Notes
-
[1]
Citons à titre d’exemple celle-ci, qui trébuche sur plusieurs des écueils présentés ci-dessus. Elle correspond à la « version large » : « Les inégalités sociales de santé font référence à toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale » [4]. Elles sont donc tous les écarts de santé, justes ou pas, ce qui les distingue, précisent les auteurs, des iniquités sociales de santé, expression désignant les seuls écarts considérés injustes. Dès lors, on ne peut que s’interroger sur la justification de l’appel lancé par le titre de l’ouvrage : (pourquoi alors) Réduire les inégalités sociales en santé (?). Autre incohérence, cette définition très large des ISS est, sitôt énoncée, refermée par une liste de seulement trois catégorisations sociales : « Elles renvoient aux écarts, généralement évitables, entre hommes et femmes, entre groupes socio-économiques et entre territoires, qui ont un impact sur de nombreux aspects de la santé des populations. » Enfin, l’adverbe « généralement » laisse ouverte la possibilité que des ISS soient « non évitables », une éventualité qui laisse perplexe.
-
[2]
Au 3 juillet 2020, parmi les personnes décédées de la Covid-19 au Québec depuis le début de la pandémie, on comptait 33,7 % de personnes âgées de 90 ans ou plus, et 86 % de personnes vivant dans une résidence pour personnes âgées, publique ou privée. Dans certaines maisons de retraite, plus de 40 % des résidents étaient décédés de la Covid-19. Le taux de mortalité au Québec était de 652 décès par million d’habitants [10]. Dans la région métropolitaine de Montréal, où sont intervenus la plupart de ces décès québécois, le taux de mortalité, de 1 613 par million d’habitants au 23 juin 2020, était parmi les plus élevés des métropoles d’Amérique du Nord et d’Europe [11].
-
[3]
Au 14 juin 2020, à Montréal, 46 % des femmes ayant contracté le coronavirus, hors maisons de retraite, sont des professionnelles de santé, contre 19 % des hommes [15].
-
[4]
Au 3 juillet 2020 [10]. Le Canada est un des rares pays au monde ou plus de femmes que d’hommes meurent de la Covid-19 [16].
-
[5]
En 2017, au Québec, les femmes étaient près de deux fois plus nombreuses que les hommes (24 % versus 13 %) à occuper un emploi à temps partiel [18].
-
[6]
Au Québec, 22 % des personnes à faibles revenus déclaraient un soutien social faible en 2009 [20].
-
[7]
En France, le hashtag #NousToutes, il est interdit de sortir mais pas de fuir, diffusé sur les réseaux sociaux, en était une expression glaçante.
-
[8]
À quelques centaines de kilomètres de Montréal, New York a subi de plein fouet la première vague de la pandémie. Pourtant, la décision de fermer les écoles publiques, que fréquentent un million d’élèves, n’y a pas été prise à la légère. C’était en effet priver de l’assurance d’avoir au moins un repas par jour les 750 000 élèves qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, dont 100 000 sans domicile fixe [23].
-
[9]
Au 16 mai 2020, le taux d’infection (en excluant les cas en maison de retraite et centres de détention) était près de deux fois et demie plus élevé dans les quartiers défavorisés (en termes socio-économiques) de Montréal que dans les favorisés [25].
-
[10]
Par manque de place, les inégalités selon l’origine nationale et de pays de naissance ne sont pas présentées. Outre bien sûr les pistes d’analyse communes à celles des inégalités ethno-raciales, il y aurait eu lieu de discuter d’enjeux spécifiques aux étrangers comme celui des droits sociaux, et notamment du non accès des étrangers en situation irrégulière à la couverture maladie publique québécoise [27].
-
[11]
Au Canada, les statistiques identifient beaucoup plus souvent les Autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis), surtout ceux qui vivent dans les réserves, que les minorités visibles (personnes qui n’ont pas la peau blanche et qui ne sont pas autochtones).
-
[12]
À noter que l’hécatombe crainte n’a pas eu lieu. À la fin de l’été 2020, le taux de contamination chez les Premières Nations vivant dans des réserves était trois fois moins élevé que celui au Canada dans son ensemble [34]. Les raisons restent à analyser mais la précocité des mesures de protection telles que la fermeture des frontières des territoires autochtones y a certainement contribué. Ces statistiques ne doivent cependant pas occulter les conséquences indirectes de la crise, potentiellement dramatiques, comme l’interruption des liaisons aériennes permettant notamment l’approvisionnement des réserves en nourriture.
-
[13]
Au Canada, en 2016, 34 % des aides-soignants et des aides-infirmiers étaient issus des minorités visibles (il s’agissait surtout de femmes), minorités qui ne constituaient que 22 % de la population vivant au Canada [35].
Introduction
1Mi-mars 2020 : alors que la pandémie de Covid-19 s’impose brusquement dans l’actualité québécoise, deux expressions connaissent une soudaine popularité dans la province canadienne : « on est tous dans le même bateau » et « ça va bien aller ». Comme pour conjurer la sidération et l’anxiété ambiantes, elles sont répétées dans les médias, illustrées d’un arc en ciel sur des affiches posées aux fenêtres, et font office de salutations clôturant les conversations informelles. Il parait pourtant rapidement évident que ça va moins bien pour certains que pour d’autres. La virulence du nouveau coronavirus est manifestement décuplée auprès de ses victimes les plus âgées. Pire, le déclin « naturel » lié aux années ne semble pas seul en cause dans la vulnérabilité face au virus : certaines caractéristiques sociales semblent aussi lui offrir un terrain favorable. Si d’ailleurs l’allusion au bateau évoque chez certains esprits désabusés la silhouette du Titanic, c’est moins pour l’inéluctabilité du naufrage (quoique) que pour le mode de répartition des passagers dans des canots de sauvetage trop peu nombreux, qui tenait moins du hasard ou de l’agilité que de la classe sociale. Au fil des tribunes et des témoignages, s’impose bientôt un constat qui contraste avec l’optimisme affiché les premières semaines : celui de fortes inégalités sociales de santé face à la pandémie.
2Mais qu’entend-on précisément par « inégalités sociales de santé », au-delà du constat que cela va moins bien pour certains que pour d’autres ? Le concept est couramment mobilisé sur les scènes scientifiques et politiques et dans le débat social, mais le contenu qui lui est associé semble inconstant. J’en propose ici une définition qui le dote d’une dimension morale et d’un potentiel d’action politique. Ces clarifications étant faites, je le mobilise sur un terrain empirique précis – la société québécoise aux prises avec la pandémie de Covid-19 au printemps 2020, avec un focus sur Montréal, l’épicentre, au Canada, de cette première vague. Je commence par passer en revue les inégalités dans l’exposition aux risques 1) d’être infecté par le nouveau coronavirus, 2) d’en mourir, puis 3) de voir sa santé affectée par la pandémie sans être nécessairement infecté par le nouveau coronavirus. Je poursuis cette analyse en développant une perspective systémique à partir du cas particulier des inégalités ethno-raciales.
