Notes
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[1]
Médecin de santé publique. IGAS - 39-43 quai André Citroën - 75739 Paris cedex 15.
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Agences sanitaires nationales, caisses nationales d’assurance maladie, caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), ARS.
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Ce processus de concertation s’appuie sur la conférence nationale de santé et le haut conseil de la santé. La conférence nationale de santé est aussi chargée d’organiser le débat public sur les questions de santé. Le suivi et l’évaluation annuelle de la politique de santé doit se faire selon une approche concertée.
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Agences sanitaires nationales, caisses nationales d’assurance maladie, CNSA, ARS.
1Le rappel est ferme. La loi le dit. Les agences régionales de santé (ARS) doivent mettre en œuvre la politique de santé nationale [1]. Celle-ci sert de cadre à l’action menée par chacun des établissements publics [2] dont l’État s’est entouré pour agir en faveur de la santé de la population. C’est forcément à partir d’elle, même si ce n’est pas dit expressément, que l’État conclura avec l’union nationale des caisses d’assurance maladie, le contrat déterminant les objectifs pluriannuels de la gestion du risque [2]. C’est en s’appuyant sur elle que sera fixé le contenu du contrat d’objectifs et de moyens signé entre chaque ARS et les ministres concernés. La déconcentration voulue avec la réforme créant les ARS n’a de sens que si les stratégies locales des agences sont orientées par une politique nationale, assez précise pour assurer une égalité de traitement sur toute la France, assez souple pour accepter des adaptations aux réalités locales. La politique nationale de santé est la clé de voûte de tout l’édifice construit par l’État pour exercer ses responsabilités dans le domaine de la santé. Sans elle, la logique de toutes les réformes s’effondre. Sans elle, des pouvoirs nationaux et régionaux sont érigés, et fait défaut la capacité de les faire œuvrer dans une direction commune, et n’existent pas les moyens d’évaluer leurs actions puisqu’aucun objectif ne leur est fixé. Il faut donc s’attendre à ce que l’architecture de cette politique nationale et les conditions de constitution de son contenu soient particulièrement bien fixées. Il n’en est rien.
2Deux lois importantes ont voulu préciser les conditions d’élaboration et le contenu de la politique nationale de santé. La loi du 4 mars 2002 a défini le processus de concertation à mettre en œuvre [3] et a affirmé la nécessité de l’évaluation de la politique arrêtée. Mais, les conditions d’élaboration elles-mêmes de la politique soumise à concertation sont restées indéterminées. La loi du 9 août 2004 a énuméré les moyens et les domaines d’intervention d’une politique nationale de santé [3] dans son article 2, sans indiquer ce qu’elle est en soi. Elle a fixé cinq priorités pour cinq ans, et a énoncé dans ses annexes cent objectifs susceptibles d’être poursuivis pour améliorer la santé de la population. Mais rien n’est dit sur ce à quoi engage le choix de telles priorités. Et le nombre élevé des objectifs a donné le sentiment d’une trop grande dispersion des buts à poursuivre, quand il s’agissait, au fond, de constituer une sorte de tableau de bord regroupant des indicateurs de résultats permettant de suivre les progrès de santé susceptibles d’être obtenus.
Se doter d’une politique nationale de santé est une nécessité
L’introuvable politique nationale de santé
3La politique nationale en France est faite de nombreux plans, près d’une trentaine encore en application [4], et les objectifs ne manquent pas, cent affichés par la loi de 2004. Existent aussi des priorités. La loi de 2004 en fixait cinq qui n’ont pas toutes été suivies d’effets. À cet empilement de plans, d’objectifs et de priorités, il faut ajouter les grandes causes nationales décidées par le Président de la République, le cancer hier, la maladie d’Alzheimer aujourd’hui. Au total, cette abondance de stratégies additionnées ne fait pas véritablement une politique de santé, si l’on entend par là un choix de buts et de moyens. Trop d’objectifs, trop de moyens dispersés, ne permettent pas de savoir où nous voulons précisément aller et empêchent des résultats significatifs que seule une concentration des efforts aurait pu permettre d’obtenir. Trop d’objectifs diluent le projet de santé et lui fait perdre de sa force. Au total, la politique nationale de santé apparaît aujourd’hui peu visible, sans ligne directrice claire, cumulant les réponses de circonstance sous la pression des lobbys divers et variés.
