Couverture de SPUB_150

Article de revue

Évaluation d’une structure gériatrique entre l’ambulatoire et l’hospitalier

Pages 167 à 175

Notes

  • [1]
    Institut universitaire de médecine sociale et préventive – Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et Faculté de médecine de l’Université de Lausanne – Biopôle 2 – route de la Corniche 10 – 1010 Lausanne (Suisse).
  • [2]
    Cité Générations – Onex – Suisse.
  • [3]
    Réseau de Soins Delta – Onex – Suisse.

Introduction

1Comme dans la plupart des pays développés, la Suisse oriente ses efforts en vue d’assurer une meilleure continuité des soins entre les secteurs ambulatoire et hospitalier [1]. Des études hollandaise et italienne estiment que 10 à 30 % des admissions à l’hôpital n’étaient pas appropriées et qu’une partie d’entre elles auraient pu être évitée par une meilleure interface avec les soins ambulatoires [2-4].

2D’autres études indiquent qu’une étroite collaboration entre tous les fournisseurs de soins améliore la satisfaction des patients et l’efficacité des soins tout en réduisant les coûts, surtout dans le domaine des soins chroniques [5-7]. La problématique des lits hospitaliers bloqués par des personnes âgées (bed blockers), qui auraient bénéficié de soins plus appropriés ailleurs, est également un problème souvent évoqué [8].

3Il existe une grande variété de services de soins intermédiaires, comme les hospitalisations à domicile, les soins de transition à domicile assurant une sortie précoce des hôpitaux, les services d’intervention rapide, les infirmeries, les hôpitaux gériatriques de jour par exemple [9]. Mais il reste d’autres formes de soins à inventer, sur la base des pistes suggérées plus loin.

4Certains auteurs ont insisté sur la nécessité d’éviter autant que possible les hospitalisations inutiles, car elles engendrent des risques pour les personnes âgées comme l’immobilisation, les infections, les effets secondaires des médicaments et sont souvent suivies d’un déclin irréversible de leur fonctionnement accélérant leur admission en établissement médico-social (EMS). Les hôpitaux ne seraient en particulier pas conçus pour les personnes âgées, avec un personnel stressé par les urgences, des soins fragmentés et réactifs. Des structures plus accueillantes (friendly) permettant aux personnes âgées et à leur famille d’avoir un meilleur contrôle sur leur santé et les soins seraient à cet égard souhaitables [10].

5Une enquête norvégienne indique que les facteurs-clés de succès sont une approche interdisciplinaire, locale, proche des médecins généralistes et en étroite collaboration avec les spécialistes [11]. Cette implication des médecins de premier recours est également recommandée par d’autres auteurs, qui insistent sur la nécessaire relation sur le long terme ; celle-ci permettrait de réduire les hospitalisations liées à certaines conditions sensibles à la qualité des soins ambulatoires, avec plus d’efficacité que d’autres modes d’organisation des soins (comme les programmes de gestion de certaines maladies par exemple) [12].

6Cette problématique n’est pas nouvelle, puisqu’une étude parue en 1961 dans la revue The Lancet affirmait déjà que la plupart des admissions hospitalières non justifiées pourraient être réglées par un renforcement des soins à l’échelle locale [13].

7Une autre étude mettait en évidence le besoin d’une vision holistique des soins, intégrant une infirmière expérimentée couvrant les relations avec les autres services de soins (préparation du retour à domicile, proche-aidants, problèmes sociaux, etc.) [14] ; le résultat principal était une plus faible proportion d’admission en EMS dans les 30 jours et une meilleure satisfaction des patients.

8Le Québec a, par exemple, développé des unités de court séjour gériatrique spécialisées dans la prise en charge de personnes âgées fragiles, offrant des séjours de courte durée visant à restituer un équilibre devenu précaire permettant le maintien à domicile [15] ; ces unités se trouvaient cependant le plus souvent incluses dans de grandes structures hospitalières.