Pour une définition précise et engagée des inégalités sociales de santé
3Les inégalités sociales de santé (ISS) sont diversement définies. Une première définition, très large, qualifie de telle toute différence de santé en rapport avec des caractéristiques sociales. Le champ de l’épidémiologie sociale se retrouve ainsi entièrement inclus dans celui des ISS, sans égard à la diversité des processus en cause dans les différences de santé. En particulier, des différences qui résultent d’une oppression (raciste par exemple) sont qualifiées d’inégalitaires tout comme le sont des différences liées à des pratiques culturellement différenciées (susceptibles par exemple de moduler l’exposition à certaines maladies infectieuses [1]). Indubitablement, cette absence de discernement n’aide guère à l’analyse. Surtout, elle affaiblit l’efficacité politique du concept.
4Si en effet on choisit, à l’inverse, de resserrer la définition aux seules différences de santé qui résultent d’une oppression, alors on inscrit le concept dans un espace moral et politique singulier. Désigner par un terme qui leur est propre les différences résultant d’une oppression, c’est suggérer leur caractère inacceptable et légitimer la lutte contre elles. La délimitation du concept (selon qu’on lui donne une définition large ou bien resserrée autour des seules oppressions) ne fait donc pas que découper la réalité : elle participe d’une conscience critique. Elle est déjà un acte politique.
5La définition ainsi resserrée des ISS est donc la suivante : ce sont des différences de santé, observées entre des groupes sociaux, et qui résultent du ou des rapport(s) de pouvoir qu’entretiennent ces groupes.
6De nombreux auteurs adoptent cette définition, mais en l’assortissant d’une précision supplémentaire : parmi ces différences, seules celles qui sont au désavantage des groupes opprimés sont des inégalités, car elles seules sont injustes [2]. S’il est crucial de ne retenir, dans la définition des ISS, que les différences de santé injustes, on peut cependant s’interroger sur l’équivalence stricte ainsi posée entre ces dernières et des différences qui désavantagent des groupes opprimés. Une telle équivalence suggère, en effet, que les différences de santé qui pénalisent les groupes dominants sont justes – parce qu’elles « feraient payer » à ces derniers leur avantage social ? Il semble délicat de réduire la justice à une telle arithmétique. Prenons l’exemple, classique, de l’espérance de vie plus courte chez les hommes que chez les femmes. Cette différence s’explique, en partie au moins, par la prévalence supérieure chez les hommes de comportements à risque pour la santé, comme fumer, boire de l’alcool, conduire vite sur la route et tarder pour se faire soigner, notamment en santé mentale. Ces comportements seraient préférentiellement adoptés par les hommes car, correspondant aux représentations de la virilité couramment partagées dans nos sociétés, ils signifient et légitiment leur domination sur les femmes [3]. C’est donc en exprimant (et en performant) leur position avantagée au sein du rapport de genre que les hommes se mettraient en danger. Pour autant, leurs décès en excès par cancer pulmonaire ou suicide ne sauraient être qualifiés de « justes ».
7La définition adoptée dans cet article place donc les rapports de pouvoir au cœur de la définition des ISS, mais sans être restreinte aux seules différences de santé qui sont au détriment des opprimés : toutes les différences de santé résultant d’un rapport de pouvoir sont des ISS, quels que soient les groupes sociaux (dominants ou dominés) qu’elles défavorisent.
8Dernière précision : l’éventail des rapports de pouvoir potentiellement en cause ne peut être fixé une fois pour toutes, comme le font certaines des définitions sus mentionnées [1]. Chaque situation requiert, en effet, de rebattre les cartes en se demandant quels rapports sociaux (socio-économique, genre, race, orientation sexuelle, quartier d’habitation, etc.) s’avèrent influencer l’exposition des individus aux divers déterminants de la santé. C’est précisément cette écoute toujours renouvelée du terrain qui permet, aujourd’hui, de qualifier d’inégalités des différences de santé qui, hier, étaient considérées comme des différences justes puisque naturelles (comme les différences entre Blancs et Noirs dans les États-Unis du 19e siècle, comprises aujourd’hui comme la traduction de l’oppression esclavagiste) ou culturelles (comme les différences entre immigrés et non immigrés en France, qui ne sont perçues comme l’expression de discriminations que depuis « l’invention » de ce concept, à la fin des années 1990 [5]). Compte tenu de ces précisions, une analyse des inégalités face à la Covid-19 consiste à étudier l’impact différencié qu’a la pandémie sur la santé d’individus occupant différentes positions au sein de divers rapports de pouvoir.
L’épaisseur sociale des courbes de la pandémie
9Cette analyse commence avec les statistiques des victimes directes de la pandémie, c’est-à-dire les cas d’infection et les décès. Il s’agit donc ici de comprendre comment l’exposition à ces deux risques est différenciée selon divers rapports de pouvoir.
Les inégalités dans le risque d’être infecté
10Un premier rapport de pouvoir en cause dans les inégalités dans le risque d’être infecté est socio-économique. Les travailleurs qui ne peuvent pas rester confinés chez eux, car ils sont employés dans des secteurs essentiels et leur travail ne peut être exécuté depuis le domicile (commerces d’alimentation, services de livraison et de transport, industrie agro-alimentaire et care, par exemple), sont plus souvent peu qualifiés et à faibles revenus [6]. En outre, la faiblesse des revenus est, en elle-même, un incitatif à continuer à travailler et donc à sortir de chez soi. Enfin, des inégalités socio-économiques peuvent se creuser dans la compréhension des mesures préventives et leur accessibilité (masque, produits désinfectants, « gestes barrières »).
11Un deuxième rapport de pouvoir qui vient moduler le risque d’être infecté est le genre. La division sexuelle du travail tend à orienter les femmes dans des secteurs d’activité impliquant de nombreux contacts humains (santé, éducation, caissières, etc.). Au Canada, les femmes occupent 76 % des postes considérés comme les plus à risque, et au Québec, 81 % des emplois en santé et services sociaux [7] ; elles sont en revanche plus susceptibles que les hommes d’occuper des emplois pouvant être exercés à domicile [6].
12Si les rapports socio-économiques et de genre sont de grands classiques sur la scène des inégalités sociales de santé, la crise a fait surgir de l’ombre les dominés d’un rapport de pouvoir moins souvent pris en considération : celui qu’entretient la société vis-à-vis de ceux qu’elle juge devoir enfermer. Les difficultés à respecter la distanciation sociale et une hygiène minimale ont révélé la piètre qualité des conditions de vie réservées aux détenus et aux immigrés en situation irrégulière (ainsi qu’aux personnes sans domicile fixe hébergées, même si leur internement ne leur est pas imposé), dont les établissements sont chroniquement sur-occupés. Mais c’est quand la crise a jeté une lumière crue sur les conditions de vie dans les maisons de retraite, faisant apparaître ces dernières comme un autre type de lieu de relégation, que l’opinion publique s’est le plus émue. La propagation du virus y a été facilitée, selon maints observateurs, par la faiblesse chronique des budgets publics alloués à ces établissements, symptomatique d’un mépris récurrent pour leurs résidents [8, 9]. Ont notamment été mis en cause le manque d’espace (chambres partagées) et les mauvaises conditions de travail des soignants : déjà en effectif insuffisant, ils sont devenus des vecteurs du virus en raison de leur affectation simultanée dans différents établissements, voire parce que la faiblesse de leurs salaires les contraignait à continuer à travailler malgré des symptômes de l’infection.