4Pourrait-il en être autrement [5] ? Tant d’objectifs sont à retenir pour que chacun y trouve son compte. Tant de particularités propres au dispositif de santé lui-même sont à prendre en compte, combinant des structures et des professionnels aux statuts différents, publics et privés, des métiers si nombreux, des formes multiples d’intervention (l’hôpital, l’ambulatoire, la prévention, la promotion de la santé, le médico-social, la sécurité sanitaire). Dans ces conditions, se doter d’une politique unique, à l’échelle d’un pays, rechercher une sorte de cohérence du tout, serait une entreprise relevant de la démesure, témoignerait même, pour les moins indulgents, d’un projet ou d’un esprit pathologique.
5Le cas s’aggrave dès qu’est abordée la question de la définition de la santé retenue. De quoi parlons-nous ? L’OMS n’a pas arrangé les choses en faisant de la santé « un état de complet bien-être physique, psychique et social ». Si le programme est d’assurer le bonheur, comme le proclament les esprits moqueurs, alors, effectivement, concevoir une politique nationale de santé est une affaire bien ambitieuse. En outre, nombreuses sont les politiques publiques qui contribueront à la santé de la population. Le projet devient interministériel et pourrait bien finir par englober toute l’action d’un gouvernement. Toute l’action d’un gouvernement ? Pas seulement. Et les collectivités territoriales ? Elles ont des compétences dans le domaine de la santé et sont responsables de politiques sociales ayant des effets sur la santé entendue au sens de l’OMS. Il faut donc aussi prendre en compte leurs actions.
6À ce stade, pour beaucoup, l’objet d’une politique nationale de santé paraîtrait tellement incertain, et de toutes les façons d’une telle ampleur, qu’il serait bien vain de penser se contenter de quelques buts et moyens bien choisis pour répondre aux besoins. Et s’il fallait procéder à de tels choix, la décision serait bien difficile à prendre quand ses conséquences porteront sur la vie et la souffrance des personnes. Les problèmes éthiques à résoudre seraient redoutables. Enfin toute projection dans le futur, même à moyen terme, semblerait bien imprudente quand la survenue d’une épidémie imprévue peut déjouer soudain tous les plans.
Des plans de santé prodigues et peu concertés
7L’addition des plans et des objectifs ajoute les dépenses au fil de l’eau. Chaque nouveau plan, conçu après d’autres ayant requis l’emploi des moyens disponibles, mobilise des ressources supplémentaires pour ne pas être considéré comme une vaine stratégie. D’ailleurs le lien est très ténu entre ces différents plans et les lois de financement, la loi de finance (LF) et la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). L’existence même de deux lois, l’une traitant des financements relevant du budget de l’État, et l’autre des dépenses de l’assurance maladie, ne permet pas d’avoir une vision d’ensemble complètement cohérente des objectifs poursuivis et des stratégies de financement engagées.
8Le travail interministériel souvent nécessaire pour préparer les plans de santé est assez modeste. Un comité national de santé publique, composé des différents ministères et de quelques grands opérateurs de santé (la CNAMTS et la CNSA), a été constitué. Il est réuni sous la présidence de la direction générale de la santé. Il est un lieu utile d’échange et de partage d’information. Mais, pour autant, n’est pas organisé un véritable travail collectif des services entre eux, pour parvenir à un diagnostic partagé des problèmes et envisager les orientations complémentaires à arrêter entre plusieurs ministères.
9Quant à la concertation sur ces stratégies de santé nationales, elle est particulièrement confuse. Chaque plan va avec une instance de concertation qui lui est particulière. Aucun lieu de discussion n’existe pour traiter de la cohérence d’ensemble de la politique suivie, ce qui après tout est logique puisque celle-ci n’est pas recherchée. La conférence nationale de santé (CNS) pourrait être ce lieu, mais sa composition serait à adapter. Par ailleurs, un même avis peut être réclamé à la CNS et à une commission spécifique, constituée sur une thématique au sujet de laquelle un plan a été élaboré. Enfin, toutes ces instances de concertation sont rarement associées à la préparation de la stratégie de santé envisagée. Elles ne sont consultées en général que sur un produit abouti, quand la structure du projet ne saurait plus être amendée qu’à la marge.