9L’expérience présentée ici se fonde sur les mêmes intentions, mais en déployant la structure dans un univers centré sur l’ambulatoire de manière à intégrer les aspects évoqués plus haut. Par structure gériatrique intermédiaire, nous entendons une unité d’hospitalisation de court séjour, insérée dans une structure ambulatoire, avec les caractéristiques suivantes :

  • activité médicale assurée par des médecins de premier recours, en lien si nécessaire avec les spécialistes ;
  • infirmière expérimentée ayant le souci permanent de faire le lien avec les autres structures (services à domicile, proches aidants, services sociaux, etc.) et d’impliquer le patient dans les choix ;
  • proximité géographique avec une implantation locale proche du domicile du patient, avec l’originalité de le faire en milieu urbain ;
  • petite taille pour assurer un accueil personnalisé aux personnes âgées.

10Les études démontrant les bénéfices d’une telle approche sont peu nombreuses et l’évolution vers une plus forte intégration des soins ne se fait que lentement. Il nous paraît dès lors important d’évaluer les expériences menées dans cette direction, pour voir si les effets escomptés sont réellement observés et identifier les éventuelles difficultés d’implémentation.

11Cité générations est une maison de santé située dans l’agglomération de Genève (Suisse), qui intègre des services de santé pluridisciplinaires dans un même bâtiment : médecins généralistes et spécialistes, infirmiers, laboratoire d’analyse, centre d’imagerie (radiologie, CT-scan, résonance magnétique), pharmacie. Une unité de sept lits a été ouverte pour examiner l’opportunité d’offrir un hébergement temporaire pour éviter des hospitalisations non justifiées [16].

12Le but de la présente étude est d’évaluer cette expérience-pilote auprès d’un collectif de cent patients pour analyser la faisabilité et l’utilité d’une telle structure intermédiaire entre les soins ambulatoires et l’hospitalisation. Plus précisément, les objectifs de l’étude sont de clarifier les critères d’admission des patients et d’évaluer les performances de la structure mise en place.

Méthodes

Intervention

13L’intervention est l’ouverture de la structure intermédiaire de sept lits, située dans une maison de santé, axée sur les prestations ambulatoires. À l’origine de cette expérience-pilote se trouve une décision gouvernementale [17] définissant le concept d’unité d’accueil temporaire médicalisée (UATm), visant à accueillir des patients souffrant de pathologies physiques et/ou psychiques décompensées, nécessitant une intervention et une surveillance médicale rapprochée, pour lesquelles l’hospitalisation en soins aigus ne se justifie pas, ainsi que pour des évaluations et/ou ajustement thérapeutique et/ou bilan psycho-gériatrique. Les admissions se font sept jours sur sept et 24 heures sur 24, avec une durée de séjour inférieure à cinq jours. Les pathologies attendues sont, par exemple, les chutes à domicile sans fracture, les décompensations cardiorespiratoires, les gastro-entérites, les infections pulmonaires graves, les déshydratations, les troubles métaboliques.

14Les règles de fonctionnement suivantes ont été appliquées :

15Le médecin traitant et l’équipe soignante habituels du patient peuvent continuer à suivre leur patient pendant le séjour. Si le médecin traitant le souhaite, les médecins et infirmiers de l’UATm prennent le relais durant le séjour tout en assurant avec lui la continuité des soins.

16Un médecin et un infirmier sont disponibles sur place à tout moment en cas d’urgence. Les patients disposent d’une chambre individuelle équipée d’une télévision et d’une liaison wifi. Les toilettes et douches sont disponibles au sein de l’unité, mais pas dans les chambres. Sept lits ont été mis à disposition durant l’expérience-pilote.

17Le financement a été couvert par l’assurance maladie (LAMal) sous le régime ambulatoire, avec un forfait journalier négocié avec les assureurs pour couvrir les frais hôteliers et la surveillance par des soignants. Les prestations médicales et médico-techniques sont financées selon les tarifs en vigueur dans le domaine ambulatoire (TarMed, liste des analyses, etc.).