Les inégalités dans le risque de développer une forme grave de l’infection, voire d’en mourir
13Les personnes dont l’état de santé était déjà altéré avant leur contamination sont plus à risque de connaître une évolution péjorative de l’infection. C’est le cas, bien sûr, des personnes âgées. Cependant, leur vulnérabilité, quand elles sont infectées, ne tient pas simplement au déclin « naturel » lié aux années. Comme elles les ont exposées au risque d’être infectées, leurs conditions de vie en collectivité ont considérablement accru leur risque d’en mourir. Certaines personnes n’ont pas été hospitalisées dans le souci de conserver des lits hospitaliers disponibles pour des patients plus jeunes et au pronostic jugé plus favorable. Elles sont alors décédées sur place, alors que les arrêts maladie des soignants infectés venaient exacerber l’insuffisance d’effectif et que les proches, interdits de visite, ne pouvaient plus jouer aucune aide, d’alerte ni de soutien matériel ou émotionnel : un épisode dramatique dans l’histoire québécoise de la prise en charge institutionnelle des aînés, et une leçon tristement cynique de sociologie de la santé, puisque c’est chez ceux dont la vulnérabilité naturelle au virus était la plus attendue que s’est manifestée avec le plus de fracas une autre vulnérabilité, celle-ci construite par la société. L’hécatombe causée par le virus dans les maisons de retraite, conjuguée à la proportion particulièrement élevée, au Québec, de personnes âgées vivant dans ces établissements, est l’une des principales explications avancées au taux de mortalité plus élevé dans cette province que dans les autres du Canada et que dans la plupart des pays occidentaux [2].
14Le risque de décès en cas d’infection est également accru chez ceux dont la santé était déjà affectée par, notamment, une maladie chronique respiratoire ou cardio-vasculaire, un diabète ou une obésité [12], autant de facteurs dont la fréquence augmente à mesure que les revenus sont plus faibles [13]. La pollution atmosphérique par des particules fines est un autre facteur de surmortalité en cas de Covid-19 [14] et elle est plus souvent présente dans les quartiers plus pauvres. La Covid-19 joue ainsi le rôle d’une loupe grossissante sur des inégalités socio-économiques de santé préexistantes.
15La pandémie illustre une autre inégalité déjà connue, qui a été mentionnée plus haut, celle de genre, avec une surmortalité des hommes parmi les personnes infectées. Si les hommes meurent plus que les femmes de la Covid-19, c’est, en partie, pour les raisons qui les font aussi plus mourir de bien d’autres maladies : leur tendance supérieure à adopter des comportements à risque pour la santé, en l’occurrence ici, notamment, la consommation de tabac, facteur de risque de maladies chroniques respiratoires et cardio-vasculaires. Cependant, la surmortalité des hommes présente, en matière de Covid-19, une particularité notable : elle s’associe à une surmorbidité des femmes, liée à leur surreprésentation dans les métiers exposés à l’infection [3] (et, chez les 80 ans et plus, à leur surreprésentation dans les maisons de retraite). Au Québec, la surexposition des femmes est d’ailleurs telle (59 % des cas) que, malgré leur sous mortalité (parmi les personnes infectées), elles sont plus nombreuses que les hommes à mourir de la Covid-19 (55 % des décès) [4].
Au-delà des statistiques de la pandémie : les inégalités dans le risque d’être affecté sans nécessairement être infecté
16Dès le début de la crise sanitaire au Québec, des voix se sont élevées pour demander que les statistiques recueillent plus finement les caractéristiques socio-économiques et raciales des victimes afin de rendre visibles les inégalités dans le risque d’être contaminé et celui de mourir de la Covid-19. Toutefois, si ces statistiques sont indispensables, elles ne peuvent permettre de dresser un portrait complet des inégalités de santé face à la Covid-19. Un tel portrait requiert en effet d’identifier les victimes que le virus atteint sans nécessairement les infecter. Il exige donc de suivre, aussi, les déterminants sociaux de la santé dont l’équilibre est bouleversé par les stratégies de gestion de la pandémie (telles que le confinement et la réorganisation du système de soins) et leurs conséquences sociales (récession économique et école à la maison, notamment) et auxquels l’exposition est différenciée selon des rapports de pouvoir.
Revenus
17Les femmes ont souffert plus durement et plus durablement du chômage que les hommes pendant le printemps 2020 [17], ce qui pourrait s’expliquer par la division sexuelle du travail : elles sont surreprésentées dans le secteur des services, très touché par la crise (hébergement, restauration, commerce, culture) (Springmann, 2020), et leur implication supérieure dans les tâches domestiques se traduit par 1) leur surreprésentation dans les emplois à temps partiel et de durée déterminée [5], facteurs de fragilité en cas de crise, et 2) une incitation à se consacrer aux soins des enfants déscolarisés plutôt qu’à chercher à retravailler. Or, le chômage est un déterminant de la santé par son impact sur les conditions de vie matérielles, mais aussi en tant que facteur de stress. Un sondage réalisé au Québec en juin 2020 [17] a révélé que, conformément aux courbes du chômage, les femmes s’étaient, plus que les hommes, inquiétées de ne pouvoir payer prochainement leurs factures pendant le confinement du printemps.
18Dans ce même sondage, les 55 ans et plus se disaient plus inquiets que les plus jeunes, ce qui peut se comprendre à la lumière du mode de financement des retraites au Québec, où ces dernières dépendent souvent des rendements de fonds d’investissement et sont donc menacées par l’instabilité des marchés financiers qu’a provoquée le début de la crise sanitaire.
19Enfin, ce sondage révélait que le niveau de revenu des ménages ne différenciait guère l’augmentation de cette inquiétude, ce qui pourrait être mis sur le compte des prestations gouvernementales qui ont permis d’éviter que l’arrêt brutal des activités de travail ne se traduise par celui des rentrées d’argent.
Réseau social
20Le confinement accroît le risque de solitude, laquelle constitue un stress délétère à la santé [19]. Les individus de faible statut socio-économique et les plus âgés y sont particulièrement exposés, du fait notamment d’un faible soutien social préalable [6], d’un moindre accès au numérique à domicile et d’un analphabétisme (qui concerne 22 % des Québécois [21]). La raréfaction des interactions sociales et des activités physiques a pu en outre accélérer les pertes cognitives et de mobilité chez les personnes âgées.
21Un autre stress relationnel lié au confinement, lui aussi accru en cas de défavorisation socio-économique, provient de l’inconfort du domicile. Cette inégalité a d’ailleurs suscité des réactions de colère, sur les réseaux sociaux, face aux vidéos de célébrités filmant leur confinement depuis leurs yachts ou leurs manoirs.