Une réforme nécessaire : définir la politique nationale de santé, son architecture et ses modalités d’élaboration
10L’État a une triple mission. Il est à la fois protecteur de la santé des personnes, promoteur de la santé de tous, et gestionnaire de la ressource publique. La tâche est vaste, nécessitant de déterminer la voie la plus efficace pour obtenir les meilleurs résultats, obligeant à concilier des impératifs parfois contraires entre ces trois finalités. La définition d’une politique nationale de santé est le moyen de fixer le bon équilibre entre des possibilités limitées et des exigences si nombreuses. Si le chemin le plus sûr pour lutter contre un problème de santé était toujours évident, et si les ressources publiques étaient à l’image de la caverne d’Ali Baba, nul besoin d’une politique. Il suffirait d’énoncer le besoin et de se servir dans l’inépuisable manne, en se souciant seulement de la qualité de chaque intervention. L’existence de solutions alternatives et d’une contrainte, financière ou en ressources humaines, impose de se doter d’une politique fixant un cap et choisissant ses moyens.
11Au-delà de cette nécessité générale, la création des ARS rend indispensable de concevoir la contrepartie nationale de ce qui a été mis en place au niveau régional. Les ARS ont été dotées d’un outil stratégique leur permettant de définir et de conduire une politique globale de santé, le projet régional de santé (PRS). Par contraste, la politique nationale de santé apparaît désormais particulièrement émiettée et sans cohérence d’ensemble [6]. L’unité de la politique de santé ne saurait se construire en partant de la base régionale de la France et, en même temps, résulter de multiples objectifs nationaux déterminés au travers d’une trentaine de plans et de stratégies diverses, juxtaposés les uns aux autres. La recherche d’une égalité de traitement entre les citoyens sur la totalité du territoire apparaîtrait alors bien chaotique.
12Cette politique nationale de santé devrait posséder trois grandes caractéristiques :
- agir sur les différentes dimensions de la santé (physique, psychique, sociale) et, pour cela, être interministérielle ;
- recourir, pour un problème de santé donné, à plusieurs moyens d’intervention en faveur de la santé (la prévention et la promotion de la santé, les soins hospitaliers et ambulatoires, le médico-social, la sécurité sanitaire) ;
- employer plusieurs leviers de régulation du dispositif de santé, de façon complémentaire (l’organisation de l’offre, le financement des activités, la qualité des actes, le choix des usagers).
Comment faire [7] ?
D’abord il convient de s’entendre sur le périmètre d’une politique de santé
13Une politique nationale de santé doit avoir un objet propre. Elle ne saurait prendre toutes les formes de l’action publique ayant un impact sur la santé, sous peine de dissoudre la préoccupation dont elle est porteuse, distincte des autres finalités orientant les politiques menées par différentes autorités publiques nationales ou locales. La préoccupation de la santé par ailleurs ne fait pas que se distinguer des autres finalités de l’action publique. Elle peut aussi se retrouver en contradiction avec elles, quand par exemple elle s’oppose à des intérêts économiques plus immédiats. Cette contradiction doit pouvoir, quand elle existe, être clairement posée. Le moyen d’y parvenir est de reconnaître le projet de santé pour la population comme un objet de politique en tant que tel.
14La politique nationale de santé doit avoir pour objet d’agir sur la santé de la population, afin de prévenir les risques de sa dégradation ou d’en corriger les effets sur les personnes. Elle se caractérise par ses finalités et les moyens d’intervention qu’elle met en œuvre. Elle doit aussi être conçue de manière à reconnaître et promouvoir la réciprocité des relations qu’elle entretient avec les autres politiques publiques. En conséquence, elle ne saurait se réduire au seul champ de compétence du ministre de la Santé. Elle est interministérielle, dans son contenu propre, comme du fait de son intrication avec d’autres politiques publiques.
15La politique nationale de santé est à distinguer de « la promotion globale de la santé » assurée par les différentes politiques publiques dans notre pays. Cette « promotion globale de la santé » est faite principalement de la politique nationale de santé et des impacts sur la santé relevant de toute autre politique publique. Ainsi peut-on conserver la définition de l’OMS, sans faire de la santé un objet totalisant.
Ensuite, il faut déterminer l’architecture de la politique nationale de santé
16Deux sortes de contradiction sont à dépasser pour concevoir l’architecture d’une politique nationale de santé :
- il est impératif de se fixer des priorités, ou des buts principaux à atteindre, pour ne pas disperser ses forces et obtenir des résultats significatifs. Et il faut répondre à tous les besoins ;
- il faut assurer une réponse égale aux besoins de la population de tout le pays. Et il faut déterminer localement les objectifs et les actions à mener pour s’adapter aux réalités locales et obtenir l’adhésion des acteurs de la santé concernés par la stratégie mise en œuvre.