Données

18Les données relatives aux patients ont pour but de décrire leurs pathologies et leur degré d’autonomie, ainsi que de préciser les critères d’admission. Les problèmes de santé ont été codés selon les nomenclatures préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir : la Classification internationale des maladies (CIM-10) [18] et la Classification internationale du fonctionnement (CIF) [19]. Le choix de la CIF nous est paru particulièrement adéquat, car il permet de décrire non seulement les déficiences fonctionnelles, mais aussi les activités et les participations des patients, en tenant compte de l’environnement [20]. Le profil de fonctionnement a été décrit selon la fréquence des déficiences survenues dans les 30 derniers jours, pour les fonctions d’orientation, intellectuelle, énergie et pulsion, sommeil, attention, mémoire et les différents systèmes (nerveux, circulatoire, etc.). Des données relatives aux activités de la vie quotidienne et aux participations (regarder, écouter, apprendre, résoudre des problèmes, utiliser un fauteuil roulant, activités instrumentales de la vie quotidienne) ont également été récoltées. D’autres données ont également été recueillies, concernant le contexte de prise en charge (proches aidants, médecins, destination après la sortie, etc.), et les prestations fournies (tarification ambulatoire [21], minutes de soins directs, nature des prestations) et les ressources consommées (comptabilité). Un questionnaire a été établi pour connaître la satisfaction des patients sur différents thèmes (réponses aux questions, expression des inquiétudes, aide, etc.). Les questionnaires ont été envoyés par l’UATm avec une lettre d’accompagnement et retournés de manière anonyme au premier auteur.

19Enfin, les Hôpitaux universitaires genevois ont fourni leur statistique médicale, comprenant notamment l’âge, le sexe, les diagnostics et les opérations de leurs patients, ainsi que leurs durées de séjour dans le but d’estimer la quantité d’hospitalisations non justifiées dans le canton.

Mesure des performances

20Les performances ont été évaluées en mettant en relations les entités représentées dans la figure 1 : la population (âge et genre), les séjours (pathologies), les effets (résultat comptable, mode de sortie), prestations (minutes de soins, points médicaux, journées d’hôtellerie), ressources (nombres de lits, nombre d’équivalents plein temps, montants).

Figure 1

Indicateurs de performance (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Figure 1

Indicateurs de performance (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

21Ces indicateurs couvrent en principe toutes les facettes des performances sanitaires [22], hormis la morbidité qui relève de la prévention qui est hors de notre champ d’étude.

22Les performances ont été évaluées en confrontant les valeurs observées aux valeurs attendues calculées à partir du profil des patients pris en charge, selon la méthodologie SQLape® [23]. Cette classification présente plusieurs avantages dans le présent contexte : elle décrit l’ensemble des pathologies des patients (poly-morbidité fréquente en gériatrie) et permet de déterminer si les hospitalisations sont justifiées ou non. Les pathologies aiguës sont prises en considération pour prédire les durées de séjour et les coûts attendus, alors que ce sont plutôt les pathologies malignes, chroniques ou récurrentes qui servent à prédire les taux de réadmission [24]. La complexité des cas et l’âge du patient sont déterminants pour calculer le risque de décès prématurés. Les valeurs attendues ont été calculées à partir des valeurs moyennes suisses pour chaque classe de risque. Pour les durées de séjour, les valeurs attendues ont été déterminées à partir d’un collectif d’hôpitaux particulièrement performants, en excluant ceux qui avaient un excès d’au moins 20 % de décès prématurés, de complications iatrogènes, de réadmissions et ré-opérations potentiellement évitables, durées de séjours basses ; ces valeurs attendues constituent dès lors des cibles réalistes mais ambitieuses.

Critères d’inclusion

23L’expérience a permis de clarifier les critères d’admission des patients. Premièrement, les patients admis devaient justifier des soins de gériatrie ou de psycho-gériatrie, ce qui exclut les patients plus jeunes ou qui relèvent d’autres spécialités (chirurgie, gynécologie-obstétrique, pédiatrie, soins intensifs, etc.). Des critères d’exclusion médicaux ont été appliqués :

  • patients dont la symptomatologie devrait nécessiter une intervention chirurgicale abdominale ou orthopédique ;
  • patients nécessitant une surveillance médicale intensive ;
  • patients justifiant des soins en milieu fermé ou psychiatrique avec risque de fugue ou suicide ;
  • patients justifiant une prise en charge spécialisée notamment oncologique.