22Le genre vient lui aussi moduler le stress relationnel occasionné par le confinement. L’implication supérieure des femmes dans les soins des enfants [18] surexpose ces dernières au stress lié à la gestion d’enfants déscolarisés. En cas de partenaire violent, le huis clos exacerbe encore le danger. Les femmes et les enfants y sont particulièrement vulnérables. Une femme sur 10 au Canada a rapporté avoir éprouvé « beaucoup ou énormément d’inquiétude » vis-à-vis du risque de violence familiale dans son foyer confiné [22] [7].
Soins et services sociaux
23Pendant le printemps 2020, de nombreux services de soins ont été mis à l’arrêt ou réaffectés à la Covid-19, privant de soins, au moins partiellement, des personnes ayant des besoins autres. Certaines, handicapées ou malades au long cours, ont dû composer avec l’interruption ou la raréfaction de leur suivi. D’autres, affectées par un problème aigu, n’ont pas osé se présenter aux services d’urgence par crainte de surcharger indûment des soignants déjà débordés et de s’exposer au virus. D’autres encore, qui devaient se faire opérer, ont vu leur intervention reportée. Or, il y a tout lieu de penser que ces difficultés d’accès aux soins suivent un gradient socio-économique. Les plus riches, les mieux éduqués et ceux dotés des « bonnes » relations parviennent mieux que les autres à obtenir les soins dont ils ont besoin (Gelly & Pitti, 2016), même dans un système de soins voulu universel comme le québécois – et surtout en temps de crise : ils savent mieux évaluer la gravité de leurs symptômes (pour peser le pour le contre de se rendre aux urgences), osent insister auprès de leur médecin et dialoguer avec lui d’égal à égal (pour obtenir des soins reportés), voire mobilisent leurs ressources économiques et leurs réseaux. Enfin, l’interruption de nombreuses liaisons aériennes permettant habituellement aux patients vivant loin de Montréal de se faire suivre a creusé des inégalités territoriales dans l’accès aux soins.
24Quant aux services sociaux directement destinés à des publics défavorisés, leur interruption a pu avoir un impact immédiat d’aggravation des inégalités, et potentiellement des inégalités de santé. Pensons par exemple aux repas servis en milieu scolaire aux enfants de familles à faibles revenus et aux banques alimentaires [8].
Éducation
25C’est habituellement pendant les mois d’été que les enfants des milieux socio-économiques favorisés distancent les autres dans l’acquisition de compétences scolaires [24] et il ne fait guère de doute que ce printemps d’école à la maison leur a donné une bonne longueur d’avance. Le statut socio-économique différencie la difficulté des élèves et des étudiants à poursuivre leurs études depuis leur domicile, selon deux de ses composantes : le revenu (par l’accès au numérique et à un espace suffisamment grand et tranquille pour se concentrer) et l’éducation (celle des parents les aide à accompagner leurs enfants). Or l’éducation étant un déterminant majeur de la santé, à court, mais aussi à long terme, les inégalités scolaires parmi les enfants d’aujourd’hui sont le terreau des inégalités de santé parmi les adultes de demain. La pandémie se joue ici une seconde fois du simplisme des interprétations sur la virulence du virus par « la nature ». En effet, en plus de démontrer que la fragilité des personnes âgées ne se réduit pas, loin de là, à une simple question de déclin « naturel », elle creuse de futures inégalités de santé entre des individus qui sont encore des enfants, c’est-à-dire la population réputée lui être la plus naturellement résistante.
Stigmatisation des « coupables »
26Le sentiment de vivre dans un environnement hostile est tristement familier des minorités raciales. Il est exacerbé en temps d’épidémie, quand elles sont vues comme les vectrices du malheur. Au printemps 2020, ce rôle de bouc émissaire a été attribué aux personnes d’origine asiatique, sous la houlette notamment du Président des États-Unis qui qualifiait avec insistance le nouveau coronavirus de « virus chinois ». À Montréal, un groupe Facebook s’est constitué pour offrir un service d’accompagnement à celles de ces personnes qui craignaient de se déplacer seules.
27Les personnes âgées ont, elles aussi, pu faire les frais du ressentiment de ceux qui considéraient que c’était pour les protéger, elles avant tout, que l’économie était à l’arrêt. Ces manifestations d’âgisme se sont exprimées notamment dans le succès de l’expression BoomerRemover, qui suggérait que leur surmortalité était plutôt bienvenue au regard du poids que leur survie ferait peser sur la société.
28Les habitants des quartiers défavorisés sur le plan socio-économique ont pu se voir reprocher de contribuer à la propagation du virus par leur prétendue indiscipline vis-à-vis des consignes de distanciation physique et des règles du confinement. La pandémie, en frappant particulièrement leurs quartiers [9], a ainsi pu renforcer le stéréotype de « classes dangereuses » classiquement associé aux classes populaires.
29Enfin, l’orientation sexuelle n’est jamais loin quand il est question de désigner les vecteurs d’une épidémie (pensons au VIH). L’exemple de la Corée du Sud, où la rumeur selon laquelle le client d’un bar réputé accueillir une clientèle homosexuelle aurait contaminé plusieurs dizaines de personnes en une soirée a suscité une vague de réactions homophobes, a certainement préoccupé les minorités sexuelles de bien d’autres sociétés, y compris la québécoise pourtant réputée moins homophobe que d’autres.
30Or, quelle que soit sa cible – race, âge, quartier, orientation sexuelle –, l’hostilité perçue est un facteur de stress susceptible d’affecter la santé, mentale et physique [26].
Une analyse systémique des inégalités sociales de santé : le cas des inégalités ethno-raciales
31Les pages précédentes sont restées discrètes sur un rapport de pouvoir : l’ethno-racial [10]. Pourtant, celles des statistiques de la Covid-19 qui recueillent l’ethnie et la race révèlent de fortes inégalités. Ainsi par exemple, au moment où sont écrites ces lignes, la mortalité par la Covid-19 des Noirs est 2,3 fois plus élevée que celle des Blancs aux États-Unis [28] et 4 fois plus au Royaume-Uni [29]. Deux questions s’imposent alors : pourquoi avoir si peu mentionné ces inégalités dans les pages précédentes et pourquoi sont-elles d’une telle ampleur ?
Deux raisons de « passer à côté » des inégalités ethno-raciales face à la Covid-19
32Ne pas recueillir de statistiques ethniques et raciales des cas et des décès de la Covid-19 est assurément un bon moyen de ne pas voir les inégalités en la matière. Cette situation prévaut dans certains pays comme la France, malgré des débats houleux dont, par manque d’espace, ne sont rapportés ici que deux des principaux arguments contre de telles statistiques : 1) celles-ci légitimeraient (et donc encourageraient) les différences de traitements opérées au nom de ces catégorisations et 2) l’appréciation de ces catégories serait trop subjective pour être reproductible de façon fiable (qu’est-ce qu’un Noir ? Qu’est-ce qu’un Blanc ? etc.) ? D’autres pays prennent le contre-pied de ces deux arguments en faisant valoir, dans une posture pragmatique, que 1) ne pas compter les races n’empêche pas le racisme d’œuvrer, alors autant mesurer ses effets afin de mieux lutter contre et 2) le fait que les contours des catégories ethniques et raciales varient d’une société et d’une époque à une autre n’empêche pas qu’il y ait un certain consensus en la matière, dans une société et à une époque données – un consensus suffisamment fort pour se traduire dans une défavorisation des minorités, que les statistiques ne manquent pas d’identifier dès lors que leur en sont donnés les moyens. Le débat sur les statistiques ethniques et raciales offre ainsi une nouvelle illustration de la continuité entre enjeux scientifiques et politiques, déjà soulignée à propos de la définition des inégalités sociales de santé.