17Chaque autorité publique doit pouvoir faire des choix d’objectifs et de moyens adaptés à la situation dans laquelle elle se trouve, dans le domaine de compétence qui est le sien. Elle doit se doter d’une stratégie. C’est la simple conséquence de la création de ce dispositif administratif général voulu pour tirer le meilleur parti possible de plusieurs centres de décisions, proches des réalités locales, aux compétences spécialisées, comptant ainsi sur plus de responsabilisation des structures administratives, plus d’innovation et de créativité dans l’action, plus de capacités d’initiatives adaptées à la diversité et à la complexité des situations de santé, plus de démocratie locale avec ceux qui sont concernés par les décisions.
18C’est bien un tel dispositif, à la fois « centralisé et polycentré », qui a été voulu. Alors il faut aller jusqu’au bout du projet. Ou bien, il aurait fallu ne pas constituer autour d’une autorité centrale d’aussi nombreuses autorités « périphériques », il aurait fallu conserver un dispositif simplement pyramidal ou la base n’est que dans l’exécution des décisions du sommet. Or, ce dispositif pyramidal, c’est précisément celui avec lequel il a été décidé de rompre. Dès lors, la cohérence d’ensemble devrait être assurée par une stratégie commune déterminée par l’État central, et aller avec différentes stratégies complémentaires fixées par chacune des autorités « périphériques » créées dans le domaine de la santé. Cela suppose de satisfaire cinq exigences :
- les priorités et objectifs fixés par le niveau central doivent être en nombre très limité pour laisser la place à des choix d’objectifs et de moyens au niveau périphérique, celui des établissements publics entourant l’État [4] et celui des collectivités territoriales ;
- les objectifs nationaux déclinant les quelques priorités retenues doivent avoir une portée stratégique, n’ont pas à prendre une forme opérationnelle, car alors ils finiraient par dicter aux autorités « périphériques » leur ligne de conduite ;
- le niveau national doit mettre au service des autorités périphériques des référentiels d’action, les plus nombreux possibles, pour agir sur différents problèmes ou déterminants de la santé. Ces référentiels constitueront une sorte de doctrine de prise en charge assurant l’efficacité et l’efficience des interventions. Aux autorités « périphériques » de s’en saisir en fonction de leurs besoins ;
- les autorités « périphériques » doivent pouvoir bénéficier de marges de manœuvre financière pour soutenir la stratégie qu’elles se fixent ;
- les priorités et objectifs fixés par le niveau national, en nombre limité, doivent être obligatoirement mis en œuvre par les autorités publiques périphériques.
- un problème de santé touche un grand nombre de personnes avec des conséquences graves pour la santé ;
- la solidarité à l’origine du financement de la santé pourrait être remise en question (ce qui serait le cas si la contribution supportée par chacun était employée en vain ou de façon injuste) ;
- un problème de santé apparaît négligé par les différentes autorités « périphériques ».
19Les référentiels de prise en charge conçus avec le souci de l’efficience et de l’efficacité des interventions devraient former différents plans nationaux de santé, à réactualiser périodiquement, pour tenir compte des résultats des évaluations et de l’évolution des connaissances scientifiques. Ces plans nationaux indiqueraient une sorte de « doctrine de prise en charge » qui, pour une pathologie donnée, un déterminant de la santé ou une population particulière, préciserait les objectifs opérationnels recommandés dans les domaines de la prévention et de la promotion de la santé, des soins hospitaliers et ambulatoires, du médico-social, de la sécurité sanitaire. Ces dispositions à prendre devraient être accompagnées d’objectifs de résultats accessibles. Un axe sur la recherche et la formation serait à déterminer dans tous les cas. Ces plans ne prévoiraient pas des moyens particuliers à mettre à leur service. Aux autorités « périphériques » de les mettre en œuvre dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités ordinaires, ou dans celui des priorités de leur stratégie propre les conduisant alors à dégager, sur leurs marges de manœuvre, d’éventuels moyens spécifiques nécessaires.
20Stratégie nationale de santé et plans nationaux de santé assureraient ensemble la cohérence générale des interventions menées en faveur de la santé dans le pays par une organisation administrative « centralisée et polycentrée ».
21La stratégie nationale de santé pourrait puiser dans les plans nationaux les?grands objectifs permettant de décliner ses priorités. De la même façon, les autorités « périphériques » pourraient trouver dans les plans nationaux les matériaux utiles pour, à la fois, guider leur action au quotidien et constituer leurs propres stratégies complémentaires.