24Par ailleurs, des critères d’exclusion non médicaux ont également été définis :

  • situations où un retour à domicile ne paraît pas envisageable (placement en établissement médico-social) ;
  • situations où les proches aidants souhaitent obtenir un répit (séjour en unité d’accueil temporaire de répit) ;
  • situations où une visite médicale et des soins à domicile pourraient suffire (soins ambulatoires).

Résultats

Description des patients pris en charge

25De fin mai 2013 à janvier 2014, une centaine de séjours ont eu lieu pour 91 patients dont certains ont été réadmis plusieurs fois (669 jours au total). L’âge moyen des patients à l’admission a été de 80,5 ans (écart-type de 11,3 ans). Les femmes ont été plus nombreuses (49) que les hommes (42). Parmi les patients, 83 % disposaient d’un proche-aidant à domicile durant la journée, la majorité (70 %) de manière continue. Une minorité cependant (30 %) recevait une telle aide la nuit. La grande majorité (91 %) des patients était suivie par un médecin traitant au moment de leur admission, un peu moins de la moitié (41 %) recevant des soins à domicile.

26Pour 87 % des admissions, celles-ci ont eu lieu entre 11 heures et 18 heures, deux tiers étant envoyés par leur médecin traitant suite à une consultation ; 30 % des admissions ont été déclenchées par un médecin hospitalier.

27Les patients souffraient pour la plupart de pathologies chroniques (hypertension sévère, troubles psychiatriques, diabète, insuffisance cardiaque et respiratoire), mais aussi d’infections, d’arythmies. La plupart des pathologies relevait de la gériatrie habituelle, avec toutefois une grande diversité, 60 % des pathologies n’étant survenues qu’une seule fois durant la période considérée.

28Les déficiences les plus importantes ont été la baisse de l’état général et les douleurs (scores moyens de 1,5/4), ainsi que les troubles de l’équilibre (score moyen de 1,3) qui expliquent souvent la difficulté de rester à domicile (figure 2).

Figure 2

Déficiences (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Figure 2

Déficiences (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

29Les patients pris en charge à l’UATm étaient souvent en perte d’autonomie (dépendance pour faire les courses, préparer les repas et faire le ménage), 40 % étant déjà suivis par les services de soins à domicile avant leur admission. En revanche, la plupart d’entre eux étaient capables de s’alimenter, de boire, de s’habiller et de pourvoir à leur toilette eux-mêmes ce qui démontre qu’un retour à domicile était dans leur grande majorité envisageable (figure 3).

Figure 3

Participation des patients (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Figure 3

Participation des patients (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Mesure des performances

30Les performances de l’UATm sont indiquées dans le tableau I. Le projet initial prévoyait qu’une grande partie des patients pris en charge correspondraient à des hospitalisations non justifiées des Hôpitaux universitaires genevois. Finalement, 84 % ont finalement été des hospitalisations justifiées.

Tableau I

Indicateurs de performance (N = 100) (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Tableau I
Valeurs Observé Attendu Min. Max. Ratio Accessibilité (hospitalisations justifiées) (%) 84 > 50 Durée de séjour (jours) 6,06 6,74 6,52 6 ,96 0,90 Coût (francs suisses) 4 261 7 269 6 956 7 582 0,59 Réadmissions potentiellement évitables (%) 1,6 6,1 5,6 6,7 0,26 Décès prématurés (%) 0,0 4,3 4,2 4,5 0,00 Complications iatrogènes (%) 2,0 7,4 6,6 8,3 0,27 Retour à domicile (%) 90 non défini Taux d’occupation des lits (%) 42 70

Indicateurs de performance (N = 100) (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

31La durée de séjour de six jours a dépassé les cinq prévus initialement dans la moitié des cas. Elle est toutefois inférieure à la durée attendue compte tenu de la lourdeur des cas. 11 % des patients sont restés dix jours ou plus (maximum 15 jours), mais la plupart sont restés entre quatre et huit jours.