33Pour autant, même quand leur principe est accepté, les statistiques ethno-raciales ne sont pas systématiquement recueillies dans le cadre de la pandémie. Ainsi, à l’heure où sont écrites ces lignes, elles le sont au Royaume-Uni, mais pas partout aux États-Unis ni au Canada [11], en dépit des demandes répétées d’associations représentant les minorités ethno-raciales. Au Québec, l’appartenance ethno-raciale des personnes infectées n’est pas recueillie, mais on dispose de données écologiques (c’est-à-dire caractérisant un collectif territorial et non des individus) sur la composition ethno-raciale des différents quartiers, issues du recensement de la population. Ces données révèlent qu’à Montréal, les quartiers sont d’autant plus touchés qu’y sont plus représentées les minorités visibles, en premier lieu les Noirs (près de trois fois plus d’infections dans les quartiers où ils sont les plus nombreux) [30].
34Une autre raison de l’absence relative des inégalités ethno-raciales dans les analyses de la Covid-19 est la tendance à n’y voir que des inégalités socio-économiques : pourquoi mesurer des différences ethno-raciales si celles-ci ne sont, finalement, que des inégalités socio-économiques ? Ainsi, aux États-Unis, c’est manifestement la pauvreté qui surexpose les Noirs aux risques 1) d’être infectés (emplois précaires dans des services essentiels, tels que conducteurs de bus, caissiers dans les supermarchés ou aides-soignants, utilisation des transports en commun, logements exigus où cohabitent trois générations et où il est difficile de se laver les mains car il n’y a pas d’eau courante, comme à Détroit), 2) de succomber à l’infection (santé déjà dégradée par des maladies chroniques, difficultés à se faire soigner en raison de l’absence d’assurance maladie et de la vie dans un quartier peu doté en services de soins) et 3) de mal supporter la pandémie (logements inconfortables, économies insuffisantes pour « tenir le coup » en cas d’interruption prolongée de l’activité professionnelle, etc.) [31]. On retrouve des facteurs de risque similaires chez les Noirs vivant au Royaume-Uni [32].
35Cette récurrence de la défavorisation socio-économique chez les minorités ethno-raciales est d’ailleurs telle qu’elle permet d’anticiper la vulnérabilité de ces dernières face à la Covid-19, avant même de disposer de statistiques pertinentes. Ainsi, dès le début de la pandémie au Québec, des chercheurs ont lancé un cri d’alarme [33] à l’égard des risques élevés des Autochtones vivant dans des réserves 1) de s’infecter (les logements surpeuplés, peu aérés et privés d’eau potable, facilitent la propagation du virus), 2) de mourir de l’infection (la malnutrition et l’exposition élevée aux contaminants environnementaux affaiblissent le système immunitaire, et le diabète accroît le risque de complication) et 3) de mal supporter la crise (notamment en raison des logements surpeuplés) – autant de facteurs de risque dont la fréquence est manifestement accrue par la pauvreté [12].
36Ce sont également des analyses socio-économiques qui viennent éclairer la vulnérabilité exacerbée à la Covid-19 de quartiers où sont surreprésentées des minorités ethno-raciales. C’est le cas du quartier de Montréal-Nord, à Montréal, dont nombre des habitants sont immigrés et racisés (originaires d’Haïti et d’Algérie, en particulier), et dont la défavorisation socio-économique élevée augmente les risques 1) d’être infectés (densité élevée d’habitants, sur-occupation des logements, cohabitation multigénérationnelle, emplois dans les secteurs essentiels et en particulier dans la santé [13], quartier excentré impliquant de longs trajets en transport en commun) et 2) de succomber à l’infection (offre de soins locale faible, état de santé préalablement altéré) [30].
37À Montréal toujours, un sondage mené au printemps 2020 révélait d’ailleurs un impact économique de la crise plus important chez les membres des minorités visibles – 49 % avaient perdu leur emploi et 28 % estimaient avoir subi des pertes financières majeures, contre respectivement 31 % et 18 % chez les Montréalais blancs [30].
38Toutes ces situations où les minorités ethno-raciales s’avèrent plus fortement touchées par la Covid-19 du fait de leur défavorisation socio-économique exigent cependant une analyse supplémentaire : celle des processus qui lient minorisation ethno-raciale et minorisation socio-économique – des questions qui emmènent sur le terrain des discriminations. Ont par exemple été bien documentées les discriminations dont sont victimes les Noirs aux États-Unis, multiples, qui interagissent les unes avec les autres et enferment leurs victimes dans la pauvreté, génération après génération. Un exemple parmi bien d’autres est la ségrégation résidentielle [36]. Les discriminations sur les marchés du logement et du crédit orientent les Noirs dans certains quartiers spécifiques. L’offre de soins et scolaire étant financée par les taxes foncières, celle qui prévaut dans les quartiers noirs est de bien plus faible qualité que celle des quartiers blancs, du fait du moindre revenu moyen des Noirs. Ces derniers, mal soignés et peu éduqués, n’ont alors guère de chance de voir s’améliorer leur situation socio-économique ni celle de leurs enfants. Cet enchaînement qui mène du racisme à la santé en passant par la pauvreté a pu être identifié à propos de bien d’autres minorités ethno-raciales. Cette analyse, bien qu’indispensable, ne suffit pourtant pas.
Sortir de l’interprétation socio-économique
39Après prise en compte des caractéristiques sociodémographiques, les Noirs meurent encore 1,9 fois plus de la Covid-19 que les Blancs, au Royaume-Uni [29]. Il faut donc se demander si le racisme ne suit pas d’autres chemins que l’appauvrissement matériel pour affecter leur santé. C’est la question qu’ont posée Phelan et Link sur le terrain des États-Unis, en 2015 [37]. Au terme de l’examen d’un large éventail de données empiriques, ils concluent que le racisme affecte la santé des Noirs, non seulement en diminuant leur statut socio-économique, mais aussi de façon indépendante de ce dernier. L’un des nombreux éléments à l’appui de ce second résultat est particulièrement significatif à l’heure où sont écrites ces lignes, quand à la tragédie de la surmortalité des Noirs par la Covid-19 s’ajoute la colère face à celle de leur surmortalité du fait des violences policières, après le décès d’une énième victime, George Floyd, en mai 2020. Phelan et sa collègue démontrent que tout au long de l’histoire des États-Unis, de la période esclavagiste à l’actuelle qui se caractérise par l’incarcération massive des Noirs, le racisme s’est manifesté en privant ces derniers de liberté. Or, la liberté est un facteur de protection de la santé indépendant du statut socio-économique : un esclave ne peut empêcher son maître de lui faire du mal (par des sévices, des conditions de travail difficiles, l’absence de soins, etc.), tandis qu’un prisonnier n’est guère à l’abri des coups, est privé du soutien de sa famille et de ses amis et ne peut choisir des aliments sains.