22Ainsi, la politique nationale de santé devrait être faite de trois composantes articulées :
- la stratégie nationale (quelques priorités avec des objectifs et des moyens) ;
- les plans nationaux (des « doctrines » de prise en charge) ;
- les stratégies de chaque autorité périphérique (autorités déconcentrées de l’État et collectivités territoriales).
Enfin, les règles de construction et les modalités d’évaluation de la politique nationale de santé sont à fixer
23Il n’est pas concevable d’arrêter un nombre très limité de priorités de santé, au service desquelles seront mobilisées nos marges de manœuvre, dans le secret de la délibération d’un prince, que celui-ci soit une autorité politique ou technique. Il n’est pas davantage concevable de le faire sans organiser le pilotage de la construction.
Le préalable est un débat public sur des éléments techniques rassemblés et publiés
24La forme et la méthode du débat public sont à déterminer avec soin. Les sujets à traiter sont complexes et chargés d’émotion. De vifs intérêts s’exprimeront, voire s’opposeront. La population doit connaître et comprendre les questions de santé qui se posent, les défis à relever, les contraintes à considérer. Tout un chacun doit disposer d’un lieu d’expression de ses attentes. Rien dans ces conditions ne devrait obéir à l’improvisation ou à l’à peu près. L’idéal serait de procéder à des « sommets régionaux » consolidés au niveau national, en s’appuyant sur les CRSA et la conférence nationale de santé. Pourrait se concevoir un débat public sur la santé général tous les cinq ans et thématique tous les deux ou trois ans.
25À l’issue de ce débat organisé, l’État devrait s’engager sur une stratégie nationale pour cinq ans et la soumettre au vote du Parlement sous la forme d’une loi de programmation de santé. Arrêter un petit nombre de priorités est trop lourd de conséquences pour ne pas procéder de la légitimité donnée par le vote des représentants du peuple. C’est d’une telle importance que cela devrait faire partie du projet d’une mandature présidentielle.
La loi de programmation de santé, portant sur la stratégie nationale, devrait être préparée dans des conditions favorisant la coopération interministérielle
26Pour ce faire, devraient être organisés « un pilotage décisionnel » et « un pilotage opérationnel » associant les différents ministères et les grands opérateurs nationaux de santé telle l’assurance maladie et la CNSA.
27Le pilotage décisionnel aujourd’hui ne porte pas sur la préparation elle-même de la politique nationale de santé. La décision gouvernementale est prise en conseil des ministres, après des arbitrages réalisés lors de réunions interministérielles (RIM). En général, n’est pas organisé un travail collectif entre différents ministères concernés par une politique de santé, pour établir un diagnostic partagé et parvenir à des objectifs complémentaires. La décision interministérielle est davantage le résultat d’un affrontement entre des positions différentes que la conclusion d’une construction commune. Il ne faut pas être surpris ensuite de la persistance de divergences ou d’un faible enthousiasme dans l’action. Il manque une structure de pilotage « politico-administrative », interministérielle, intermédiaire entre les ministres et les services centraux des ministères, se réunissant une fois par an pour impulser les travaux collectifs, fixer la méthode, apprécier les résultats. Afin de ne pas créer une structure de plus, il suffirait de concevoir le conseil national de pilotage mis en place par la loi HPST avec deux formations : l’une restreinte pour piloter les ARS sous l’égide du ministère de la Santé, l’autre élargie pour préparer la politique nationale de santé et présidée alors par le Premier Ministre.
28Le pilotage opérationnel chargé d’élaborer les plans nationaux de santé est aujourd’hui dispersé entre plusieurs administrations centrales. Il manque une structure de pilotage capable :
- de préparer la méthode de travail utile pour concevoir une politique nationale de santé ;
- d’animer le bon déroulement des travaux ;
- d’assembler les matériaux stratégiques issus des différentes autorités publiques nationales concernées, de manière à en dégager une cohérence d’ensemble.
La stratégie nationale et les plans nationaux devraient faire l’objet d’une concertation au temps de leur préparation comme à celui de leur finalisation
29La réforme des ARS montre la voie à suivre. La gouvernance nationale est à revoir si nous voulons nous doter d’une stratégie nationale de santé véritable. Le dispositif de concertation nationale est à revoir aussi. Il devrait être conçu de manière à permettre l’examen :
- de la cohérence d’ensemble de la politique nationale de santé ;
- de la pertinence de chaque plan national thématique.