32Le coût par séjour a été de 4 261 francs, se répartissant entre 2 677 francs de soins infirmiers, 964 francs d’hôtellerie (loyer, repas, nettoyage) et 619 francs de frais de traitement (médecin, laboratoire, physiothérapie). Ce coût est nettement moins élevé que le coût attendu compte tenu des pathologies des patients (moyenne suisse). Il pourrait encore être réduit par une meilleure occupation des lits.

33Certains patients ont été réadmis, mais aucune réadmission potentiellement évitable n’a été détectée. De même, trois patients sont décédés, mais aucun prématurément : ils ont été considérés comme des fins de vie par l’outil SQLape®. Il faut cependant mentionner que des réadmissions dans un autre hôpital pourraient avoir eu lieu.

34Le taux de complications iatrogènes est inférieur au taux attendu, mais cela pourrait s’expliquer par un codage moins systématique que dans les hôpitaux.

35En principe, le séjour en UATm devrait se terminer par un retour à domicile. Aucune valeur attendue n’avait été fixée, faute de point de comparaison. L’expérience a montré que 5 % des patients ont été transférés en EMS, en raison de leur trop fort degré de dépendance. Et 5 % des patients ont été transférés aux Hôpitaux universitaires genevois, pour y recevoir des soins plus aigus et des investigations plus pointues.

36Dans l’ensemble, les patients se sont montrés satisfaits sur tous les points (figure 4), avec une participation de 52 % de questionnaires anonymes retournés (sans relance). En donnant un score de zéro aux modalités de réponse les moins bonnes et de un aux meilleures, le score moyen a été de 0,89, répartis ainsi :

  • personne très mécontente : 2 % ;
  • personne peu satisfaite (score < 0,8) : 11 % ;
  • personnes satisfaites (scores de 0,80-0,89) : 14 % ;
  • personnes très satisfaites (scores de 0,90 à 0,99) : 31 % ;
  • personnes parfaitement satisfaites (score de 1) : 42 %.

Figure 4

Satisfaction des patients (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Figure 4

Satisfaction des patients (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

37Un taux d’occupation de 70 % était visé au départ, mais il n’a été que de 42 % en raison d’une augmentation progressive du nombre de patients pris en charge.

38La nature des prestations est décrite dans le tableau II. Il est intéressant de noter que la majorité des prestations ont consisté à stabiliser l’état du patient sur le plan médical, à ajuster les traitements médicamenteux et à réduire les risques pour rassurer le patient et les proches.

Tableau II

Prestations visant à préparer le retour à domicile (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Tableau II
Types de prestations Fréquence (%) Stabilisation sur le plan médical 93 Rassurer le patient 97 Rassurer les proches 92 Prévention des chutes à domicile 49 Système d’alerte à domicile 24 Suppression de médicaments 14 Ajout de nouveaux médicaments 66 Modification des doses prescrites 42

Prestations visant à préparer le retour à domicile (Cité générations, Canton de Genève, 2014)

Discussion

39De manière générale, l’expérience a démontré la faisabilité d’une petite unité de sept lits dans une structure ambulatoire en milieu urbain, proche de la population. Les indicateurs de qualité indiquent que la sécurité des soins a été assurée, avec des taux de mortalité prématurée, de réadmissions potentiellement évitables et de complications iatrogènes inférieurs aux valeurs attendues.

40L’analyse des séjours non justifiés des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) indique un potentiel de 82 hospitalisations non justifiées pour les huit mois de l’expérience pour des patients résidant dans les communes voisines de l’UATm. Il était prévu qu’une grande partie des patients admis proviendrait de ce potentiel. Or, la majorité des patients (84 %) ont été admis pour des pathologies nécessitant en principe des soins hospitaliers. La proportion d’hospitalisations justifiées plus haute que prévue n’est pas en soi un mauvais résultat, mais il représente cependant une surprise. Finalement, plusieurs facteurs expliquent que la proportion élevée d’hospitalisations justifiées :

  • de nombreux patients ont préféré l’UATm plutôt qu’une hospitalisation (mauvaise expérience, éloignement des proches, etc.) ;
  • la présence d’un centre d’urgence ouvert 24 heures sur 24 et sept jours sur sept avec un plateau technique complet (radiologie, laboratoire, médecins spécialistes) a permis des prises en charge lourdes (hospitalisations justifiées) ;
  • la demande insistante de plusieurs EMS proches pour admettre des situations médicales complexes afin d’éviter une hospitalisation ;
  • le nombre de patients sortis des HUG très récemment dont les médecins traitants ou les services à domicile considèrent qu’une nouvelle hospitalisation ne résoudra pas la situation clinique et préfèrent une autre solution ;
  • un problème médical complexe sous-estimé ou révélé lors de l’hospitalisation ;
  • des demandes de soins palliatifs de proximité.