40Cet impact du racisme sur la santé des Noirs peut d’ailleurs être mesuré sur une série d’indicateurs biologiques rassemblés sous le concept de charge allostatique. Expression de l’usure du corps due au stress cumulé tout au long de la vie, la charge allostatique est en moyenne plus élevée chez les Noirs que chez les Blancs, aux États-Unis, à chaque âge de la vie et malgré l’ajustement sur le niveau de revenu [38]. Or cette usure prédispose aux maladies cardio-vasculaires et au diabète, deux co-morbidités qui aggravent le pronostic en cas d’infection par la Covid-19. La mesure de la charge allostatique contribue donc à expliquer la surmortalité des Noirs face au nouveau coronavirus, après ajustement sur le statut socio-économique.
41Le constat de la persistance d’inégalités ethno-raciales de santé malgré l’ajustement sur le statut socio-économique suscite pourtant aussi de tout autres pistes de recherche : des différences génétiques qui expliqueraient la plus grande vulnérabilité en santé des minorités ethno-raciales. Sans surprise, on retrouve ces pistes en matière de Covid-19, quand des chercheurs se demandent si des variations génétiquement déterminées du système immunitaire pourraient expliquer la surmortalité des minorités ethno-raciales [39]. Or, pour la Covid-19 comme pour tout autre problème de santé, ces questions perdent leur pertinence dès que l’on rappelle que les catégories ethniques et raciales ne désignent pas des entités génétiques, mais des groupes sociaux caractérisés par des attributs physiques et culturels socialement situés, c’est-à-dire qu’ils ne font sens que dans une société donnée, à une époque donnée [40]. Les autorités publiques des pays qui les comptent sont d’ailleurs très claires à cet égard : leurs découpages statistiques sont socialement situés et ne prétendent à aucune plausibilité génétique. Par exemple, les statistiques officielles au Royaume-Uni sur la Covid-19 distinguent, du fait de leurs caractéristiques socio-économiques contrastées, Indiens d’un côté et Bangladeshi et Pakistanais d’un autre, mais rassemblent tous les Noirs dans une même catégorie [41].
42Une autre piste d’explication de la vulnérabilité des Noirs à la Covid-19 et qui passe elle aussi « par la nature » est celle de la déficience en vitamine D. Favorisée par une peau foncée, cette déficience expliquerait la faiblesse de la réaction immunitaire des Noirs [42]. Si cette piste a le mérite de ne pas suggérer que les minorités ethno-raciales se distinguent, génétiquement, par autre chose que les quelques caractères phénotypiques qui permettent de les repérer (en l’occurrence, la couleur de peau), elle semble néanmoins invalidée par différentes études [43].
Le racisme systémique
43Le racisme est donc un rapport de pouvoir qui, soit par l’entremise d’un autre rapport de pouvoir, le socio-économique, soit directement, prive les Noirs de toute une série de ressources (éducation, logement, soins, emploi, revenus, soins de santé, emprunt immobilier, justice, etc.) qui sont autant de déterminants sociaux de la santé. Ces privations non seulement se renforcent mutuellement, mais elles finissent aussi par produire, toutes ensemble, un biais dans les perceptions sociales : les Noirs sont perçus à travers des stéréotypes dévalorisants qui prétendent justifier les discriminations dont ils font l’objet, et finalement les pérennisent. La boucle est bouclée, discriminations et perceptions se renforçant mutuellement : c’est ce qui caractérise le racisme systémique [36], un racisme qui se manifeste dans des actes individuels comme dans des logiques institutionnelles routinières, et dont la mise en œuvre ne requiert pas toujours une intention discriminatoire.
44Cette analyse pourrait, bien entendu, être conduite à propos des autres rapports de pouvoir identifiés dans cette analyse des inégalités sociales de santé face à la Covid-19. Il a par exemple été remarqué à plusieurs reprises que la vulnérabilité des femmes face à la pandémie passe par leur minorisation socio-économique. La division sexuée du travail (secteurs d’activité féminins peu valorisés, implication dans les tâches domestiques et familiales) explique en effet leur fragilité relative sur le marché du travail. Or, cette vulnérabilité résulte aussi d’autres dimensions des rapports de sexe qui, sans passer par une minorisation socio-économique, augmentent les risques des femmes de s’infecter (les métiers dits féminins sont au contact avec le public) et d’être affectées sans nécessairement être infectées (épuisées par les soins des enfants déscolarisés et le soutien de parents vieillissants confinés, et victimes de violences conjugales dans le huis-clos de leurs logements). Ces premiers éléments demanderaient à être approfondis pour être articulés dans une perspective systémique.
Conclusion : quelques pistes supplémentaires
45Le décryptage des inégalités sociales face à la pandémie requiert d’identifier les risques qu’elle engendre, tant directs (cas et décès de l’infection) qu’indirects (via divers déterminants de la santé), afin de se demander comment des rapports de pouvoir différencient l’exposition à ces risques. Les pages précédentes ont proposé quelques éléments d’une analyse systémique. Il conviendrait de compléter celle-ci par une approche intersectionnelle qui explorerait non pas simplement l’articulation des rapports sociaux, mais leur co-construction, c’est-à-dire la façon dont chacun de ces rapports se déploie différemment selon l’ensemble des autres rapports en présence. Cette approche exige un soigneux travail de terrain, pour décrypter les effets parfois inattendus de cette co-construction qui se joue d’une arithmétique trop convenue (comme l’addition des désavantages et des désavantages) [44].
46Enfin, l’analyse systémique permet de guider les stratégies de lutte contre les inégalités sociales de santé. De nombreux articles proposent de réduire les inégalités ethno-raciales face à la Covid-19 en empêchant que la pauvreté des minorités ethno-raciales ne les vulnérabilise face à l’infection. On recommande par exemple aux minorités un régime alimentaire susceptible de renforcer leur système immunitaire affaibli par leur pauvreté [32]. Or, lutter contre les conséquences de la pauvreté causée par le racisme ne suffit pas. Il faut aussi briser, en amont, le lien entre racisme et pauvreté. Mais cela ne suffit pas non plus. Il faut encore et surtout faire disparaître le racisme lui-même, une injonction applicable aux différents rapports de pouvoir – si tant est bien sûr qu’on n’omet pas de placer ces derniers au cœur de la définition des ISS.
47Aucun conflit d’intérêts déclaré
Références
- 1Benoist J. Quelques questions posées à l’anthropologie médicale par la Guyane. Archipélies [Internet]. 2018 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.archipelies.org/212.
- 2Braveman P. Health disparities and health equity: concepts and measurement. Annu Rev Public Health. 2006;27:167-94.
- 3Courtenay WH. Constructions of masculinity and their influence on men’s well-being: a theory of gender and health. Soc Sci Med. 2000;50(10):1385-401.
- 4Guichard A, Potvin L. Pourquoi faut-il s’intéresser aux inégalités sociales de santé ? In : Potvin L, Moquet MJ, Jones C, editors. Réduire les inégalités sociales en santé. Saint-Denis : INPES ; 2010. pp. 35-51.
