concernent principalement la situation de famille pour les femmes, tous les facteurs sont significativement associés à l’ensemble des marqueurs de santé mentale. En effet, être séparé(e)/divorcé(e)/veuf(ve), et avoir un soutien social faible, au moins un événement marquant avant 18 ans ou ces douze derniers mois et des antécédents familiaux de dépression augmente la prévalence des troubles de la santé mentale, pour les deux sexes. L’association significative entre soutien social et tabagisme n’est toutefois pas linéaire pour les hommes.
Associations entre les facteurs de risque classiques et les marqueurs de santé mentale chez les hommes
Associations entre les facteurs de risque classiques et les marqueurs de santé mentale chez les hommes
(suite) : Associations entre les facteurs de risque classiques et les marqueurs de santé mentale chez les femmes
(suite) : Associations entre les facteurs de risque classiques et les marqueurs de santé mentale chez les femmes
12Le tableau IV présente les associations entre la position sociale et les marqueurs de santé mentale après ajustement sur l’âge et les facteurs de risque classiques de la santé mentale. Les forts gradients sociaux observés pour le statut tabagique (tableau II) se confirment après ajustement sur l’âge et les facteurs de risque classiques de la santé mentale pour les deux sexes et pour les deux marqueurs de position sociale. Les différences sociales observées pour les symptômes dépressifs et pour les deux questions relatives à la prise de psychotropes (tableau II) ne persistent pas après ajustement. Pour les symptômes anxieux, le dysfonctionnement social, les symptômes somatiques ainsi que la souffrance psychique, chez les hommes, des différences sociales sont observées après ajustement, au détriment des salariés ayant un statut socio-économique élevé, confirmant les résultats du tableau II. D’autre part, des différences sociales non observées précédemment apparaissent chez les femmes pour certains marqueurs de santé mentale qui présentaient déjà des gradients sociaux inverses chez les hommes. En effet, pour les symptômes anxieux et le dysfonctionnement social, les salariées ayant le niveau d’étude le plus élevé sont les plus à risque. Cette tendance est retrouvée pour les symptômes somatiques.
Associations entre position sociale et marqueurs de santé mentale (modèles ajustés sur l’âge et les facteurs de risque classiques de la santé mentale$)
Associations entre position sociale et marqueurs de santé mentale (modèles ajustés sur l’âge et les facteurs de risque classiques de la santé mentale$)
Discussion
13Des différences sociales ont été observées pour divers marqueurs de santé mentale. Cependant, ces résultats varient selon les marqueurs de position sociale et de santé mentale étudiés. Des différences selon le sexe ont également été observées. Cette étude met en avant des gradients sociaux inverses pour certains marqueurs de santé mentale, les salariés appartenant aux groupes sociaux les plus élevés sont les plus à risque de souffrance psychique d’après le GHQ28, et notamment de symptômes anxieux, somatiques et de dysfonctionnement social, les résultats étant plus marqués pour les hommes que pour les femmes. Ces résultats persistent après ajustement sur les facteurs de risque classiques de la santé mentale. Pour le statut tabagique, les fortes différences sociales observées au détriment des catégories sociales défavorisées persistent après ajustement. Les inégalités sociales observées pour les symptômes dépressifs et la prise de psychotropes, les salariés de faible niveau social étant les plus à risque, ne persistent pas après ajustement : ces facteurs de risque classiques joueraient donc un rôle dans l’explication des inégalités sociales pour ces deux indicateurs de santé mentale.
14Des différences entre hommes et femmes ont été mises en évidence dans cette étude dans la distribution des indicateurs de position sociale, de troubles de la santé mentale, et des facteurs de risque classiques de ces troubles. En effet, les femmes occupent des niveaux professionnels plus faibles, tout en étant plus diplômées, que les hommes. Les femmes sont plus à risque pour les différents marqueurs de santé mentale, sauf pour l’abus d’alcool et le tabac, et présentent des prévalences plus élevées pour les facteurs de risque classiques des troubles de la santé mentale. On remarque chez les hommes davantage de différences sociales dans les troubles de la santé mentale que chez les femmes, notamment pour les sous-dimensions du GHQ28 pour lesquelles des gradients sociaux inverses ont été observés (symptômes anxieux, dysfonctionnement social, symptômes somatiques). Par contre, chez les hommes comme chez les femmes, des gradients sociaux s’observent pour les symptômes dépressifs, la prise de psychotropes et le tabac, au détriment des groupes sociaux les plus faibles.