41Un problème imprévu est survenu au début de l’expérience-pilote avec une forte proportion de patients (22 %) souhaitant rester dans l’unité sans raison médicale au terme de leur séjour, en raison de l’épuisement des proches aidants. Ces demandes ont été acceptées à condition que les patients participent pour 97 francs par jour pour les frais hôteliers par analogie à ce qui se pratique dans les unités d’accueil temporaires de répit. Cette situation a été considérée comme problématique pour plusieurs raisons :

  • manque d’équité par rapport aux patients admis dans un hôpital (participation aux frais) ;
  • occupation inopportune des lits.

42Ce problème a été réglé par une gestion plus stricte des sorties et une plus intense collaboration avec les UAT de répit du canton et les services à domicile, avec seulement 4 % de telles situations parmi les 50 dernières admissions.

43La satisfaction des patients a été bonne, avec des commentaires généralement élogieux, notamment sur l’accueil « familial » et l’empathie et les compétences des soignants et médecins. Les critiques ont touché aux repas chauds (un seul four à micro-onde pour réchauffer cinq à six plats), le lieu inadapté pour des soins à une personne très agitée jour et nuit ou à mobilité réduite.

44Le coût peu élevé s’explique par le faible volume de prestations médicales (moins de 400 francs en moyenne par séjour). Quant aux soins infirmiers directs, ils ont été en moyenne de 5,3 heures par séjour, soit moins d’une heure par jour. Ces volumes de prestations sont relativement modestes en regard de ceux habituellement fournis en milieu hospitalier, ce qui est l’un des buts visés : la continuité des soins par les équipes soignantes habituelles permet de mieux cibler sur les justes actes à prescrire et un meilleur équilibre entre le cure et le care, les assistantes en soins communautaires se centrent sur la stabilisation de l’état de santé du patient pour rendre son retour à domicile possible. Il convient toutefois de noter que presque la moitié (45 %) des patients admis ont été suivis par leur médecin traitant habituel, qui n’ont ainsi pas eu besoin de refaire d’investigations inutiles. Une proportion importante du temps infirmier a été consacrée à la mise en place d’un suivi à domicile pour des soins infirmiers, des aides-ménagères, de la physiothérapie, de l’ergothérapie, un appui pour aider les patients à gérer leur insuline, adapter un traitement anticoagulant, trouver une dame de compagnie, mettre des bandes de contention, acquérir une chaise percée, mise en place d’un traitement par oxygénothérapie, d’une antibiothérapie, de soins de plaie, de pose de bandages de contention, de discussions pour trouver une solution après une dispute conjugale. Beaucoup de séjours ont été motivés par une adaptation du traitement antalgique ; ceci est en concordance avec étude récente montrant que les séjours pour soins palliatifs justifient souvent des séjours courts à l’hôpital pour cette seule raison [25]. On note également qu’un quart des séjours sont associés à un effondrement du réseau de proches aidants (hospitalisation du conjoint, fatigue, soins complexes). Le séjour a souvent permis d’organiser un soutien à domicile plus intense ou de visiter un EMS. Enfin, un appui psychologique a été apporté à des patients déprimés, ou en fin de vie. L’importance d’une bonne gestion des effets secondaires des médicaments, de l’organisation du support social et d’aide à domicile a été également soulignée dans une autre étude récente [26].

45Le taux d’occupation est encore insuffisant et des efforts sont désormais entrepris pour que l’hôpital adresse plus de patients lorsqu’un séjour en structure intermédiaire paraît indiqué et pour inviter les médecins de la région à suivre leurs patients dans cette structure. L’opportunité de développer une seconde structure intermédiaire dans le canton pour garder cette proximité des soins est à l’étude, tout en portant une attention particulière au curriculum des médecins responsables pour s’assurer qu’ils mettent l’accent sur la liaison avec les autres services ambulatoires [27].