- 5Fassin D. L’invention française de la discrimination. Rev Francaise Sci Polit. 2002;52(4):403-23.
- 6Messacar D, Morissette R, Deng Z. Inégalités en matière de faisabilité du travail à domicile pendant et après la COVID-19. Statistiques Canada [Internet]. 2020 [Visité le 20 oct 2020]. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2020001/article/00029-fra.htm.
- 7Riopel A, Levasseur G, Gagnon C, Béland A. Les professions à risque sont-elles plus occupées par des femmes ? Le Devoir [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.ledevoir.com/documents/special/2020-05-08-femmes-plus-a-risque-coronavirus/index.html.
- 8Campbell B. Le coronavirus, révélateur retentissant des valeurs et des injustices de notre société. The Conversation [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/le-coronavirus-revelateur-retentissant-des-valeurs-et-des-injustices-de-notre-societe-136591.
- 9Etheridge F, Lemay F, Aubry F, Couturier Y. Tragédie dans les CHSLD : une réalité trop prévisible. The Conversation [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/tragedie-dans-les-chsld-une-realite-trop-previsible-137442.
- 10Données COVID-19 au Québec. INSPQ [Internet]. [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.inspq.qc.ca/covid-19/donnees.
- 11État de situation. Île de Montréal, ses arrondissements et les villes liées. Ville de Montréal [Internet]. [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://santemontreal.qc.ca/fileadmin/fichiers/Campagnes/coronavirus/situation-montreal/COVID19-Situation-Montreal-Arrondissements-VillesLiees.pdf.
- 12CDC. Coronavirus Disease 2019 (COVID-19). Centers for Disease Control and Prevention [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/need-extra-precautions/people-with-medical-conditions.html.
- 13Dubost C-L, Pollak C, Rey S. Les inégalités sociales face à l’épidémie de Covid-19. DREES ; 2020 juill ; p. 62.
- 14Wu X, Nethery RC, Sabath BM, Braun D, Dominici F. Exposure to air pollution and COVID-19 mortality in the United States. Sci Adv. 2020;45(2).
- 15Springmann V. Hommes et femmes inégaux face à la COVID-19. Le point sur la santé des Montréalais en période de pandémie. Direction régionale de santé publique de Montréal [Internet]. 2020 [Visité le 20 oct 2020]. En ligne : https://santemontreal.qc.ca/population/coronavirus-covid-19/situation-du-coronavirus-covid-19-a-montreal/point-sante/disparites-hommes-femmes/.
- 16The COVID-19 Sex-Disaggregated Data Tracker | Global Health 50/50. The Sex, Gender and Covid-19 Project [Internet]. [Visité le 20 oct 2020]. En ligne : https://globalhealth5050.org/the-sex-gender-and-covid-19-project/the-data-tracker/.
- 17Lys Granier A, Zorn N. Baromètre des inégalités. Édition Juin 2020 [Internet]. Montréal : Observatoire québécois des inégalités ; 2020 [Visité le 18 oct 2020] ;1. En ligne : https://www.observatoiredesinegalites.com/fr/.
- 18Roy N. Portrait des Québécoises - Édition 2018. Conseil du statut de la femme ; 2018, p. 54.
- 19Bzdok D, Dunbar RI. The Neurobiology of Social Distance. Trends Cogn Sci. 2020;24(9):717-33.
- 20Maltais N. Quelques données sur les liens sociaux au Québec. 22es Journées annuelles de santé publique. [Internet]. 2018 déc 5. [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/jasp/archives/2018/jasp2018-isolement-social-nadine-maltais.pdf.
- 21Situation de l’alphabétisation au Québec. CDÉACF [Internet]. 2011 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://cdeacf.ca/ace/a_propos/situation.
- 22Statistique Canada. Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes 1 : Répercussions de la COVID-19 [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200408/dq200408c-fra.htm.
- 23Lauer S, Kauffmann S. Face au coronavirus, une Amérique aux pieds d’argile. Le Monde.fr [Internet]. 13 mai 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/13/face-au-coronavirus-une-amerique-aux-pieds-d-argile_6039486_3210.html.
- 24Darnon C. Inégalités scolaires : des risques du confinement sur les plus vulnérables. The Conversation [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/inegalites-scolaires-des-risques-du-confinement-sur-les-plus-vulnerables-135115.
- 25Markon M-P, Springmann V, Lemieux V. Inégaux face à la pandémie. Le point sur la santé des Montréalais en période de pandémie [Internet]. [Visité le 21 oct 2020]. En ligne : https://emis.santemontreal.qc.ca/fileadmin/emis/Sant%C3%A9_des_Montr%C3%A9alais/D%C3%A9terminants/Conditions_socio%C3%A9conomiques/COVID-19_et_d%C3%A9favo/Inegaux-Pandemie_Version-Detaillee.pdf.
- 26Pascoe EA, Smart, Richman L. Perceived discrimination and health: a meta-analytic review. Psychol Bull. 2009;135(4):531-54.
- 27Cleveland J, Hanley J, Jaimes A, Wolofsky T. Impacts de la crise de la COVID-19 sur les « communautés culturelles » montréalaises. Enquête sur les facteurs socioculturels et structurels affectant les groupes vulnérables. Montréal : Institut universitaire SHERPA [Internet]. 2020 [Visité le 21 oct 2020]. En ligne : https://sherpa-recherche.com/wp-content/uploads/impact_covid19_communautes_culturelles.pdf.
- 28The color of coronavirus: COVID-19 deaths analyzed by race and ethnicity in the U.S. APM Research Lab [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.apmresearchlab.org/covid/deaths-by-race.
- 29Coronavirus (COVID-19) related deaths by ethnic group, England and Wales [Internet]. Office for National Statistics. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/birthsdeathsandmarriages/deaths/articles/coronavirusrelateddeathsbyethnicgroupenglandandwales/2march2020to10april2020.
- 30Adrien A, Markon M-P, Springmann V. Populations racisées. Le point sur la santé des Montréalais en période de pandémie. Direction régionale de santé publique de Montréal [Internet] 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://santemontreal.qc.ca/population/coronavirus-covid-19/situation-du-coronavirus-covid-19-a-montreal/point-sante/populations-racisees/.
- 31Noppert GA. États-Unis : pourquoi les Noirs et les pauvres sont les plus touchés par la Covid-19. The Conversation [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/etats-unis-pourquoi-les-noirs-et-les-pauvres-sont-les-plus-touches-par-le-covid-19-136538.
- 32Gumber A. BAME people need a better chance of fighting off coronavirus – here’s what can be done now. The Conversation [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/bame-people-need-a-better-chance-of-fighting-off-coronavirus-heres-what-can-be-done-now-140354.
- 33Des dizaines de chercheurs très inquiets de la santé des Autochtones. Radio-Canada.ca. [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1692379/chercheurs-tres-inquiets-sante-autochtones
- 34Coronavirus (COVID-19) and Indigenous communities. Gouvernement du Canada [Internet]. 2020 [Visité le 21 oct 2020]. En ligne : https://www.sac-isc.gc.ca/eng/1581964230816/1581964277298.