15Des gradients sociaux attendus ont été observés dans cette étude pour les symptômes dépressifs, la prise de psychotropes et le tabac. Contrairement à plusieurs études [13, 14] où les troubles anxieux et dépressifs suivent le même gradient, des relations différentielles s’observent ici avec la position sociale. Les troubles anxieux suivent en effet un gradient inverse surtout chez les hommes ; les salariés les plus diplômés sont les plus à risque. L’étude de Stansfeld et al. [15],. utilisant les sous-dimensions du GHQ28, observe également ce constat pour les symptômes anxieux chez les femmes ; les scores d’anxiété sont plus élevés pour les catégories sociales les plus élevées. Pour les troubles dépressifs, notre étude confirme les résultats des études précédentes [13, 14] où les personnes ayant un statut socio-économique bas sont les plus à risque. Cependant, les différences sociales observées pour ces troubles ne persistent pas après ajustement sur les facteurs de risque classiques de la santé mentale pour les deux sexes. Concernant le statut tabagique, de nombreuses études confirment les forts gradients sociaux observés ici au détriment des personnes ayant un statut socio-économique bas [19, 20]. Dans notre étude, ces différences persistent après ajustement sur les facteurs de risque classiques de la santé mentale.
16Les différences observées entre les résultats de la présente étude et ceux d’autres études antérieures pour les troubles anxieux et dépressifs peuvent s’expliquer par plusieurs éléments. Les populations étudiées ne sont pas les mêmes, plusieurs sont en population générale et d’autres en population au travail. Différents outils de mesure des troubles de la santé mentale et de position sociale ont été utilisés. Les différents indicateurs de position sociale étudiés ne fournissent pas des mesures similaires et peuvent impliquer des liens sous-jacents différents avec les indicateurs de santé mentale [16]. De plus, les outils mesurant les troubles mentaux peuvent être très différents, surtout quand on compare l’évaluation par auto-évaluation et les outils diagnostiques. Le GHQ, souvent utilisé, recouvre plusieurs types de symptômes et permet notamment d’étudier séparément les symptômes dépressifs et anxieux. D’autres outils permettent de diagnostiquer les troubles d’anxiété généralisée et de dépression majeure via un diagnostic approfondi. Ces deux types d’outils sous-entendent donc des niveaux de prévalence, sévérité et gravité différents dans la mesure des troubles de la santé mentale. De plus, un biais de déclaration différentiel n’est pas à exclure lors de l’auto-évaluation de certains troubles ou symptômes, notamment en fonction de la position sociale, biais qui pourrait contribuer à expliquer les différences sociales inverses observées dans cette étude, les groupes sociaux les plus défavorisés pouvant être moins enclins à déclarer certains symptômes et/ou ceux les plus favorisés étant les plus à l’aise pour les déclarer [15].
17L’étude a permis d’évaluer les effets de la prise en compte de facteurs de risque classiques dans les différences sociales pour les troubles de la santé mentale. Parmi ces facteurs de risque, certains ont déjà été étudiés dans plusieurs études explorant les différences sociales dans les troubles de la santé mentale tels que le statut marital [15, 21, 22] ou le soutien social [15, 21-23]. Des variables plus rarement étudiées [24] ont été prises en compte dans cette étude telles les événements de vie marquants dans l’enfance ou durant l’année écoulée. Ces différents facteurs sont associés aux troubles de la santé mentale et aux différents indicateurs de position sociale, les catégories sociales les plus défavorisées étant les plus concernées [11, 15, 25]. Leur prise en compte dans l’étude des inégalités sociales de santé mentale paraît donc cruciale. De plus, l’inclusion d’une variable relative aux antécédents familiaux de dépression dans l’analyse permet de compléter la prise en compte des facteurs de risque majeurs. Les différences observées pour les symptômes dépressifs et la prise de psychotropes ne persistent pas après ajustement sur les facteurs de risque classiques. Il apparaît donc que ces facteurs joueraient ici un rôle notable dans l’explication des inégalités sociales pour ces symptômes. Pour le tabac, les gradients sociaux se confirment après ajustement, ces facteurs de risque classiques joueraient donc ici un rôle plus secondaire. D’autres facteurs pourraient contribuer à expliquer les différences sociales dans le tabagisme.