Conclusion et recommandations

46L’expérience-pilote a démontré la faisabilité d’une unité d’accueil temporaire médicalisée en toute sécurité. La proximité d’un plateau médicotechnique complet a été un atout pour assurer un diagnostic rapide ; la connaissance du patient par le médecin traitant habituel a également permis d’aller directement à l’essentiel sans déclencher des prestations non pertinentes et sans perdre des informations utiles à la continuité des soins.

47La spécificité de l’UATm a été d’organiser d’emblée le retour à domicile par des prestations de liaison ambulatoire. L’absence de réadmission potentiellement évitable, l’absence de décès prématurés et le faible nombre de complications suggèrent que les soins médicaux et infirmiers ont été adéquats. Le niveau de satisfaction des patients se situait généralement de bon à très bon.

48La notoriété de l’UATm doit être améliorée pour que les médecins de la région puissent y recourir plus souvent. Par ailleurs, une étroite collaboration avec l’hôpital universitaire pourrait être intensifiée pour qu’il adresse plus de patients correspondant à la mission de l’UATm (soins gériatriques de proximité).

49La collaboration avec les services à domicile et les unités d’accueil temporaire de répit doit se poursuivre pour éviter un engorgement par des patients stabilisés sur le plan médical.

50Les assureurs maladie se sont montrés intéressés à l’expérience en acceptant de financer un forfait par jour pour les soins et l’hébergement, moins cher qu’une hospitalisation classique. La question d’une participation du canton est actuellement en discussion.

51Finalement, on observe que de telles structures intermédiaires peuvent apporter une solution satisfaisante pour des soins gériatriques de proximité, à condition toutefois de faire tomber les barrières entre les institutions sanitaires :

  • barrières géographiques, en réunissant sous un même toit tous les fournisseurs de prestations (médecins, infirmiers, pharmaciens, plateau médicotechnique, lits d’hospitalisation), tout en limitant le bassin de recrutement aux patients de la région pour faciliter la collaboration avec les médecins installés ;
  • barrières financières, en cherchant des solutions de financement qui dépendent de la situation (soins ambulatoires, soins hospitaliers, séjour de répit pour les proches, attente de placement en établissement médico-social) et pas de l’institution qui fournit les prestations ;
  • barrières communicationnelles, en informant et en associant les partenaires concernés en amont et en aval (médecins installés et hospitaliers, infirmiers et aides à domicile, proches-aidant, information de la population).

52Aucun conflit d’intérêt déclaré

Remerciements

Les auteurs remercient chaleureusement Mme Elisabeth Debenay et M. Thierry Blanc de la Direction de la santé (DEAS) du canton de Genève pour avoir délivré le mandat d’évaluation au premier auteur de l’article, sans lequel cette recherche n’aurait pas vu le jour. Les commentaires et les conclusions de la présente étude n’engagent cependant que les auteurs.
Notre reconnaissance va également au Dr Marc-André Raezo qui a étroitement participé à la clarification des critères d’admission des patients, ainsi qu’au calcul des coûts.
Enfin, nous tenons à remercier la Direction des Hôpitaux universitaires genevois, notamment Mme Brigitte Rorive Feytmans, directrice de l’analyse médico-économique, pour nous avoir aimablement donné accès aux données de la statistique médicale de l’hôpital.

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Mots-clés éditeurs : recherche en efficacité comparative, critères d’admission, structure intermédiaire, étude de cas d’organisation de structure, continuité des soins, gériatrie, admission du patient

Date de mise en ligne : 26/03/2015

https://doi.org/10.3917/spub.150.0167

Notes

  • [1]
    Institut universitaire de médecine sociale et préventive – Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et Faculté de médecine de l’Université de Lausanne – Biopôle 2 – route de la Corniche 10 – 1010 Lausanne (Suisse).
  • [2]
    Cité Générations – Onex – Suisse.
  • [3]
    Réseau de Soins Delta – Onex – Suisse.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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