- 35Turcotte M, Savage K. La contribution des immigrants et des groupes de population désignés comme minorités visibles aux professions d’aide-infirmier, d’aide-soignant et de préposé aux bénéficiaires. Statistiques Canada [Internet]. 2020 [Visité le 20 oct 2020]. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2020001/article/00036-fra.htm.
- 36Reskin B. The Race Discrimination System. Annu Rev Sociol. 2012;38(1):17-35.
- 37Phelan JC, Link BG. Is Racism a Fundamental Cause of Inequalities in Health? Annu Rev Sociol. 2015;41(1):311-30.
- 38Geronimus AT, Hicken M, Keene D, Bound J. “Weathering” and age patterns of allostatic load scores among blacks and whites in the United States. Am J Public Health. 2006;96(5):826-33.
- 39Valdes A. Coronavirus: BAME deaths urgently need to be understood, including any potential genetic component. The Conversation [Internet]. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/coronavirus-bame-deaths-urgently-need-to-be-understood-including-any-potential-genetic-component-138400.
- 40Carde E. De l’origine à la santé, quand l’ethnique et la race croisent la classe. Rev Eur Migr Int. 2011;27(3):31-55.
- 41Coronavirus-related deaths by ethnic group, England and Wales methodology [Internet]. Office for National Statistics. 2020 [Visité le 18 oct 2020]. En ligne : http://oxfordmedicine.com/view/10.1093/med/9780195377903.001.0001/med-9780195377903-chapter-2.
- 42Hastie CE, Mackay DF, Ho F, Celis-Morales CA, Katikireddi SV, Niedzwiedz CL, et al. Vitamin D concentrations and COVID-19 infection in UK Biobank. Diabetes Metab Syndr Clin Res Rev. 2020;14(4):561-5.
- 43Hypponen E. Does vitamin D protect against coronavirus? The Conversation [Internet]. 2020 [cité 18 oct 2020]. En ligne : http://theconversation.com/does-vitamin-d-protect-against-coronavirus-138001
- 44Carde E. Les inégalités sociales de santé au prisme de l’intersectionnalité. Sci Soc Santé. 2021;39(1): À paraître.
Mots-clés éditeurs : inégalités systémiques, Covid-19, statut socio-économique, inégalités sociales de santé, genre, race
Date de mise en ligne : 11/03/2021
https://doi.org/10.3917/spub.205.0461Notes
-
[1]
Citons à titre d’exemple celle-ci, qui trébuche sur plusieurs des écueils présentés ci-dessus. Elle correspond à la « version large » : « Les inégalités sociales de santé font référence à toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale » [4]. Elles sont donc tous les écarts de santé, justes ou pas, ce qui les distingue, précisent les auteurs, des iniquités sociales de santé, expression désignant les seuls écarts considérés injustes. Dès lors, on ne peut que s’interroger sur la justification de l’appel lancé par le titre de l’ouvrage : (pourquoi alors) Réduire les inégalités sociales en santé (?). Autre incohérence, cette définition très large des ISS est, sitôt énoncée, refermée par une liste de seulement trois catégorisations sociales : « Elles renvoient aux écarts, généralement évitables, entre hommes et femmes, entre groupes socio-économiques et entre territoires, qui ont un impact sur de nombreux aspects de la santé des populations. » Enfin, l’adverbe « généralement » laisse ouverte la possibilité que des ISS soient « non évitables », une éventualité qui laisse perplexe.
-
[2]
Au 3 juillet 2020, parmi les personnes décédées de la Covid-19 au Québec depuis le début de la pandémie, on comptait 33,7 % de personnes âgées de 90 ans ou plus, et 86 % de personnes vivant dans une résidence pour personnes âgées, publique ou privée. Dans certaines maisons de retraite, plus de 40 % des résidents étaient décédés de la Covid-19. Le taux de mortalité au Québec était de 652 décès par million d’habitants [10]. Dans la région métropolitaine de Montréal, où sont intervenus la plupart de ces décès québécois, le taux de mortalité, de 1 613 par million d’habitants au 23 juin 2020, était parmi les plus élevés des métropoles d’Amérique du Nord et d’Europe [11].
-
[3]
Au 14 juin 2020, à Montréal, 46 % des femmes ayant contracté le coronavirus, hors maisons de retraite, sont des professionnelles de santé, contre 19 % des hommes [15].
-
[4]
Au 3 juillet 2020 [10]. Le Canada est un des rares pays au monde ou plus de femmes que d’hommes meurent de la Covid-19 [16].
-
[5]
En 2017, au Québec, les femmes étaient près de deux fois plus nombreuses que les hommes (24 % versus 13 %) à occuper un emploi à temps partiel [18].
-
[6]
Au Québec, 22 % des personnes à faibles revenus déclaraient un soutien social faible en 2009 [20].
-
[7]
En France, le hashtag #NousToutes, il est interdit de sortir mais pas de fuir, diffusé sur les réseaux sociaux, en était une expression glaçante.
-
[8]
À quelques centaines de kilomètres de Montréal, New York a subi de plein fouet la première vague de la pandémie. Pourtant, la décision de fermer les écoles publiques, que fréquentent un million d’élèves, n’y a pas été prise à la légère. C’était en effet priver de l’assurance d’avoir au moins un repas par jour les 750 000 élèves qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, dont 100 000 sans domicile fixe [23].
-
[9]
Au 16 mai 2020, le taux d’infection (en excluant les cas en maison de retraite et centres de détention) était près de deux fois et demie plus élevé dans les quartiers défavorisés (en termes socio-économiques) de Montréal que dans les favorisés [25].
-
[10]
Par manque de place, les inégalités selon l’origine nationale et de pays de naissance ne sont pas présentées. Outre bien sûr les pistes d’analyse communes à celles des inégalités ethno-raciales, il y aurait eu lieu de discuter d’enjeux spécifiques aux étrangers comme celui des droits sociaux, et notamment du non accès des étrangers en situation irrégulière à la couverture maladie publique québécoise [27].
-
[11]
Au Canada, les statistiques identifient beaucoup plus souvent les Autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis), surtout ceux qui vivent dans les réserves, que les minorités visibles (personnes qui n’ont pas la peau blanche et qui ne sont pas autochtones).
-
[12]
À noter que l’hécatombe crainte n’a pas eu lieu. À la fin de l’été 2020, le taux de contamination chez les Premières Nations vivant dans des réserves était trois fois moins élevé que celui au Canada dans son ensemble [34]. Les raisons restent à analyser mais la précocité des mesures de protection telles que la fermeture des frontières des territoires autochtones y a certainement contribué. Ces statistiques ne doivent cependant pas occulter les conséquences indirectes de la crise, potentiellement dramatiques, comme l’interruption des liaisons aériennes permettant notamment l’approvisionnement des réserves en nourriture.
-
[13]
Au Canada, en 2016, 34 % des aides-soignants et des aides-infirmiers étaient issus des minorités visibles (il s’agissait surtout de femmes), minorités qui ne constituaient que 22 % de la population vivant au Canada [35].