18Les forces de cette étude se situent à plusieurs niveaux. La présente étude s’appuie sur un large échantillon en population salariée en régions Centre-Ouest, couvrant ainsi un large champ de professions et de secteurs d’activités. Le taux de participation à l’enquête a été estimé entre 85 et 90 %, ce qui laisse penser que le biais de participation est probablement réduit. L’échantillon composé de plus de 6 000 salariés a permis des analyses séparées hommes et femmes satisfaisantes en termes de puissance statistique, analyses stratifiées qu’il semble crucial de mener étant données les différences hommes-femmes [26]. L’analyse par sous-dimensions du GHQ28, échelle validée, a permis d’étudier séparément les symptômes dépressifs et anxieux pour lesquels des gradients sociaux ont été observés dans la littérature. Dans la plupart des études épidémiologiques s’intéressant aux troubles de la santé mentale, les troubles dépressifs ou anxio-dépressifs sont les troubles principalement étudiés. L’analyse des troubles anxieux étudiés isolément reste cependant rare dans la littérature [13]. La forte comorbidité entre troubles dépressifs et anxieux rend difficile l’analyse des deux types de troubles séparément du fait de problèmes d’effectifs si les cas comorbides sont exclus. Des études s’intéressant à la mesure de la position sociale dans les inégalités sociales de santé ont souligné l’intérêt de pouvoir étudier, de façon complémentaire, différents marqueurs et plus particulièrement le diplôme, moins utilisé en population au travail. L’analyse simultanée du diplôme et de la profession dans cette étude répond à cette attente. Ici, le niveau d’études semble être le marqueur permettant d’identifier le plus de différences sociales et ce tout au long de l’analyse (bivarié, multivarié). Très peu d’études ont tenté d’analyser et d’expliquer le rôle des facteurs de risque classiques de la santé mentale dans les inégalités sociales de santé mentale. Cette étude suggère que la distribution différentielle de ces facteurs de risque selon les groupes sociaux pourrait contribuer à expliquer les inégalités sociales dans les symptômes dépressifs et la prise de psychotropes.
19Des limites à cette étude doivent cependant être notées. La principale limite concerne la nature transversale de l’étude qui ne permet pas d’établir de liens causaux. D’autres biais ne sont pas exclus comme des biais liés à la constitution de l’échantillon et notamment au volontariat des médecins et au refus de participation des salariés. Concernant le recrutement des médecins du travail volontaires, ce biais semble limité du fait de la bonne représentativité de l’échantillon en termes de sexe, âge, profession et secteur d’activité par rapport à la population cible. Par ailleurs, du fait du déroulement de l’enquête en médecine du travail, des biais peuvent également exister par rapport au regard possible des médecins sur les questionnaires des salariés (peur de répondre, problème de confidentialité). Une autre limite se situe dans la mesure de la santé mentale : seules des mesures d’auto-évaluation de symptômes étaient disponibles, et ne permettent pas d’obtenir des diagnostics cliniques. Enfin, la prise en compte des facteurs de risque classiques des troubles de la santé mentale peut être incomplète et des variables ont pu manquer dans l’étude, telles les comorbidités somatiques.
20En conclusion, des inégalités sociales de santé mentale en population salariée ont été observées pour les symptômes dépressifs, la prise de psychotropes et le tabac, les salariés appartenant aux catégories sociales les plus défavorisées (surtout les moins diplômés) étant les plus à risque. Les inégalités sociales pour les symptômes dépressifs et la prise de psychotropes pourraient en partie s’expliquer par des distributions différentielles des facteurs de risque classiques. Des gradients sociaux inverses ont été mis en évidence pour les symptômes anxieux, somatiques et le dysfonctionnement social, surtout chez les hommes, les salariés des catégories sociales les plus élevées étant les plus à risque. Peu d’études en population au travail en France ont permis d’étudier différents marqueurs de position sociale et de santé mentale sous l’angle des inégalités sociales de santé mentale. Les résultats de cette étude contribuent à améliorer les connaissances sur les inégalités sociales de santé mentale en population salariée et également de mieux connaître le rôle des facteurs de risque classiques de la santé mentale. Une meilleure prise en compte de ces facteurs dans les différents programmes de surveillance et de prévention permettrait de contribuer à réduire les inégalités sociales de santé mentale pour les salariés en France.
21Aucun conflit d’intérêt déclaré
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Mots-clés éditeurs : position sociale, santé mentale, profession, inégalités sociales de santé, niveau d'études
Date de mise en ligne : 09/02/2012
https://doi.org/10.3917/spub.110.0059Notes
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