Cette construction mettrait fin à l’éparpillement actuel des multiples instances de concertation. Cela ne devrait pas remettre en question l’existence de la conférence nationale de santé utile pour travailler au débat public sur la santé et rendre compte du respect des droits des usagers.
Le suivi et l’évaluation sont à organiser avec rigueur
30Sans suivi et évaluation, l’action publique est aveugle. Vérifier au fur et à mesure la bonne mise en œuvre des dispositions prévues au titre de la politique nationale de santé, évaluer les résultats obtenus, compte tenu des moyens engagés, comparer les approches choisies par rapport à d’autres voies possibles, sont des nécessités générales pour toute politique publique. Elles sont d’autant plus impératives dans le cadre d’une politique nationale « centralisée et polycentrée ».
31La stratégie nationale devrait faire l’objet d’un suivi annuel de son exécution et d’une évaluation finale, dont les résultats seraient à porter à la connaissance du Parlement. La mise en œuvre des plans nationaux devrait faire l’objet d’une évaluation périodique.
32Le dispositif serait assez simple à organiser. À « la mission interministérielle de la stratégie en santé » d’organiser le suivi et l’évaluation de la stratégie nationale, de lancer l’évaluation des plans nationaux. À l’IGAS, associée au Haut Conseil de Santé Publique, d’évaluer chaque année deux ou trois plans nationaux, mis en œuvre au travers de la stratégie nationale et par les politiques et l’action au quotidien conduites par les différentes autorités « périphériques ». Par ailleurs, chaque autorité périphérique devrait évaluer les résultats de sa stratégie et de son action, et en rendre compte au niveau national selon une périodicité définie.
33Il n’y a pas tant à faire pour parvenir à se doter d’une politique nationale de santé. Bon nombre des diverses pièces de la construction sont là :
- les ARS, autorités publiques déconcentrées, permettent plus de démocratie locale et d’adaptation des décisions aux particularités régionales. Il suffirait de donner maintenant à ces agences des marges de manœuvre financière suffisantes ;
- le conseil national de pilotage assure une meilleure articulation entre autorités centrales et autorités « périphériques » (en l’occurrence les ARS). Il suffirait de renforcer la cohésion interne de cette structure, d’élargir ses missions à la préparation de la politique nationale de santé, et de la relier à une instance interministérielle à créer, politico-administrative, chargée de piloter la politique de santé dans son ensemble ;
- les nombreux plans nationaux sont un acquis précieux. Il suffirait maintenant de travailler à une stratégie nationale faite de quelques priorités et objectifs.
34Aucun conflit d’intérêt déclaré
Glossaire
35CNAMTS : Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés
36CNSA : Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
37CRSA : Conférence régionale de la santé et de l’autonomie
38HPST : Loi hôpital patient santé territoire du 21 juillet 2009
39IGAS : Inspection générale des affaires sociales
40OMS : Organisation mondiale de la santé
Bibliographie
- 1Article L. 1431-2 du Code de la santé publique.
- 2Article L. 182-2-1-1 du Code de la sécurité sociale.
- 3Article L. 1411-1 du CSP.
- 4Direction générale de la santé. Le Livre des plans de santé publique. 3e édition Mai 2011.
- 5Tabuteau D. Politique de santé. La santé en quête de politique. Sève n° 14, printemps 2007.
- 6Courrèges C, Lopez A. Les ARS un an après. L’espoir, l’ambition et les vicissitudes de l’action. Droit Social. N° 11 – Novembre 2011 : 1112-7.
- 7Lopez A. Rapport sur les conditions d’élaboration et de mise en œuvre de la politique nationale de santé. Juillet 2010. www.igas.gouv.fr
Mots-clés éditeurs : politique nationale de santé, pilotage, stratégie
Date de mise en ligne : 01/08/2012
https://doi.org/10.3917/spub.123.0241Notes
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Médecin de santé publique. IGAS - 39-43 quai André Citroën - 75739 Paris cedex 15.
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Agences sanitaires nationales, caisses nationales d’assurance maladie, caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), ARS.
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Ce processus de concertation s’appuie sur la conférence nationale de santé et le haut conseil de la santé. La conférence nationale de santé est aussi chargée d’organiser le débat public sur les questions de santé. Le suivi et l’évaluation annuelle de la politique de santé doit se faire selon une approche concertée.
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Agences sanitaires nationales, caisses nationales d’assurance maladie, CNSA, ARS.